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Edito : L'eau : moteur irremplaçable et universel de la vie
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On sait que notre Planète, vieille de 4,5 milliards d’années, abrite la vie depuis au moins 3,8 milliards d’années. Lorsque les tout premiers organismes vivants sont apparus sur notre Planète, celle-ci avait une température de 40 à 85° et une atmosphère bien différente de celle d’aujourd’hui, composée essentiellement de méthane, d’ammoniac, de vapeur d’eau, de gaz carbonique et d’hydrogène sulfuré… Et pourtant, l’eau, apparue seulement 100 millions d’années après la formation de notre Planète, était déjà présente en abondance. Mais un mystère insondable demeure : comment, dans cet environnement tourmenté et dans cette « soupe primitive chaotique se sont constituées les premières molécules prébiotiques puis sont apparus les premiers organismes dotés de cette fabuleuse propriété que l’on appelle la vie.
Tout au long du XIXe siècle, les scientifiques ont progressivement découvert les composés chimiques nécessaires au passage d’une matière inerte à une matière vivante. Il s’agit des 22 acides aminés (sur une centaine) codés par le génome des organismes vivants et capables de réaliser la synthèse des protéines. En 1953, alors que James Watson et Francis Crick découvraient la structure en double hélice de l’ADN, le chimiste américain Stanley Miller réalisa à Chicago, pour sa thèse de doctorat, une expérience devenue légendaire : à partir d’une soupe primordiale composée d’eau, de méthane, d’ammoniac et d’hydrogène soumise à des arcs électriques simulant des éclairs dans l’atmosphère terrestre, il réussit à obtenir et à observer la formation de 13 des 22 acides aminés. Cette avancée scientifique majeure jeta un premier pont entre la chimie de l’inerte et celle du vivant. Mais cette première étape ne faisait que lever un minuscule coin du voile du mystère qui recouvre l’apparition de la vie sur Terre.
Comment, en effet, expliquer que les atomes se soient assemblés en structures de plus en plus complexes : molécules organiques, comme les acides aminés, nucléotides, acides nucléiques (ADN et ARN) pour permettre, enfin, la naissance des premiers organismes vivants ?
En février 2013, dans un article sur la structure interne de l'eau liquide, publié dans Nature Communications, T. D. Kühne et R. Z. Khaliullin ont publié une étude très intéressante portant sur la dynamique des liaisons hydrogènes de l'eau. Si ces chercheurs se sont intéressés à ce phénomène des liaisons hydrogènes, c’est parce qu’il permet de solubiliser de nombreuses substances chimiques et qu’il est impliqué dans les processus biologiques fondamentaux : la double hélice de l’ADN n’aurait pas sa structure spatiale si caractéristique sans ces liaisons hydrogènes et il est à présent établi scientifiquement que les propriétés tout à fait singulières de ces liaisons hydrogènes confèrent à la molécule d’eau un rôle-clé dans l’apparition de la vie (Voir Nature Communications).
Ces liaisons hydrogènes permettent en effet d’établir des liens durables et stables entre de nombreuses molécules qui confèrent également à l’eau des propriétés énergétiques tout à fait particulières. Ce sont notamment ces liaisons qui expliquent que l’énergie nécessaire pour élever de 1°C la température d’un gramme d’eau liquide est plus importante que pour les autres molécules organiques. Ce sont encore ces liaisons qui rendent l’eau très stable et font que l’eau est à l’état liquide à température ambiante, alors que des molécules similaires sont dans les mêmes conditions thermiques à l’état gazeux. Ce sont toujours ces liaisons hydrogènes qui font que, contrairement à la grande majorité des composants chimiques sur Terre pour lesquels l’état solide est plus dense que l’état liquide, on observe l’inverse pour l’eau, ce qui permet aux glaçons de flotter dans notre verre…
En combinant l’utilisation d’une méthode de simulation dynamique et d'un laser à impulsion permettant d'observer en temps réel les mouvements des atomes et des molécules, T. D. Kühne et R. Z. Khaliullin ont montré que les liaisons hydrogènes existantes entre les molécules d'eau n’étaient pas équivalentes et que l’une de ces liaisons avait une énergie deux fois plus forte que l'autre (une molécule d'eau peut établir jusqu'à quatre de ces liaisons hydrogènes). Cette hétérogénéité des liaisons hydrogènes est une découverte majeure qui pourrait permettre de mieux comprendre certains processus et mécanismes biologiques.
