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Edito : L'IA réinvente le vivant...et les médicaments

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Edito :

L'IA réinvente le vivant...et les médicaments

En seulement quelques mois, l'Intelligence artificielle vient de faire une entrée fracassante dans le domaine des sciences de la vie. Le prix Nobel de physique a en effet été décerné à deux pionniers des réseaux de neurones, l'Américain John Hopfield et l'Anglo-canadien Geoffrey Hinton pour leurs travaux sur "l'apprentissage automatique". Les deux chercheurs sont récompensés pour avoir « utilisé des outils de la physique pour développer des méthodes qui sont à la base des puissants systèmes d'apprentissage automatique d'aujourd'hui », a indiqué le jury dans son communiqué. John Hopfield, 91 ans et professeur à la prestigieuse université Princeton, et Geoffrey Hinton, 76 ans et professeur à l'université de Toronto au Canada, ont été récompensés pour leurs découvertes et inventions fondamentales qui permettent l'apprentissage automatique grâce aux réseaux neuronaux artificiels. Les réseaux de neurones artificiels s'inspirent du réseau de neurones dans notre cerveau. Ces scientifiques ont utilisé des concepts fondamentaux de la physique statistique pour concevoir des réseaux de neurones artificiels fonctionnant comme des mémoires associatives et pouvant modéliser d'immenses bases de données.

Fait remarquable, le prix Nobel de chimie 2024 a lui aussi récompensé, des scientifiques qui se sont servis de l’IA pour révolutionner un domaine fondamental de la biologie, l’étude des protéines. Ce prix a été décerné pour moitié au Britannique Demis Hassabis, et à l’Américain John Jumper, tous deux issus de l’entreprise Google DeepMind, pour leur programme d’IA AlphaFold2. Celui-ci permet de prédire avec une précision incroyable la structure en 3 dimensions des protéines. L’autre moitié du prix revient à l’Américain David Baker, biochimiste à l’université de Washington à Seattle, pour avoir réussi l’exploit de concevoir des protéines entièrement nouvelles, qui n’existaient pas dans la nature. Ces deux approches tout à fait complémentaires font entrer la biologie dans une nouvelle ère et devraient non seulement accélérer la connaissance des mécanismes fondamentaux du vivant mais également permettre le développement bien plus rapide de nouveaux médicaments efficaces et ciblés contre de nombreuses maladies. Pour comprendre comment fonctionne une protéine, il faut connaître sa structure en 3 dimensions. Dans le passé, cette structure était déterminée en laboratoire par des méthodes de cristallographie, puis par résonance magnétique nucléaire, ce qui pouvait prendre plusieurs mois, voire plusieurs années dans certains cas.

On peut se représenter les protéines comme des sortes de colliers dont les perles sont des acides aminés (des petites molécules de 20 types différents pour l’organisme humain). La forme finale de ces protéines va directement dépendre de la manière dont ce collier s’enroule sur lui-même. Après des décennies de recherche, le programme d’IA AlphaFold 2, mis au point en 2020, a permis, pour la première fois, en rentrant simplement une séquence d’acides aminés, de connaître la structure de n’importe quelle protéine. Et c'est ainsi qu'en seulement un an, l'outil AlphaFold, qui contenait déjà en 2021 la structure en trois dimensions de 350.000 protéines, dont l'intégralité du protéome humain, a réussi l'exploit presque inimaginable de décrypter la structure en 3D de 200 millions de protéines issues d'un million d'espèces différentes.

Il est frappant de constater que la date de publication de l’article initial présentant AlphaFold 2 dans la revue Nature remonte à 2021 seulement (Voir Nature). Il a été depuis cette date cité 27 000 fois par d’autres publications, ce qui ne s'est jamais vu sur une période aussi courte. « AlphaFold 2 permet aux scientifiques de gagner un temps extraordinaire pour connaître les structures des protéines, et faire ensuite les bonnes études expérimentales qui vont permettre d’en comprendre le fonctionnement », explique Sergei Grudinin, chercheur CNRS au Laboratoire Jean Kuntzmann à Grenoble.

