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Intervention prononcée lors de l'ouverture du Colloque sur les Révolutions de la Santé, le 17 Octobre 2001, au Sénat

Intervention prononcée lors de l'ouverture du Colloque sur les Révolutions de la Santé, le 17 Octobre 2001, au Sénat

Chers lecteurs d'@RT Flash, Comme il est devenu de coutume maintenant, vous pouvez lire ci-dessous les mots d'introduction que j'ai prononcés, Mercredi dernier, lors de l'Ouverture du Colloque sur l'Avenir de la Santé. Ce fut une journée extraordinaire tant la qualité des interventions fut exceptionnelle. Je suis heureux que quelque 50 abonnés d'@RT Flash aient pu participer gratuitement à ce grand colloque. Bien Cordialement

René TREGOUET

Président du Groupe de Prospective du Sénat

Au cours des 100 dernières années, grâce aux extraordinaires progrès de la biologie et de la médecine, une révolution aussi silencieuse qu'inouïe s'est produite : celle de la longévité. Les habitants du monde industrialisé ont gagné en moyenne 25 années de vie, grâce à la réduction de la mortalité infantile et une meilleure maîtrise des maladies liées à la vieillesse. L'espérance de vie a autant gagné en un siècle qu'au cours des 5000 années précédentes. Dans de nombreux pays, la tranche d'âge des plus de 85 ans est celle qui augmente le plus vite. Vivre vieux est donc aujourd'hui devenu banal en France et dans les pays voisins. Ce n'est pourtant que depuis peu qu'il en est ainsi : à la veille de la première guerre mondiale, la durée moyenne de vie du sexe masculin était encore inférieure à 50 ans en France, en Belgique, en Suisse, en Allemagne et même à 40 ans en Espagne, en Autriche, en Grèce, au Portugal. Dans une grande partie du monde, atteindre un âge élevé n'est encore aujourd'hui qu'un phénomène marginal, réservé à une étroite minorité. Il n'est en effet pas inutile de rappeler, alors que le Groupe de Prospective traitera en décembre prochain des fractures de l'humanité, que la durée moyenne de vie de la population mondiale n'est que de 66 ans alors que les extrêmes entre pays vont de 78 ans en France, Belgique, Pays-Bas, Italie, Espagne, Canada, à 79 ans en Islande et en Suède et même 80 en Suisse et 81 au Japon, pour atteindre à peine 40 ans dans les pays de l'Afrique subsaharienne. Nous n'en avons pas encore pris conscience mais que de chemin parcouru en quelques décennies par les sciences de la vie. Depuis l'élucidation, en 1953, par Watson et Crick, de la structure en double hélice de l'ADN, le mariage de la biochimie et de la génétique a donné naissance à la biologie moléculaire. Elucider la grammaire du vivant était certes fondamental. Encore fallait-il pouvoir aussi étudier la fonction d'un gène donné. Jusqu'au milieu des années 1970, ce défi restait insurmontable : on ne savait pas isoler un gène déterminé au sein de l'immense molécule d'ADN. Ce verrou fut levé grâce à l'invention vers 1975 du génie génétique. On désigne ainsi l'ensemble des outils qui permettent de « bricoler sur mesure » la molécule d'ADN dans le but de purifier des gènes, de les manipuler à volonté dans le génome de différentes espèces et de déterminer leur séquence. Grâce au génie génétique, l'encyclopédie de l'ADN était désormais accessible aux généticiens. Une ère nouvelle s'ouvrait : ils s'employèrent avec de puissants outils informatiques à déchiffrer ce gigantesque ouvrage. L'Histoire des Sciences retiendra le 26 juin 2000 comme le jour où une première carte du génome humain a été enfin déposée. Il subsiste toutefois des « terra incognita », des trous dans cette carte commencée en 1988 et il faudra attendre 2003 pour disposer d'une carte vraiment complète et vérifiée de ce génome. La connaissance du génome humain devrait permettre, en théorie, deux grands progrès :

-* le dépistage avant la naissance de maladies liées aux chromosomes

-* permettre de corriger des anomalies sur les chromosomes et donc d'éviter ou de guérir certaines maladies.

