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Edito : L'espérance de vie a-t-elle atteint ses limites ?
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L’humanité n'a jamais vécu aussi longtemps. En moins d'un siècle, l’espérance de vie moyenne mondiale a atteint 72,5 ans, ce qui représente un bond de 27 ans, sans précédent dans l'histoire de notre espèce. On mesure mieux la rapidité de cette progression quand on rappelle qu'entre l'Empire Romain et la Belle Époque (les années qui ont suivi la Première Guerre Mondiale), cette espérance de vie mondiale moyenne n'a progressé que de 20 ans, pour atteindre péniblement 45 ans en moyenne vers 1900. Mais depuis quelques mois, plusieurs études, qui demandent toutefois à être interprétées avec prudence, semblent montrer à la fois un ralentissement du rythme de progression de l'espérance de vie et une stagnation de l'espérance en bonne santé, c'est-à-dire de la durée de vie en pleine autonomie, sans pathologies chroniques. Une récente étude américaine montre que l'écart entre espérance de vie générale et espérance de vie en bonne santé a augmenté de 9,6 ans dans 183 pays du monde. Selon ces recherches, l'espérance de vie moyenne mondiale (72,5 ans) dépasserait à présent de 9,6 ans l’espérance de vie ajustée sur la bonne santé (63,3 ans) (Voir JAMA Network).
Commentant ces résultats, André Terzic, directeur du Centre de médecine régénérative de la Mayo Clinic de Rochester (Minnesota) souligne que « le bond en avant de la longévité a été réalisé sans une augmentation équivalente de la durée de vie sans maladie et cet écart entre la durée de vie et la durée de la santé est le reflet de l’amélioration de la survie aux maladies aiguës, qui se traduit par un plus grand nombre de personnes atteintes de maladies chroniques ». Cette étude pointe le cas singulier des États-Unis, où, malgré des dépenses de santé annuelles par habitant trois fois plus importantes qu'en France (14 000 euros, contre 4000 en France), l’écart moyen entre l’espérance de vie globale et celle en bonne santé est passé de 10,9 à 12,4 ans au cours de ces 20 dernières années. L'étude précise que l’espérance de vie est passée de 79,2 à 80,7 ans chez les femmes et de 74,1 à 76,3 ans chez les hommes sur cette période. En revanche, l'étude révèle que l’espérance de vie en pleine santé a stagné chez les femmes et a progressé de seulement 0,6 an chez les hommes. Ce décalage frappant pourrait, aux Etats-Unis, être lié, selon ces chercheurs, à la forte progression des troubles mentaux et aux effets catastrophiques de la consommation de Fentanyl (un puissant anti-douleur opioïde) qui a tué plus de 500 000 Américains en vingt ans.
Une autre vaste étude, publiée il y a quelques jours, souligne qu'après une longue période de progression, la hausse de l’espérance de vie a commencé à ralentir en 2011, avec des disparités importantes selon les régions du Monde. L'étude rappelle que les gains d'espérance de vie ont d’abord bénéficié aux plus jeunes, avec, à partir des années 50, les progrès de l’hygiène, des vaccins et des antibiotiques ; à partir des années 1990, c’est l'amélioration des traitements contre les cancers et les maladies cardio-vasculaires qui a provoqué une importante diminution de la mortalité des seniors. Mais à présent, les ravages de la sédentarité croissante, de l'alimentation industrielle, de la consommation de tabac, d'alcool et d'autres drogues et de l'exposition aux différentes formes de pollution, viendraient ralentir sensiblement cette progression historique de l’espérance de vie (Voir The Lancet). Ces chercheurs ont travaillé sur des données de santé et de mortalité venues de plus de 160 pays et territoires. Ils ont comparé l’évolution de l’espérance de vie, des causes de décès, et de l’exposition à divers facteurs de risque des habitants de 20 pays européens, dont la France, sur trois périodes : 1990 à 2011, 2011 à 2019, et 2019 à 2021. Ces travaux montrent que la diminution du rythme de progression de l’espérance de vie a commencé en 2011 et a même diminué de 1,8 année entre 2019 et 2021, à cause de la pandémie mondiale de Covid. Selon ce travail, l’espérance de vie moyenne en Europe a augmenté de 0,23 année, chaque année, entre 1990 et 2011 (0,22 en France), mais seulement de 0,15 année entre 2011 et 2019 (0,17 en France), et elle a diminué de 0,18 année (-0,21 an en France) entre 2019 et 2021, à cause du Covid.
