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Edito : L’ARN : prochaine révolution médicale ?
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C’est en 2001 que le biologiste allemand Thomas Tuschl a réussi à appliquer pour la première fois dans une cellule de mammifère la technique d’interférence par ARN appelée ARNi. Depuis cette date, cette découverte a ouvert la porte à des traitements ciblés sur certains gènes, en bloquant leur expression sans déclencher la défense naturelle d’interféron de la cellule. Grâce à ces ARNi, il devenait enfin possible de bloquer l’action de certains gènes défectueux sans provoquer la mort de la cellule.
Connu depuis un quart de siècle, ce fascinant mécanisme d’interférence par ARN a d’abord été décrit en 1998 par deux chercheurs Américains, Andrew Fire et Craig Mello, sur les vers caenorhabditis elegans. Leurs travaux leur ont valu le Nobel de médecine en 2006. Mais chez les mammifères, les techniques utilisées à l’époque provoquaient la mort de la cellule et il fallut donc attendre les travaux de Tuschl, sur la mouche drosophile, pour découvrir que les petits ARN interférents (pARNi), recombinés avec les ARN messagers, avaient pour effet de bloquer l’expression de certains gènes, le plus souvent en bloquant la production de protéine.
Comme le souligne Mariola Fotin-Mleczek, biologiste chez CureVac GmbH : "L’ARN messager est une molécule fascinante. Elle semble avoir été conçue par la nature pour servir d’agent thérapeutique et nous fournit un plan de construction pour nos cellules. De ce fait, nous n’avons pas besoin de modifier chimiquement cet ARN. Nous recherchons des éléments naturels que nous allons insérer dans l’ARN afin d’améliorer les propriétés de cette molécule."
En 2014, ces travaux ont remporté le tout premier « Prix Horizon », attribué par l’Union Européenne et récompensant des travaux à l’origine d’avancées majeures dans le domaine de l’innovation scientifique en Europe. Maintenant, ce laboratoire allemand et son Président, Ingmar Hoerr, ont décidé d’appliquer leurs découvertes à la mise au point d’un vaccin contre le cancer de la prostate.
D'autres travaux de recherche associant des chercheurs du CNRS, de l'UVSQ et de l'Inserm au sein du laboratoire END-ICAP , en collaboration avec une équipe de l'Université de Berne, ont démontré le potentiel thérapeutique d'une nouvelle classe d'oligonucléotides de synthèse pour le traitement de la myopathie de Duchenne à l’aide d’ARN. Testée chez la souris, cette nouvelle génération de molécules s’est avérée cliniquement supérieure à toutes celles en cours d'évaluation chez ces malades, notamment au niveau de la récupération des fonctions cardiaque et respiratoire et du système nerveux central.
La dystrophie musculaire de Duchenne (DMD) est causée par des mutations qui affectent le gène codant pour la dystrophine, une protéine indispensable au bon fonctionnement des cellules musculaires. Cette pathologie très invalidante reste incurable jusqu’à présent. Ces chercheurs travaillent sur l'utilisation thérapeutique de petites séquences d'oligonucléotides antisens (AON), capables de se lier et d'agir spécifiquement sur des ARN messagers, et de permettre la synthèse d'une protéine manquante.
Ces scientifiques ont mis au point de nouveaux nucléotides pour la synthèse des AON : les tricyclo-DNA (tcDNA), qui s'hybrident avec les ARN cibles et vont entraîner l'excision d'un fragment de l'ARN. Cette opération permet d’agir directement sur le gène défectueux et de produire une forme dystrophine fonctionnelle.
Administré par voie intraveineuse pendant trois mois, ce nouveau traitement a permis, chez la souris, d’obtenir une amélioration très significative de la fonction musculaire et surtout des fonctions respiratoire et cardiaque. Les premiers essais chez l'homme devraient commencer dans deux ans et ouvrent un immense champ de recherche et d’espoirs thérapeutiques pour de très nombreuses maladies génétiques, aujourd’hui sans traitements satisfaisants.
Mais une autre approche, dérivée d'un mécanisme de défense bactérien, suscite également de grands espoirs et enthousiasme la communauté scientifique. Il s’agit d’une nouvelle technique de suppression et d'insertion de gènes qui porte le nom abscons de « CRISPR-Cas9 ». Depuis 2013, plusieurs équipes à travers le monde ont montré que cet outil CRISPR-Cas9 était d’une redoutable efficacité pour modifier le génome de nombreux types de cellules, tant chez les bactéries que chez les plantes ou chez les animaux. L’année dernière, cette technique a franchi deux nouvelles étapes importantes : d’une part, elle s’est avérée utilisable sur des primates. Mais surtout, elle a permis de corriger des maladies génétiques in vivo sur des souris.
C’est en 1987 qu’une équipe de recherche japonaise de l’Université d’Osaka, dirigée par Atsuo Nakata, a découvert des séquences d'ADN répétitives dans le génome de bactéries Escherichia coli. Ces scientifiques ont observé que certaines parties de ces séquences étaient constituées de suites identiques des quatre « lettres » constitutives de l'ADN et pouvaient être « lues » dans les deux sens, comme des palindromes.
