RTFlash

Edito : L'avenir passe par la puissance de calcul

La connaissance du génome humain combinée à l'informatique et à l'électronique ouvre d'immenses perspectives de mise au point de traitements du futur pour des maladies aussi diverses que celles du cerveau, les diabètes ou la tuberculose, ont expliqué des chercheurs réunis à Denver (Colorado), dans le cadre de la réunion annuelle de l'Association américaine pour les Progrès de la Science. (voir article de l'AAAS http://www.eurekalert.org/pub_releases/2003-02/aaft-nsa020303.php). Mais rien de tout cela ne serait possible sans la puissance de calcul conférée par l'informatique, face aux trois millions de lettres composant le génome et aux milliards de cellules du corps humain, chacune réglée par des milliers de gènes qui interagissent et changent de rôle, d'une cellule à l'autre et d'un instant à l'autre, ont expliqué les scientifiques. "Le but du séquençage du génome humain était de définir les gènes, le but de la phase suivante est de déterminer comment ces gènes, et les protéines qu'ils encodent, sont interconnectés, comme des circuits intégrés dans les cellules", a expliqué Trey Ideker. Pour découvrir ces interconnexions, les chercheurs ont recours à des mini-laboratoires de la taille d'un timbre poste, appelés "microréseaux ADN", "puces ADN" ou encore "biopuces", capables de fournir la carte d'identité de tout gène exprimé par une cellule prélevée sur un patient. C'est grâce à ces biopuces que les chercheurs tentent de comprendre le rôle joué par certains gènes dans des maladies infectieuses ou dégénératives, pour mettre au point les traitements du futur. La puce ADN peut contenir plusieurs milliers de sondes moléculaires dont la séquence nucléotidique est connue. Ces sondes sont placées sur la puce (faite de verre, silicium ou polymère) pour reconnaître leurs séquences nucléotidiques complémentaires, si elles sont présentes dans l'échantillon génétique testé. Puis l'analyse de la puce permet aux chercheurs de savoir quels gènes étaient actifs dans cet échantillon et de quelle nature était leur activité. Des chercheurs de la faculté de médecine Johns Hopkins et du Kennedy Krieger Institute ont rapporté avoir identifié, grâce à la puce ADN, certaines expressions génétiques associées à l'autisme, à la trisomie 21 et à d'autres maladies. "Une grande question des maladies du cerveau est de savoir pourquoi le patient souffre de tels déficits. Si nous arrivions à comprendre quels gènes sont anormalement exprimés, cela nous fournirait des marqueurs et des cibles thérapeutiques", a expliqué le professeur Jonathan Pevsner. Eric Hoffman, de l'hôpital pour enfants de Washington, utilise les biopuces pour étudier notamment la région de la cellule dans laquelle un nerf touche une cellule musculaire, dans l'espoir de découvrir un traitement pour la maladie de Lou Gehrig (ou maladie de Charcot) et l'amyotrophie spinale. Le Dr Hoffman étudie également un groupe de personnes qui ont de fortes probabilités de développer un diabète de type 2. Par l'étude des gènes exprimés dans leurs cellules musculaires, il espère mettre au point un traitement pour prévenir les problèmes circulatoires chez les diabétiques. La puce ADN a déjà permis à Gary Schoolnik, de l'université de Stanford, de découvrir des gènes clés dans la bactérie responsable de la tuberculose, permettant à cet agent pathogène de s'adapter à son hôte, l'homme, pour l'infecter. Cette bactérie, a-t-il expliqué, peut se cacher dans des cellules humaines et demeurer silencieuse pendant des années avant de se réveiller pour provoquer la maladie. Mais si la puce ADN offre des promesses sans limite, l'exploitation des données qu'elle fournit doit encore être améliorée par le stockage et le partage des informations dans d'immenses banques de données que tous les chercheurs pourraient consulter. C'est là qu'interviennent les fantastiques progrès de l'électronique et de l'informatique : actuellement l'ordinateur le plus puissant du monde, l'Earth Simulator de NEC, traite 35 téraflops, c'est-à-dire 35000 milliards d'opérations par seconde mais d'ici 2010 la recherche en bioinformatique disposera de machines d'une puissance inimaginable de 1 pétaflop : 1000 téraflops, soit un million de milliards d'opérations par seconde. Mais avant même l'arrivée de ces "hyperordinateurs" qui pourront analyser en temps