Edito : L'Homme, le cerveau et le Cosmos.
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Il est des moments particulièrement fastes en matière d’avancées scientifiques et le 10 avril dernier, trois découvertes majeures, touchant à trois domaines-clés de la connaissance, nos origines, notre cerveau et notre Univers, ont été annoncées à seulement quelques heures d’intervalle.
La première découverte concerne les fossiles datés de 50 000 à plus de 67 000 ans qui ont été trouvés dans la grotte de Callao, sur l’île de Luçon, dans l’archipel des Philippines. Il s’agit de treize fossiles, correspondant à au moins trois individus distincts, et qui formerait une nouvelle espèce dans le foisonnant arbre de l’évolution humaine (Voir Nature).
Baptisé Homo luzonensis, cet homme est unique à plus d’un titre et présente un mélange déroutant de caractéristiques anciennes et modernes. Ses phalanges de pied permettent de déduire qu’il possédait des capacités de préhension, liées à une morphologie proches de celle des australopithèques, et qu’on ne retrouve pas chez les autres représentants d’Homo sapiens. Quant à la dentition de ce nouvel hominidé, elle se révèle également très surprenante : les prémolaires, de petite taille, possèdent jusqu’à trois racines, un cas unique dans le genre Homo, mais souvent observé chez les australopithèques. Les molaires sont, pour leur part, très petites et étonnamment modernes avec leurs racines très réduites.
Mais d’où pouvait bien venir cet homme de Callao. Il est peu probable qu’il s’agisse d’un descendant des australopithèques, bien plus anciens et dont la présence est restée circonscrite à l’Afrique. En revanche, cet Homo luzonensis pourrait bien descendre d’Homo erectus, présent en Asie entre 1,6 million d’années et 140 000 ans. Cette hypothèse est d’autant plus plausible qu’on sait que cette île de Callao est peuplée par l’homme depuis très longtemps, comme l’atteste la découverte en 2018 d’ossements de rhinocéros vieux de 700 000 ans et portant des traces de découpes par des outils de pierre taillée.
Pour le paléontologue Gerrit Van Den Bergh (Université de Wollongong, Australie), qui a participé à la découverte d’une autre espèce insulaire, sur l’île indonésienne de Florès. « La découverte de Luçon est spectaculaire et on se retrouve à nouveau dans une île où des hominidés ont évolué de façon isolée, comme à Florès. Il semble que ces archipels du Sud-Est asiatique soient un laboratoire de l’évolution humaine ». Jean-Jacques Hublin (Institut Max-Planck, Leipzig, Collège de France) avance pour sa part l’hypothèse d’une réapparition de caractères primitifs, toujours présents dans le génome mais non exprimés, dans un contexte insulaire. Pour Florent, paléoanthropologue au Musée de l’Homme, il est également possible que la "réapparition" de caractéristiques primitives chez Homo luzonensis s'explique par l'endémisme insulaire. Autre enseignement de la découverte de Callao, souligné par Jean-Jacques Hublin comme par son collègue paléoanthropologue Antoine Balzeau (CNRS-MNHN) : « On sort complètement du modèle d’évolution humaine linéaire, où une espèce succède à l’autre, avec la découverte d’humanités variées, originales, plus mobiles et aventureuses qu’on ne l’avait imaginé. »
Cette découverte majeure confirme en tout cas la nature foisonnante, réticulaire et non linéaire de la longue évolution humaine qui va d’Homo habilis, il y a 2,8 millions d’années aux premiers Homo sapiens, qui seraient apparus il y plus de 300 000 ans au Maroc. Le scénario qui se dessine à présent montre en effet qu’Homo sapiens a probablement coexisté pendant des dizaines de milliers d’années avec au moins six autres espèces humaines disséminées sur les différents continents : Homo naledi en Afrique ; Neandertal au Levant ainsi qu’en Europe et Denisova en Eurasie, qui ont tous deux laissé des traces dans notre ADN à la suite de croisements ; Homo floresiensis et Homo luzonensis dans le Sud-Est asiatique et les Homo erectus tardifs en Asie.
La deuxième découverte majeure a été révélée par une étude publiée par des chercheurs du laboratoire de neurosciences de l’Université de Boston, dirigés par Robert M. G. Reinhart. Dans cette étude, intitulée « Réactivation de la mémoire de travail par synchronisation des circuits cérébraux rythmiques chez les personnes âgées », ces chercheurs montrent qu’ils sont parvenus à rétablir, chez des personnes de plus de 60 ans, une « mémoire de travail » aussi performante que celle de jeunes adultes (Voir Nature Neuroscience).
