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Edito : L’espace fabrique-t-il de la vie ?
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Je reviens cette semaine sur une question passionnante que nous abordons régulièrement dans notre lettre et qui vient d’être relancée par plusieurs découvertes récentes : celle d’une possible apparition de la vie dans l’espace. Trois études publiées en ce début d’année s’intéressent aux bactéries extrêmophiles, capables de survivre dans des conditions très hostiles telles qu’on peut les trouver sur Mars, Europe ou Encelade.
La première de ces études porte sur l’existence de bactéries en sommeil dans le désert d'Atacama. Située au nord du Chili, cette région de plus de 100 000 km2, dont l’altitude moyenne est de 5000 mètres, est la plus aride et la plus sèche du globe. Il y pleut en moyenne deux fois par siècle. C’est dans cet environnement extrême que l’équipe du planétologue Dirk Schulze-Makuch a étudié de 2015 à 2017 les micro-organismes enfouis dans le sol et ces scientifiques ont eu une grosse surprise. Alors que la théorie dominante jusque-là était celle de l’« habitat microbien transitoire », qui voulait que l’activité microbienne ne se développe qu’au cours des très rares périodes humides, ces chercheurs ont découvert que les microorganismes présents dans ce désert étaient capables de rester en sommeil pendant des années avant de se réveiller au retour de la pluie (Voir PNAS).
Ce qu’ont observé ces scientifiques, c’est que, si le nombre et la diversité des micro-organismes chutaient avec le retour de l’aridité, certains microbes, au lieu de mourir, se mettaient dans un état de léthargie, pendant toute la durée de la période aride, puis redevenaient actifs, sur le plan métabolique lorsqu’un bref épisode humide survenait. Cette étude souligne que ces résultats ont « une implication dans la recherche de la vie sur d’autres planètes comme Mars, qui ont connu une transition d’un environnement humide vers une aridité extrême ».
Mais il ne suffit pas d’observer les microbes terrestres pour savoir si des bactéries pourraient vivre sur d’autres planètes ayant un environnement extrême, encore faut-il essayer de reproduire le plus fidèlement possible ces conditions drastiques pour voir si une vie rudimentaire peut s’y maintenir. C’est ce qu’a voulu faire une équipe de chercheurs, menée par Simon Rittmann, de l’Université de Vienne en Autriche. Ces scientifiques ont reproduit en laboratoire les conditions les plus proches possibles de celles qui règnent sur Encelade, une lune de Saturne. Sous son épaisse croûte glacée, Encelade abrite un océan souterrain dont l’eau s’échappe par endroits sous forme de geysers, comme l’ont récemment confirmé les photographies prises par la sonde spatiale Cassini.
Pour essayer de comprendre comment une vie primitive pourrait se développer et survivre sur Encelade, les scientifiques autrichiens ont choisi d’étudier la bactérie Methanothermococcus okinawensis. Ce microorganisme vit dans des conditions extrêmes, à plus de 1 000 mètres de profondeur dans la fosse océanique d’Okinawa, au large du Japon ; il survit sans oxygène, en tirant son énergie de l’hydrogène et du dioxyde de carbone, qu’il combine pour produire de l’énergie. Ce curieux fonctionnement métabolique produit alors du méthane. Or, il se trouve que de l’hydrogène et du méthane ont été détectés sur Encelade….
Mais les chercheurs autrichiens sont allés plus loin : ils ont modifié en laboratoire les conditions de température et de pression pour simuler les conditions régnant à différents niveaux de profondeur de l’océan d’Encelade. Résultat : l’environnement qui apparaît comme le plus propice au développement de bactéries du type Methanothermococcus okinawensis correspond à celui que l’on trouve sur le plancher océanique d’Encelade, à savoir une surface rocheuse, une pression de 50 atmosphères et une température légèrement supérieure à 0°. ..
Quant à l’hydrogène présent sur Encelade, il proviendrait de la décomposition de l’olivine contenue dans le noyau de la planète. Il est donc possible, selon ces travaux, « qu’une certaine partie du méthane détectée dans les panaches d’Encelade pourrait, théoriquement, avoir été produite par des bactéries méthanogènes ».
La troisième étude, intitulée « Possibilités de développement d’une vie microbienne sur Europe grâce aux sources d’énergie radioactive » (Voir Nature), a été menée par des scientifiques brésiliens. Cette équipe menée par Douglas Galante a tenté d’évaluer la possibilité que l’océan d’Europe, la quatrième plus grosse lune de Jupiter, accueille la vie.
