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Edito : Les grandes avancée scientifiques sont rarement prévisibles…

Quand on examine la longue histoire des sciences et des techniques depuis l’Antiquité, on a souvent tendance à la voir, rétrospectivement, à la lumière des connaissances que nous avons aujourd’hui et à considérer que la plupart des découvertes et inventions majeures qui jalonnent l’aventure scientifique depuis la naissance des grandes civilisations –Mésopotamie, Chine, Inde, Egypte, Grèce notamment – étaient quasiment inéluctables, et ne pouvaient pas ne pas avoir lieu.

Pourtant, si nous faisons l'effort intellectuel de nous replacer dans le contexte de l’époque, en faisant abstraction des connaissances que l’on possède aujourd’hui, cette conviction très répandue ne résiste pas à une analyse plus fine de l’évolution scientifique et technique ; on oublie souvent qu’en science, des avancées décisives  peuvent survenir de manière totalement inattendue, soit à la suite d’erreurs de manipulations ou d’expérimentations, soit par la mise en œuvre d’idées a priori saugrenues ou bizarres, soit par la découverte fortuite d’une voie scientifique radicalement nouvelle.

Prenons quelques exemples célèbres : dans les années 1790, le médecin anglais Edward Jenner constate, par hasard, selon ses propres dires, que des paysannes qui s’occupaient de vaches atteintes par la vaccine ne développaient qu’une forme très atténuée de variole. C’est en s’appuyant sur cette observation qu’il franchira un pas décisif dans l’histoire de la médecine en 1796, en réalisant la première vaccination, à base de pustule de vaccine, sur un enfant. Celui-ci, bien qu’en contact avec d’autres enfants malades, ne contracte pas la maladie. La vaccination était née…

En 1839, le chimiste américain Charles Goodyear pose accidentellement sur un poêle à charbon un morceau de latex recouvert de fleur de soufre. Il jette alors les résidus brûlés par la fenêtre de son laboratoire. Le lendemain matin, il constate avec une totale surprise que le matériau qu’il a jeté possède une grande élasticité. Ce chercheur vient d’inventer, bien malgré lui, le procédé de vulcanisation qui consiste à cuire du caoutchouc naturel avec du soufre. Le résultat de cette opération de cuisson particulière est un caoutchouc proche de celui que nous connaissons, plus élastique, moins sensible à la température, imperméable aux gaz et très résistant aux produits chimiques et au courant électrique.

En 1844, un jeune dentiste américain, Horace Welles, assiste à un spectacle de cirque à Hartford (capitale du Connecticut) dans lequel a lieu une démonstration de gaz hilarant, le protoxyde d’azote. Un spectateur, après avoir testé ce gaz, fait une violente chute en redescendant de l’estrade. Pourtant, malgré d‘abondants saignements et une fracture, l’homme n’exprime aucune sensation de souffrance. Horace Wells comprend alors que cette absence de réaction à la douleur a été provoquée par l’inhalation du protoxyde d’azote. Voulant en avoir le cœur net, il se fait arracher une dent par un de ses confrères, après avoir inhalé ce gaz, et constate qu’il n’a pas pratiquement pas souffert. Il vient de faire une découverte qui va bouleverser la médecine et la chirurgie : l’anesthésie.

En 1869, un imprimeur américain, John Wesley Hyatt, après s’être profondément entaillé le doigt, veut le désinfecter en utilisant du collodion (solution de nitrate de cellulose dans de l'éther et de l'alcool) pour refermer sa blessure. Il renverse alors accidentellement le flacon et constate qu'il reste un résidu solide après l'évaporation du solvant. Il utilise un peu plus tard ce nouveau solvant sur le nitrate de cellulose et met au point, sans le vouloir, le celluloïd, considéré comme la première matière plastique. En quelques années, ce nouveau matériau sera à la source d’un nouveau secteur industriel qui ne cessera de grandir et de se diversifier jusqu’à nos jours, entraînant une révolution dans notre vie quotidienne, mais également des problèmes environnementaux considérables liés au recyclage très complexe de ces nouveaux matériaux.

En 1867, l’ingénieur suédois Alfred Nobel renverse accidentellement un peu de nitroglycérine qui, à son grand étonnement, n'explose pas. Nobel comprend que, si cet accident n’a pas provoqué une violente déflagration, c’est parce que la nitroglycérine est tombée sur du Kieselguhr, une roche sédimentaire. Il constate ensuite qu’en ajoutant une petite quantité de cet additif, la nitroglycérine devient inerte, dans des conditions normales de stockage, et ne peut exploser qu’en ayant recours à un détonateur. Alfred Nobel a mis au point, lui aussi sans, initialement, le vouloir, un nouvel explosif plus puissant que le TNT, facile et sûr d’utilisation, qui va révolutionner le domaine de la démolition et des grands travaux. Cete découverte fera la fortune de Nobel et cet argent, placé après sa mort dans une fondation, permettra de financer, jusqu'à aujourd'hui, les récompenses qui accompagnent les prix Nobel depuis 1901...

