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Edito : L'Europe prend la tête de l'Odyssée de l'Esprit
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Le 28 janvier, la Commission européenne a accordé une enveloppe exceptionnelle de plus d'un milliard d'euros, sur dix ans, au Human Brain Project, (HBP), consacrant ce projet scientifique comme le plus important depuis le séquençage complet du génome humain, terminé en 2004 (Voir article).
Projet particulièrement ambitieux, le HBP (Voir Projet), qui regroupe 80 centres de recherche, veut parvenir d’ici à dix ans à modéliser le cerveau humain sur ordinateur. Dans un premier temps, le Human Brain Project (HBP) va collecter toutes les connaissances sur le cerveau pour pouvoir dresser un premier modèle numérique.
L’objectif du HBP est triple : d’abord faire progresser la connaissance fondamentale sur le fonctionnement de notre cerveau et des mécanismes décisionnels, mémoriels et cognitifs.
Ensuite, ouvrir de nouvelles voies thérapeutiques pour traiter les affections cérébrales, psychiatriques et neurodégénératives, comme les maladies d’Alzheimer et de Parkinson mais également les AVC ou la schizophrénie.
S’agissant de ce deuxième point, il faut rappeler que les maladies du système nerveux coûtent 800 milliards d'euros chaque année à l'Europe, soit environ 4 000 euros par ménage européen et par an ou encore la moitié du PIB de la France !
Enfin, dernier axe mais non le moindre : faire avancer l’intelligence artificielle en informatique et robotique.
Le premier chantier que va ouvrir le HBP va consister à établir une cartographie fonctionnelle de très haute précision du cerveau humain, tant sur le plan structurel que fonctionnel. Dans cette première phase, la France va jouer un rôle de premier plan avec des acteurs comme le CNRS, l’INSERM, le CEA, NeuroSpin ou le récent Institut du Cerveau et de la Moelle épinière.
Avec ses 80 à 100 milliards de cellules nerveuses, ou neurones, chacune pouvant se connecter à plus de 10 000 de ses homologues, le cerveau humain est considéré comme le système le plus complexe de l’Univers et, 120 ans après la découverte fondamentale du neurone par le génial catalan Ramon y Cajal, son extraordinaire fonctionnement échappe encore en grande partie à notre compréhension, même si des progrès considérables ont été accomplis depuis une vingtaine d’années, grâce notamment aux avancées de l’imagerie médicale.
En 1936, le grand logicien et mathématicien anglais Alan Turing fut le premier à imaginer une machine, le « Calculateur Humain » capable de manipuler des symboles et d’imiter le fonctionnement du cerveau humain. Mais à cette époque, un tel projet était hors de portée de la technologie disponible, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.
Reste que ce « Projet de Cerveau Humain » suscite de nombreuses interrogations non seulement au sein de la communauté scientifique mais également chez les philosophes, cogniticiens et psychologues.
Certains dénoncent en effet dans ce projet l’hégémonie d’une approche réductionniste et matérialiste qui passerait à côté de la véritable nature de la complexité du cerveau et de sa production la plus étonnante : la conscience.
Henry Markram, neurobiologiste à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne et directeur scientifique de ce projet, est bien conscient de ces critiques et se défend de toute approche exclusivement neurobiologique. Il admet bien volontiers que «Les approches traditionnelles basées sur l’étude de sa physiologie ou l’imagerie ne suffiront jamais à comprendre la complexité du cerveau et ses capacités ».
Sa vision se veut à la fois ouverte et pragmatique. Il souligne que chaque année, plus de 60 000 articles en neurosciences sont publiés et que la priorité est d’organiser et d’articuler cette mine d’informations précieuses qui s’est constituée.
C’est seulement dans un deuxième temps que les chercheurs rentreront dans le vif du sujet et construiront, sous forme de modèle informatique, un réseau de neurones qui pourra intégrer l’ensemble des données scientifiques disponibles. Mais ce travail sera d’autant plus ardu qu’il devra être conceptualisé et mené en articulant une logique « horizontale » (le fonctionnement interne de chaque composant et élément) et verticale (la prise en compte de la spécificité de chaque niveau d’organisation).
