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Edito : L'Homme a-t-il le droit de dévier le cours de la vie ?

Trois événements récents, survenus pratiquement simultanément aux Etats Unis, en Australie et en France, sont venus nous rappeler avec force que les sciences de la vie viennent de franchir une étape fondamentale dans leur vertigineux développement et que l'ensemble de notre société doit réfléchir aux conséquences éthiques et sociales majeures de ces progrès dans la connaissance et la maîtrise des mécanismes les plus intimes du vivant. Le premier de ces événements a eu lieu aux Etats-Unis avec l'annonce pour la première fois par des chercheurs américains de la création puis de la destruction d'embryons humains dans le seul but de pouvoir en récupérer les cellules souches. Une nouvelle qui survient au moment où le président George W. Bush doit se prononcer sur le financement public de recherches sur ces mêmes cellules. Des scientifiques de l'Institut Jones pour la médecine reproductive à Norfolk (Virginie) ont annoncé leurs travaux dans l'édition de juillet de la revue ''Fertility and Sterility''. Cette clinique privée avait été à l'origine de la naissance en 1981 du premier bébé éprouvette aux Etats-Unis. Les chercheurs ont utilisé des ovocytes et du sperme de donneurs anonymes, qui avaient été informés de l'utilisation qui en serait faite. Les embryons ont alors été démantelés pour permettre l'extraction des cellules souches. Les cellules souches embryonnaires peuvent se transformer en n'importe quelle autre cellule ou tissu. Les scientifiques espèrent qu'elles permettront un jour de réparer ou remplacer les zones touchées chez les victimes des maladies de Parkinson et d'Alzheimer, du diabète, du cancer et de blessures affectant la moelle épinière. Jusqu'à présent, les cellules souches embryonnaires étaient obtenues principalement à partir d'embryons ''surnuméraires'' créés en trop lors d'un traitement de fertilisation. D'autres chercheurs ont obtenu des cellules souches à partir de graisse, de moelle épinière et de foetus avortés, mais celles de l'embryon sont les plus utiles. Le porte-parole de la Maison Blanche, Ari Fleischer, a estimé que l'affaire illustrait les questions ''très sensibles'' posées par ces recherches. Pour sa part, Kenneth Goodman, directeur de bioéthique à l'université de Miami, a estimé que les travaux de l'Institut Jones soulignaient une nouvelle fois la nécessité d'une réglementation fédérale. Alors que le débat éthique s'intensifie aux USA, une deuxième annonce faite en Australie n'a pas fini de susciter débats et controverses. Une équipe de chercheurs australiens affirme en effet avoir mis au point une nouvelle technique révolutionnaire qui permet de féconder des ovules de souris sans avoir recours à des spermatozoïdes. Cette technique, bien qu'encore très expérimentale, divise déjà la communauté scientifique. A l'origine de cette expérience, le Dr Orly Lacam-Kaplan, chercheuse à l'institut de reproduction et de développement de l'Université Monash de Melbourne, a tenu à préciser qu'il ne s'agissait encore que de travaux préliminaires. La découverte soulève l'enthousiasme de certains scientifiques : le Dr Robert Winston, spécialiste de la stérilité, extérieur à ce travail, a estimé que, si la technique se montrait efficace chez l'homme, ''ce serait réellement révolutionnaire et très important.'' Les hommes stériles seraient en effet les premiers bénéficiaires de cette avancée scientifique. D'autres chercheurs se sont au contraire dressés contre une recherche qui, selon eux, pourrait provoquer des anomalies génétiques graves. Pour féconder l'ovule de souris, le Dr Orly Lacam-Kaplan a utilisé la moitié du matériel génétique provenant de n'importe quelle cellule de l'organisme de l'animal. Cette technique est la dernière d'une série d'innovations technologiques qui se sont développées depuis la naissance de Dolly, la brebis écossaise née par clonage en 1996. Dans le cas de Dolly, tous les chromosomes de l'ovule avaient été remplacés par ceux d'une cellule provenant d'une brebis adulte, faisant de Dolly la copie génétique exacte de la brebis donneuse. Dans le cas des souris du Dr Lacam-Kaplan, seule la moitié des chromosomes ont été utilisés. Toutes les cellules de l'organisme, à l'exception de l'ovule et du spermatozoïde, possèdent deux séries de chromosomes, ceux hérités du père et ceux hérités de la mère, l'ovule et le spermatozoïde n'en contenant qu'une série. Or, ajouter une série de chromosomes à une cellule adulte est impossible. Pour contourner cet obstacle, l'équipe s'est d'abord débarrassée de chaque double de chromosome superflu de la cellule adulte, à l'aide d'un choc électrique. Puis l'ovule a pu être fécondé avec la cellule adulte réduite artificiellement de moitié. Le