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Edito : L’arrivée des éoliennes marines géantes et flottantes change la donne énergétique
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Selon les derniers chiffres de l’AIE, la production énergétique mondiale - ou énergie primaire - a doublé depuis 1980, passant de 7 à 14 milliards de tep, dont 81 % sont encore issus des énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz). Quant à la production électrique mondiale, elle représente aujourd’hui 20 % de cette production d’énergie, contre seulement 10 % en 1980. Il en résulte que cette production électrique a triplé depuis 40 ans, pour atteindre aujourd’hui plus de 22 000 TWh par an et, en dépit de la forte progression des énergies renouvelables depuis 10 ans, les deux tiers de cette production électrique restent assurés à partir des énergies fossiles, fortement émettrices de CO2, responsable du réchauffement climatique. Soulignons également qu’au moins 20 % de l’électricité produite dans le monde (soit environ 4500 TWH par an, l’équivalent de la production électrique des Etats-Unis) sont perdus au cours de sa transformation et de sa distribution et n’arrivent pas jusqu’à l’utilisateur final…
Dans le cadre de la nécessaire transition énergétique que nous imposent à la fois l’épuisement inévitable des ressources fossiles et la lutte contre le changement climatique, notre pays s’était fixé en 2010, à l’occasion du Grenelle de l’environnement, l’objectif ambitieux d’atteindre les 6 000 MW de puissance installée - soit 500 à 600 machines de grande puissance - sous forme d’éolien marin. En 2015, la loi « de transition énergétique » avait confirmé ces objectifs et précisé qu’en 2030, 40 % de notre électricité devraient être issus des énergies renouvelables.
Pourtant, force est de constater qu’aujourd’hui le constat est très décevant dans ce domaine. Bien que la France possède le deuxième gisement d’éolien en mer d’Europe et que le premier appel d’offres concernant la réalisation de parcs offshore remonte à 2011, notre pays ne compte toujours aucune éolienne offshore en activité, alors qu’il en existe désormais plus de 4 000 installées dans dix pays européens. De manière incompréhensible, aucun parc éolien marin ne devrait être opérationnel en France avant la fin du quinquennat, en 2022.
Nos voisins européens ont, en revanche, déjà pris le large et continuent de développer à un rythme soutenu leurs capacités de production éolienne offshore. Selon le bilan annuel de la filière publié il y a quelques jours par l’association du secteur WindEurope, 2017 a été une année record pour l’éolien offshore en Europe. Les pays membres de l’UE, principalement la Grande Bretagne et l’Allemagne, ont installé l’an dernier 3,1 GW supplémentaires, soit une augmentation de 25 % en l’espace d’une année seulement. Treize nouveaux parcs éoliens offshore ont été raccordés, y compris le premier parc éolien offshore flottant au monde en Ecosse.
Comme le souligne Giles Dickson, président de WindEurope, pour expliquer cette croissance, « Investir dans l’éolien offshore aujourd’hui ne coûte pas plus cher que d’investir dans les systèmes plus conventionnels de production d’électricité ». Au total, l’Europe compte aujourd’hui plus de 4000 éoliennes offshore dans onze pays, soit une capacité totale installée et connectée au réseau de 16 GW. Onze autres parcs éoliens offshore sont actuellement en construction, pour une puissance cumulée de 2,9 GW ; la barre des 25 GW devrait être atteinte dès 2020 et l’objectif des 100 GW de puissance installée en éolien marin est envisagé pour 2030, de quoi fournir 20 % de la consommation électrique des ménages européens à cette échéance….
La clé de voute de cette production européenne d’énergie éolienne marine pourrait être le gigantesque projet « Dogger Bank » défendu par TenneT. Ce distributeur d’électricité néerlandais propose de construire une île artificielle à 125 kilomètres au large des côtes britanniques du Yorkshire. Ce complexe, capable d’accueillir un parc éolien de 6.000 km2 deviendrait le plus grand centre de production d’électricité offshore au monde, avec une capacité de 30GW, et permettrait également d’interconnecter tous les parcs éoliens futurs de la mer du Nord.