Mais en s'appuyant sur la connaissance du génome humain, les chercheurs doivent maintenant s'attaquer à la difficile tâche de déterminer les protéines dont la production est commandée par ces gènes, d'établir les relations entre elles, d'identifier les signaux qu'utilise notre corps pour ordonner aux cellules de croître, de se différencier, de muter ou de mourir. L'ampleur et la complexité des données génomiques et protéoniques à traiter sont à l'origine d'une nouvelle science : la bioinformatique. Mais la convergence ira bien plus loin encore. La biotechnologie est en grande partie redevable à la génétique de ses succès récents. Le séquençage du génome humain inaugure une nouvelle ère dans la recherche pharmaceutique. Les biotechnologies apparaissent de plus en plus comme la planche de salut des compagnies pharmaceutiques avec leur promesse d'une nouvelle classe de médicaments à base de molécules humaines (gènes, protéines ou anticorps) capables de régénérer les tissus endommagés par l'âge, la maladie ou un traumatisme. Déjà, une part importante des 26 milliards de dollars que dépensent annuellement en R et D les compagnies pharmaceutiques sert à commanditer les recherches des firmes en biotechnologie. La pharmacogénétique, qui associe l'efficacité d'un médicament à une variation génétique, n'a pas fini de révolutionner la pharmacologie. Les médicaments de demain agiront directement sur les cellules malades ou, mieux encore, sur les causes du problème. D'autres s'attaqueront aux mécanismes du développement de la maladie. Des médicaments sur mesure adaptés à notre ADN personnel seront mis à notre disposition. Ainsi, le médecin s'orientera progressivement vers le traitement personnalisé du risque et la prévention. Nous prendrons des médicaments qui diminueront la susceptibilité de nos gènes à certaines maladies, consommerons des aliments aux propriétés préventives, quitte à améliorer génétiquement plantes et animaux. Comme elles ont déjà su le faire depuis 30 ans dans le domaine de la micro-informatique, les puces, appelées ici « puces à ADN » devraient faire faire dans ces prochaines années un bond extraordinaire à la médecine prédictive et à l'analyse biologique. Avant la fin de cette décennie, ce petit bijou pas plus grand qu'une boîte d'allumettes, qui combine les trouvailles des technologies de l'information et les acquis des sciences de la vie, permettra de diagnostiquer, en un temps record -de quelques heures à quelques minutes- la prédisposition ou le développement de maladies génétiques chez les patients, de repérer l'évolution prévisible de leurs « fondamentaux héréditaires » (tendance à l'obésité, à la calvitie, etc...) mais aussi de détecter la présence de virus dans l'eau, dans l'air, dans les aliments, ou bien l'intrusion des fameux organismes génétiquement modifiés. Réservées pour l'instant aux chercheurs des grands laboratoires pharmaceutiques qui travaillent sur la détection des gènes et la préparation des nouveaux médicaments, les puces à ADN vont envahir, dans ces prochaines années, hôpitaux et cabinets de médecins. Dans un autre domaine, ô combien important lui aussi, les promesses thérapeutiques des cellules souches, ces unités biologiques de base qui donnent naissance aux différentes cellules du corps humain, ne cessent de se confirmer, de mois en mois. Alors que les perspectives thérapeutiques de la génomique s'inscrivent dans le long terme car il faut identifier les fonctions des gènes, repérer leurs variations, étudier les protéines et leurs interactions, les travaux sur les cellules souches ouvrent la voie à une médecine réparatrice personnalisée qui pourrait permettre, par exemple d'ici une dizaine d'années, de revivifier le tissu cardiaque après un infarctus ou de régénérer les neurones frappés par la maladie d'Alzheimer. Cette forme de thérapie cellulaire n'en est encore qu'à ses balbutiements : elle pose nombre de problèmes techniques non résolus et soulève un débat éthique qui est loin d'être tranché. Mais dans toutes ces avancées, il y a un problème central qui détermine l'ensemble : celui de la brevetabilité du vivant. Il va nous falloir trouver le juste équilibre entre innovation et protection. Une récente affaire, le contentieux entre l'Institut Curie et Myriad Genetics sur les tests génétiques de détection du cancer du sein, met parfaitement en lumière la question fondamentale du cadre et des limites du champ de brevetabilité du vivant et des difficultés d'appréciation pour distinguer la découverte et l'invention dans le domaine de la biologie et des biotechnologies. L'Institut Curie conteste les brevets déposés devant l'Office Européen des Brevets par la société américaine de biopharmacie Myriad Genetics, pour des tests de dépistage d'une prédisposition au cancer du sein. Ces brevets, qui visent à obtenir un monopole d'utilisation de cette séquence génique utile au dépistage, imposent de centraliser la réalisation des tests dans leur laboratoire de Salt Lake City pour une somme très élevée : 18.000 Francs, alors que ces mêmes tests sont réalisés en France par l'Institut Curie pour 5.000 Francs. Il y a là un débat fondamental qui sera certainement abordé dans la journée puisque le Directeur de la Recherche de l'Institut Curie sera l'un de nos intervenants. Ce débat est important car nous tombons là dans l'ambiguïté coupable de la législation européenne qui, grâce à une formulation à la limite du jeu de mots, aboutit en fait à permettre le brevetage d'un gène en soi, c'est-à-dire d'une découverte d'une partie du corps humain et non une invention destinée à servir le corps humain. Pour boucler ce tour d'horizon, il me faut vous parler de la convergence de la biologie, de l'informatique et des nanotechnologies qui se rassembleront sous le terme nouveau de nanobiotechnologies. Outre les thérapies géniques et l'utilisation maîtrisée des cellules souches, deux autres révolutions fondamentales vont totalement bouleverser la biologie et la médecine au cours des 30 prochaines années. La première de ces révolutions, d'ordre théorique, est l'extraordinaire développement de la bioinformatique qui va permettre l'avènement d'une véritable biologie virtuelle comme le souligne le remarquable article publié ce mois dans la revue « Pour la Science ». En utilisant les gigantesques bases de données accumulées sur notre génome et demain sur notre protéome, et grâce à de nouveaux modèles mathématiques et à l'énorme puissance de calcul des futures générations de superordinateurs- 100 téraflops en 2005 et 1000 téraflops en 2010 soit 10 millions de milliards d'opérations par seconde- il sera possible dans une dizaine d'années de simuler très rapidement les évolutions possibles des systèmes biologiques les plus complexes. On pourra alors concevoir et tester de manière virtuelle et très rapidement des molécules spécifiques qui auront exactement les propriétés thérapeutiques souhaitées.

