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Edito : L’élimination des « polluant éternels », un nouveau défi mondial de santé publique

INFO LE POINT. Un reportage de « Complément d’enquête » accuse Tefal d’avoir caché la dangerosité des PFAS. L’entreprise et ses salariés portent plainte, dénonçant une « manipulation médiatique ».

Suite à ce vif affrontement entre France 2 et TEFAL qui se développe depuis quelques jours, j’avance la parution de cet édito que j’avais prévu de mettre en ligne dans 2 semaines.

Employés depuis les années 1940 en raison de leurs propriétés antiadhésives, imperméabilisantes et résistantes à la chaleur, les PFAS (Per- et polyfluoroalkylées), qui comportent un vaste ensemble de 10 000 molécules, sont massivement utilisés dans tous les secteurs d'activités industriels, chimie, textile, cosmétiques, aérospatiale, construction, électronique, énergie (éoliennes, batteries de véhicules électriques, pompes à chaleur, climatiseurs). Leur extrême persistance dans l’environnement fait des PFAS une menace éternelle. Une fois émis, ils ne se dégradent pratiquement pas et restent présents dans la nature des milliers d’années. La toxicité des PFAS est à présent avérée et ne cesse d'être confirmée par de nouveaux travaux scientifiques.

De récentes études ont montré la nocivité, très large pour la santé, de cette famille de PFAS. Ces molécules peuvent notamment provoquer des pneumonies chez les enfants, l’obésité et une élévation du taux de cholestérol chez l’adulte et, pour les femmes, le cancer du sein, le diabète et le diabète gestationnel, l’endométriose, le syndrome des ovaires polykystiques et l’infertilité. Plusieurs études montrent également une réponse immunitaire diminuée à la vaccination chez l’enfant à des doses d’exposition infimes. La communauté scientifique s'accorde à présent pour admettre que l’exposition aux PFAS est associée à une douzaine de maladies, dont le cancer du sein, du rein et des testicules, l’hypertension artérielle et la pré-éclampsie, des maladies thyroïdiennes. Une étude menée l'année dernière sur 303 adolescents en Flandre a confirmé que l’exposition aux PFAS provoquait une importante perturbation endocrinienne et des retards de puberté (Voir HBM).

Récemment, des chercheurs de la Keck School of Medicine ont montré la présence de plusieurs types de PFAS dans au moins 45 % des réserves d’eau potable aux États-Unis, à proximité des zones urbaines. Ils ont découvert des associations entre les PFAS et divers problèmes de santé, notamment certains types de cancer (sein, rein, testicules). Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a d’ailleurs classé en 2023 le PFOA (acide perfluorooctanoïque) et le PFOS (acide perfluorooctanesulfonique) comme "potentiellement cancérogènes" pour l’homme. Ces travaux montrent une corrélation entre quatre types de cancers et la détection d’au moins un PFAS dans l’eau. Ces cancers touchent le système digestif, le système endocrinien, la cavité buccale et le système respiratoire. Selon cette étude, les PFAS présents dans l’eau potable contribuent à plus de 6800 cas de cancer aux États-Unis chaque année ! (Voir Keck School of Medicine of USC).

L'Europe compte toujours vingt usines de fabrication de PFAS, dont seize en activité. Parmi ces installations, cinq sont situées en France : deux à Pierre-Bénite (Rhône), une à Villers-Saint-Paul (Oise), une à Tavaux (Jura) et une autre à Salindres (Gard) qui doit prochainement être fermée. Il y a quelques jours, le Forever Pollution Project, associé à plusieurs journaux européens, a mis en lumière le coût faramineux d’élimination des PFAS. Cette étude, qui a fait grand bruit, révèle que pour dépolluer à l’échelle de l’Europe, il faudrait dépenser environ 100 milliards d’euros par an pendant vingt ans. Cette estimation, qui ne tient pas compte des coûts induits et incalculables en matière de santé, repose sur le recensement de 23 000 sites pollués (utilisateurs et émetteurs de PFAS). D'après cette enquête, ce coût pharaonique serait notamment dû aux PFAS à chaîne courte et ultracourte, récemment introduits sur le marché par les industriels en prévision d’interdiction d’autres PFAS, et qui ne peuvent pas être éliminés par les outils de traitement traditionnel. Selon cette vaste étude, très documentée, Il est essentiel de réglementer les PFAS, de restreindre leur utilisation au niveau européen et mondial et d'aider l'ensemble de cette filière industrielle à accomplir cette transition complexe et coûteuse. En 2024, l'Union européenne a décidé de restreindre l'utilisation d'un nouveau sous-groupe de PFAS – le PFHxA et ses dérivés – pour certaines utilisations, notamment les emballages alimentaires, les textiles et les produits de beauté (Voir The Forever Pollution Project).