Pendant ce temps, pour des raisons à la fois industrielles, politiques, administratives et juridiques, les six projets français de parcs éoliens sont encore dans les limbes et la récente décision, au demeurant compréhensible, compte tenu des avancées technologiques majeures, du Gouvernement de renégocier fortement à la baisse les tarifs de rachat de l’électricité qui sera produite par ces parcs éoliens en mer, est venue rajouter de l’incertitude quant à la viabilité économique de ces projets et à leurs délais de réalisation…
Heureusement, l’Agence française pour la biodiversité (AFB) a rendu, il y a quelques semaines, un avis favorable avec réserves sur le projet modifié et amélioré de parc éolien en mer Dieppe-Le Tréport dont la partie nord-est du périmètre est située dans le Parc naturel marin des estuaires picards et de la mer d’Opale. Porté par le groupe Engie et ses partenaires, réunis au sein de la société EMDT, ce projet était contesté pour son impact sur la biodiversité marine de cette zone protégée.
Dans sa décision, l’AFB souligne de manière sage et judicieuse qu’il est possible de concilier la protection des sites et de l’environnement et le développement économique et énergétique d’une région. L’Agence précise que « Le Parc naturel marin des estuaires picards et de la mer d’Opale et l’ensemble des 9 parcs naturels marins français ont vocation à rester des lieux d’expérimentation des projets du futur ». Ce projet prévoit l’installation de 62 éoliennes offshore d’une puissance unitaire de 8 MW à 17 km de Dieppe et 15,5 km du Tréport, sur une profondeur de fond marin variant de -6 mètres à -25 mètres. Avec une puissance totale de 496 MW, le parc devrait produire en moyenne 2 TWh par an, soit l’équivalent de la consommation électrique annuelle de 450 000 foyers, correspondant aux deux tiers de la population de Seine-Maritime.
Bien loin des atermoiements et incohérences sans fin de notre pays, l’Ecosse vient de mettre en service, à 25 kilomètres des côtes de l'Aberdeenshire, le premier parc éolien flottant au monde, « Hywind Scotland », qui a commencé à alimenter, en octobre dernier, le réseau électrique terrestre. Ce parc se compose de cinq éoliennes de 6 mégawatts chacune, hautes de 253 mètres pour capter des vents soufflant en moyenne à 10 mètres par seconde. Mais l’innovation tout à fait décisive de cette installation est que ces machines géantes ne sont pas fixées dans le sol, mais flottent sur la mer ! Conçu et réalisé par la compagnie pétrolière norvégienne Statoil, ce parc éolien marin est capable d'alimenter jusqu'à 20.000 foyers.
Chaque éolienne, d’une hauteur de 235 mètres et d’un poids de 12 000 tonnes, est installée sur un énorme flotteur semi-immergé de 90 mètres de long et 14 mètres de diamètre pesant 3.500 tonnes. Ce cylindre est lesté avec 5.000 tonnes de minerai de fer. Il ne repose pas sur le fond marin mais est relié par des câbles à trois systèmes d'ancrage mesurant chacun 5 mètres de diamètre pour 16 mètres de haut et un poids de 111 tonnes. Ces ancres sont enfoncées dans le sol par succion. Un logiciel gère la flottaison de l'éolienne en jouant sur l'orientation des pales pour assurer un maximum de stabilité. Le parc éolien Hywind Scotland déployé par Statoil s’étend sur une surface d’environ 4 km2 dans des profondeurs variant entre 95 et 129 mètres. Mais ce système très sophistiqué d’arrimage a été conçu de manière à pouvoir installer des éoliennes marines en haute mer, jusqu’à 800 mètres de profondeur.
