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Edito : L’espérance de vie continue-t-elle à progresser ?

Cette semaine, je reviens sur une question très importante, qui est à nouveau revenue au centre des débats, à l’occasion de l’annonce par le Gouvernent d’une nouvelle réforme de notre système de retraites, la progression de l’espérance de vie dans notre pays, qu’il s’agisse de l’espérance de vie "totale", c’est-à-dire à la naissance, ou de l’espérance de vie en bonne santé, celle que les spécialistes appellent "l’espérance de vie sans incapacités" (EVSI), qui correspond aux années de vie en bonne santé et sans pathologies invalidantes..

Resituons tout d’abord cette question dans le contexte plus large de l’évolution de l’espérance de vie de l’espèce humaine, et des habitants de notre pays, sur le temps long. Au niveau mondial, l’espérance de vie moyenne à la naissance, il est toujours bon de le rappeler, est passée de 1950 à 2020, de 47 à 72 ans, soit une progression de 25 ans qui n‘a pas d’équivalent dans l’histoire humaine, puisqu’elle est plus importante que le gain de vie obtenu par l’humanité entre l’Antiquité et la seconde guerre mondiale… En France, la progression de l’espérance de vie à la naissance est, elle aussi, impressionnante, puisqu’en un siècle, de 1919 à 2019 (dernière année avant la pandémie de Covid-19), l’espérance de vie à la naissance sera passée de 51 ans à 83 ans, soit un gain absolument considérable de 32 années, que n’auraient sans doute pas imaginé les médecins et les scientifiques les plus optimistes qui vivaient au début de XXème siècle, et dont beaucoup étaient persuadés qu’il serait impossible de dépasser les 70 ans d’espérance de vie, en moyenne…

Il y a quelques jours, une équipe américaine a réalisé un travail très intéressant, en analysant des données sur le vieillissement des personnes de plus de 70 ans dans 204 pays et territoires, entre 1990 et 2019. Ces recherches ont notamment porté sur l’espérance de vie à l’âge de 70 ans, les années de vie avec incapacité, et les différents facteurs de risque. Ce travail montre que, dans la grande majorité des régions et pays étudiés, on constate un allongement de l’espérance de vie à 70 ans au cours des trente dernières années (entre 1990 et 2019). Cette progression a été de près de 2 ans au total et de 1,5 an sans maladie, au niveau mondial, ce qui est assez remarquable. Autre enseignement de cette étude, bien que, de manière logique, la mortalité reste fortement corrélée au niveau de développement et de soins des pays considérés, on constate que les disparités régionales sont finalement faibles en ce qui concerne l’allongement de l’espérance de vie globale à partir de 70 ans, ce qui montre bien qu’il s’agit d’une évolution démographique de fond (Voir étude du BMJ).

Ce travail montre également une diminution significative de la prévalence (nombre de cas totaux, à distinguer de l’incidence, qui est le nombre de nouveaux cas par an) des maladies chroniques, pathologies cardiovasculaires et respiratoires chroniques, ainsi que de certains cancers. L’étude pointe, en revanche, une hausse des maladies neurologiques, des accidents liés aux chutes et de certains cancers ne faisant l’objet d'aucun programme de prévention. Ces recherches montrent que les principaux facteurs d’invalidité sont provoqués par des lésions fonctionnelles (AVC, maladie d’Alzheimer), des maladies associées à des douleurs chroniques (lombalgies, rhumatismes, accidents de la route), et des altérations sensitives (perte de l’audition, de la vue). Cette étude couvrant une période antérieure au déclenchement de la pandémie de Covid-19, elle ne prend pas en compte les effets importants du coronavirus sur la mortalité mondiale.

Sur cette question, l'Institut national d'études démographiques (INED) a publié fin 2020 un rapport sur les conséquences démographiques de la crise sanitaire. Ce travail révèle que « toutes les composantes de la dynamique démographique du pays ont été affectées ». Toutes causes confondues, 668 900 décès ont été enregistrés en 2020, soit une hausse de 9,1 % par rapport à 2019. L'espérance de vie de nos concitoyens a ainsi diminué de près de six mois, pour redescendre à son niveau de 2014 (-0,58 an pour les hommes et -0,45 an pour les femmes). Cette surmortalité, particulièrement importante chez les hommes et âgés de plus de 70 ans, est la conséquence directe de l’épidémie de Covid-19, selon cette étude (Voir INED).