En 2005, d’autres chercheurs montrèrent que les fragments d'ADN insérés entre ces palindromes sont en fait des séquences d'ADN de virus qui agiraient comme une sorte de système immunitaire, capable non seulement de garder la mémoire d'une agression par un virus ou une séquence d'ADN étrangère, mais également de « reconnaître » cet agresseur s’il essayait d’envahir à nouveau la bactérie.
Ces « CRISPR » fonctionneraient donc comme des espèces de vaccin mais il restait à comprendre leurs mécanismes intimes d’action. C’est une équipe suédoise, dirigée par une chercheuse française, Emmanuelle Charpentier, qui a montré que chaque séquence CRISPR contient de l'ADN viral dont les ARN vont se lier à une enzyme découpeuse d'ADN nommée Cas9. Si cette structure rencontre l'ADN correspondant d'un virus dans la cellule, la Cas9 le coupe en deux. Ce système remarquable permet donc de détecter facilement une séquence d'ADN particulière puis de la découper avec précision.
L’un des atouts majeurs de cet outil CRISPR-Cas9 est la rapidité, liée à la simplicité du système. « La mise au point d'une cible spécifique pour un gène particulier ne prend que deux semaines au plus, contre un à deux mois avec les autres méthodes », souligne Tuan Huy Nguyen, chercheur Inserm au Centre de recherche en transplantation et immunologie (CRTI) de Nantes. Mais il y a plus : l’utilisation de CRISPR-Cas9 coûte également dix fois moins cher que les techniques concurrentes…
En janvier 2013, plusieurs équipes ont annoncé qu’elles avaient réussi à détruire des gènes cibles dans des cellules humaines et depuis, il ne se passe pas de semaine sans que des chercheurs n’annoncent qu’ils sont parvenus à modifier à l’aide de cet outil révolutionnaire des gènes d'organismes variés : bactéries, levures, riz, mouches, nématodes, poissons-zèbres, rongeurs, etc. En outre, certaines recherches actuelles montrent que Cas9 peut permettre, selon la façon dont il est utilisé, de bloquer l’expression du gène cible ou, au contraire, d’activer son fonctionnement.
L’année dernière, cet outil a franchi deux caps importants : tout d’abord, il a montré son efficacité sur des primates. Ensuite, il a fait la preuve de sa capacité à corriger des maladies génétiques sur des souris. Le premier résultat a été présenté il y a un an par Jiahao Sha, de l'Université médicale de Nanjing, en Chine. Son équipe a injecté, dans des embryons de macaques asiatiques constitués d'une seule cellule, cinq ARN guides conçus pour cibler simultanément cinq zones réparties sur trois gènes particuliers, ainsi que le matériel génétique nécessaire à la synthèse de Cas9.
Résultat : chez huit embryons ainsi traités, CRISPR-Cas9 a effectivement déclenché une action sur deux des trois gènes cibles. Les scientifiques chinois ont alors reproduit cette opération sur 86 autres embryons qu'ils ont transférés dans 29 femelles porteuses. Finalement, une seule femelle est arrivée à terme et a donné naissance à des jumeaux chez lesquels CRISPR-Cas9 a également actionné simultanément deux des trois gènes.
"Ce résultat montre que CRISPR-Cas9 pourrait être utilisé pour produire des primates modèles de maladies humaines, ce qui constituerait une avancée majeure en biologie", précise Tuan Huy Nguyen. Fait important, ces chercheurs n'ont constaté aucune mutation sur le reste du génome, ce qui est un signe de bonne augure dans la perspective d’une prochaine utilisation de CRISPR-Cas9 pour corriger des cellules humaines malades in vitro, avant de les réimplanter aux patients.
Autre avancée très prometteuse : en mars 2014, une équipe de l'Institut de technologie du Massachusetts, aux États-Unis, a également démontré le potentiel médical de CRISPR-Cas9 en utilisant cet outil sur des souris pour corriger une maladie génétique incurable du foie, liée à une mauvaise dégradation d’un acide aminé, la tyrosine. Les chercheurs ont injecté à des souris malades trois ARN guides ciblant trois séquences d'ADN liées à la mutation, le gène de la Cas9 et enfin le gène sain.
Le résultat a été spectaculaire puisque les cellules du foie, les hépatocytes, ont correctement incorporé le gène sain à la place du gène déficient. Un mois après ces injections, ces cellules redevenues saines ont commencé à proliférer et à remplacer les cellules malades, pour finalement représenter environ un tiers de tous les hépatocytes, soit une proportion suffisante pour que les souris survivent malgré l'arrêt du médicament qui réduit la production de tyrosine…
En août dernier, d’autres chercheurs de l'Université du Texas, aux États-Unis, ont utilisé CRISPR-Cas9 pour s’attaquer à une autre maladie génétique très grave : la myopathie de Duchenne. Cette pathologie, qui se caractérise par une dégénérescence des muscles, est provoquée par des mutations sur le gène codant la dystrophine, protéine indispensable au bon fonctionnement des fibres musculaires. Ces travaux ont été réalisés sur de jeunes embryons de souris juste après fusion de l'ovule et du spermatozoïde, chez lesquels le gène de la dystrophine avait été muté pour mimer la maladie.