On comprend immédiatement qu’une telle rupture technologique ouvre des perspectives très prometteuses pour le déploiement de champs éoliens marins, car il élargit considérablement le périmètre d'exploitation et permet d’installer en toute sécurité des machines immenses (plus de 300 mètres de haut), qui peuvent tirer le meilleur parti de vents plus forts et plus réguliers. En outre, cet éolien marin en haute mer supprime le problème lié à l’impact visuel de ces gigantesques machines et réduit très sensiblement les risques de conflits d’usage avec les pêcheurs et les plaisanciers. Selon Statoil, les trois quarts des ressources éoliennes marines seraient en eaux profondes et le recours à des machines moins nombreuses mais plus puissantes et bénéficiant d’un meilleur rendement permettrait de réduire, d’ici à 2030, le coût du kWh produit à moins de 50 euros le MW, le rendant ainsi compétitif par rapport au nucléaire, surtout si l’on intègre le coût considérable du démantèlement des centrales et du stockage des déchets ultimes.
C’est dans ce contexte que GE Renewable Energy, la division énergies renouvelables du géant américain General Electric, a annoncé, il y a quelques jours, la construction de la plus grande et plus puissante éolienne offshore jamais créée : Haliade X. Avec un générateur à entraînement direct de 12 mégawatts (MW), elle devrait pouvoir produire 45 % d'énergie supplémentaire par rapport aux turbines actuellement sur le marché. Culminant à 260 mètres de hauteur, cette turbine géante sera composée d'un rotor de 220 mètres, lui-même équipé de pâles de 107 mètres de long, et disposera d'une envergure de 17.000 m2 (Voir GE).
La technologie utilisée pour le rotor de ces géantes est à entraînement direct de type D, c’est-à-dire sans boîte de vitesse, ce qui facilite la maintenance et en réduit le coût. Par ailleurs, toute son exploitation sera numérisée, ce qui permettra d'optimiser son fonctionnement et ses capacités de production. Ces caractéristiques qui la rendent moins sensible aux variations de vitesse du vent devraient lui conférer un facteur de charge accru de 63 %, supérieur de 10 % à celui des machines actuellement disponibles sur le marché. Au total, une Haliade-X 12MW devrait pouvoir produire 67 millions de kWh d’électricité par an, soit assez d’énergie pour répondre aux besoins totaux de 15 000 foyers européens…
Mais malheureusement, alors que la production de l'Haliade-X sera essentiellement assurée en France, nous ne sommes pas prêts de voir ce géant des mers au large de nos côtes puisque, nous l’avons vu, aucun parc éolien ne devrait être en activité dans nos eaux territoriales avant 2022. Pourtant, malgré ce désolant retard français en matière d’éolien marin, certains visionnaires ont compris que l’immense avenir de l’énergie éolienne se jouerait sur les mers, à condition de relever simultanément trois défis : concevoir des machines beaucoup plus puissantes pour réduire le coût de production de l’électricité, imaginer des solutions techniques audacieuses qui permettent l’installation de ces machines en haute mer, loin des côtes, et enfin développer de nouvelles technologies de stockage (comme le Power-to-Gas) et de transport de l’énergie, (comme l’utilisation de câbles supraconducteurs ou de réseaux à grande échelle à courant continu) pour mettre en phase l’offre et la demande et limiter les pertes considérables entres sites de production et lieux de consommation.
Parmi ceux qui ont compris que l’avenir de l’énergie et de l’éolien se jouerait sur les mers, on trouve la jeune entreprise Eolink, fondé en 2015 à Brest par Marc Guyot, qui travaille sur un projet d'éolienne flottante à quatre mâts, permettant une meilleure stabilité grâce à une répartition des contraintes. Un prototype au 1/10e, haut de 22 mètres, va être testé en mer au printemps.
