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Edito : L'extraction des gaz de schiste a-t-elle un avenir en France ?
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Selon le rapport statistique annuel de BP, publié il y a un mois, une barre hautement symbolique a été franchie en 2014 et les Etats-Unis sont devenus l’an dernier le premier producteur mondial de pétrole, devant l’Arabie Saoudite et la Russie. Selon le groupe pétrolier, la production de brut américain (y compris les liquides de gaz naturel) est passée l’an dernier de 1,6 million de barils par jour (Mb/j), à 11,6 Mb/j, tandis que celle de l’Arabie saoudite est restée globalement stable, à 11,5 Mb/j. La Russie, numéro trois mondial, ayant pour sa part produit 10,8 Mb/j l’année dernière.
Pour la première fois depuis 40 ans, les États-Unis redeviennent le plus gros producteur de pétrole du monde et cette extraordinaire retour en force de l’Amérique sur la scène énergétique mondiale est essentiellement due à la révolution des hydrocarbures de schiste : depuis le milieu des années 2000, l’utilisation combinée des technologies de la fracturation hydraulique et du forage horizontal permet d’extraire le gaz et le pétrole emprisonnés dans la roche mère.
Cette révolution qui a également permis aux Etats-Unis de devenir le premier producteur mondial de gaz naturel en 2011, a bien entendu des conséquences économiques et géopolitiques majeures. De 105 dollars il y a un an, le cours du brut à New York, a chuté de 60 %, pour se situer autour des 52 dollars au cours de ces derniers jours.
D'après un rapport de l'EIA (ministère américain de l’énergie), plus de la moitié des réserves mondiales de gaz de schiste seraient concentrées dans six pays, la Chine, l'Argentine, l'Algérie, les Etats-Unis, le Canada et le Mexique. L’EIA a donc revu à la hausse son estimation globale de 10 % pour le gaz de schiste, à 207 trillons de mètres cubes, ce qui représente l’équivalent énergétique de l’ensemble des réserves prouvées de pétrole.
Selon l’EIA, les réserves exploitables de gaz de schiste aux États-Unis seraient de l’ordre de de 18 830 milliards de m3. Sachant que la production américaine de gaz de schiste est de l’ordre de 300 milliards de m3 par an. Selon l’EIA, les Etats-Unis disposeraient donc d’une bonne soixantaine d’années de production assurée de gaz de schiste.
Dans ce pays, grand consommateur d’énergie, la production de gaz de schiste, encore marginale il y a 15 ans, a explosé et représente à présent plus du tiers de la production de gaz américaine et une étude réalisée par le MIT estime que le gaz naturel pourrait fournir à terme 40 % des besoins énergétiques des États-Unis dans l'avenir, contre 20 % aujourd'hui, grâce en partie aux abondantes réserves de gaz de schiste.
Mais fin 2014, une vaste étude publiée par la revue Nature est venue sérieusement tempérer cet optimisme concernant l’avenir radieux du gaz de schiste : Une équipe de recherche regroupant des géologues et des ingénieurs de l’Université du Texas s’est livrée à une évaluation fine des ressources des principaux bassins d'hydrocarbures de schiste américains.
Selon ces scientifiques, la production des quatre principaux champs de production d'hydrocarbures de schiste pourrait atteindre son pic en 2020, avant de décroître inexorablement. Ces quatre grandes aires de production regroupent plus de 30 000 puits et sont à l'origine des deux tiers de la production de gaz de schiste aux Etats-Unis.
Mais s’il est déjà difficile d’évaluer précisément les ressources économiquement exploitables en gaz de schiste aux États-Unis, la situation est encore plus floue au niveau mondial. Selon l’Agence américaine de l’énergie (EIA), les ressources mondiales en gaz de schiste pourraient satisfaire la consommation mondiale pendant 65 ans.
Mais certains experts, comme le géologue David Hugues, dont les compétences font autorité au niveau international, sont beaucoup plus prudents et considèrent que les grands bassins de gaz de schiste fourniront en 2040 seulement le tiers de ce qu'a prévu l'Agence fédérale de l'énergie.