Autre étude intéressante, celle réalisée il y a quelques semaines par l’Université britannique de Newcastle, au Royaume-Uni, qui a cherché à déterminer si l'allongement de l'espérance de vie reflète plutôt un état plus long de bonne santé, ou s'il est marqué par davantage de handicap et de dépendance (Voir PLOS Medicine). « Il y a eu de nombreux progrès dans les soins de santé depuis les années 1990, ce qui signifie que de nombreuses personnes atteintes de maladies chroniques vivent plus longtemps », souligne l’étude qui précise que le nombre moyen d'années d'espérance de vie sans incapacité, ni handicap, a augmenté de 1991 à 2011.Pour parvenir à cette conclusion, les chercheurs ont analysé deux études, couvrant respectivement la période 1991-2011 et portant sur 7 500 participants âgés de plus de 65 ans. Cette population a été suivie pendant deux ans afin d’évaluer leur santé, leur autonomie et leur qualité de vie. Ce travail montre clairement que les années de vie "en bonne santé" ont augmenté pour les deux sexes : les hommes ont gagné 3,7 années de vie sans présenter de problèmes de santé (et 4,6 ans d’espérance de vie au total). Les femmes, elles, ont gagné 2 années d’espérance de vie en bonne santé (et 2,1 ans en espérance de vie au total). 

Cette étude nous apprend également que les personnes souffrant de pathologies liés au vieillissement, telles que les rhumatismes, les maladies coronariennes, les accidents vasculaires cérébraux et le diabète, ont gagné plus d'années en bonne santé que d'années avec une incapacité. Comme le souligne l’étude, « Il est indéniable que l’espérance de vie en bonne santé s’améliore malgré la présence de problèmes de santé chroniques ».

En France, une vaste étude de la Drees publiée en octobre 2021, nous apprend que : « l’espérance de vie sans incapacité correspond au nombre d’années que peut espérer vivre une personne sans être limitée dans ses activités quotidiennes ». Ce vaste travail a été réalisé auprès de 16 000 ménages, à partir des données concernant la mortalité, et de questionnaires de santé. Ces recherches nous apprennent que l'espérance de vie en bonne santé (ou "espérance de vie sans incapacité") à 65 ans s’établit en 2020 à 12,1 ans pour les femmes (contre 11,5 ans en 2019) et à 10, 6 ans pour les hommes (contre 10,4 ans en 2019). S’agissant de l’espérance de vie à 65 ans sans incapacité sévère, elle est de 18,1 ans pour les femmes et de 15,7 ans pour les hommes. De manière instructive, et allant à l’encontre de certaines affirmations fréquemment relayées, sans vérifications sérieuses, dans les médias, cette étude montre qu’il y a bien eu, pour les hommes comme pour les femmes, une progression de l’espérance de vie sans incapacité depuis 2008. L’étude précise que la part des personnes de 75 ans ayant déclaré en 2020 une incapacité modérée est en baisse. Les incapacités fortes sont également en léger recul chez les hommes. Si l’espérance de vie reste, traditionnellement, nettement plus élevée chez les femmes, la probabilité d'années de vie sans incapacité sévère à 65 ans progresse un peu plus chez les hommes.

Selon d’autres études récentes et notamment une étude réalisée par l’Insee en juin 2017, la population française devrait atteindre 74 millions de personnes en 2050, contre 68 millions en 2022. Cette augmentation résultera en partie de la progression attendue de l’espérance de vie, qui pourrait atteindre 90,3 ans pour les femmes en 2050 (soit un gain de 4,7 ans par rapport à 2019), et 86,8 ans pour les hommes (soit un gain de 7,1 ans, par rapport à 2019). Là encore, contrairement à un discours récurent, mais toujours démenti par les faits depuis plus d’un siècle, il y a tout lieu de penser que l’espérance de vie de nos concitoyens va encore continuer de progresser, à la fois grâce à l’amélioration de nos conditions de vie et aux progrès scientifiques et médicaux.