L'étude estime toutefois que ces chiffres pessimistes ne veulent pas forcement dire que la longévité humaine est sur le point d'atteindre ses limites biologiques. Ces recherches montrent par ailleurs que l’espérance de vie pour les personnes les plus âgés continue à s’améliorer dans de nombreux pays. Il est intéressant de souligner que la Norvège, l'Islande, la Suède, le Danemark et la Belgique, ont réussi à freiner cette érosion de l’espérance de vie après 2011, en mettant en place des politiques volontaristes de lutte contre les facteurs de risque cardio-vasculaires et de cancer. À l’inverse, le Royaume-Uni a connu une stagnation de l'espérance de vie, provoquée par des risques plus élevés de maladies cardiaques et de cancer, notamment en raison d’une mauvaise alimentation. Face à ces résultats, le Professeur Steel, qui a dirigé ces travaux, plaide pour la mise en œuvre de politiques de prévention massive et personnalisée, seul moyen, selon lui, pour retrouver une forte progression de l'espérance de vie générale et de l'espérance de vie en bonne santé.
En octobre dernier, une autre étude d'envergure dirigée par le célèbre gériatre Stuart Jay Olshansky (Université de l'Illinois à Chicago) est allée également dans le sens d'un possible plafonnement de la longévité humaine et a prédit que seules 15 % des femmes et 5 % des hommes pourront dépasser l'âge de cent ans. Pour parvenir à cette conclusion, les chercheurs ont analysé une masse considérable de données, portant sur la période 1990-2019, et provenant des neufs pays et régions où l’on vit le plus vieux : France, Italie, Suisse, Suède, Espagne, Japon, Australie, Hong-Kong et États-Unis. Ces travaux montrent que l’espérance de vie générale a augmenté bien moins vite au cours de cette période, 2 mois par an, que pendant le début et milieu du 20e siècle, 3,6 mois par an (Voir Nature aging). Cette étude rappelle à son tour que l’espérance de vie au 20e siècle a principalement augmenté grâce à la diminution drastique de la mortalité infantile qui a été divisée par 30 au cours du XXème siècle dans les pays développés. Pour continuer à augmenter sensiblement l’espérance de vie dans les pays étudiés, l'étude souligne qu'il faudrait parvenir à faire vivre plus longtemps les personnes âgées. Mais, même en supposant que la médecine parvienne à vaincre les maladies cardiovasculaires, le cancer et Alzheimer, le gain net d'espérance de vie ne serait pas considérable et, à moins de réussir à agir directement sur les mécanismes du vieillissement, on buterait sur les limites de longévité inhérentes à l'espèce humaine. L'étude précise en effet que, même en supprimant entièrement toute mortalité avant l’âge de 50 ans, l'espérance de vie moyenne dans les pays développés n'augmenterait que d'à peine deux ans...