L’autre moitié du Nobel récompense David Baker pour la synthèse de protéines nouvelles, une opération qui constitue le parfait complément de celle portant sur la connaissance de leur structure. Avec cette technique, il devient possible, à partir de la structure en 3D que les biologistes veulent produire, d'optimiser la séquence d’acides aminés, pour la rendre plus stable, ce qui permet de créer la protéine correspondante. C'est avec cette approche révolutionnaire que l’équipe de David Baker a créé en 2020 une mini-protéine nouvelle qui va pouvoir bloquer la protéine Spike du coronavirus responsable du Covid-19, en imitant la forme du récepteur ACE2 présent sur les cellules humaines. L’arrivée de ce procédé est évidemment une révolution pour les laboratoires pharmaceutiques, car la plupart des maladies sont provoquées par des protéines dysfonctionnelles, que l’on cherche à bloquer et à désactiver d'une manière ou d'une autre.

Au cours de ces dernières années, de nombreuses start-up spécialisées en IA appliquée à la recherche pharmaceutique seront développées dans le monde et ont noué des partenariats avec tous les géants pharmaceutiques. « Depuis 5 ans, nous avons conclu plus de 60 collaborations avec des acteurs clés de la pharmacologie, comme Servier, Merck, Janssen et Pfizer », se réjouit Quentin Perron, cofondateur d'Iktos, l'un des acteurs les plus prometteurs de ce nouveau secteur de recherche. Comme le souligne Didier Rognan, spécialiste en IA à l'université de Strasbourg, « Ces outils sont capables d'analyser les données biologiques de milliers de patients ; ils peuvent notamment identifier des réactions biochimiques ou des protéines à cibler inédites, et ainsi potentiellement ouvrir la voie à de nouvelles classes thérapeutiques ».

Lorsqu'une nouvelle cible thérapeutique a été identifiée, l'IA va permettre de concevoir et fabriquer de nouvelles molécules thérapeutiques correspondant de manière précise aux nombreuses caractéristiques biologiques de la cible visée et pouvant s'attaquer efficacement à des maladies graves et souvent incurables. « Grâce à notre outil d'IA, nous tentons de découvrir des molécules qui agissent contre le mésothéliome, un cancer agressif des tissus entourant les organes internes, souvent lié à l'exposition à l'amiante, contre lequel il n'y a pas de solution thérapeutique satisfaisante », souligne Thomas Clozel, directeur général de la start-up franco-américaine Owkin. Ces nouveaux outils d'IA ont également permis de concevoir la molécule INS018_055, dont l'efficacité est évaluée depuis février 2024, par Insilico Medicine, dans un essai clinique de phase 2 sur 60 Chinois et Américains atteints de fibrose pulmonaire idiopathique – une maladie mortelle caractérisée par la dégradation progressive des fonctions pulmonaires.

En cancérologie, on attend beaucoup de ces puissants outils et les premiers résultats commencent à poindre : la société Exscientia a ainsi conçu la molécule GTAEXS617-001,  qui fait l'objet depuis 2023 d'un essai de phase 1 et 2 visant à tester son innocuité et son activité chez 170 patients Américains et Belges atteints de différents cancers avancés. En mai dernier, le laboratoire pharmaceutique Sanofi a annoncé un partenariat avec la société californienne OpenAI, à l'origine du célèbre robot conversationnel ChatGPT, ainsi qu'avec la biotech américaine Formation Bio. L'objectif de ce partenariat sera d'accélérer l'utilisation de l'IA dans le développement de médicaments. OpenAI, leader mondial des technologies d'intelligence artificielle, sera chargé de faciliter l'accès à des capacités d'IA de pointe. Et Formation Bio mettra à disposition sa plate-forme de développement pour déployer les nouveaux outils d'IA à tous les niveaux de l'industrie pharmaceutique. En unissant leurs forces, les trois partenaires espèrent rien moins que « réinventer le développement de médicaments dans l'industrie pharmaceutique ».

