Edito : L'homme bionique devient une réalité
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En 2001, l'électricien Jesse Sullivan, amputé des deux bras à la suite d'un accident du travail, avait reçu deux prothèses produites par l'Institut de réhabilitation de Chicago, grâce auxquelles il peut à nouveau effectuer la plupart des gestes du quotidien, même pêcher, tondre la pelouse ou étreindre ses petits-enfants.
Mais cette fois, c'est une nouvelle étape décisive et fascinante qui vient d'être franchie : Claudia Mitchell, 25 ans, soldat dans les Marines, est la première femme dotée d'un bras bionique contrôlable par la pensée. (Voir article sur la femme bionique et article de Science Daily).
Claudia a perdu son bras gauche il y a deux ans dans un accident de moto. A présent, elle peut ouvrir et fermer sa main rien qu'en y pensant. Elle peut également « sentir » son bras ainsi qu'une poignée de main. Les médecins de l'Institut de rééducation de Chicago (RIC) ont greffé le bras bionique aux terminaisons nerveuses de son ancien bras. Ce bras bionique est doté de six moteurs et peut effectuer quatre mouvements différents. «Avant l'opération, je ne pensais pas pouvoir avoir de nouveau une vie normale. Mais ce bras et l'institut de réhabilitation de Chicago m'ont permis de retrouver une vie plus agréable et active que je ne l'aurais jamais espéré. Je suis heureuse, pleine de confiance et indépendante», a déclaré Claudia.
Ce bras bionique est contrôlé par des nerfs qui ont été reroutés vers des muscles sains sur ses pectoraux. Cette nouvelle innervation de cette région du corps lui permet d'envoyer des signaux au bras robotique via des électrodes qui répondent aux impulsions de son cerveau. Il lui a fallu un an pour apprendre à contrôler sa prothèse. Elle réalise ses mouvements via sa pensée, comme tout un chacun. Ce bras bionique lui permet même de ressentir une poignée de main ou la chaleur...
Ces recherches intéressent au plus haut point le DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency), qui voit là un moyen de permettre aux militaires amputés lors de différentes guerres et autres opérations de retrouver une certaine autonomie. Le programme “Révolutionner la prosthétique” du DARPA investit ainsi 50 millions de dollars dans le but de produire un bras et une main artificiels “presque identiques au membre naturel en termes de contrôle moteur et de dextérité, de sensibilité tactile, de poids et de résistance, (...), directement contrôlés par le système nerveux.” Le responsable du programme, Geoffrey Ling, affiche clairement l'ambition auprès d'US News : “Je veux un bras avec lequel le patient puisse jouer du piano - mais du Brahms !”
La première étape, mécanique, a été confiée à DEKA, la société fondée par Dean Kamen, connu pour avoir inventé le Segway. A l'échéance 2007, il s'agit de produire un prototype opérationnel de bras et de main, capables d'être raccordés au système nerveux. La seconde étape devrait être achevée en 2009. Il s'agit, par le biais d'un second contrat avec le Laboratoire de physique appliquée de l'Université John Hopkins, de maîtriser suffisamment le contrôle neuronal du système pour faire oublier la prothèse.
Le projet, transdisciplinaire et "transversal" par nature, s'appuie sur un grand nombre de technologies développées dans plusieurs secteurs : il faut combiner de nouveaux matériaux résistants, légers, flexibles et bien acceptés par l'organisme, des batteries légères, autonomes et rapides à recharger, des moteurs robustes et peu consommateurs, des dizaines de capteurs et de puces capables de capter les signaux neuronaux, et des compétences dans les domaines informatiques et électroniques.
On voit donc qu'avant la fin de cette décennie, les membres bioniques directement contrôlés par la pensée seront sortis des laboratoires et pourront changer de manière radicale la qualité de vie pour des millions de personnes victimes d'accidents ou de pathologies les ayant privées de l'usage de leurs membres. Malheureusement, faute d'avoir consenti un effort de recherche sur le long terme suffisant, ce sont une fois de plus les Etats-Unis et le Japon qui domineront ce nouveau marché considérable, laissant l'Europe loin derrière. A cet égard, on peut regretter que parmi les 15 pôles de compétence à vocation mondiale mis en place en France en 2005, aucun n'ait pour objet la bionique et les neuroprothèses. Souhaitons que dans ce domaine stratégique, notre pays se réveille et reprenne sa place dans cette compétition technologique et industrielle majeure.
René Trégouët
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
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