Pour mener à bien leurs travaux, ces chercheurs ont étudié une autre bactérie, elle aussi tout à fait étonnante, qui survit et prolifère dans l’obscurité. Baptisée Candidatus desulforudis audaxviator, cette bactérie se niche dans la mine d’or souterraine de Mponeg en Afrique du Sud, à 2 800 mètres de profondeur. Ce microorganisme se développe dans une eau entre 40 et 60°C, à une pression comparable à celle des grands fonds océaniques. Cette équipe a pu montrer que cette bactérie vivant dans la mine d’or sud-africaine produit de l’énergie (ATP) à partir de sulfate (SO42–), dégagé par la dégradation de la pyrite par les radicaux libres de l’uranium (238UO2). Douglas Galante précise que « C’est la première fois qu’on trouve un écosystème capable de survivre directement à partir de l’énergie nucléaire » (Voir Nature). En réalisant des extrapolations à partir des proportions et quantités de ces éléments radioactifs présents sur Mars et la Terre, ces chercheurs ont réalisé un modèle qui montre qu’Europe est capable de produire plus d’énergie que nécessaire pour maintenir une vie microbienne par la simple désintégration gamma du potassium 40.
Il faut également rappeler qu’en février 2017, les dernières données fournies par la sonde Dawn ont prouvé la présence de molécules organiques sur la planète naine Cérès, située dans la ceinture principale d'astéroïdes orbitant autour de notre soleil entre Mars et Jupiter (Voir Science). Ces molécules organiques, constituées de longues chaînes carbonées, ont été principalement retrouvées sur une surface de 1000 kilomètres carrés autour du cratère Ernutet, situé dans l'hémisphère nord de Cérès. Cette découverte est d’autant plus importante que les scientifiques pensent que ces molécules organiques ont bien été produites sur la planète et ne proviennent pas d'un impact avec un météorite ou une comète.
Autre découverte importante : en juillet 2017, une équipe d’astronomes américains dirigés par Maureen Palmer a découvert, grâce à la sonde Cassini, des molécules carbonées chargées négativement dans la haute atmosphère de Titan, la plus grande lune de Saturne. En dépit d’une température moyenne de -180°, Titan possède dans son atmosphère composée d’azote et de méthane une chimie très complexe, rendue possible par l’énergie fournie par les particules solaires et les particules de la magnétosphère de Saturne. Toujours en juillet 2017, la sonde Cassini a également détecté la présence de cyanure de méthyle, un composé chimique susceptible de constituer des membranes stables et flexibles de cellules vivantes adaptées aux conditions très particulières qui règnent sur ce satellite.
Cette présence de cyanure de vinyle en grande quantité a été confirmée par le radiotélescope ultrasensible ALMA (Voir article Science Advances). L’année prochaine, la NASA décidera peut-être de valider son projet Dragonfly, qui consiste à lancer en 2024 une mission d’exploration robotique vers Titan. Cette mission qui devrait arriver sur Titan en 2038 essaierait d’explorer en détail la surface de Titan, et son atmosphère à l’aide d’un robot-drone spécialement conçu pour évoluer dans l’environnement pour le moins extrême de cette fascinante lune de Saturne.
Enfin, tout dernièrement, une équipe internationale de recherche dirigée par Sanjay Limaye, planétologue à l’Université du Wisconsin, a publié une étude qui n'exclut pas la possibilité de l'existence de formes de vie microbienne dans la haute atmosphère de Vénus, entre 40 et 60 km d’altitude, une zone où règnent des conditions thermiques et biochimiques compatibles avec la vie. Ces chercheurs appuient leur hypothèse sur la présence, à l'intérieur des nuages de Vénus, d'intrigantes taches sombres, détectées dans le spectre ultraviolet, et pourraient être constituées de nappes de bactéries extrêmophiles qui se seraient adaptées à leurs rudes conditions de vie, à l'instar de leurs cousines terriennes que l'on retrouve dans l'atmosphère, à plusieurs dizaines de km au-dessus des geysers de Yellowstone, aux Etats-Unis... Une mission d'exploration de la NASA, reposant sur l'envoi d'une sonde, puis d'un avion gonflable (Venus Atmospheric Maneuverable Platform) pouvant voler un an dans l'atmosphère de Venus, devrait permettre d'ici une dizaine d'années de détecter l'éventuelle existence de ces étranges formations microbiennes vénusiennes...
Mais si la vie a pu apparaître dans le système solaire ailleurs que sur Terre, et peut-être s’y maintenir sous une forme rudimentaire, elle semble également, et de manière encore plus surprenante, potentiellement présente dans l’espace sidéral et autour d’étoiles lointaines. En juin 2017, une équipe internationale de recherche a en effet découvert, grâce au radiotélescope ALMA (Atacama Large Millimiter/submillimeter Array) situé au Chili, que les proto-étoiles du système IRAS 16293-2422, situé dans la constellation du Serpentaire, à 400 années-lumière de la Terre, produisaient des molécules nécessaires à l’apparition de la vie, et notamment de l'isocyanate de méthyle, un composé organique impliqué dans la synthèse d'acides aminés. Cette découverte est capitale car jamais cette molécule n’avait encore été détectée dans de jeunes étoiles en formation. En outre, ce système IRAS 16293-2422 ressemble beaucoup à la nébuleuse qui a donné naissance à notre système solaire. La détection de ces molécules prébiotiques vient donc éclairer d’une lumière nouvelle la question des conditions d’émergence de la vie sur Terre.
