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Edito : Haut débit : Cessons les combats d'arrière-garde

France Télécom a tort de retarder le développement de la concurrence sur la boucle locale et plus particulièrement sur l'ADSL. Certes, comme société commerciale, il est naturel que cette entreprise utilise toutes les procédures possibles pour retarder la progression des concurrents mais sa position d'opérateur dominant qui porte haut le nom de notre Nation dans son intitulé et dans sa propre histoire doit faire prendre conscience à France Télécom qu'elle porte une responsabilité singulière et importante pour l'avenir de notre Pays. Or, en quelques mois, en faisant intervenir un lobbying important et efficace, France Télécom a réussi à faire prendre par l'Assemblée nationale deux décisions qui ne favorisent pas le développement des Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication dans notre Pays. La première de ces décisions est un amendement, communément appelé " amendement des fibres noires ", qui a stoppé net toutes les initiatives des collectivités locales pour construire des réseaux alternatifs à la boucle locale de France Télécom. La seconde décision a été de repousser un amendement qui avait été introduit par le Gouvernement dans le texte des "nouvelles régulations économiques " pour permettre le " dégroupage " sur la boucle locale de France Télécom à partir du 1er janvier 2000. Cet amendement a été retiré il y a quelques jours à l'Assemblée nationale après des interventions convaincantes de France Télécom auprès de nombreux députés. Cela est dommage car ces combats d'arrière-garde vont faire perdre à la France un temps précieux à un moment où l'accès au large débit va devenir essentiel dans le combat sans merci qui va bientôt se développer entre toutes les nations avancées. En effet, pendant que nous menons cette stérile guérilla franco-française, les autres pays qui sont certes nos partenaires mais aussi nos concurrents prennent, sans hésitation, des décisions lourdes de conséquences et qui, dans quelques courtes années, creuseront la différence. Ainsi, il y a quelques semaines, le Gouvernement britannique annonçait un plan ambitieux visant à mettre sur Internet toutes les administrations et tous les fonctionnaires d'ici 2002 et à permettre l'accès à Internet pour tous les citoyens anglais d'ici 2005. Simultanément, la Suède, leader mondial dans l'utilisation des NTIC (plus de la moitié des Suédois utilisent régulièrement Internet) annonçait qu'elle allait consacrer près d'un milliard d'euros au développement d'infrastructures et de technologies visant à permettre à tous les Suédois d'accéder à l'Internet à grande vitesse d'ici 2005. Au nom de la solidarité nationale et du principe d'égalité d'accès à l'information, l'Etat suédois prendra en charge le coût de ces infrastructures pour le tiers de sa population qui vit disséminée dans le Nord du pays, la fourniture d'un accès à grande vitesse dans la partie Sud du pays, plus urbanisée, revenant au secteur privé qui devrait, lui aussi, investir plus d'un milliard d'euros dans ce programme. Ces deux exemples de politiques très volontaristes, visant à rendre l'Internet accessible à tous, s'inscrivent dans un contexte plus large qui est celui d'une Europe qui a fait de la société de l'information pour tous l'une de ses grandes priorités, comme cela vient encore d'être confirmé à l'occasion du sommet, puis de la conférence de Lisbonne. Rappelons que l'objectif principal défini à Lisbonne est ambitieux puisqu'il consiste à faire passer d'ici 2005 de 20 % à 50 % le pourcentage moyen d'utilisateurs européens d'Internet. Grâce à la compétition féroce qui s'est développée entre les fournisseurs d'accès, l'écart très sensible du coût de connexion horaire moyen qui existait, il y a six mois encore, entre l'internaute américain et l'internaute européen, est en train de se résorber rapidement. Mais dans les années à venir, le défi le plus important à relever sera celui des hauts débits. Il faut bien comprendre qu'au cours des dix prochaines années le nombre total des utilisateurs d'Internet va être multiplié par 5, au moins, et dépasser le milliard. La quantité totale de données véhiculées sur le net sera au moins multipliée par 10 d'ici 10 ans et même beaucoup plus si l'image prend toute la place qui devrait lui être dévolue. Le besoin en bande passante va donc croître au minimum d'un facteur 50 d'ici 2010 et c'est là que réside le véritable défi. En effet, si la puissance de nos ordinateurs a été multipliée par 20 depuis 10 ans, la plupart des internautes surfent encore aujourd'hui à seulement 56.000 bauds, une vitesse tout à fait insuffisante pour transmettre et traiter les images vidéo en temps réel et exploiter pleinement toute la puissance du traitement multimédia de nos machines. Nous devons prendre conscience que d'ici 5 ans, c'est-à-dire demain, les pays et les économies qui seront les plus compétitifs ne devront pas seulement proposer à tous leurs habitants un accès à Internet pour un coût très modique mais également permettre à tous, et sur tout leur territoire, l'accès au haut débit, c'est-à-dire au minimum à 2 mégabits/seconde, soit 40 fois le débit standard actuel. Pour les entreprises, les collectivités locales, les établissements éducatifs ou de santé, le débit nécessaire pour rester compétitifs s'échelonnera de 10 à 100 mégabits. Dans une première phase, il est donc urgent que les technologies ADSL et VDSL qui visent à tirer le meilleur parti du réseau téléphonique en cuivre soient développées sans retard dans notre Pays et ce à des vitesses que les compagnies américaines ont déjà su mettre en pratique et non pas en les bridant comme a trop tendance à le faire encore France Télécom. Ce temps est d'autant plus compté que seules les nouvelles technologies de transmission et de commutation entièrement optiques pourront offrir à l'horizon 2010 la bande passante et la souplesse nécessaire pour gérer l'explosion de la quantité de données circulant sur le net. Bien sûr, cette armature optique pourra être complétée par d'autres technologies, comme la boucle locale radio, l'UMTS et le satellite, mais elle constituera la clé de voûte des grands réseaux mondiaux des prochaines décennies. Le temps presse et nous n'avons plus le droit de prendre le moindre retard. Tout retard pris, comme nous le faisons actuellement, dans notre marche vers les hauts débits, ne pourrait que contribuer à nous faire rater les rendez-vous de l'avenir.

René TREGOUET

Sénateur du Rhône

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