Toutefois, seuls quelques PFAS sont actuellement interdits au niveau de l'UE. Une proposition, à l'initiative de cinq pays européens en 2023. L'Allemagne, les Pays-Bas, la Suède, le Danemark et la Norvège, demandent une restriction plus importante des PFAS dans le cadre de REACH, le règlement de l'UE sur les produits chimiques. L'Agence européenne des produits chimiques (ECHA) évalue actuellement cette proposition et devrait faire part de son avis à la Commission européenne cette année. Il reviendra ensuite à la Commission, en codécision avec le Parlement Européen et les 27 États membres, d'adopter un nouveau cadre législatif prévoyant l’interdiction programmée de ces substances, dont les effets nocifs sur la santé et l’environnent ont été gravement sous-estimées. Le Forever Lobbying Project estime par ailleurs que la France devra consacrer 12 milliards d’euros par an à la dépollution des PFAS. En France, l’arrêté de 2022 basé sur la directive européenne fixe la limite de qualité à 0,10 µg/L pour les 20 principales molécules de PFAS, avec un maximum de 500 ng/ litre pour le total des PFAS, dans les eaux de consommation humaines.

Parmi les nombreuses molécules de PFAS, l'une d'entre elles suscite une inquiétude particulière, le TFA, ou acide trifluoroacétique. Cette minuscule molécule s'infiltre partout, dans l’eau, l’air et les sols. Elle résulte de la dégradation de pesticides et d’autres PFAS et reste indestructible dans la nature. Le TFA est toxique pour le foie et la reproduction humaine et il serait déjà largement présent dans l'eau potable en France. En septembre dernier, France Bleu a fait réaliser 89 prélèvements d'eau potable sur l'ensemble du territoire. Ces échantillons prélevés ont ensuite été analysés par le laboratoire agréé Ianesco, basé à Poitiers. Le résultat est édifiant : sur les 89 prélèvements, 43 % des échantillons contenaient des PFAS et cinq échantillons contenaient des PFAS classées cancérigènes à des niveaux préoccupants.

Or, pour éliminer le TFA, le seul traitement efficace pour l'instant est l'osmose inverse basse pression, une technique dix fois plus coûteuse que la dépollution traditionnelle par charbon actif. A partie de 2026, toutes les collectivités locales devront vérifier les niveaux de PFAS dans l'eau potable et traiter les eaux de façon à respecter les nouvelles normes européennes (500 ng/ litre pour le total des PFAS). Et le moins qu'on puisse dire c'est que la tâche s'annonce ardue et les dépenses nécessaires considérables : pour la seule métropole de Lyon, une usine de retraitement des eaux polluées aux PFAS et utilisant cette technique d'osmose inverse basse pression coûterait au bas mot 200 millions d'euros...

C'est dans ce contexte alarmant pour la santé et l'environnement que, partout dans le monde, les recherches s'intensifient pour essayer de trouver de nouvelles méthodes, plus efficaces, moins coûteuses et propres, pour éliminer ces PFAS, particulièrement difficiles à dégrader de façon contrôlée vers des sous-produits inoffensifs, du fait de la solidité de leurs liaisons chimiques. En 2022, des chercheurs de l’université de Californie (UCLA) ainsi que leurs collègues américains et chinois ont présenté une solution de décomposition fonctionnant sur une douzaine de PFAS. Ils ont démontré qu’en utilisant une eau chauffée entre 80 et 120°C ainsi que des solvants et réactifs courants, il était possible de déclencher une réaction chimique permettant de neutraliser les PFAS sans émettre de produits nocifs. La simplicité de cette technique rendrait possible son utilisation en station de traitement des eaux. Les simulations informatiques ont notamment montré que les seuls sous-produits devaient être le fluorure, le CO2 et l’acide formique. Si cette méthode permet pour le moment de dégrader le PFCA, le PFOA et les PFECA, les chercheurs pensent que celle-ci pourrait fonctionner sur la plupart des PFAS qui contiennent des acides carboxyliques. (Voir Science).