En taille réelle, cette éolienne flottante géante, soutenue activement par l’Ifremer, aura une puissance de 12 mégawatts, équivalente à celle de l’Haliade X, non flottante, et deux fois plus élevée que les machines flottantes récemment installées en Ecosse par Statoil, sur le site d'Hywind. Selon Eolink, les premières éoliennes flottantes géantes pourraient être commercialisées en 2021, pour un coût unitaire qui sera de l'ordre de 20 millions d'euros, soit 50 % de moins que les éoliennes écossaises d’Hywind…
Sachant que seize de ces monstres des mers suffisent à produire, en moyenne annuelle, 1 TWh d’électricité, on estime, si l’on tient compte des inévitables pertes liées au transport et à la distribution, que 800 de ces éoliennes géantes flottantes pourraient fournir, à elles seules, le quart des besoins en électricité (soit environ 41 TWH) des foyers français à l’horizon 2030, et 1000 de ces machines de nouvelle génération pourraient produire, à l’horizon 2040, plus de 10 % de l’électricité consommée dans notre pays, c’est-à-dire l’équivalent de toute la production hydroélectrique annuelle moyenne de la France.
Au niveau mondial, si l’on prend comme référence une moyenne des différentes prévisions de l’AIE, environ 35 000 TWH par an de consommation électrique à l’horizon 2040, on peut calculer qu’il suffirait d’environ 70 000 éoliennes marines géantes de 12 mégawatts pour produire (en tenant compte des pertes liées à la distribution) 10 % de l’électricité qui sera consommée dans le monde à cette échéance, c’est-à-dire une part équivalente (mais plus importante en valeur absolue, compte tenu de l’augmentation de la consommation électrique mondiale) à celle assurée aujourd’hui par l’énergie nucléaire au niveau mondial.
Quant à l’empreinte carbone de la filière éolienne, l’ADEME l’estime, en considérant l’ensemble du cycle de vie, à moins de 15g CO2eq/kWh, contre 55g CO2eq/kWh pour la filière photovoltaïque, 418 gCO2eq/kWh pour le gaz, 730 gCO2eq/kWh pour le fioul et 1060 gCO2eq/kWh pour le charbon. L’éolien est donc, de très loin, le mode de production d’énergie le moins émetteur de CO2 : il émet notamment 66 fois moins de CO2 que le charbon pour produire un kWh d’électricité…
Or, on le sait, le charbon continue encore aujourd’hui à assurer 40 % de la production électrique mondiale, c’est-à-dire 8 800 TWh par an. Si d’ici 2040, on parvenait à faire passer de 40 à 30% la part du charbon dans la production électrique mondiale, objectif réaliste, et à monter à 10 % la part total de l’éolien (marin et terrestre) dans cette production, on pourrait réduire de 8,5 gigatonnes (sur la base d’une estimation volontairement très prudente) les émissions de CO2 liées à la production d’électricité. Pour mieux se rendre compte de l’ampleur d’une telle réduction, elle correspond à plus de 20 % des émissions mondiales de CO2, ou encore à plus de 80 % des émissions actuelles de la Chine, premier émetteur mondial de carbone.
On le voit, le développement de l’éolien marin de nouvelle génération (flottant et de très grande puissance) est donc susceptible d’apporter une contribution tout à fait décisive, si nous voulons parvenir à réduire de moitié - soit environ 18 gigatonnes par an - nos émissions humaines annuelles de carbone d’ici le milieu du siècle, et parvenir ainsi à limiter les effets dévastateurs du changement climatique en cours.
Dans une telle perspective, il faut absolument que notre pays, avec ses quatre façades maritimes, ses 3 430 km de côtes et son immense domaine maritime de 11 millions de km2, se donne les moyens de devenir leader mondial dans cette rupture technologique, industrielle et économique majeure que représente l’éolien marin de nouvelle génération. Espérons que nos dirigeants sauront faire preuve d’une volonté politique sans faille et regarder vers le grand large pour relever ce grand défi de société.
René TRÉGOUËT
Sénateur Honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
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