Mais une autre étude, très récente, du chercheur anglais John Sutherland (Voir Nature Chemistry) mérite également d’être soulignée. Il y a six ans, cet éminent scientifique était parvenu à produire, à partir de molécules très simples, deux des quatre types de ribonucléotides dont l'enchaînement forme les brins d'ARN. À présent, il vient de réussir dans ses dernières recherches à produire également une dizaine d'acides aminés, les briques élémentaires qui forment les protéines, par des procédés similaires.
Pour obtenir ce surprenant résultat, Sutherland a utilisé un mélange composé d’eau, de sulfure d'hydrogène (H2S) et de cyanure d'hydrogène (HCN), deux molécules qui étaient sans doute présentes dans l’atmosphère en grande quantité lorsque la vie est apparue sur Terre. En exposant ce mélange à un rayonnement UV, Sutherland a réussi à obtenir à la fois des acides aminés et des ribonucléotides. L’étude précise toutefois que ces réactions n’ont rien d’automatique et suppose des conditions physico-chimiques locales bien précises. Certaines de ces réactions ne peuvent s’effectuer par exemple que dans des flaques isolées les unes des autres mais il est très probable que ces conditions particulières ont bien été réunies localement sur Terre lorsque la vie est apparue.
Mais John Sutherland n’a pas seulement réussi à fabriquer les composants de base de l'ARN et des protéines: il a aussi identifié une troisième chaîne de réactions chimiques produisant un précurseur des lipides. Ces travaux remarquables pourraient permettre d’expliquer comment l'ARN a réussi à devenir fonctionnel en s’isolant de l’environnement dans une enveloppe cellulaire constituée de lipides. Sutherland pense que les lipides, les protéines et les ARN, trois des constituants fondamentaux et interdépendants de la vie pourraient s'être formés en même temps, à partir de précurseurs communs.
Mais dans ce fascinant puzzle de la genèse de la vie qui prend forme peu à peu, reste à élucider une autre étape essentielle : comment, en amont de ce processus qui va de la matière inerte à la vie, les atomes ont-ils pu s’assembler pour finir par former des structures complexes et pérennes qui sont devenues les premiers organismes vivants. En janvier 2014, une équipe de recherche internationale, dirigée par Andrew Griffiths, de l’Université de Strasbourg, a proposé une nouvelle explication fascinante qui pourrait permettre de mieux comprendre l’apparition du vivant (Voir Nature).
Selon ces travaux, l’énergie nécessaire à l’assemblage des premiers êtres vivants viendrait de l’eau elle-même. Ces chercheurs ont en effet montré, grâce à un remarquable dispositif expérimental utilisant la microfluidique, qu’en insérant dans une goutte d’eau deux molécules simples, il est possible d’obtenir la formation spontanée de molécules beaucoup plus complexe sans aucun apport d’énergie extérieure ! La source d’énergie mise en œuvre dans ce surprenant phénomène n’est autre en effet que la « tension de surface », une énergie connue depuis plus de deux siècles.
Concrètement, ces scientifiques ont provoqué le mélange, dans des microgouttelettes d’eau, de molécules d’aldéhydes et d’amines dans leur dispositif microfluidique et ont observé qu’en cassant ce mélange à l’aide d’un micro jet d’huile, on obtenait in fine la formation de molécules complexes d’imines (un composé organique caractérisé par une double liaison carbone-azote) en quantité 45 fois plus importante que ne le prédisait l’équilibre habituel de cette réaction chimique.
L’observation fine de cette surprenante réaction a montré que la structure de la paroi des gouttes d’eau joue un rôle crucial dans cette production inattendue de molécules complexes. Il semble en effet que les molécules d’eau constituant ces gouttes, faute de pouvoir se lier à des structures externes, concentrent toute leur énergie sur leurs homologues avec lesquels elles établissent des liaisons très fortes.
Ce processus crée une tension telle, sur l’ensemble de la surface de la goutte d’eau, que celle-ci devient dominante et parvient à attirer les atomes des molécules d’aldéhydes et d’amines. Fait remarquable, c’est bien la surface de la goutte et sa géométrie et non une différence de pression ou un échange avec l’huile qui provoquent la modification et l’amplification de cette réaction en forçant ces deux acides aminés à fusionner, à une fréquence bien plus grande qu’elles n’auraient dû le faire, pour former une molécule complexe.