En 1895, en réalisant des expériences sur les propriétés de faisceaux d'électrons, Röntgen découvre qu'un tube de Crookes, contenant un gaz à basse pression émet, contre toute attente, un rayonnement inconnu qui a le pouvoir de traverser un papier opaque enveloppant ce tube et fait scintiller un écran fluorescent situé sur une table voisine. Il observe également que ce phénomène persiste lorsqu’il place des objets entre le tube et la plaque. Mais surtout, il observe avec effarement, en passant sa main entre la source d’émissions et la plaque, que son squelette devient visible. Röntgen comprend qu’il vient de découvrir un nouveau type de radiations inconnu, qu’il baptise "Rayons X".

Un an après la découverte des rayons X par Röntgen, le physicien français Henri Becquerel pratique des expériences pour essayer de comprendre le lien entre ces rayons X et la fluorescence. Il dispose notamment des cristaux de sels d'uranium fluorescents sur des plaques photographiques enveloppées dans du papier noir et constate, qu’après exposition à la lumière naturelle, les plaques ont bien été imprimées. Mais le physicien a ensuite la surprise de découvrir,  sur une des plaques rangées dans un placard hermétique, le négatif d'une croix de cuivre disposée entre l'uranium et cette même plaque. Becquerel vient de découvrir, là encore de manière fortuite, un phénomène physique fondamental qui permet à certains éléments ou matériaux d’émettre spontanément des radiations. Il baptise ce rayonnement du nom de "radioactivité" et obtient, pour cette découverte majeure, le Prix Nobel de physique en 1903, conjointement avec Pierre et Marie Curie.

En revenant de vacances, début septembre 1928, le docteur anglais Alexander Fleming retrouve dans son laboratoire les boîtes de Petri où il faisait pousser des cultures de staphylocoques ; il se rend alors compte que ces boîtes sont envahies par des colonies de moisissures blanchâtres. Après analyse, il découvre qu'il s'agit des souches d'un champignon microscopique, le penicillium notatum, sur lequel travaille son collègue dans le même laboratoire. Mais surtout, il constate, très étonné, qu’on observe autour des moisissures une zone très nette dans laquelle aucun staphylocoque ne s’est développé. Il comprend alors qu’il a affaire à une substance antibactérienne puissante sécrétée par le champignon qu'il baptise pénicilline. Fleming vient de découvrir les antibiotiques, une découverte qui va bouleverser la médecine et sauver des centaines de millions de personnes depuis près d’un siècle.

En 1945, Percy Spencer, Directeur d'une usine de magnétrons pour radars chez Raytheon et grand amateur de chocolat, constate que la barre chocolatée qu’il avait dans la poche a fondu alors qu'il passait à proximité d'un magnétron en activité. Il comprend alors qu’on peut produire rapidement un flux de chaleur à partir d’un magnétron et invente le four à micro-ondes, dont le premier modèle sera commercialisé en 1947, pour la modique somme de… 30 000 dollars de l’époque !

En 1964, Stephanie Kwolek, chimiste chez Du Pont de Nemours, recherche de nouvelles fibres textiles légères qui puissent se substituer à l'acier dans la structure des pneumatiques. En réalisant ses expériences, elle découvre tout à fait par hasard une solution liquide polymère cristalline qui s’avère constituée de fibres possédant des propriétés physiques et chimiques exceptionnelles. Ininflammable, légère et cinq fois plus résistante que l'acier, cette nouvelle fibre, baptisée Kevlar, s’impose rapidement dans de nombreux domaines, défense, sécurité, automobile, aviation, espace…

Il y a un an, en avril 2019, des chercheurs américains et chinois ont eu l’idée, pour le moins saugrenue, à la suite d’un pari fait autour d’une machine à café, d’ajouter de la caféine aux cellules pérovskites de plus en plus utilisées pour la fabrication de panneaux solaires à haute performance. De manière surprenante, l’ajout de la caféine a eu l‘effet de ralentir la formation des  cristaux de pérovskite, ce qui rend ce matériau plus stable et augmente son rendement énergétique. Résultat : au lieu de ne conserver que 40 % de son rendement énergétique après 175 heures de fonctionnement sous la température destructrice de 85°C, les cellules enrichies en caféine conservent 86 % de leur rendement après 1300 heures d’exposition dans les mêmes conditions…

C’est également par un heureux hasard que deux chercheurs, les professeurs Gervais Bérubé et Carlos Reyes-Moreno, tous deux professeurs et membres du Groupe de recherche en signalisation moléculaire (GRSC) de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), ont découvert, au début de cette année, qu’en associant leurs travaux respectifs ils pouvaient réaliser une importante avancée contre le cancer.