Il est même probable, si l’on prend en compte l’accélération des découvertes de "ruptures" scientifiques et biologiques, que l’espérance de vie augmente encore plus vite que prévu d’ici le milieu du siècle. Depuis 2017, de multiples avancées majeures ont été réalisées dans la compréhension des mécanismes fondamentaux du vieillissement et il devient à présent envisageable d’agir par plusieurs vois complémentaires, de façon à ralentir sensiblement ce processus, longtemps considéré comme inéluctable. En 2017, des chercheurs américains du laboratoire du Salk Institute of Biological Studies de San Diego, ont publié une étude qui a fait sensation dans la communauté scientifique internationale. Ces scientifiques sont parvenus à ralentir l'horloge cellulaire de souris, dont l’espérance de vie est passée de 18 à 27 semaines. Ces recherches ont montré que la capacité de régénération cellulaire des souris de plus d'un an – les plus âgées - était comparable à celle des plus jeunes (Voir Cell). Il y a quelques semaines, une autre équipe du même Institut a publié une nouvelle étude (Voir Salk) montrant qu’il est possible de reprogrammer l’horloge moléculaire des cellules de souris âgées, à l’aide de quatre molécules connues sous le nom de "facteurs de Yamanaka" — du nom du scientifique japonais qui les a découvertes. Ces facteurs de transcription, qui ont été administrés à des souris âgées pendant plusieurs mois, ont confirmé leur faculté de remodeler en profondeur l’expression des gènes, contrer les signes du vieillissement, et favoriser la régénération des tissus.

Mais en attendant que ces premiers traitements anti-âge, reposant sur les thérapies géniques et cellulaires, soient disponibles chez l’homme, de récentes études montrent de manière éclairante qu’il est déjà possible d’augmenter considérablement notre espérance de vie en modifiant tout simplement nos modes de vie. Des chercheurs de l’Université de Bergen, en Norvège, ont récemment montré que le simple fait de manger plus sainement peut permettre de gagner plus d'une décennie sur l'espérance de vie (Voir PLOS Medicine). Selon cette étude, un homme européen se mettant à suivre un menu dit "optimal" (composé de beaucoup de céréales, légumineuses, poisson, fruits et légumes, et excluant la viande rouge et les produits transformés), verrait son espérance de vie progresser de 13,7 ans, et une femme de 10,4 ans. Et même en optant pour le régime optimal à l'âge de 40 ans, le gain serait encore de 12,3 ans chez les hommes, de 9,8 ans chez les femmes.

Outre l’alimentation, il est à présent démontré que l’activité physique peut également contribuer à accroître sensiblement l’espérance de vie. Selon une récente étude dirigée par la Professeure Paluch (Université du Massachusetts), publiée en mars 2021, les adultes de 60 ans et plus voient le risque de décès prématuré se stabiliser à environ 6 000-8 000 pas par jour, ce qui signifie qu'un nombre de pas supérieur n'apporte aucun avantage supplémentaire en termes de longévité (Voir The Lancet). Ce vaste travail de recherche épidémiologique montre que les adultes de moins de 60 ans ont vu le risque de décès prématuré se stabiliser à environ 8 000 à 10 000 pas par jour. Selon cette analyse de 15 études, portant sur l’évolution de la mortalité de 47 471 adultes entre 1999 et 2018, parmi les trois groupes les plus actifs, qui marchaient entre 5 800 et 10 900 pas par jour en moyenne, le risque de décès était inférieur de 40 à 53 % par rapport au groupe qui marchait le moins. Fait intéressant, cet effet bénéfique de la marche en matière d’espérance de vie semble indépendant de la vitesse des marcheurs. Et pour les « petits marcheurs », qu’ils ne se découragent pas : selon une autre étude publiée en 2021 et réalisée par l’Université de Caroline du Nord sur 16 732 participantes de plus de 60 ans, faire seulement 1000 pas par jour (environ 650 mètres, soit 12 minutes de marche normale), permet déjà de réduire de 28 % ses risques de mortalité globale !