D'autres scientifiques américains de l’Université de Californie Riverside (UCR) ont inventé une nouvelle technique qui utilise la lumière UV et l’hydrogène gazeux pour décomposer rapidement les PFAS contenus dans l’eau potable. Pour limiter les risques de contamination par les PFAS, on procède généralement en deux étapes. Tout d’abord, il faut extraire ces substances nocives en filtrant les réserves d’eau potable avec du carbone. Ensuite, il faut détruire les PFAS concentrés en évitant de créer une cascade de nouvelles molécules toxiques au cours du processus. Grâce à la nouvelle technique mise au point par ces chercheurs de l’Université de Californie, les PFAS sont détruits par l’action de l’hydrogène gazeux qui bouillonne dans l’eau contaminée pour ioniser les molécules d’eau. Ces scientifiques ont en outre réussi à accélérer ces réactions chimiques en utilisant des faisceaux de lumière UV à haute énergie et à courte longueur d’onde dans l’eau. La méthode a été validée par des tests sur de petits volumes d’eau du robinet (500 ml) enrichie en PFOA et PFOS, qui sont des polluants éternels. Les résultats obtenus sont très prometteurs, car presque tous les polluants ont été rapidement dégradés. Selon les résultats, la combinaison de l’action de l’hydrogène gazeux et de la lumière UV a dégradé 95 % des PFOA et PFOS durant les 45 min du traitement de l’eau et jusqu’à 97 % durant tout le processus (Voir University of California).

Des scientifiques de l’Université Clarkson à New York, en collaboration avec l’US Air Force, ont aussi développé une méthode pour détruire les PFAS dans les eaux contaminées. Leur technique consiste à fragmenter les molécules de PFAS avec des réacteurs à plasma et du gaz argon. Durant les essais, 99 % des produits chimiques ont été dégradés en moins d'une heure. Pour obtenir leur plasma à faible température, les chercheurs utilisent des flux d’argon, un gaz rare, depuis le fond de la cuve, et les PFAS accumulés à l’interface entre l’argon et l’eau sont transportés jusqu’à la surface où ils sont détruits par le plasma.

Toujours en 2022, des scientifiques du Technion ont eu l'idée de combiner deux techniques, l’utilisation de procédés d’oxydation et les polymères ciblés, capables d’adsorber efficacement les polluants. Dans un premier temps, les chercheurs ont eu recours à l'utilisation de polymères spécifiques pour séparer les polluants, puis, dans un second temps, ils ont utilisé des procédés d’oxydation avancés pour les éliminer). Les résultats de ces travaux, montrent une efficacité élevée, de l'ordre de 90 %. Dans le cadre de cette étude, les chercheurs ont utilisé des matériaux naturels et bon marché : des oxydes de fer, des argiles, ainsi que des polymères de cyclodextrine (minéraux du sol). Ces composites argile-fer-polymère vont piéger les PFAS en surface et permettre alors le processus d’oxydation. Cette combinaison élimine efficacement les PFAS sans libérer de substances indésirables dans l’eau.

En 2023, des scientifiques australiens de l'université du Queensland ont présenté une nouvelle technique pour éliminer les produits chimiques éternels toxiques de l’eau. Il s’agit d’une solution appelée "sorbant magnétique à base de polymère fluoré". Introduite dans l’eau contaminée, elle enrobe les molécules de PFAS et les rend magnétiques. Il devient alors possible d’utiliser un aimant pour attirer les polluants et les séparer de l’eau. Lors de tests effectués sur de petits échantillons d’eau chargée en PFAS, les chercheurs ont observé que cette méthode pouvait éliminer plus de 95 % des PFAS en quelques minutes, dont le fameux GenX, un produit chimique très toxique, utilisé dans la fabrication d’ustensiles de cuisine, de peintures, de vêtements. L'avantage de ce procédé est qu'il ne nécessite pas d’électricité et peut donc être utilisé partout, même dans des sites isolés (Voir The University of Queensland).