réel des processus biologiques d'une complexité inouïe, le nouveau concept de "grille informatique" est en train de révolutionner la recherche biologique et médicale en démultipliant de plusieurs ordres de grandeur la puissance de calcul immédiatement disponible. En France, le décrypton, lancé le 11 mars 2002, a permis, en fédérant 75 000 ordinateurs personnels, d'effectuer en seulement 7 semaines un énorme travail de comparaison de plus de 500.000 protéines. Aux Etats-Unis, une équipe de l'université californienne de Stanford a réussi, en octobre 2002, à simuler la formation d'une protéine grâce à des dizaines de milliers d'ordinateurs individuels reliés en réseau. Conscient de l'importance stratégique de ce concept de grille informatique, la Fondation Nationale pour la Science (NSF) a commencé à installer le matériel nécessaire au TeraGrid, un superordinateur à l'échelle du pays, qui devrait être à la puissance de calcul ce qu'Internet est aux documents. Le TeraGrid représentera la quintessence de ce que l'on appelle la “grille de calcul”. Une fois connecté à la grille, un ordinateur de bureau pourra acquérir la puissance phénoménale de l'ensemble des ordinateurs connectés. Pour le MIT, le TeraGrid représente rien de moins que l'émergence d'une nouvelle infrastructure sur laquelle la science tout d'abord, puis l'économie tout entière, seront bâties. La grille informatique présente l'avantage de fédérer des ressources non-homogènes (Windows, Unix, Linux, etc.) et d'être très fiable car elle permet de stocker les mêmes informations en différents endroits, et de les retrouver systématiquement. Outre Atlantique, le gouvernement américain et les grands sociétés informatiques ont parfaitement compris l'enjeu de ce nouveau concept technologique et n'hésitent pas à affirmer que la puissance de calcul est devenue une arme économique et politique et sera bientôt un indicateur-clé de la puissance d'une nation, au même titre que le PIB. IBM a investi 4 milliards de dollars dans cette technologie. Le premier secteur qui va être révolutionné par ces grilles informatiques est celui des sciences de la vie, de la pharmacie et les biotechnologies. En effet, ce secteur, comme vient encore de le montrer la rencontre annuelle de l'AAAS de Denver, doit stocker, comparer et transmettre des quantités de données de plus considérables issues des recherches sur le génome et sur le protéome humains. Il faut savoir que chaque année, le nombre de données brutes disponibles en biologie est multiplié par deux et comme l'a souligné Bernard Pau, directeur du département des sciences du vivant au CNRS, "L'enjeu culturel de ce siècle sera de traiter les milliards d'informations complexes qui s'offrent aux biologistes depuis le séquençage du génome humain voici trois ans, afin d'envisager une reconstruction de la théorie du vivant". Après la cartographie du génome, les scientifiques se sont en effet attaqués à la cartographie et à la comparaison du protéome qui contient plusieurs centaines de milliers, voire plusieurs millions, de protéines. Mais si l'on veut comparer deux à deux toutes les séquences protéiques disponibles dans les banques publiques, cela représente des milliards de calculs, hors de portée de la plupart des laboratoires de recherche. Pour mettre au point de plus en plus rapidement, à partir de ces immenses quantités d'informations, les médicaments et les thérapies géniques et cellulaires qui demain vaincront le cancer, les maladies neurodégénératives et les pathologies liées au vieillissement, les chercheurs, quels que soient leur nombre et leurs compétences, auront besoin d'ici 10 ans de disposer en permanence d'une puissance de calcul et de simulation et d'une largeur de débit de 100 à 1000 fois plus importante qu'aujourd'hui. Dans une telle perspective, il faut bien comprendre que biologie, médecine et informatique vont devenir, via l'Internet, absolument indissociables, formant un nouveau continuum de recherche pluridisciplinaire : la bioinformatique. Voilà pourquoi il est si important de préparer aujourd'hui les réseaux et les outils informatiques si nous voulons que la France effectue sa mutation vers l'économie immatérielle et reste dans la compétition numérique mondiale à l'aube de la prochaine décennie.

René TRÉGOUËT

Sénateur du Rhône

Noter cet article :

 

Recommander cet article :

back-to-top