Une autre vaste étude américaine publiée en 2016 montre que le fait de pratiquer la musculation seulement deux fois par semaine permettrait aux seniors de vivre plus longtemps (Voir Penn State). Ce travail a été réalisé par des chercheurs du Collège de Médecine Penn State et de l’Université de Columbia, en analysant une énorme masse de données recueillies entre 1997 et 2001, et concernant 30.000 adultes âgés de 65 ans et plus, suivis pendant 15 ans, dans chaque état des États-Unis. L’étude montre qu’un senior sur dix pratique la musculation au moins deux fois par semaine. Ces recherches ont montré que les seniors qui faisaient au moins deux séances de musculation par semaine étaient moins exposés aux arrêts cardiaques mortels (-41 %), de cancers fatals (-19 %) et plus largement aux maladies mortelles (-46 %), par rapport au groupe-témoin de ceux qui ne pratiquaient par la musculation.

L’étude a également montré que des exercices réguliers de musculation, même brefs, permettent une augmentation intrinsèque de l'espérance de vie plus importante que les autres types d’exercices physiques, plus axés sur l’endurance, qu’il est cependant conseillé de pratiquer en parallèle car leurs bénéfices sont complémentaires de ceux des "exercices de force". L’étude insiste sur le fait que les bienfaits de la musculation, contrairement à ce qu’on a longtemps cru, vont bien au-delà du renforcement de la masse musculaire et du remodelage de la silhouette, et semblent avoir de puissants effets épigénétiques, prévenant ainsi de nombreuses pathologies liés au vieillissement. 

Ces récents travaux révèlent le poids, encore largement sous-estimé du mode de vie sur notre espérance de vie. On peut enfin évoquer une vaste étude américaine, saluée par la communauté scientifique internationale, publiée en janvier 2020 (Voir The BMJ). Pour ces recherches, une équipe de l’Ecole de Santé de Publique d’Harvard a analysé les données relatives à 73 196 femmes et 38 366 hommes, suivis pendant 34 ans, et qui ne souffraient ni de cancer, ni de problèmes cardiovasculaires, ni de diabète en début d’étude. Les chercheurs ont étudié le poids respectif de cinq facteurs – mode de vie non-fumeur, maintien d’un IMC normal, pratique d’un minimum de 30 minutes d’activité physique par jour, consommation modérée d’alcool et régime alimentaire équilibré – pour attribuer un score allant de 0 à 5 à chaque participant, la note de 5 indiquant le mode de vie le plus sain. Le fait d’adopter ces cinq comportements sains, permettrait, selon ces recherches, d’ajouter jusqu’à 10 années exemptes de maladies chroniques à son espérance de vie. Celle-ci passerait donc, pour les personnes de 50 ans, de 24 ans (pour ceux qui n’adoptent aucun de ces 5 comportements), à 34 ans (pour ceux qui les adoptent tous).

Très longtemps, nous avons considéré que notre espérance de vie relevait essentiellement de facteurs sur lesquels nous n’avions finalement que peu de prise, progrès de la médecine, facteurs génétiques personnels, environnement. Il est certes indéniable que les avancées scientifiques et médicales, ainsi que l’amélioration de nos conditions de vie (hygiène habitation, alimentation), ont contribué de manière décisive à l’extraordinaire progression de l’espérance de vie moyenne à la naissance de l’espèce humaine depuis un siècle. Mais nous savons à présent, grâce à de nombreuses et solides recherches scientifiques, que si l’ensemble de la population adoptait, dès l’enfance, les quelques règles de vie simples que j’ai évoquées (alimentation saine, exercice quotidien et varié, pas de tabac et consommation modérée d’alcool), nos concitoyens pourraient probablement gagner plus de 10 ans d’espérance de vie en bonne santé, ce qui représenterait un gain d’espérance de vie aussi important que celui enregistré depuis 40 ans en France…

Il est dommage qu’à l’occasion de l’élection présidentielle, aucun des candidats n’ait pensé à intégrer dans son programme une mesure simple qui consisterait à rendre obligatoire dès l’école primaire, puis tout au long du cursus scolaire, l’enseignement d’une nouvelle discipline spécifique, centrée sur la santé, le bien-être (physique et mental) et la prévention des principales maladies de société qui continuent à faire des ravages dans notre pays (cancer, maladies cardiaques, obésité, diabète, maladies neurodégénératives), et sont pourtant largement évitables…

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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  • FabriceLyon

    11/04/2022

    Bonjour,
    Il y a d"autres approches pour augmenter la longévité, le clonage de corps sans encéphale, l'article se trouve ici :

    https://www.fightaging.org/archives/2022/04/understanding-anencephaly-as...

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