résultat obtenu était un ovule avec les deux séries de chromosomes, comme lors d'une fécondation normale. Le Dr Orly Lacham-Kaplan a procédé à la fécondation de souris de laboratoire, en utilisant les cellules d'une souris femelle adulte. Les embryons obtenus ont survécu cinq jours, la gestation normale chez la souris étant de 21 jours. La scientifique a expliqué que sa recherche en était encore à ''un stade très préliminaire''. Elle a ajouté qu'elle espérait pouvoir obtenir des bébés souris avant l'année prochaine. On voit immédiatement les implications éthiques et sociales majeures que pourrait avoir l'utilisation de cette méthode, si elle s'avère viable chez l'homme. Enfin, dernier événement qui doit appeler notre attention, le récent arrêt de la Cour de Cassation qui a confirmé globalement sa position de novembre dernier, quand elle avait jugé que Nicolas Perruche, un enfant né handicapé, pouvait réclamer des indemnités au médecin qui n'avait pas décelé la rubéole de sa mère, à l'origine de sa malformation, et n'avait pas permis un avortement thérapeutique. La Cour de cassation avait été, le 6 juillet dernier, saisie de trois affaires similaires au cas "Perruche", trois cas d'enfants handicapés qui demandent des indemnités aux médecins échographistes pour n'avoir pas décelé leurs handicaps. L'un des enfants est né avec une paralysie des jambes, un autre avec un bras manquant et un troisième avec un bras atrophié. Dans les trois affaires jugées le 13 juillet, l'assemblée plénière a constaté que les conditions de l'indemnisation n'étaient pas remplies, et elle a rejeté les pourvois qui lui étaient soumis au nom de trois enfants. La Cour ajoute que pour se plaindre de ne pas avoir subi une IVG thérapeutique, permise hors des délais légaux, l'enfant doit établir que les conditions d'une telle intervention étaient réunies. Il faut, selon la loi, que deux médecins attestent, "après examen et discussion, que la poursuite de la grossesse met en péril grave la santé de la femme ou qu'il existe une forte probabilité que l'enfant à naître soit atteint d'une affection d'une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic". Les magistrats de la Cour de cassation ont donc choisi de ne pas suivre les conclusions de l'avocat général. Au cours de l'audience de la semaine dernière, Maître Jerry Sainte-Rose a de nouveau exprimé sa vive opposition à un droit qu'auraient les enfants handicapés à ne pas naître. "Nul n'est fondé à juger en droit de la légitimité des vies humaines", a-t-il déclaré, estimant que "l'élimination du malade ne peut être sérieusement qualifiée de thérapie". Cette position est également celle du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) qui s'oppose à la reconnaissance d'un "droit de l'enfant à ne pas naître" handicapé. Qu'il s'agisse de la création puis de la destruction d'embryons humains, de cette technique de fécondation australienne ou de cette nouvelle décision de la Cour de cassation, on ne peut que s'interroger une nouvelle fois sur ces questions fondamentales : Qui peut déterminer quelles vies valent la peine d'être vécues ? Ces expériences scientifiques ou cette décision de justice sont-elles conformes à la conception que nous avons de l'être humain, de sa dignité, de sa singularité ? Qu'on ne se méprenne pas sur mes interrogations. Il faut évidemment encourager les recherches en biologie et de la médecine à partir du moment où elles ont comme finalité claire un bénéfice thérapeutique pour tous les malades qui souffrent et pour lesquels la médecine est encore malheureusement impuissante, qu'il s'agisse du cancer, de la maladie d'Alzheimer ou des milliers de maladies génétiques qui restent à comprendre et à guérir. Rien ne serait plus dommageable pour notre société que le développement d'un fort courant "scientophobe" qui, s'appuyant sur des arguments irrationnels, viendrait remettre en cause les acquis et les perspectives extraordinaires de progrès des sciences du vivant. Mais nous avons aussi le devoir de trouver ensemble une finalité morale, sociale et humaine à ces progrès fulgurants des sciences de la vie pour que ceux-ci soient bien acceptés par la société. Il ne s'agit pas de multiplier les cadres législatifs trop rigides qui freineraient de manière inacceptable la recherche scientifique et seraient, dans les faits, inapplicables car obsolètes avant même d'être en vigueur. Mais nous devons éclairer nos concitoyens sur ces questions essentielles et entretenir, à tous les niveaux de décision, une réflexion éthique exigeante et permanente qui puisse donner du sens à ce progrès scientifique pour que celui-ci ne puisse jamais se servir de l'homme mais toujours servir l'homme en respectant sa dignité.

René TRÉGOUËT

Sénateur du Rhône

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