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Edito : L’Europe ne doit pas rater la révolution des trains ultrarapides
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Il y aura bientôt deux siècles, le 27 septembre 1825, était inaugurée en Grande Bretagne la première ligne ferroviaire au monde, ouverte au transport de passagers, le chemin de fer de Stockton et Darlington (Stockton and Darlington Railway), dans le comté de Durham. Ce train, encore rudimentaire, tiré par une locomotive Stephenson, mit deux bonnes heures pour accomplir son modeste trajet, long de 19km ; la plupart des passagers de ce voyage historique étaient assis à l’air libre, dans les wagons transportant le charbon. En France, il fallut attendre 1837 pour voir l’ouverture de la première ligne de chemin de fer commercial, reliant en une heure les 18 km séparant St-Lazare, à Paris, et la petite ville de St Germain-en-Laye.
Il est important de rappeler que, si la quasi-totalité des trains (à l’exception des réseaux urbains de métro), utilisèrent la vapeur comme mode de propulsion au XIXème siècle, et pendant la première moitié du XXème siècle, la traction diesel et électrique, plus puissante et plus souple, se développa progressivement, à partir des années 1950, jusqu’à supplanter définitivement la vapeur en 1974, date du dernier service commercial en France d’une locomotive à vapeur.
En France, le concept de ligne grande vitesse est véritablement né sous l’impulsion visionnaire du Général de Gaulle qui encouragea la création, le 1er août 1966, d’un service de recherche à la SNCF, spécialement chargé d’étudier « Les possibilités ferroviaires à très grande vitesse sur infrastructures nouvelles ». Ce bureau d’études élabora le projet « C03 », qui sera adopté en comité interministériel le 26 mars 1971, avec un objectif de réalisation avant 10 ans d'une liaison Paris-Lyon en moins de deux heures, pour un coût de plus de 1,5 milliard et demi de francs de l’époque.
Les essais du TGV 001 débutèrent en 1972 sur la ligne de la plaine d'Alsace et la construction d'une ligne reliant Paris à Lyon en deux heures fut définitivement confirmée en mars 1974, quelques jours avant sa mort, par le Président Georges Pompidou. La France décida alors d’engager la construction de cette ligne, baptisée LGV- Sud-Est. Le service commercial TGV fut partiellement ouvert au public entre Paris et Lyon le 27 septembre 1981. La France entra ainsi dans l'histoire ferroviaire à grande vitesse 17 ans après le Japon avec son Shinkansen. En 1983 la LGV fut ouverte sur l’intégralité de la ligne Paris-Lyon.
Aujourd’hui, c’est la Chine qui dispose, de loin, du plus grand réseau de lignes à grande vitesse au Monde, avec 35 500 km, suivie par l’Union européenne, loin derrière (9 500km), le Japon (3 500 km), les Etats-Unis (735km) et la Turquie (600 km). Mais, historiquement, c'est le Japon qui a été le premier pays au monde à développer et mettre en service son train à grande vitesse, le célèbre Shinkansen, qui relie, à une vitesse maximale atteignant 320 kilomètres à l’heure depuis 1964, sur 515 km, Tokyo à Osaka. Ce TGV japonais, qui traverse de nombreuses zones sismiques, est considéré comme étant, de loin, le plus ponctuel, le plus sûr et le plus confortable du monde.
En juillet 2020, le Japon s’est doté d’une nouvelle génération de TGV, le N700S, qui repousse les limites de la fiabilité et de la sécurité ferroviaire. Equipé d’un système d'autopropulsion à batterie lithium-ion unique au monde, ce nouveau TGV a été conçu pour pouvoir transporter des passagers en toute sécurité en cas de tremblement de terre, un phénomène naturel, on le sait, très fréquent au Japon. Sa motorisation lui permet de continuer à rouler pendant plusieurs km, même en cas de pannes de courant, afin qu’il puisse rejoindre la station d’évacuation la plus proche, s'il se retrouve par exemple bloqué dans un tunnel, lors d'un tremblement de terre. Ce TGV est également plus puissant et peut faire des pointes de 370 km/heure, mais sa vitesse de croisière est limitée à 285 km/heure, pour des raisons de sécurité.
Mais le Japon prépare déjà le futur et a développé depuis 20 ans le fameux « MAGLEV », un train à sustentation magnétique qui a battu en avril 2015 un record absolu de vitesse sur rail, en atteignant les 603 km/h pendant une dizaine de secondes, soit plus de 10 km par minute ! Le Japon compte remplacer progressivement ses TGV, pourtant très performants, par ces nouveaux trains électromagnétiques et la compagnie Japan Rail a entrepris la construction d’une nouvelle ligne destinée au MAGLEV qui va permettre, en 2027, de couvrir en seulement 40 minutes les 286 km qui séparent les mégapoles de Tokyo et Nagoya. Cette ligne MAGLEV sera, dans un deuxième temps, prolongée sur 153 km, pour atteindre, à l’horizon 2045, la ville d'Osaka, mettant ainsi la troisième ville du Japon (2,8 millions d’habitants) à 1 heure et 7 minutes de la capitale en 2045, au lieu de plus de deux heures avec l'actuel Tokaïdo Shinkansen.