La mémoire de travail est une mémoire de court terme. Elle ne permet pas de mémoriser des souvenirs anciens, mais permet, en revanche, de conserver en mémoire les chiffres d'un numéro de téléphone qu'on est en train de noter. Cette forme de mémoire est associée à deux types d'ondes cérébrales, les ondes gamma et thêta.
Les chercheurs Robert Reinhart et John Nguyen ont étudié 42 adultes, âgés de 20 à 29 ans, et 42 autres, âgés de 60 à 76 ans, qu'ils ont répartis en plusieurs groupes et soumis à des exercices impliquant la mémoire de travail (par exemple, identifier les différences entre des images présentées à quelques secondes d'intervalle). Ils ont utilisé un casque à électrodes pour évaluer la façon dont ces ondes interagissent dans ce processus, puis ont stimulé le cerveau de certains des participants en modulant le rythme des ondes.
Les chercheurs ont constaté que le groupe soumis à des exercices sollicitant la mémoire de travail obtenait de meilleurs résultats (moyenne de 90 %) que le groupe-témoin (environ 80 % en moyenne). Fait remarquable, le groupe des personnes plus âgées a obtenu, après seulement quelques minutes de stimulation magnétique, des résultats presque identiques à ceux du groupe composé de jeunes. Cette technique est d’autant plus prometteuse qu’elle ne provoque aucune douleur et ne présente que très peu d’effets indésirables. La stimulation électrique a donc des effets positifs sur la mémoire de travail et ces améliorations, qui perdurent plusieurs heures après la fin de la stimulation, semblent liées à de plus fortes interactions entre les ondes thêta et gamma dans le cortex temporal gauche et à une plus forte synchronisation des ondes thêta entre le lobe temporal gauche et le cortex préfrontal.
Ces résultats ont été commentés par deux neurophysiologistes cliniciens de renom, Walter Paulus (Centre médical universitaire de Göttingen) et Zsolt Turi. Selon ces deux chercheurs, « Cette étude est remarquable et ouvre la voie vers de véritables avancées dans le traitement de maladies comme Alzheimer, ou la schizophrénie, et plus généralement dans la prise en charge du déclin cognitif lié à l'âge ».
Cette étude confirme donc d’autres recherches effectuées par des chercheurs de la Northwestern University, qui avaient déjà montré en 2014, sur 16 personnes en bonne santé, âgées de 21 à 40 ans, qu’en ciblant l’hippocampe, grâce à la stimulation magnétique transcrânienne de 20 minutes par jour pendant cinq jours, il était possible d’améliorer sensiblement leurs performances de mémorisation (Voir Northwestern).
Parallèlement aux voies de recherches chimiques et immunothérapiques pour contrer la maladie d’Alzheimer, il semble donc que cette nouvelle voie utilisant de manière plus ciblée la SMT, technique non invasive, soit réellement très prometteuse pour apporter de nouvelles solutions thérapeutiques efficaces contre une large palette de pathologies neurologiques lourdes, Alzheimer, Parkinson, épilepsie, douleurs neuropathiques, mais également pour traiter de nombreuses affections psychiatriques, comme les TOC ou encore la dépression sévère.
Nous en venons à présent à la troisième découverte, sans doute la plus médiatisée et la plus spectaculaire des trois qui a enthousiasmé la communauté scientifique : celle de la première photographie d’un trou noir. On sait maintenant que chaque grande galaxie comporte en son centre un trou noir supermassif. C’est le cas dans la Voie lactée, avec le trou noir Sagittarius, qui représente environ quatre millions de masses solaires. Mais Sagittarius n’est qu’un nain à côté du trou noir monstrueux présenté en grande pompe le 10 avril dernier. Celui-ci, situé au cœur de la galaxie Messier 87, à 55 millions d’années-lumière de notre Terre, est en effet 6,5 milliards de fois plus massif que notre étoile. Quant à son diamètre, il serait de l’ordre de 48 milliards de km, soit neuf fois celui de l’orbite de Pluton… La puissance d’attraction de ce méga-trou noir est si phénoménale qu’il attire toute particule qui passe à moins de 18 milliards de km, soit 122 fois la distance entre la Terre et le Soleil (Voir NASA).