En 2023, des chercheurs de l’Université de la Colombie-Britannique, à Vancouver, ont développé un matériau qui, grâce à un procédé électrochimique, peut absorber et détruire les PFAS dans l’eau. Les PFAS sont ensuite détruits par "oxydation électrochimique", un processus qui repose sur l'utilisation d'un courant électrique dans l'eau, qui génère des "radicaux hydroxyle" très réactifs qui vont oxyder et neutraliser les molécules de PFAS. Cette nouvelle technique de traitement de l'eau pourrait également permettre d'éliminer d'autres contaminants nocifs des sources d'eau, tels que les résidus pharmaceutiques et les microplastiques. Lors de tests en laboratoire, ce procédé a permis d'éliminer 99,9 % des PFAS des échantillons d'eau. Le Professeur Arjmand, chercheur à l'École d'ingénierie de l'UBC, affirme que cette technologie est bien supérieure aux méthodes de filtration conventionnelles. Selon lui, cette méthode est plus efficace, plus rapide et plus rentable que toutes les solutions existantes pour l'élimination des PFAS. Un photoréacteur à l’échelle pilote est actuellement en construction à Vancouver et devrait être opérationnel, dans quelques semaines, au printemps 2025 (Voir Science Direct).

En juillet 2024, des chercheurs de l'université de Californie à Riverside (UCR, États-Unis) ont identifié des bactéries capables d'effectuer une défluoration réductrice des structures PFAS. Les chercheurs précisent qu'ils ont identifié les enzymes spécifiques de ces bactéries du genre Acetobacterium essentielles à la rupture des liaisons carbone-fluor. Ces scientifiques espèrent pouvoir sélectionner ou améliorer ces enzymes pour les rendre plus efficaces et les utiliser à l'échelle industrielle (Voir University of California).

En mars 2024, des chercheurs danois ont découvert qu’un médicament contre le cholestérol permet de réduire la quantité de "polluants éternels" dans le sang de 60 % en trois mois. Dans cette étude, les chercheurs ont réuni 45 participants qui présentaient des taux élevés d'acide perfluorooctane sulfonique (PFOS, une molécule appartenant à la famille des PFAS) plus élevés que la normale. Cette étude en double-aveugle contre placebo a montré que la quantité de PFAS dans le sang des personnes ayant pris le médicament, a diminué. « L’effet du traitement se traduit par une baisse du taux de fer dans le plasma de 63 %, grâce au traitement », souligne Morten Lindhardt, médecin à l’hôpital d’Holbaek et responsable de l’étude. Les chercheurs ont estimé que le médicament anti-cholestérol permettait d’éliminer les polluants du sang 20 fois plus vite. Cette étude précise toutefois qu'il n'est pas envisageable de proposer ce médicament à l'ensemble de la population mais qu'il pourrait être proposé à certains groupes à risque, comme les femmes enceintes ou les travailleurs exposés à ces substances.

On le voit, la recherche est très active dans ce domaine des polluants éternels et espère parvenir à proposer un ensemble de solutions efficaces, et économiquement supportables, qui permettront dans un proche avenir de retraiter et de neutraliser ces PFAS. Mais il existe à présent un large consensus au sein de la communauté scientifique pour souligner que ce retraitement et cette élimination, qui devront sans doute combiner différentes techniques chimiques, physiques ou thermiques, n'auront de sens que s’ils s’accompagnent de l'interdiction générale, partout dans le monde, de la production et de l'utilisation massive de ces PFAS. Au-delà du futur durcissement de la législation européenne, il est donc souhaitable que notre pays prenne des initiatives pour favoriser la signature d'un traité international à valeur contraignante, prévoyant l'interdiction des ces substances très nocives et très difficiles à éliminer.

Il faut également constituer au plus vite une alliance scientifique mondiale qui coordonne les recherches transdisciplinaires, tant fondamentales qu'industrielles, visant à mettre au point de nouvelles techniques d'élimination et de neutralisation de tous ces PFAS, mais également à concevoir, grâce aux puissants moyens de modélisation informatique dont nous disposons à présent, des molécules et matériaux qui puissent se substituer à ces PFAS, sans présenter d'effets nocifs pour l'environnement et la santé. Si nous ne voulons pas que ces PFAS deviennent un scandale sanitaire d'une ampleur comparable à celui de l'amiante, dont nous payons encore les lourdes conséquences humaines, nous devons faire preuve d'une volonté politique inflexible, sur le long terme, pour nous débarrasser définitivement de ces "polluants éternels" en ayant bien à l'esprit que le coût de leur élimination ne fera que grandir avec le temps et sera toujours bien moins élevé que celui de l'inaction qui consisterait à continuer d'utiliser pendant des décennies ces substances toxiques, dans une approche purement économique, et sans prendre en compte leur coût humain, social et environnemental gigantesque.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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