L'autre révolution sera constituée par l'utilisation généralisée des nanomachines comme agents permanents de surveillance dans notre corps et comme outils thérapeutiques d'une précision inimaginable. La nanotechnologie est la science qui permet de construire des éléments à une échelle incroyablement petite, pouvant aller de 1 à 100 milliardièmes de mètre, avec une précision dite nanoscopique, molécule par molécule. L'objectif est de parvenir à construire n'importe quelle structure compatible avec les lois de la physique et de la chimie et pouvant être spécifiée au niveau de détail de l'atome. Les répercussions potentielles de la nanotechnologie sont considérables, notamment en matière médicale. Selon un rapport du DoD des États-Unis réalisé en 1997, la nanorobotique et la nanomédecine deviendront réalité d'ici 2020. Parmi les applications possibles, figurent des machines programmables immunisées pouvant se déplacer dans le flux sanguin d'un patient pour effectuer une intervention chirurgicale, comme l'avait imaginé Isaac Asimov dans son roman de science fiction de 1995, le Voyage Fantastique, devenu un classique du genre. Imaginée en 1959 par Richard Feynmann, les recherches appliquées en nanotechnologie ont été entamées en 1985, après que Richard Smalley, prix Nobel de chimie, eut découvert une forme de carbone pouvant servir de matière première à ces appareils miniatures. En 1986, K. Eric Drexler, théoricien scientifique, a écrit un ouvrage de nanotechnologie devenu un classique - Engines of Creation - où il explique les fondements de la science et ses applications potentielles. Il y décrit comment la manipulation de la matière au niveau de l'atome peut créer un futur d'abondance utopique, où tout pourrait être rendu meilleur marché et où presque tous les problèmes physiques imaginables pourraient être résolus à l'aide de la nanotechnologie et de l'intelligence artificielle. Plus récemment, des scientifiques sont parvenus à observer et à manipuler directement des atomes. Des chercheurs des universités de Rice et de Yale ont réalisé les premières étapes vers la création de circuits moléculaires qui pourraient remplacer les actuelles puces de silicium. Des formes précoces de nanomédecine impliquant des molécules fabriquées (mais pas encore des appareils conçus à l'échelle moléculaire) sont déjà testées sur des patients. Il y a deux ans, deux équipes scientifiques ont chacune mis au point un "moteur moléculaire", en réussissant à faire tourner une molécule soit à l'aide d'un élément chimique, soit par la lumière. Les deux découvertes, l'une réalisée par une équipe américaine, l'autre par une équipe japonaise et néerlandaise, font franchir un pas important aux nano-technologies : dans ce monde de l'infiniment petit, si on savait déjà fabriquer des "machines" de la taille d'une ou quelques molécules, les moteurs faisaient jusqu'ici cruellement défaut. Ainsi, l'équipe menée par le Dr Ross Kelly, du Centre de Chimie du Boston College, a découvert une molécule qui, sous l'influence d'une réaction chimique provoquée par du chlorure de carbonyle, décrit une rotation de 120 degrés dont on peut décider le sens. Ce moteur transforme ainsi l'énergie chimique en mouvement. La molécule fait alors une rotation sur elle-même de 360 degrés, dans un sens que l'on peut choisir. Ces nano-moteurs pourraient déboucher à terme sur des machineries moléculaires déclenchées par la lumière, source extérieure facile à employer. Ces découvertes ouvrent d'extraordinaires perspectives thérapeutiques dans le domaine médical car il devient désormais envisageable d'imaginer des nano-robots réparant avec une précision incomparable cellules et tissus endommagés. Il y a quelques mois, un autre pas important était