Mais, on le sait, rien, pas même la lumière, ne peut sortir d’un trou noir et ce dernier est, par définition non-observable. Pour surmonter cette difficulté, un consortium international de chercheurs baptisé Event Horizon Telescope travaillait depuis plusieurs années en divers points du globe pour parvenir à observer indirectement ces objets parmi les plus fascinants de notre Univers. Mais ce défi était immense car, en dépit de la taille du trou noir visé, aucun instrument astronomique n’a – et de très loin – la résolution nécessaire pour le distinguer.
Pour surmonter cet obstacle qui semblait infranchissable, les astrophysiciens ont eu l’idée de combiner les signaux reçus simultanément par plusieurs instruments situés dans différentes régions du monde, ce qui revenait à disposer d’une antenne virtuelle gigantesque dont le diamètre équivaut à la distance entre les deux observatoires les plus éloignés. Pour obtenir la première image de ce trou noir géant de M87, sept radiotélescopes, en plus de celui du Pico Veleta, se sont associés, Etats-Unis au pôle Sud en passant par le Mexique et le Chili.
Mais pour pouvoir utiliser cette antenne géante de 9 000 kilomètres de diamètre, il fallait réunir simultanément de nombreuses et draconiennes conditions : d’abord des conditions météorologiques convenables sur tous les sites, ensuite des instruments parfaitement synchronisés, à l’aide de plusieurs horloges atomiques. Enfin, il fallait connaître la distance entre chaque site avec une précision extrême, de l’ordre du millimètre, ce qui supposait de pouvoir calculer et corriger en temps réel l’ensemble des mouvements liés à la tectonique des plaques et à la dérive des continents…
Il y a deux ans, en avril 2017, toutes ces conditions ont enfin, et presque miraculeusement, été brièvement réunies et des millions de gigaoctets de données ont pu être enregistrés sur une armée de disques durs. Plusieurs mois de travail ont ensuite été nécessaires pour vérifier, recouper et corriger cette immense quantité de données, puis pour en extraire les informations pertinentes nécessaires à la réalisation de cette image tant attendue. Pour obtenir cette dernière, les informations recueillies ont été confiées à quatre équipes différentes, utilisant trois méthodes d’imagerie distinctes.
Ce travail pharaonique a finalement été récompensé avec la présentation en grande pompe, le 10 avril, de la photo historique de ce trou noir, largement reprise par les médias du monde entier. Sur cette image, on peut enfin voir la silhouette de ce trou noir, qui apparaît par contraste sur le fond brillant que constitue le disque d’accrétion, composé de matière surchauffée qui tourne autour de lui.
Cette photo, sur laquelle on peut voir un cercle orangé un peu flou, sur fond noir, n’a rien de très spectaculaire. Pourtant, elle représente bel et bien une incroyable prouesse technologique et une avancée majeure dans la connaissance de notre Univers. Ce cliché confirme de manière éclatante l’existence des trous noirs qui, jusqu’à présent, n’avaient pu être mis en évidence que de manière indirecte, notamment par le biais des ondes gravitationnelles qu’ils émettaient. Cette première image d’un trou noir confirme également une nouvelle fois la théorie de la relativité générale d’Albert Einstein qui, il y a plus d’un siècle, a permis d’expliquer le rôle-clé de la force gravitationnelle (l’une des quatre interactions fondamentales de l’Univers) dans la structure de l’espace-temps et l’évolution du Cosmos.
Sur un plan beaucoup plus pratique, les recherches nécessaires à l’obtention de cette photo vont également avoir des retombées technologiques et industrielles considérables, en permettant, grâce aux nouveaux outils d’analyse et d’observation développés d’observer et de détecter des objets qui jusque-là étaient invisibles, comme par exemple des exoplanètes situées dans de lointaines systèmes solaires…
En dissipant de nouveaux mystères sur ses lointaines origines, sur le fascinant fonctionnement de son cerveau et sur la nature du Cosmos qui l’entoure, l’homme poursuit inlassablement son destin : celui de découvrir et de comprendre la beauté, l’harmonie et la profonde unité des lois qui, de l’infiniment petit à l’infiniment grand, en passant par le vivant, façonnent le réel et guident l’évolution de notre Univers.
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
e-mail : tregouet@gmail.com
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- Publié dans : Vivant Santé, Médecine et Sciences du Vivant
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