A cette question liée à l’incertitude croissante des réserves économiquement récupérables de gaz de schiste dans le monde, s’ajoute bien entendu la question récurrente du coût écologique et environnemental de la production à grande échelle de gaz de schiste. Le gouvernement américain a ainsi annoncé, il y a trois mois, de nouvelles mesures encadrant de manière beaucoup plus stricte la technique de la fracturation hydraulique pour les états n'ayant pas complètement interdit ce procédé. Ce nouveau cadre réglementaire prévoit notamment que la liste complète des produits chimiques utilisés pour la fracturation soit rendue publique dans le mois d'extraction ; il prévoit également un renforcement des parois des puits, pour éviter ou limiter au maximum toute contamination, qui pourrait être catastrophique, des nappes phréatiques.
Bien que ce cadre légal ne s’applique qu’à la production de gaz de schiste réalisée sur des terrains directement administrés par l’État fédéral - soit un peu plus de 20 % de la totalité des forages - il pourrait, selon l’avis de nombreux experts, s’imposer rapidement comme norme unique pour l'exploitation des gaz de schiste sur tout le territoire américain.
Outre-Manche, chez nos voisins britanniques, l’exploitation industrielle des gaz de schiste n’est pas non plus un long fleuve tranquille. Dans ce pays, pourtant réputé pour son pragmatisme et son libéralisme, le conseil du comté de Lancashire, en Angleterre, a refusé il y a quelques jours pour la deuxième fois une demande d’autorisation d’exploitation de gaz de schiste sur son territoire. Ce refus été motivé par le fait que les forages auraient “trop d’impact visuel sur le paysage et entraîneraient une pollution sonore inacceptable”.
En Allemagne, le gouvernement fédéral vient d’annoncer, il y a quelques jours, qu’il avait l’intention de proposer un nouveau cadre législatif permettant, en respectant des conditions strictes de sécurité et de protection de l’environnement, l’extraction des gaz de schiste par la technique de fracturation hydraulique, dans certaines régions.
En France, même si notre facture énergétique pourrait cette année sensiblement diminuer et passer de 55 à 35 milliards d’euros (en raison de la baisse sensible du prix des énergies fossiles), un vif débat dépassant les clivages politiques partisans reste ouvert entre les tenants d’une exploitation raisonnable, qui utiliserait une méthode d’extraction propre et respectueuse de l’environnement et les partisans d’une interdiction totale et définitive, quelles que soient les évolutions technologiques futures et les besoins énergétiques à satisfaire.
Ce débat été relancé par l’exhumation récente d’un rapport commandé en 2012 par Arnaud Montebourg, alors ministre du redressement productif, mais jamais publié officiellement. Selon cette étude, en renonçant à l'exploitation des gaz de schiste, la France se priverait d'une rente comprise entre 103 et 294 milliards d'euros sur trente ans. Par ailleurs notre Pays, par ce choix, renoncerait également à la création de 120 000 à 225 000 emplois sur la même période, soit 1,5 à 2 points de chômage en moins. Ce rapport affirme également que « les progrès technologiques spectaculaires permettent désormais de concilier l'exploitation des gaz de schiste avec le respect scrupuleux de l'environnement et de marier les hydrocarbures non conventionnels avec l'écologie ». Il préconise enfin utilisation d’une nouvelle technique de production, censée être écologiquement acceptable, utilisant la stimulation au propane pur ou au propane non inflammable.
Reste que la seule technique aujourd’hui disponible, fiable et utilisée à grande échelle pour extraire les huiles et gaz de schiste reste la fracturation hydraulique. Celle-ci consiste à fissurer la roche, grâce à l’injection, à très forte pression, d’un fluide composé d’un savant mélange d'eau, de sable et de nombreux additifs chimiques, dont certains très toxiques pour l’environnement. C’est cette technique, utilisé à grande échelle aux États-Unis, que la France a décidé d’interdire par la loi du 13 juillet 2011.
Quant à la nouvelle technique d’extraction de gaz de schiste évoquée dans le rapport Montebourg, c’est la société canadienne GasFrac qui l’a proposée en 2009. Cette méthode repose sur l’utilisation d'heptafluoropropane, une substance qui peut être utilisée sous forme de gel liquéfié mélangé à du sable et n'utilise ni eau ni produits toxiques. Cette substance peut en outre être récupérée sous forme gazeuse pour ensuite être réutilisée. Mais si le produit de base change, cette nouvelle méthode consiste toujours à fracturer la roche-mère, non plus avec de l'eau, mais avec du propane liquéfié ou un dérivé fluoré.