S'agissant de la France, il est vrai que, comme dans la plupart des autres pays comparables, l'espérance de vie à la naissance progresse moins vite depuis une quinzaine d'années et n’a gagné que deux mois par an depuis 2010, contre trois en moyenne au cours des cinquante dernières années. Mais la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) a publié, fin 2024, une étude sur l’espérance de vie sans incapacité à 65 ans, estimant le nombre d’années qu’une personne peut espérer vivre sans être limitée par un problème de santé dans les activités de la vie quotidienne (Voir DREES). Ce travail très solide, battant en brèche une idée reçue tenace, montre que, depuis 2008, l’espérance de vie sans incapacité à 65 ans a bien continué à progresser plus vite que l’espérance de vie générale. L’espérance de vie en bonne santé atteint désormais 77 ans chez les femmes et 75,5 ans chez les hommes. En 2023, les hommes de 65 ans pouvaient espérer vivre 10,5 ans sans incapacité et les femmes 12 ans. L'étude précise que, parmi les années restant à vivre à 65 ans, la part de celles qui seront vécues sans incapacité a augmenté, passant de 44,7 % à 50,8 % pour les femmes, et de 47,7 % à 52,9 % pour les hommes, entre 2008 et 2023. Soulignons que l’Insee, dans son dernier scenario central de prévisions, table sur une hypothèse d'espérance de vie à la naissance qui continuera à progresser, pour atteindre 90 ans pour les femmes et 87 ans pour les hommes en 2070. Et contrairement à ce qu'on entend parfois, la France n'a pas à rougir de sa position au niveau européen : notre pays se classe 5ème sur les 27 pays de l’Union européenne pour l’espérance de vie sans incapacité des femmes à 65 ans et 7ème pour l’espérance de vie sans incapacité des hommes à 65 ans. L'étude conclut que l’espérance de vie en bonne santé des Français a augmenté « d’un an et onze mois pour les femmes et d’un an et dix mois pour les hommes », depuis 2008, devenant ainsi « supérieure à la moyenne européenne : de deux ans et six mois pour les femmes et d’un an et quatre mois pour les hommes ».
Comme le souligne le Professeur Jean-Marie Robine, Directeur de Recherche à l'Inserm, « De 1970 et 2000, les avancées médicales nous ont offert des gains considérables en termes de longévité. Mais en réalité, aucun argument ne permet d'affirmer qu'il existe une limite à l'espérance de vie, mais on ne peut pas non plus conclure qu'il n'y en a pas. Ce n'est en tout cas pas la première fois que nous vivons un tel ralentissement de la longévité : la situation était similaire dans les années 1960, en France, en Europe et aux États-Unis. Nous étions bloqués par les maladies cardio-vasculaires qu'on ne savait ni soigner ni prévenir, et, contre toute attente, la croissance de l'espérance de vie est finalement repartie de plus belle ». Pour cet éminent chercheur, si nous voulons repousser les limites de la longévité humaine, il ne suffit plus de vaincre les maladies les plus mortelles ; il faut également s'attaquer aux fragilités spécifiques des personnes âgées, en renforçant leurs défenses pour faire face aux maladies liées au vieillissement, ce qui signifie agir directement sur les symptômes gériatriques. Parallèlement à cette gérontomédecine qui veut agir sur certaines des causes fondamentales du vieillissement, de récentes avancées montrent qu'il sera bientôt possible de détecter de manière très précoce (souvent plusieurs années avant l'apparition des premiers symptômes), fiable et rapide, par simple analyse de sang, de nombreuses maladies graves (cancers, MCV, Alzheimer), ce qui devrait permettre de traiter et guérir bien plus efficacement ces pathologies potentiellement mortelles, et, par conséquent, d'espérer repousser à nouveau les limites de la longévité humaine.
Et cette révolution de la détection très précoce des maladies est déjà en route. Il y a quelques jours, une équipe britannique de l'UCL, dirigée par le professeur Mika Kivimaki, a présenté un nouveau test sanguin, simple et rapide, qui a été validé sur 6200 personnes et qui permet d’identifier, par analyse sanguine des marqueurs protéomiques, si un organe spécifique vieillit plus rapidement que prévu et ainsi d'évaluer les risques de survenue de nombreuses maladies liées à l'âge. Selon le Professeur Kivimaki, ce test pourrait révolutionner la prise en charge du vieillissement en permettant de proposer à chacun une prévention active et personnalisée des maladies associées au vieillissement (Voir UCL).
