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L’IA pourrait bouleverser la mise au point d’antivenins
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A l'aide d'un nouvel outil d'IA, l’équipe de David Baker, à l’université de Washington, et celle de Timothy Patrick Jenkins, à l’université technique du Danemark, ont créé des protéines synthétiques qui parviennent à neutraliser les principales toxines mortelles injectées par les serpents de la famille des cobras. Une performance réalisée en un temps record qui pourrait bouleverser à terme la fabrication des sérums contre les morsures.
Car depuis l’élaboration, en 1894, par les Français Césaire Phisalix et Albert Calmette du premier antidote contre les morsures de vipère, le principe n’a pas changé. Le venin dilué d’un serpent est injecté à un gros animal, généralement un cheval. L’équidé fabrique alors des anticorps. Une fois nettoyés, ils sont administrés à un humain après une morsure, afin de lutter contre les toxines injectées par le reptile. Un processus lourd, long et coûteux. Les chercheurs ont donc tenté de concevoir des antivenins sans passer par l’animal.
Timothy Patrick Jenkins était de ceux-là depuis plusieurs années lorsqu’il a découvert les travaux de David Baker sur le design de protéines grâce à l’intelligence artificielle. Convaincu qu’il y avait là un moyen d’accélérer le processus, peut-être même de le rendre plus fiable et moins coûteux, il lui a proposé une collaboration. Il se trouve que, dans l’équipe américaine, une jeune chercheuse, Susana Vazquez Torres, avait justement proposé d’utiliser les outils informatiques du laboratoire au service des antivenins. Elle y voyait le moyen de concevoir « des thérapies très efficaces et accessibles à tous, notamment dans les pays en développement ». En effet, la majorité des quelque 100 000 personnes tuées chaque année par envenimation vivent dans des pays pauvres, particulièrement en Afrique.
Le Prix Nobel David Baker jugeait pourtant le projet trop complexe. Les substances injectées par les serpents comptent des dizaines de protéines toxiques. Et chaque espèce a ses spécificités. La proposition de M. Jenkins a pourtant convaincu l’Américain. L’union des expertises pourrait faire des miracles. Autour de Susana Vazquez Torres, une trentaine de chercheurs se sont joints au projet. L’équipe a choisi de cibler les toxines « à trois doigts », une classe de protéines essentielle dans la létalité des venins des élapidés, la famille des cobras, mambas et autres serpents corail. Ces petites molécules se trouvent également être peu immunogènes, ce qui rend plus difficile le développement d’un antidote par la méthode classique.
Les chercheurs ont alors utilisé différents outils d’intelligence artificielle. En premier lieu, RFdiffusion, le programme conçu par l’équipe de David Baker, et proposé en open source depuis novembre 2023, mais aussi AlphaFold 2, le logiciel mis au point par Google, et un troisième programme nommé "ProteinMPNN". De cette grande cuisine informatique sont sortis deux "liants", capables chacun de s’accrocher puis de détruire une des deux familles de protéines à trois doigts – à longue ou à courte chaîne. Ils les ont d’abord testés in vitro. Puis ils les ont injectés à des souris, auxquelles avait été administrée, quinze ou trente minutes auparavant, selon le protocole standard en la matière, la toxine visée. Résultat : suivant la concentration retenue, 80 % à 100 % des rongeurs ont été protégés.
L’efficacité apparaît remarquable, équivalente aux meilleurs liants connus. Surtout, insiste Timothy Jenkins, « nous avons fait en deux mois ce qui prend habituellement deux ans ». Une vitesse qui rend envisageable la mise au point de protéines associées à chacune des quelque 2 000 toxines de serpents connues.
De cette « preuve de concept », à savoir que l’IA peut concevoir la structure moléculaire d’un antivenin, les deux équipes entendent passer à la mise au point complète d’un sérum pour sauver non plus des souris mais des humains. « Comme pour tout nouveau médicament, cela prendra encore des années », avertit Nicholas Casewell, de l’Ecole de médecine tropicale de Liverpool, un des signataires de l’étude. Les chercheurs entendent également s’attaquer aux toxines autrement complexes présentes chez les vipéridés, « qui sont responsables de la plupart des envenimations : 100 % en Europe, 90 % en Afrique et en Amérique, plus de 50 % en Asie », rappelle Jean-Philippe Chippaux, directeur de recherche honoraire à l’Institut de recherche pour le développement.
Le Monde du 21.02.2025 : https://www.lemonde.fr/sciences/article/2025/01/21/l-ia-pourrait-bouleverser-la-mise-au-point-d-antivenins_6509034_1650684.html
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