Ce mécanisme remarquable par sa simplicité, son efficacité et son élégance expliquerait donc pourquoi, malgré un environnement thermodynamique initial défavorable aux réactions chimiques, ce saut décisif a pu s’effectuer et a provoqué, contre toute attente, l’agrégation de molécules organiques de plus en plus complexes qui ont fini par s’autorépliquer, ce qui marque la naissance du vivant.
Enfin, il y a quelques jours, une équipe internationale de recherche, regroupant notamment l’IBS1, le CEA, le CNRS et l’Institut Laue-Langevin, a mis en lumière le rôle de l’eau à l’échelle moléculaire. Ces scientifiques ont découvert que le mouvement des molécules d’eau à la surface des protéines jouait un rôle majeur pour rendre celles-ci dynamiques et donc fonctionnelles (Voir Nature Communications).
En se focalisant sur l’observation du mouvement des molécules d’eau à la surface des protéines, ces travaux ont montré que la température constituait un facteur majeur dans ce processus puisqu’elle détermine le mouvement des molécules d’eau et par voie de conséquence l’activité des protéines.
Grâce à des techniques de pointe qui permettent de visualiser les mouvements des molécules d’eau, les chercheurs ont pu établir qu’à une température inférieure à - 30°C elles possèdent un mouvement de rotation sur elles-mêmes, ce qui a pour effet de rendre les protéines inactives. En revanche, lorsque la température est supérieure à - 30°C, ces molécules d’eau continuent à tourner sur elles-mêmes mais commencent à exercer une diffusion translationnelle, ce qui provoque l’activité des protéines. Ces recherches montrent donc que ce sont bien les propriétés de diffusion de l’eau à la surface des protéines qui activent ces dernières.
Il est tout à fait passionnant de constater qu’en quelques mois plusieurs études scientifiques très solides ont montré de manière convergente que les processus initiaux ayant conduit à l’apparition de la vie sur Terre, mais également les mécanismes biologiques fondamentaux régissant le fonctionnement cellulaire, étaient liés de manière consubstantielle aux singulières propriétés physiques, chimiques et énergétiques de l’eau, tant au niveau atomique que moléculaire.
À l’échelle de l’Univers, quatre conditions au moins sont nécessaires pour que la vie, telle que nous la connaissons, puisse apparaître : de l’eau liquide, du carbone, une atmosphère et enfin une source d’énergie. On sait aujourd’hui que ces conditions sont très probablement réunies sur de nombreuses exoplanètes et une étude publiée il y a deux mois et réalisée par des chercheurs de l’Université nationale australienne estime, à partir d’une réévaluation du nombre total de planètes contenues dans la Voie lactée, que les planètes potentiellement habitables de notre galaxie ne se comptent pas par centaines de millions mais par centaines de milliards…
Cette potentialité du vivant dans l’Univers vient d’ailleurs d’être confirmée il y a deux jours avec la découverte, pour la première fois, autour de l’étoile MWC 480, située à 455 années-lumière de la Terre, de la présence de molécules organiques complexes d’acétonitrile (cyanure de méthyle, CH3CN), à des concentrations similaires à celles des comètes du système solaire... "L’étude des comètes et des astéroïdes montre que la nébuleuse solaire qui a engendré le Soleil et les planètes était riche en eau et en composants organiques complexes" note Karin Öberg, astronome et auteur principal de l’étude. "Nous avons maintenant des preuves que cette chimie existe ailleurs dans l’Univers" (Voir ESO).
Si l’on considère ce rôle fondamental de l’eau dans l’apparition et le fonctionnement du vivant, on comprend mieux pourquoi les grands mythes fondateurs des différentes civilisations ont toujours fait de l’eau un élément central et reposent sur l'idée d'un « océan primordial » d’où ont jailli la vie et l’homme. Plus que jamais, l’eau, substance essentielle et insaisissable du vivant, mérite son statut symbolique si particulier et reste pour l’homme un extraordinaire objet d’étude et de fascination.
René TRÉGOUËT
Sénateur Honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
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- Publié dans : Biologie & Biochimie
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Jean Martinez
1/01/2016Avec toutes ses connaissances sur l'eau,
il est regrettable de la malmenée comme nous le faisons depuis quelques dizaines d'années.
Pour un monde meilleur, nous devons apprendre à la respecter.
Bonne Année 2016 a tous.