Sans nier ce ralentissement général du rythme de progression de l'espérance de vie (avec de nombreuses disparités selon les pays), beaucoup de scientifiques pensent néanmoins que les marges de progression restent considérables dans ce domaine, car toute l'histoire des sciences nous montre que les démographes n'ont pas cessé de se tromper depuis un siècle, en déclarant à chaque époque que les limites de la longévité humaine, qui étaient sans cesse repoussées, étaient sur le point d'être atteintes... Or, si ces récentes études montrent, dans les pays développés, un ralentissement, voire une stagnation de la progression de l'espérance de vie, nous ne savons pas encore si ce phénomène est irréversible ou ponctuel et il est loin d’être certain que nous avons atteint les limites ultimes de la longévité humaine. La vérité, c'est qu'on ne sait toujours pas quelles sont ces limites, car, tout comme l'horizon, elles semblent sans cesse reculer à mesure qu'on croit les atteindre.
Cela est d'autant plus vrai qu'en plus de pouvoir prévenir, traiter et guérir de plus en plus de pathologies mortelles il y a encore quelques années, la science et la médecine commencent également à pouvoir intervenir sur certains des mécanismes métaboliques, génétiques et immunitaires fondamentaux du vieillissement. Reste l'impact croissant et sans doute sous-estimé sur la mortalité et la santé des facteurs liés à nos modes de vie mais aussi des facteurs environnementaux et climatiques, longtemps négligés : pollution de l'air et de l'eau, exposition à de nombreuses substances chimiques, alimentation transformée.
S’agissant des facteurs liés au mode de vie, il est capital de souligner que, contrairement à une idée largement répandue auprès du grand public, il est à présent solidement établi sur le plan scientifique que nos choix de vie jouent un rôle plus important, en matière de santé et de longévité, que notre hérédité et nos gènes. Et pour ceux qui en doutent, il faut lire la vaste et éclairante étude publiée à ce sujet il y a quelques jours par la prestigieuse Université d'Oxford, sous la direction du Docteur Austin Argentieri et de la Professeure van Duijn. Ce travail d'envergure, réalisé à partir de l'analyse des données de près d’un demi-million de participants, a pu pour évaluer l’influence de 164 facteurs environnementaux et scores de risque génétique pour 22 maladies majeures liées au vieillissement. Et le résultat est sans appel : les facteurs environnementaux expliquent 17 % de la variation du risque de décès, contre moins de 2 % expliqués par les prédispositions génétiques. L'étude précise que, parmi les 25 facteurs environnementaux indépendants identifiés, le tabagisme, le statut socio-économique, l’activité physique et les conditions de vie ont eu le plus d’impact sur la mortalité et le vieillissement biologique (Voir University of Oxford). Cette étude très solide confirme qu'un nouveau bond en avant significatif de l'espérance de vie en bonne santé et de la longévité passera obligatoirement, indépendamment des progrès médicaux attendus, par l'adoption de modes de vie plus sains qui devront s'inscrire dans le cadre des politiques publiques de prévention beaucoup plus volontaristes et ambitieuses...
S'agissant des facteurs liés à l'environnement et au climat, il est clair que le monde doit tout mettre en œuvre pour parvenir à réaliser d'ici 2050 la nécessaire transition énergétique vers la décarbonation et la sortie des énergies fossiles. Outre les effets très bénéfiques sur le climat de cette mutation énergétique, cela devrait entraîner, selon l'OMS, une diminution considérable des 9 millions de décès annuels provoqués par les pathologies liées aux émissions de particules et polluants nocifs (oxyde d'azote, COV, monoxyde de carbone ) résultant de l'utilisation des énergies fossiles, notamment dans les transports et l'industrie (Voir The Lancet). On peut alors imaginer que, dans ce nouveau contexte planétaire plus sain, avec un climat stabilisé et une nature mieux préservée, la longévité humaine pourrait faire alors un nouveau et important bond en avant. Reste à savoir, mais c'est une autre question qui ne relève pas de la science, si nous souhaitons vraiment aller vers un monde, non seulement en pleine régression démographique (elle risque de commencer dès 2050), mais dominé par des « têtes blanches », où les plus de 80 ans pourraient être, selon de récentes prévisions de l'ONU, plus d'un milliard en 2100 (contre 145 millions en 2022) et seront devenus presque aussi nombreux que les moins de 20 ans...
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
e-mail : tregouet@gmail.com
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- Publié dans : Médecine
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