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L’agriculture biologique et locale pourrait nourrir l’Europe en 2050

Nous sommes en 2050 et l’ensemble de la population européenne ne se nourrit plus que de produits locaux, cultivés sans pesticide ni engrais de synthèse. Ce scénario peut paraître utopique. Il est pourtant tout à fait réaliste, selon une étude réalisée par une équipe internationale de chercheurs et publiée le 18 juin dans la revue One Earth.

Chiffres à l’appui, les chercheurs montrent que l’Europe pourrait atteindre l’autosuffisance alimentaire en 2050 sans recours aux engrais azotés. Utilisé en remplacement du fumier pour fertiliser les terres, l’azote industriel occupe depuis la Seconde Guerre mondiale une place centrale dans le système agricole européen. Son utilisation à grande échelle est pourtant néfaste à la santé des humains et des écosystèmes : émissions de gaz à effet de serre, pollution des nappes phréatiques, eutrophisation des milieux aquatiques… Les engrais de synthèse ont permis l’avènement d’un modèle agricole intensif « largement déséquilibré », selon Gilles Billen, directeur de recherche émérite au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et coauteur de cette étude. La bonne nouvelle, explique le biogéochimiste, est qu’il est possible de faire autrement.

L’équipe de chercheurs a identifié trois leviers pour nourrir l’Europe sans recourir aux engrais de synthèse ni augmenter la surface de terres cultivées. Le premier est un changement global de régime alimentaire. En moyenne, les Européens consomment aujourd’hui deux tiers de protéines animales pour seulement un tiers de protéines végétales. 80 % de la production agricole sont par conséquent consacrées à l’alimentation du bétail. Cette proportion pourrait être considérablement réduite si la population européenne optait pour un régime méditerranéen. En consommant davantage de légumes et de céréales que de viande et de fromage, « nous aurions besoin de moins produire, ce qui permettrait de le faire de manière moins intensive », explique Gilles Billen.

Autre levier : reconnecter la culture et l’élevage. L’Europe est aujourd’hui constituée de régions agricoles hyperspécialisées. La Bretagne concentre ainsi la plus grande partie des porcs et des bovins français, tandis que l’Île-de-France produit en grande majorité des céréales, précise le chercheur.

Réinstaller les élevages à proximité des terres agricoles permettrait de recycler les déjections animales en fumier, et donc de s’émanciper des engrais de synthèse. « On imagine mal aujourd’hui des trains ou des camions remplis d’effluents d’élevage transportant du fumier entre différentes régions », note Gilles Billen. Le retour à la polyculture élevage permettrait également d’en finir avec l’importation de soja pour l’alimentation des animaux, l’un des principaux moteurs de la déforestation en Amérique latine. « La taille du cheptel dans chaque région doit être calibrée sur les ressources en fourrage que permet le territoire ».

L’équipe de chercheurs préconise enfin de généraliser les rotations des cultures (que pratiquent déjà les agriculteurs bio) afin d’enrichir les terres de manière naturelle. « On commence par cultiver des légumineuses fourragères comme le trèfle ou la luzerne », explique Gilles Billen. « Ces cultures servent à l’alimentation du bétail, tout en fixant suffisamment d’azote de l’air pour les cultures céréalières suivantes. On peut ensuite cultiver pendant une ou deux années des céréales, puis revenir à une légumineuse à graines, comme la lentille ou le pois chiche, et ainsi de suite ».

Le fait d’alterner les cultures pourrait également diminuer la vulnérabilité de la production aux attaques parasitaires, et donc permettre aux agriculteurs de se passer de pesticides : « Si l’on plante année après année la même variété de blé hypersélectionné sur la même parcelle, immanquablement, des parasites apparaissent. Au contraire, les rotations longues et diversifiées laissent de la place à la faune sauvage, à d’autres auxiliaires qui mangent les pucerons et les chenilles ».

Le grand mérite de cette étude, selon le chercheur, est de montrer qu’il est parfaitement possible de nourrir l’Europe de manière saine et écologique. « On entend souvent dire que l’agriculture biologique n’est pas assez productive, qu’elle produit 30 % de rendement en moins. Cette allégation d’une moindre productivité intrinsèque de l’agriculture biologique ne résiste pas à une analyse sérieuse comparant ce qui est comparable ». Ce modèle pourrait même être appliqué à d’autres régions.

Une étude publiée en 2018 avait déjà montré que cela était possible pour la France. L’équipe de chercheurs a également commencé à travailler sur des scénarios à l’échelle du monde. Elle estime que dix milliards d’êtres humains pourraient être nourris sans engrais de synthèse en 2050, à condition que leurs régimes soient composés de moins de 40 % de protéines animales.

Concrétiser ce scénario et atteindre l’autonomie alimentaire sans engrais azotés implique de repenser totalement notre modèle agricole. L’étude souligne notamment le potentiel du recyclage des excreta humains, actuellement interdit dans le cahier des charges de l’agriculture biologique. « Aujourd’hui, l’azote des déjections humaines est traité dans les stations d’épuration et renvoyé dans l’atmosphère par des procédés de dénitrification coûteux en énergie, alors que l’on en a besoin pour l’agriculture. Si l’on veut se passer d’engrais industriels, il faut les recycler ! » insiste Gilles Billen.

Article rédigé par Georges Simmonds pour RT Flash

One Earth

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