Mais le géant chinois n’entend pas laisser au Japon, son éternel rival asiatique, le monopole de cette technologie hautement stratégique, appelée à un développement planétaire bien plus rapide que prévu, à cause notamment des nouvelles contraintes environnementales qui pèsent sur l’aviation. On sait en effet, grâce aux travaux de l’International Council on Clean Transportation (ICCT), un organisme indépendant, que l’ensemble des vols commerciaux (passagers et marchandises) ont émis en 2019 918 millions de tonnes de CO2, soit 2,5 % des émissions humaines de gaz à effet de serre. La plupart des prévisions tablaient, il y a encore deux ans, sur un doublement du nombre de passagers par avion d’ici 20 ans et surtout sur un doublement du nombre d’avions commerciaux en service, qui passerait de 24 000 à 48 000 en 2040.
Mais deux événements majeurs sont venus tout bouleverser et remettre en cause ces prévisions optimistes. Le premier est la pandémie de Covid-19 qui a provoqué un véritable effondrement du trafic aérien : - 66 % pour le transport de passagers en 2020, ce qui a fait dire au PDG de Lufthansa, Carsten Spohr, en mai 2020, « En 66 jours, le trafic a perdu ce qu’il avait gagné en 66 ans ». Le second, amplifié par le premier, est un phénomène dont nous n’avons pas encore pris toute la mesure, le « flight shaming », ou « honte de prendre l’avion ». Parti des pays nordiques, pour s’étendre peu à peu à l’ensemble du monde, ce mouvement est loin d’être anecdotique ; il postule que la grande majorité des voyages en avion correspond à des activités de loisirs et de tourisme et non à des déplacements professionnels ou familiaux, et qu’il est donc nécessaire, et souhaitable, pour réduire l’empreinte carbone de l’aviation et son impact climatique croissant, de limiter drastiquement l’usage de l’avion pour se déplacer.
L’une des conséquences de ce mouvement qui ne cesse de grandir est tout à fait concrète : il y a quelques jours, les députés Français ont adopté la loi « Climat » qui prévoit la suppression de certaines lignes aériennes intérieures, en cas d'alternatives en train de moins de 2h30. Déjà, d’autres pays européens envisagent de prendre des mesures similaires et, même si le transport aérien continuera bien sûr à exister et à jouer un rôle irremplaçable dans le déplacement des personnes sur de longues distances, il va mettre beaucoup de temps à retrouver son niveau antérieur (certains spécialistes et dirigeants de compagnies doutent même qu’il le retrouve) et son développement sera probablement bien moins rapide que prévu, en attendant que de nouvelles technologies de ruptures, comme l’avion à hydrogène ou l’avion électrique, soient matures et compétitives, ce qui devrait prendre, selon la majorité des experts, au moins une quinzaine d’années.
Et c’est justement dans cette fenêtre d’opportunité économique, industrielle et technique que comptent s’engouffrer les Japonais, et plus encore les Chinois (Voir CGTN). Il y a quelques semaines, et ce n’est pas un hasard, la Chine a dévoilé en grande pompe son prototype de train Maglev à l'Université Southwest Jiaotong de Chengdu, dans la province du Sichuan. Ce train révolutionnaire utilise, comme son homologue japonais, la sustentation électrodynamique (ou EDS), qui requière des aimants supraconducteurs qui doivent être refroidis à très basse température, par de l’azote ou de l’hélium liquide. Des bobines supraconductrices sont placées dans le train et des électroaimants sont placés le long de la voie. Lorsque le train se déplace, un courant est induit dans la voie, et c’est cette force électromagnétique qui provoque la lévitation du train.
Mais le Maglev chinois, contrairement à son concurrent japonais, n’utilise pas d’hélium liquide, mais de l'azote liquide, bien moins chère. « Nous atteignons la supraconductivité à une température légèrement plus haute, mais le coût est cinquante fois moindre » précise Deng Zigang, l'un des responsables de ce projet de MAGLEV chinois. Autre avantage de cette nouvelle technologie chinoise, les MAGLEV peuvent léviter à l'arrêt, sans avoir préalablement à accélérer, contrairement au MAGLEV japonais. En outre, l'utilisation de fibre de carbone permettra au Maglev chinois de ne peser que 13 tonnes, soit la moitié du poids d’une locomotive de train à grande vitesse classique. Cet allègement considérable devrait réduire d’autant les coûts de construction des futures infrastructures ferroviaires dédiées au MAGLEV, ainsi que la consommation d’énergie de ce train magnétique.