Pour Stanislas Dehaene, chercheur en neurosciences, « Le Human Brain Project est le seul projet à poser de vraies questions scientifiques et philosophiques : qu'est-ce qui fait que le cerveau humain possède des compétences uniques dans le monde animal, comme le langage et la capacité de déduire les pensées d'autrui ? »
Il faut aussi évoquer les retombées que ce projet peut avoir en terme médical et rappeler, comme le fait Richard Frackowiak, codirecteur du projet Human Brain, que les maladies du système nerveux coûtent 800 milliards d'euros chaque année à l'Europe et que l'amélioration dans la prise en charge thérapeutique de ces pathologies lourdes et invalidantes, en constante augmentation à cause du vieillissement de la population, est un enjeu absolument majeur de santé publique.
Au Canada, Chris Eliasmith, de l'Université de Waterloo travaille sur un autre projet pionnier : SPAUN (Sematic Pointer Architecture Unified Network Voir pages 1018 à 1023).
SPAUN a été imaginé en s’inspirant du cerveau humain. Il comprend un réseau de deux millions et demi de neurones et se veut une sorte de réplique simplifiée de notre cerveau.
Pour l’instant, SPAUN reste incapable d’apprendre de nouvelles choses mais il peut effectuer, plus ou moins bien, certaines tâches que réalise notre cerveau, comme écrire, reconnaître des nombres ou mémoriser certains mots. Il est notamment capable de reconnaître, comme un être humain, des chiffres, des lettres écrites à la main par plusieurs personnes différentes.
Si SPAUN n’arrive pas encore au niveau d’un singe pour certaines tâches cognitives, il surclasse par contre nettement les primates pour reconnaître une construction syntaxique complexe. En fait, SPAUN n’est pas vraiment en compétition avec le Human Brain Project et le but avoué de son créateur, Chris Eliasmith, n'est pas de parvenir à produire une entité intelligente mais, plus modestement, d’essayer de mieux comprendre comment le fonctionnement et l’organisation de notre cerveau évolue dans le temps.
Enfin, outre-Atlantique, le grand concurrent du projet européen HBP est le projet américain Synapse (Voir IBM : New Ways of thinking), financé et piloté par l’Agence américaine de recherche en Défense (DARPA).
Ce projet, dont le maître d’œuvre est IBM, repose sur l’utilisation en architecture parallèle de puces de silicium qui miment nos neurones. Chaque puce intègre 256 « neurones virtuels» qui peuvent, en fonction des données reçues, comme leurs homologues humains, s’interconnecter en permanence aux différentes synapses.
Ce réseau artificiel de neurones, à la différence de son cousin canadien SPAUN, peut tirer partie de ses expériences et s’adapter aux changements de son environnement en se reconfigurant en permanence.
A terme, IBM veut créer un système neuronal contenant l’équivalent de 10 milliards de neurones. Présenté officiellement en 2011, Synapse se donne cinq ans pour parvenir à un degré de simulation convaincant du fonctionnement d’un cerveau de primate.
Google, pour sa part, a embauché l’un des pionniers de l’intelligence artificielle, Ray Kurzweil, dans le but avoué d'essayer de rendre "intelligente" la gigantesque masse d’informations et de données que produit et contrôle le géant numérique (Voir article MIT Technology Review).
Comme il l’explique dans son dernier livre « Comment créer l’esprit », Kurzweil est en effet persuadé que, si l'on parvient à organiser et à exploiter de manière judicieuse cette montagne d'informations numériques, on pourra parvenir à produire une espèce de "conscience" numérique, de la même façon que notre cerveau s’est organisé, au cours de l’évolution de notre espèce, pour permettre l’émergence d’une conscience réflexive qui est plus que la somme de ses composants et a donné à l’homme un avantage compétitif décisif.