En 2012, une autre étude portant sur ce même système solaire lointain avait par ailleurs mis en évidence la présence de glycolaldéhyde, un sucre complexe de la famille du glucose ou du fructose. « Ces familles de molécules organiques sont impliquées dans la synthèse de peptides et d’acides aminés qui, sous la forme de protéines, constituent les éléments de base de la vie telle que nous la connaissons », précisent Niels Ligterink et Audrey Coutens, co-auteurs de ces travaux.
En juillet 2017, une équipe internationale de recherche, dirigée par Chin-Fei Lee de l'Institut d'astronomie et d'astrophysique de l'Académie Chinoise à Taïwan, a détecté, toujours grâce à l’extraordinaire sensibilité du réseau d'antennes d'ALMA, des molécules organiques complexes, essentielles à l'apparition de la vie, dans le disque de gaz et de poussières entourant Herbig-Haro 212, une toute jeune étoile en cours de formation, qui se situe à environ 1300 années-lumière dans la constellation d'Orion. Autour de cette étoile âgée de seulement 40.000 ans, les scientifiques ont identifié la présence d’amides et d’alcools, composants de base pour de nombreuses biomolécules comme les sucres et les acides aminés. Là encore, c’est la première fois que ce type de molécule est découvert autour d'une étoile aussi jeune. De là à imaginer que ce même processus ait pu se dérouler lors de la naissance de notre système solaire et ait permis l’apparition de la vie sur Terre…
Il y a quelques semaines, une équipe d’astronomes s’appuyant sur le Green Bank Telescope, en Virginie-Occidentale, a pour sa part identifié, dans la constellation du Taureau, à 430 années-lumière de la Terre, les signatures de la molécule benzonitrile (C6H5CN), présente dans une masse de gaz et de poussière appelée nuage moléculaire 1 du Taureau (Voir Scientific American). La molécule de benzonitrile possède une structure hexagonale à six atomes de carbone appelée benzène. Elle appartient à la famille des hydrocarbures aromatiques polycycliques, ou HAP, un type de molécule connue pour sa très grande stabilité, ce qui lui permet de résister pendant de très longues périodes aux conditions extrêmes qui règnent dans l’espace.
Enfin, fin 2017, des chercheurs de l’Université de Sherbrooke, au Québec, ont réalisé une remarquable expérience qui montre que certaines molécules organiques qui constituent les éléments constitutifs de la vie pourraient se développer sur des surfaces glacées soumises à des radiations dans le vide. Ces chercheurs ont créé des fines couches de glace contenant du méthane et/ou de l’oxygène, avant de les irradier avec des faisceaux d’électrons (Voir AIP). Ils ont alors pu observer l’apparition de nombreuses molécules, telles que l’éthanol, le propylène, l’éthane et l’acétylène, qui se sont développées dans des films de méthane et d’oxygène congelés. D’autres molécules organiques indispensables à l’apparition de la vie, comme de l’acide acétique, du formaldéhyde et du méthanol, ont également été découvertes.
L’ensemble de ces récentes découvertes et observations ne peut que nous amener à modifier profondément et à élargir notre conception du vivant et nous permet également d’imaginer de nouveaux scenarios d’apparition de la vie qui auraient encore étés difficilement concevables il y a seulement vingt ans.
A partir du moment où de nombreuses molécules prébiotiques complexes peuvent non seulement être produites en grande quantité dans l’espace, mais également y subsister pendant de longues périodes et voyager sur de longues distances en utilisant notamment comme vecteurs les comètes et astéroïdes, il n’est plus interdit de penser que la vie ait pu apparaître sur Terre sous l’effet d’un « coup de pouce » décisif venu de l’espace, sous forme de molécules complexes ou de microorganismes rudimentaires en sommeil qui auraient été transportés par des comètes jusqu’à notre planète…
Il est également possible que la vie, au cours de la longue histoire de notre système solaire, soit apparue et se soit développée en plusieurs endroits, et pas seulement sur Terre. Parmi les lieux où la vie aurait pu naître, on pense bien sûr à Mars (qui connut dans un lointain passé des conditions favorables à la vie avec notamment la présence d’eau liquide en quantité) mais d’autres lieux étranges, où règnent des conditions très particulières. Europe (Lune de Jupiter), ou Titan et Encelade (Lunes de Saturne) ont pu également être le berceau de formes de vie surprenantes qui se seraient adaptées à leurs conditions physico-chimiques et thermiques extrêmes, comme ont très bien su, contre toute attente, le faire certaines formes de vie sur Terre.
Alors que nous pensions, grâce aux nouveaux moyens d’observation dont nous disposons, d’abord trouver des traces d’une vie possible sur des mondes lointains, orbitant autour d'autres étoiles, l’exploration de plus en plus poussée de notre système solaire (avec ses 600 satellites naturels et ses 500 000 astéroïdes et planètes mineures répertoriées) au cours de ce siècle pourrait bien apporter dans ce domaine d’immenses surprises et nous révéler que la vie ne s’est pas contentée de notre Terre pour naître et se développer autour de notre soleil…
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
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- Publié dans : Cosmologie et Astrophysique
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