Mais, comme rien n’est jamais simple en matière d’exploitation gazière, le propane pur est un gaz inflammable. C’est pourquoi l’Office public d’évaluation des choix scientifiques et technologiques du Parlement (OPECST) considère que cette technique « n'est pas adaptée aux contextes très denses en population ». Face à cet obstacle de taille, chercheurs, ingénieurs et géologues ont alors proposé de recourir à une forme fluorée du propane, l'heptafluoropropane, non inflammable. Ce gaz est déjà largement utilisé comme propulseur dans les inhalateurs médicaux et comme agent anti-incendie dans les bâtiments.
Mais, comme le souligne avec justesse l'Opecst, outre le fait que ce procédé n'a pas encore fait l'objet d'essais à grande échelle, l’heptafluoropropane a un coût de production élevé et, pour que son utilisation soit rentable, « Il est impératif que ce coût soit compensé par les gains de productivité et d’ économies faites sur les additifs chimiques et le transport », souligne l'Office parlementaire. Enfin, en cas de diffusion dans l’atmosphère, son potentiel de réchauffement climatique est en effet environ 3 000 fois supérieur à celui du CO2…
En outre, à ces incertitudes technologiques et économiques, s’ajoute un autre problème plus rarement évoqué, celui des réserves exploitables réelles de gaz de schiste dans le sous-sol français. Selon une étude de l’EIA parue en juin 2014, les réserves de gaz de schiste françaises ne seraient pas aussi importantes que prévu et ne s'élèveraient qu'à 3,9 milliards de mètres cubes de gaz de schiste, alors que la dernière étude publiée en 2011 évaluait les réserves à 5,1 milliards de mètres cubes. Reste que les dernières estimations des réserves françaises de gaz de schiste correspondent tout de même à environ 70 ans de consommation de gaz en France, ce qui reste considérable et représente évidemment un enjeu technologique, économique et industriel majeur.
Conscients de la valeur de cette richesse énergétique potentielle présente dans notre sous-sol, les géants industriels du secteur de l’énergie (regroupés dans le CHNC qui réunit des entreprises telles que Total, GDF Suez, Air Liquide, Arkema et Schlumberger) ont toujours l’espoir de pouvoir à terme obtenir de l’État les autorisations qui leur permettront l’exploitation des gisements les plus rentables de gaz de schiste, à la condition sine qua non qu’ils puissent apporter la démonstration que les technologies utilisées pour extraire cette « Or bleu », ne présentent pas de danger, ni pour les populations concernées ni pour l’environnement.
C’est dans ce contexte, pour le moins brouillé, que des chercheurs américains viennent d'expérimenter en laboratoire une nouvelle méthode d'extraction des gaz de schiste en modifiant le mélange utilisé traditionnellement pour la fracturation des roches. Ces scientifiques, dirigée par Carlos Fernandez, patron du laboratoire national du Pacifique Nord-Ouest, rattaché au Département de l’Energie (DoE), ont mis au point un fluide capable de multiplier son volume par 2,5 au contact du dioxyde de carbone, grâce à une réaction entre le chlorure d'allyle (CH2=CH-CH2Cl) et l'ammoniac (NH3). Cette réaction permet alors la transformation de la solution aqueuse du polymère en un hydrogel plus volumineux, ce qui produit une forte pression permettant la fracture de la roche et la récupération de gaz de schiste.
Sur le papier, cette technique semble lever les principaux obstacles qui caractérisent à la fois la fracturation hydraulique et les autres méthodes alternatives, telles que celles utilisant du propane ou de l’heptafluoropropane. Tout d’abord, la réaction chimique qui conduit à la formation de l'hydrogel peut être inversée à l'aide d'une dépressurisation au CO2, ce qui permet de récupérer et de réutiliser une partie de ce fluide, diminuant ainsi sensiblement l’impact sur l’environnement. Ensuite, point fort de cette nouvelle technique, sa sobriété en eau et l'utilisation du dioxyde de carbone, composé largement présent dans la nature, pourraient permettre de diminuer très sensiblement le coût d’exploitation de ces gaz de schiste.