Compte tenu du rythme observé par la miniaturisation électronique et la puissance des puces informatiques depuis 40 ans, Kurzweil se dit convaincu qu’avant 2045, les ordinateurs vont atteindre une telle puissance de calcul, qu’une nouvelle forme d’intelligence numérique va apparaître et devenir autonome et autoorganisée.
On peut bien sûr trouver les thèses de Kurzweil excessives et présomptueuses et elles contiennent leur part de naïveté, d'excès et de rêve. Mais quand on observe les extraordinaires avancées de l’informatique et des nanotechnologies depuis 20 ans, il n’est pas certain que les prophéties de ce visionnaire ne se réalisent pas.
Qui aurait dit en effet, il y a encore 20 ans, que l'ordinateur battrait le champion du monde aux échecs et arriverait devant les humains au "Jeopardy", comme l'a fait l'ordinateur "Watson" d'IBM en 2011! Qui aurait imaginé, à peine 20 ans après la découverte des nanotubes de carbone, qu'on arriverait à produire, sur une tranche de silicium, plusieurs dizaines de milliers de transistors en nanotubes de carbone, comme l'a fait IBM il y a quelques semaines, ouvrant ainsi la voie vers une électronique descendant au niveau atomique ! (Voir article).
Il est intéressant de constater que les deux grands projets concurrents, l’européen HBP et l’américain Synapse, se sont tous deux fixés la même échéance, 10 ans, ce qui nous porte au milieu de la prochaine décennie. Or cette échéance de moyen terme est assez proche de celle prévue pour la fin de la loi de Moore. Selon les physiciens, la finesse de gravure des puces électroniques va descendre à 5 nanomètres d’ici 2020, atteignant un mur technologique qu’il sera impossible de franchir, même avec les nanotubes de carbone, sans un « saut conceptuel » et scientifique majeur.
C’est là que l’idée d’une intelligence synthétique ou artificielle prend tout son sens car, si nous atteignons en électronique une limite physique et quantitative en matière de puissance et de miniaturisation, il sera d’autant plus nécessaire de doter nos systèmes et outils informatiques d’une forme d’intelligence et d’autonomie de décision proche de celle qui caractérise notre cerveau et en fait un outil polyvalent sans égal d’action, de réflexion et de création, bien qu'il ne soit pas très "puissant", comparé à certains ordinateurs.
Si le Human Brain Project aboutit et atteint ses objectifs, même avec quelques années de retard, les conséquences pour nos sociétés et pour l’espèce humaine toute entière seront absolument incalculables car nous disposerons alors d’une intelligence planétaire et évolutive, qui accélérera le progrès scientifique technique et économique de manière à peine imaginable aujourd’hui.
Si cette révolution se produit, nous basculerons dans une nouvelle civilisation dont le moteur sera une forme inédite de symbiose entre l’être humain et cette entité intelligente et consciente d’elle-même que l’homme aura créée.
Réjouissons-nous que l’Europe, en ces temps de crise et de difficultés budgétaires, ait su faire un choix politique courageux et visionnaire en pariant sur l’avenir et en soutenant fortement ce projet de cerveau artificiel qui sera l’une des grandes aventures scientifiques et humaines de ce siècle.
René TRÉGOUËT
Sénateur Honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
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- Publié dans : Informatique
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zelectron
1/02/2013Excellent survol de la question !
Je ne vois nulle part qu'il pourrait être question du génie humain dans ses contradictions, son illogisme, son anticonformisme, et donc bien sûr son irrationalité, sa fantaisie, son sens du merveilleux, de la poésie, de l'enthousiasme, de la souffrance ... je souhaite bien du courage à ces chercheurs, nous sommes très, très loin des cerveaux positroniques du grand Asimov !
Cependant bien loin de critiquer négativement cette splendide initiative, les limites sont-elles bien posées ?