Carlos Reyes-Moreno, professeur au département de biologie médicale, effectuait des recherches sur le rôle de l’inflammation dans le cancer. De son côté, le Professeur Bérubé étudiait les propriétés anti-inflammatoires, anti-cancéreuses et anti-métastatiques d’une molécule appelée DAB-1, un dérivé de l’acide para-aminobenzoïque. Ces deux chercheurs, en regroupant leurs compétences complémentaires, ont pu observer que cette fameuse molécule DAB-1 pouvait non seulement réduire l’inflammation, mais s’avérait également capable de réduire la croissance tumorale et la production de métastases, un résultat totalement inattendu, selon ces deux scientifiques.

Autre exemple : il y a quelques semaines, des chercheurs de l’Université de Nouvelle-Galles du Sud (Australie) ont montré qu’il est possible, simplement à l’aide d’un petit dispositif électronique fait de silicium, contrôlé par une électrode à faible voltage, de contrôler le noyau d’un atome en utilisant des courants électriques. Il s’agit d’une avancée majeure car les dispositifs quantiques actuels doivent avoir recours à des champs magnétiques intenses qui nécessitent de forts courants électriques et des aimants puissants. Mais le plus étonnant, c’est que, là aussi, cette découverte est accidentelle : en essayant de maîtriser le spin d’un atome d’antimoine, un élément chimique proche de l’arsenic, l’antenne magnétique utilisée par les chercheurs a eu un problème de fonctionnement et s’est mise à générer uniquement des ondes électriques, à la place d’ondes magnétiques. C’est grâce à cette anomalie de fonctionnement que les chercheurs ont constaté qu’on pouvait contrôler le spin d’un électron de manière très simple, avec un petit courant électrique…

Enfin, tout dernièrement, une équipe chinoise cherchait, par modification génétique, à renforcer la résistance de certaines plantes cultivées contre les effets des températures de plus en plus hautes induites par le réchauffement climatique en cours. Ces chercheurs chinois ont effectivement pu montrer que les plantes qu'ils avaient génétiquement modifiées, dont une variété de riz, pouvaient supporter sans dommage des températures supérieures à 40°C.

Mais ce qui a surpris les chercheurs, c’est de constater que les modifications génétiques réalisées chez les trois plantes testées – l’arabette des dames, le tabac et le riz, avaient également eu comme conséquence, tout à fait inattendue celle-là, une augmentation substantielle des rendements pour les cultures à températures normale, ce qui ouvre de nouvelles perspectives pour améliorer les rendements agricoles dans un contexte de raréfaction des terres cultivables et d’augmentation de la demande agricole liée à la hausse de la population mondiale.

C’est le politicien britannique Horace Walpole qui inventa en 1754 un nouveau mot, "sendipity", traduit en français par "fortuité" ou "sérendipité". Ce mot correspond à l’action de faire une découverte inattendue, par hasard et par sagacité, qui ne soit pas déductible de la recherche initiale et soit au moins aussi importante que le but premier recherché. Il est frappant de constater, qu’aussi loin que l’on remonte, cette sérendipité a toujours été au cœur de l’histoire des sciences et des techniques, même si nous avons souvent tendance à considérer, rétrospectivement, que les grandes découvertes et inventions qui ont transformé nos vies étaient "écrites" et inévitables.

Alors que l’Humanité est frappée par une pandémie qui nous oblige à changer notre vision du Monde et à remettre en question toutes nos certitudes, nous devons tirer les leçons de cette longue histoire des progrès de la connaissance scientifique, largement marquée par les atermoiements, les tâtonnements, les erreurs et la contingence…

Bien sûr, il n’est pas question de renoncer à la raison et à la rigueur logique, mais nous devons apprendre à sortir des sentiers battus, à retrouver le sens de l’humilité, la capacité d’imaginer et d’expérimenter les solutions scientifiques les plus diverses et les plus étranges, sans nous laisser enfermer dans les préjugés et les schémas mentaux trop rigides. Rappelons-nous ce que disait cet immense scientifique que fut Teilhard de Chardin, "Si la science nous apprend quelque chose, c’est que, le plus souvent, seul le fantastique a des chances d’être vrai".

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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