Les chercheurs ont injecté à ces embryons un ARN guide ciblant le gène muté, la Cas9, et un gène destiné à corriger la mutation. Puis les embryons ont été implantés dans des mères porteuses. Celles-ci ont ensuite donné naissance à des souris que les chercheurs ont élevées pendant neuf mois et ils ont pu observer que chez celles dont le taux de cellules correctement corrigées par CRISPR-Cas9 atteignait au moins 40 %, les muscles étaient normaux. « Ces travaux apportent les premières preuves très solides, in vivo, que CRISPR-Cas9 est un outil extraordinaire, capable de corriger efficacement de multiples maladies génétiques », a souligné Tuan Huy Nguyen en commentant ces recherches.
Reste que le chemin qui mène à l’utilisation de CRISPR-Cas9 sur l'homme est encore long car il faudra d’abord s’assurer que cet outil ne provoque pas de lésions dans d'autres régions du génome. Il faudra également apprendre à « doser » l’effet thérapeutique recherché en optimisant la fréquence à laquelle les cellules ciblées sont corrigées.
Il y a un mois, une autre équipe britannique de l'Université de Leeds, dirigée par Peter Stockley, a découvert pour sa part un code génétique qu'utiliseraient de nombreux virus, dont celui de la grippe et de la polio, afin d'infecter leur hôte. D'après leurs recherches (Voir PNAS), ce code est inclus dans l'ARN du virus (acide ribonucléique), qui contient son matériel génétique.
Pour mieux faire comprendre l’importance de leur découverte, ces chercheurs comparent le déchiffrage de ce code à l’épisode fameux de la machine Enigma, utilisée par l'armée allemande pendant la seconde Guerre mondiale pour chiffrer ses communications, et que le génial mathématicien anglais Alan Turing, père de l’informatique et de l’intelligence artificielle, parviendra à déchiffrer à l'aide du premier ordinateur. « Nous avons découvert la machine Enigma des virus à ARN. Non seulement nous pouvons lire ce code mais aussi le bloquer et stopper le déploiement du virus » souligne Peter Stockley.
Pour parvenir à ce résultat, les biologistes de Leeds se sont alliés à des mathématiciens de l'Université de York pour concevoir des algorithmes capables de déchiffrer le code génétique à l'origine de ce processus. Ils ont ensuite utilisé leurs modèles chez le virus de la nécrose du tabac, un virus à ARN qui infecte de nombreuses plantes, et en recourant à la spectroscopie de fluorescence, ils ont pu visualiser en détail le repliement de l'ARN de ce virus et déchiffrer ainsi ce fameux « code secret » des virus. Cette découverte fondamentale pourrait avoir des retombées thérapeutiques considérables pour combattre les virus à ARN qui infectent les humains.
Enfin, il y a quelques jours, Estelle Nicolas et ses collègues de l'équipe de Didier Trouche au Laboratoire de biologie cellulaire et moléculaire du contrôle de la prolifération, ont montré que le maintien de la sénescence dépend d'une nouvelle classe d'ARN non codants, les vlincRNAs, qui sont caractérisés par leur très grande taille, excédant les 50 kilobases.
Le mécanisme biologique fondamental de sénescence cellulaire joue un rôle central dans le vieillissement mais également en matière de cancer car il permet de bloquer la prolifération de cellules potentiellement cancéreuses. Mais ce mécanisme peut s’enrayer pour plusieurs raisons : stress oxydatif, raccourcissement des télomères, altérations de l'ADN ou encore activation d'oncogènes.
Ouvrant un nouveau et passionnant champ de recherche, ces travaux ont montré que l’expression de ces vlincRNA est fortement impliquée dans ce processus de sénescence et que ces très longs ARN non codants jouent probablement un rôle bien plus important que ce qu’on imaginait dans l’ensemble des mécanismes liés au vieillissement et au cancer. En outre, compte tenu de leur taille hors norme, ces ARN peuvent probablement rendre largement compte de la fonction des régions non codantes qui représentent plus de 90 % du génome humain (Voir Nature).
On voit donc à quel point, plus de 60 ans après la découverte de la structure de l’ADN par Watson et Crick, la découverte de la structure et du rôle de l’ARN est en train de provoquer une seconde révolution génétique, sans doute aussi importante que la première. L’ensemble de ces découvertes fondamentales récentes nous montrent également que les avancées majeures dans le domaine des sciences de la vie passent à présent par une quadruple alliance qui unit biologistes, mathématiciens, informaticiens et physiciens. C’est pourquoi il est capital de favoriser, à tous les niveaux de la recherche biologique et médicale, cette transversalité disciplinaire et conceptuelle.
René TRÉGOUËT
Sénateur Honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
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