Mais, on le sait, dans un domaine aussi complexe que celui de la production d’énergie, il est rare que le passage de la théorie à la pratique se fasse sans heurts et sans surprises. Aussi séduisante soit-elle, cette technique par hydrogel devra donc faire ses preuves et être expérimentée pendant au moins cinq ans pour confirmer ses qualités et pouvoir éventuellement être utilisée à une échelle industrielle.
En admettant même que cette technique confirme ses promesses et s’avère, in fine, efficace, rentable et respectueuse de l’environnement, il restera tout de même le problème non négligeable de l’impact visuel et paysager des nombreux puits nécessaires à l’extraction de ces gaz de schiste, une question d’autant plus sensible que la majorité des zones d’exploitation pressenties se situent dans des régions touristiques dans lesquelles les populations concernées ne semblent pas du tout disposées à accepter la récupération à grande échelle de cette nouvelle manne énergétique, quelles que soient par ailleurs les retombées positives attendues sur l’économie locale et l’emploi.
En outre, la très grande majorité des experts s’accordent sur le fait que les principales énergies renouvelables (solaire, éolien et biomasse) deviendront compétitives par rapport aux énergies fossiles au cours de la prochaine décennie.
L’exploitation massive des gaz de schiste me semble donc peu probable, à court et moyen terme dans notre Pays, à la fois pour des raisons économiques, écologiques et politiques. Faut-il pour autant s’interdire à tout jamais d’extraire cette richesse énergétique de notre sous-sol si des ruptures technologiques majeures permettaient un jour de réaliser cette exploitation à un coût rentable (par rapport au coût de production des autres sources d’énergie, fossiles et renouvelables) et de manière respectueuse de l’environnement ? Je ne le crois pas, sauf à s’enfermer dans une posture idéologique simpliste et niant la complexité du réel.
Il serait souhaitable que sur ces questions très importantes qui engagent l’avenir de notre Pays à long terme, qu’il s’agisse de l’exploitation des gaz de schiste, de l’avenir du nucléaire ou encore du développement massif des biocarburants, du génie génétique ou de l’intelligence artificielle, nous arrivions enfin à débattre de manière éclairée, honnête et sereine, en nous appuyant sur toutes les ressources des nouveaux outils et réseaux numériques qui renouvellent et enrichissent considérablement le débat démocratique et en nous réappropriant l’idée émancipatrice de progrès, non plus perçu uniquement comme une menace, une tyrannie inévitable ou un mal nécessaire mais conçu collectivement et positivement comme un outil de libération, de créativité et d’amélioration de notre condition humaine.
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
EDITORIAL du 10 juillet 2015 : ERRATUM
Dans mon dernier éditorial du 10 juillet, intitulé "L'extraction des gaz de schiste a-t-elle un avenir en France", je me suis aperçu que j'avais, par erreur, écrit "Quant à la nouvelle technique d’extraction de gaz de schiste évoquée dans le rapport Montebourg, c’est la société canadienne GasFrac qui l’a proposée en 2009".
En fait, la technologie qui est proposée par la société canadienne GasFrac utilise du propane gélifié, qui contient un certain nombre d’additifs chimiques.
En réalité, c’est la société ecorpStim, filiale d’eCORP dont le siège est basé à Houston, qui propose une technologie qui n’utilise pas une goutte d’eau et aucun additif chimique : la stimulation au propane. Cette technologie existe en 2 versions : la stimulation au propane pur (PPS pour « pure propane stimulation ») et la stimulation au propane non inflammable (NFP pour « non flammable propane) qui utilise de l’heptafluoropropane.
Je souhaitais rétablir les faits et présenter toutes mes excuses à la société ecorpStim pour cette confusion, en précisant que cette erreur était absolument fortuite et non intentionnelle.
René Trégouët
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Hélas, hélas !
12/07/2015La France a choisi le déclin. Elle prétend éclairer le monde en :
- refusant de financer l'économie au profit du social,
- rémunérant les saltimbanques plutôt que les acteurs économiques,
- important la misère du monde plutôt que de produire des biens de valeur,
- formant des "humanistes" plutôt que des personnes compétentes,
- détruisant son parc de production électrique au profit de moulins à vent chimériques,
- en faisant croire que l'artisanat permet d'être plus efficace que les grandes entreprises,
- se mentant à elle-même quant à ses forces et ses faiblesses !