Lors de sa présentation, les ingénieurs et scientifiques chinois n’ont pas manqué de souligner, outre son coût de construction maîtrisé - de l’ordre de 32 millions d’euros du km, avec l’objectif de descendre en dix ans à 25 millions d’euros du km, soit le coût du km de TGV classique - la supériorité technique de leur train magnétique par rapport à son concurrent japonais, insistant notamment sur le fait que la vitesse de croisière de ce MAGLEV serait de 620 km/h, supérieure donc à celle de son rival nippon, pour une vitesse maximale de 800 km/h ! Mais le professeur Jin Zhaohui, l’un des scientifiques qui pilotent le développement du MAGLEV chinois, a déclaré que son équipe travaillait déjà sur un « Super-MAGLEV », conçu pour évoluer, comme le concept Hyperloop d’Elon Musk, à une vitesse supersonique de 1500 km, dans des tubes à très basse pression d’air…
Les autorités chinoises, qui ne font jamais les choses à moitié, envisagent de réaliser plusieurs lignes de MAGLEV d’ici dix ans et veulent faire de ce train du futur une véritable vitrine technologique de la Chine moderne. Une ligne touristique est prévue dans la province du Yunnan, dans le sud-ouest de la Chine. Ensuite, une autre ligne assurera la liaison Guangzhou dans le sud, Shenzhen, et Hong Kong en moins de 20 minutes. Enfin, à plus long terme, une autre ligne devrait relier Guangzhou-Shanghai en seulement deux heures et demie, soit une réduction de moitié du temps de trajet actuel en train à grande vitesse. Au total, la Chine entend construire plus de 1 000 km de voies Maglev à travers le pays, au cours des dix prochaines années.
Mais on aurait tort de croire que le MAGLEV chinois ne vise qu’à améliorer et compléter les transports intérieurs de la Chine. Il y a quelques semaines, Mr. Liu Zhenfang, directeur de l'Administration nationale des chemins de fer, a en effet précisé les cinq grands objectifs que visait la Chine, avec le développement de son MAGLEV, et nous ferions bien de méditer, dans notre veille Europe, cette stratégie implacable qui va profondément transformer les transports, le développement local et l’aménagement de l’espace au niveau planétaire.
Le premier objectif est de stimuler l'innovation en recourant à l’Internet des objets, à la 5G, et à l'intelligence artificielle pour gérer de manière optimale le futur réseau MAGLEV chinois. Le deuxième objectif vise à interconnecter les différents modes de transport - route, canaux, ferroviaire - de manière intelligente et souple. Le troisième objectif vise à utiliser le MAGLEV pour développer de nouveaux services de fret à très grande vitesse, de manière à mieux répondre aux attentes et besoins des entreprises et des consommateurs sur l’ensemble de l’immense territoire chinois. Le quatrième objectif est de développer un nouveau moyen de transport imbattable en matière de faible empreinte carbone par passager transporté ou tonne de marchandise acheminée.
Mais c’est bien le cinquième et dernier objectif qui doit nous alerter : il s’agit pour la Chine de réaliser une interconnexion totale avec les infrastructures ferroviaires de ses voisins asiatiques, mais également de réaliser et de contrôler, en cohérence avec son grand projet de « Nouvelles routes de la soie », une nouvelle et puissante liaison, intelligente, rapide, sûre et évolutive, entre la Chine, l’Asie centrale, la Russie et l’Europe. Ce plan chinois global, d’une ambition assumée, parfaitement cohérent et déjà en cours de réalisation, révèle d’une manière d’autant plus cruelle l’incapacité d’une action commune, ainsi que l’absence de projets d’envergure et d’ambition de l’Europe, pour développer, elle aussi sans tarder, son train électromagnétique à l’échelle continentale et au-delà.
N’en doutons pas, dans vingt ans, des MAGLEV chinois, profitant des difficultés attendues de l’aviation commerciale que j’ai évoquées, relieront en toute sécurité, de manière directe, en moins de 15 heures, contre au moins huit jours aujourd’hui, les grands mégapoles chinoises aux grandes villes russes et européennes, contrôlant ainsi de manière décisive le transport de passagers et de fret entre ces grands pôles économiques mondiaux. Face à ce scenario, qui nous placerait dans un état durable de domination économique, technologique et politique, il est grand temps que l’Europe, qui possède tous les atouts humains et techniques nécessaires dans cette compétition vitale pour notre avenir, ouvre enfin les yeux et réagisse en se fixant comme objectif ambitieux la réalisation, à l’horizon 2040, d’un réseau européen MAGLEV, reliant toutes les mégapoles européennes en moins d’une demi-journée.
Un tel réseau, sur un format de 10 000 km, représenterait un investissement total d’environ 400 milliards d’euros sur deux décennies, soit 20 milliards par an, ce qui représente à peine plus de 1% du PIB annuel de l’Union européenne. Je n’ai pas peur de dire qu’au regard des immenses bénéfices humains, économiques, technologiques et environnementaux qu’aurait la réalisation d’un tel projet, sans compter l’affirmation de notre souveraineté politique, un tel investissement ne représenterait pas grand-chose, pour qui sait regarder l’avenir et deviner le nouveau monde qui se dessine sous nos yeux… « Là où il y a une volonté, il y a un chemin », disait le Général de Gaulle. A nous de montrer au monde que l’Europe et la France sont capables de concevoir et de réaliser, en une génération, ce grand projet de civilisation qui changera à jamais le devenir de notre continent.
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
e-mail : tregouet@gmail.com
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