Je pourrais aussi évoquer, dans cette nouvelle compétition techno-industrielle effrénée, la place remarquable prise par la jeune société Aqemia, fondée en 2019 par Emmanuelle Martiono, issue de Centrale Supelec et Maximilien Levesque, chercheur de haut niveau en physique quantique théorique et ancien chercheur en physique fondamentale au CEA, à l’École normale supérieure et au CNRS. Celui-ci a travaillé une dizaine d’années sur le développement de systèmes d’apprentissage automatique pour trouver des candidats médicaments prometteurs parmi les millions de molécules existantes. Aqemia s’appuie sur son expertise unique en physique statistique et quantique des liquides à l’échelle atomique pour développer des outils permettant la conception de nouveaux médicaments. Maximilien Levesque a résisté à plusieurs offres de rachat par des sociétés étrangères et a pu continuer à développer son entreprise grâce à la confiance de plusieurs investisseurs qui accompagnent son développement. Aqemia combine de façon unique au monde les ressources de l’intelligence artificielle générative et de la physique quantique. « La physique théorique joue un rôle de professeur pour améliorer les molécules poussées par l’intelligence artificielle », précise Maximilien Levesque. A présent forte d'une soixantaine de collaborateurs, Aqemia a notamment conçu trois molécules destinées à soigner le cancer qui sont aujourd’hui en test sur des souris. Ces molécules ont déjà obtenu de très bons résultats lors des premiers essais en laboratoires et permettent de reprogrammer le système immunitaire pour qu’il s’attaque aux cellules malades. En plus de la recherche et du développement de médicaments en interne, Aqemia vient de conclure un important partenariat avec Sanofi pour un montant de 150 millions d'euros. « Sanofi nous indique les cibles thérapeutiques, c’est-à-dire ce qui rend les patients malades, et nous sommes chargés d’inventer les molécules thérapeutiques actives sur ces cibles », souligne Maximilien Levesque .

Une autre société fait beaucoup parler d'elle, il s'agit d'Iktos, une jeune société fondée en 2016 par Yann Gaston-Mathé, ancien de Polytechnique. « Dans cinq ans, toutes les petites molécules auront été trouvées avec des méthodes d'IA générative »estime Yann Gaston-Mathé, qui affiche son ambition de diviser par deux le temps de découverte d’un nouveau médicament. Il est vrai qu'il faut encore deux fois plus de temps pour mettre au point un médicament que pour construire un avion et que de nombreuses pathologies liées au vieillissement restent en attente de solutions thérapeutiques. Pour développer un médicament, il faut commencer par réussir à identifier les composés chimiques qui ont les propriétés susceptibles d’atteindre les effets thérapeutiques désirés. Vient ensuite la longue phase de développement clinique pendant laquelle le candidat-médicament est testé selon des protocoles rigoureux chez l'animal, puis chez l'être humain. Cette phase prend de 5 à 10 ans et nécessite un investissement moyen de près de 100 millions de dollars par candidat médicament.

Fin 2023, en utilisant un modèle d’intelligence artificielle (IA) similaire à celui qui est derrière le célèbre chatbot ChatGPT, et en travaillant sur des données brutes concernant 36 millions de cellules réelles, leur composition chimique et génétique, des chercheurs de l’université de Stanford ont réussi à créer un programme capable d’identifier et de classer un millier de types de cellules qu’il n’avait jamais vus auparavant, lors de la phase d’apprentissage de l’IA. Ce modèle, baptisé UCE (Universal Cell Embedding) a réussi à détecter des cellules “Norn”. Il s’agit d’un sous-ensemble rare de cellules rénales, principales productrices de l’hormone EPO dans le corps humain, et dont on ignorait l’identité jusqu’à l’année dernière. « Les humains ont mis cent trente-quatre ans pour découvrir l’existence des cellules Norn pressenties par le médecin français François Viault en 1889. Avec notre outil d'IA, nous n'avons mis que six semaines à identifier ces cellules, ce qui est d’autant plus extraordinaire que personne n’avait jamais indiqué au modèle l’existence de cellules Norn dans les reins », souligne le chercheur Jure Leskovec, de Stanford.