franchi dans la recherche sur les nanomachines. Une équipe de l'université Cornell aux Etats-Unis, menée par Carlo Montemagno, a couplé un enzyme à un support et des pales en nickel de quelques nanomètres pour fabriquer ces engins microscopiques. Le carburant utilisé pour faire tourner le tout est la molécule d'ATP, qui est utilisé par tout être vivant pour se fournir en énergie. Les nanomachines ont pu tourner sans discontinuer pendant huit heures. Les scientifiques espèrent, à terme, pouvoir mettre au point des machines qui pourront être injectées dans le corps du patient pour le soigner. Non contentes d'aller détruire des tumeurs, résorber des caillots ou réparer nos nerfs ou nos vaisseaux sanguins endommagés, les nanomachines pourraient aussi être utilisées directement contre les bactéries les plus dangereuses qui deviennent multirésistantes à tous les antibiotiques. Des chercheurs du Scripps Research Institute, en Californie ont peut-être une autre solution inspirée des nouveaux savoirs en nanotechnologique et en chimie. Ils proposent de recourir à des tubes microscopiques capables de transpercer les membranes des bactéries et de les vider littéralement de leur substance, de quoi les tuer sur le coup. Le défi relevé par Reza Ghadiri et son équipe a été de faire tenir ensemble les molécules formant ces fameux tubes - en fait, un empilement d'anneaux composés d'une suite d'acides aminés. Pour comprendre l'agencement de ces anneaux, il faut penser à une ronde de gens, dont la main droite de l'un agrippe la main gauche du suivant. Dans chacun des anneaux, en effet, des acides « naturels » alternent avec d'autres synthétisés en laboratoire, qui sont leur image-miroir. Pour que les anneaux adoptent bien une forme tubulaire, Reza Ghadiri et son équipe les ont liés entre eux avec des atomes d'hydrogène. Ces tubes anti-bactériens sont de véritables chefs-d'oeuvre de nanotechnologie, construits molécule par molécule. S'appuyant sur l'extraordinaire puissance prédictive de la bioinformatique et sur les non moins extraordinaires capacités d'intervention des nanomachines, la biologie et la médecine connaîtront, j'en suis persuadé, au cours de ces trente prochaines années, des progrès encore plus importants que ceux qu'elles ont accomplis depuis l'historique découverte de la structure de l'ADN, il y a presque 40 ans. Non seulement je fais le pari que les trois grands fléaux qui affectent nos sociétés, cancer, maladies cardio-vasculaires et maladies neurodégénératives, seront vaincus en 2030 mais la plupart des handicaps liés aux accidents et aux maladies pourront être réparés. Mais il y a plus. Grâce à une meilleure connaissance des mécanismes génétiques les plus intimes du vieillissement, il n'est pas impossible que l'espérance de vie dans nos sociétés développées progresse autant (25 ans de plus) au cours des 50 prochaines années que pendant tout le XXe siècle et que nous dépassions le cap mythique d'un siècle d'espérance de vie avant 2050. On mesure évidemment les conséquence sociales économiques et éthiques d'une telle évolution, combinée avec le vieillissement inéluctable de notre population. Le débat de prospective est ainsi lancé. Il n'y a aucun domaine de la connaissance où les progrès ont été aussi rapides que dans la science du vivant pendant ces 50 dernières années. Les éminents spécialistes que nous allons écouter avec attention tout au long de cette journée nous diront si les outils hors du commun qui sont déjà à leur disposition et qui le seront plus encore demain leur permettront de changer le destin de l'Humanité. Voilà l'attente, Mesdames et Messieurs, que notre Groupe de Prospective place en vous.

René TREGOUET

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