Enfin, il y a quelques jours, grâce à la dernière version AlphaFold, l’outil d’intelligence artificielle (IA) de la société DeepMind capable de déterminer la forme en 3D et les interactions des protéines, deux équipes de recherche ont indépendamment l’une de l’autre identifié un trio de protéines situé sur la tête du spermatozoïde et qui s’accroche à la surface de l’ovocyte pendant la fécondation (Voir Science). Cette découverte majeure en matière de reproduction contredit l’hypothèse admise jusqu'à présent selon laquelle la fusion des deux cellules sexuelles de vertébrés reposerait sur la reconnaissance d’une seule protéine du spermatozoïde et d’une seule protéine de l’ovocyte. En dépit de son importance, la fécondation reste un domaine loin d'être parfaitement connu chez les animaux vertébrés, un large groupe qui comprend les humains. Cette étape originelle est en effet difficile à étudier car elle se déroule très rapidement, requiert la culture d'ovocytes et implique des protéines incrustée dans des membranes lipidiques, difficiles à observer par les techniques actuelles. Dans un tel contexte, le recours à la dernière version d'Alphafold, outil d'une puissance inégalée d'IA, s'est avérée déterminante pour faire cette découverte. L'étude souligne, « AlphaFold a réussi à prédire que trois protéines de spermatozoïdes se combinaient pour former un complexe protéique, alors que seules deux de ces protéines étaient déjà connues pour la fertilité. Par sa seule puissance de calcul, Alphafold a donc réussi à déduire l'existence d'une nouvelle protéine totalement inconnue jusqu'à ce jour ».

Comme le soulignent les intervenants du forum Futurapolis Santé, qui s'est tenu il y a quelques jours à Montpellier, la mise à disposition d'équipement informatique et d'infrastructures numériques performantes est une condition nécessaire mais absolument pas suffisante pour que notre pays reste dans cette course mondiale que constitue l'intégration de l'IA en biologie et en médecine. Comme le souligne le Professeur Vincent Bounes, chef de service du Samu 31 et vice-président de la région Occitanie, chargé de la santé, « les moyens actuels sont insuffisants pour rivaliser avec l'expertise américaine et chinoise ». « Aujourd'hui, le plus grand danger pour l'Europe, c'est sa perte de matière grise. Les Chinois forment actuellement 600 000 ingénieurs par an, contre 37 000 en France ». Tous les acteurs de ce forum s'accordent à dire qu'il faudrait multiplier par 5 le nombre d'ingénieurs diplômés en Europe, si notre continent veut rester compétitif dans ce domaine d'avenir de la bioinformatique. Reste que la France demeure à un haut niveau d'excellence dans ce domaine éminemment stratégique pour l'avenir de l'IA médicale et biologique. De nombreux projets scientifiques innovants, issus de notre recherche publique, en témoignent, comme celui piloté par la Professeure Magali Svrcek, spécialiste en anatomie et cytologie pathologiques à l'hôpital Saint-Antoine, à Paris, visant à révolutionner les essais cliniques contre les cancers de mauvais pronostic, en particulier le cancer du pancréas. En s’appuyant sur l’intelligence artificielle et l’apprentissage automatique, ce projet, baptisé "AI-TRIOMPH" a pour objectif d’identifier des biomarqueurs pronostiqueurs pertinents et de créer des groupes de référence pour mieux sélectionner les patients pour un traitement donné.

Je souligne enfin que l’arrivée massive et rapide de l'IA dans tous le champs de la biologie, de la médecine et de la santé, va profondément modifier le rôle du médecin, les relations entre celui-ci et ses patients et la nature même de notre système de santé, qui va réorienter ses actions sur la prévention active personnalisée. On peut imaginer que dans moins de 10 ans, même un médecin généraliste installé en milieu rural aura en permanence accès à des outils d'IA d'une extrême puissance qui pourront non seulement l'aider pour formuler rapidement ses diagnostics mais qui seront également capables de se comporter comme des auxiliaires de santé qui surveilleront en permanence la santé de chacun, via le suivi et l'analyse automatique des données provenant directement des patients, et recueillies par des dispositifs portables. Quant aux traitements, l'IA, combinée à la robotique, permettra sans doute d'aller vers une personnalisation complète, allant jusqu'à la composition et l'impression sur mesure des principaux médicaments pour chaque malade... Il faut toutefois souhaiter que dans un tel contexte, où la technologie serait prédominante, le médecin pourra mettre à profit le temps précieux qu'il récupérera pour maintenir la dimension essentielle et précieuse d’humanité, d'écoute et de confiance qui restera toujours au cœur de la pratique et de l'éthique médicale.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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