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Edito : Fusion thermonucléaire : une grande aventure scientifique au service de toute l’Humanité

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Depuis le départ de la campagne d'adhésions vous avez été 248 à adhérer et faire un don à notre association. Plusieurs parmi vous m'ont fait parvenir cette semaine un message pour me dire qu'ils sont surpris de constater le petit nombre de lecteurs de RT Flash qui font un petit geste de reconnaissance envers l'association qui gère cette Lettre par rapport aux milliers de lecteurs qu'elle retrouve chaque semaine, non seulement directement sur notre site, mais bien plus nombreux encore sur Facebook, Twitter ou d'autres médias.

Je leur ai répondu, moi qui ai maintenant une ancienneté de plus de 22 ans d'échanges avec les lecteurs de RT Flash, que je ne puis pas surpris. Le lectorat de RT Flash est non seulement jeune et même très jeune. C'est une communauté typiquement Internet. Elle trouve naturel de pouvoir accéder gratuitement à tous les médias, et j'ai l'humilité de penser que si j'avais demandé ne serait-ce qu'un seul euro d'abonnement obligatoire, RT Flash aurait perdu 90 % de ses lecteurs.

Ce que je vous affirme là est tellement vrai, que j'ai eu la curiosité de me rendre sur le site d'HelloAsso qui gère cette campagne d'adhésions. Sur les 248 lecteurs de RT Flash qui ont accepté d'adhérer à notre association, il n'y a que 2 personnes qui ont moins de 40 ans...

Mais ne le cachons pas, je suis responsable de ce manque de motivation de la part des jeunes. Je n'ai pas su leur faire comprendre que RT Flash est non seulement gratuite mais de plus nous n'acceptons pas qu'une quelconque publicité vienne polluer la lecture d'un édito ou d'un article. Or, la communauté Internet accède gratuitement à de très nombreux médias car derrière eux se cachent de puissants acteurs de publicité. Je pense que si j'avais su faire comprendre à mon jeune lectorat, en particulier, cette spécificité de RT Flash, ils auraient été plus nombreux à se mobiliser.

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EDITORIAL :

Lorsque Mikhaïl Gorbatchev, le dernier Président de l’Union soviétique, et Ronald Reagan, Président des Etats-Unis de 1981 à 1989, lancèrent, à l’issue du sommet de Genève en novembre 1985 l’initiative d’un grand projet de recherche internationale sur la fusion thermonucléaire contrôlée, qui allait devenir le projet ITER en 1987, ils ne se doutaient sans doute pas que, 35 ans plus tard, cette aventure scientifique hors du commun entrerait dans une phase nouvelle et décisive de son développement. C’est en effet le 28 juillet dernier que les responsables scientifiques et politiques représentant des pays membres d’Iter, dont le Président Macron, se sont réunis - physiquement ou virtuellement - à Cadarache en Provence pour annoncer en grande pompe le lancement de l’Assemblage du cœur du réacteur à fusion nucléaire, qui marque une nouvelle étape du plus grand chantier scientifique au monde, regroupant sept contributeurs : l’Union Européenne, la Chine, les États-Unis, la Russie, le Japon, la Corée et l’Inde.

On le sait, et c’est d’ailleurs ce qui lui est parfois reproché, l’ambition de ce projet est immense : Il s’agit ni plus, ni moins, de reproduire, de manière contrôlée, la réaction thermonucléaire qui se déroule de manière naturelle au cœur des étoiles, à commencer par notre soleil où, chaque seconde, plusieurs centaines de millions de tonnes d’hydrogène fusionnent, se transformant en atomes d’hélium, ce qui libère des quantités phénoménales d'énergies et permet à notre étoile, pour encore au moins 4, 5 milliards d’années, de rester à l’équilibre, en contrebalançant par ce processus de fusion la force gravitationnelle qui l’agite.

Ce processus dit, « de fusion » (en opposition à l’énergie nucléaire communément utilisée qui est une énergie de fission et qui consiste à casser des noyaux d’uranium à l’aide de neutrons pour libérer de l’énergie), la fusion, dont le combustible est constitué de deutérium (isotopes d’hydrogène, c’est-à-dire des atomes comportant le même nombre de neutrons) et de tritium, libère, à quantité de matière égale, quatre millions de fois plus d’énergie que le charbon.

Contrairement au nucléaire classique, qui nécessite de l’uranium, dont les réserves risquent d’être épuisées d’ici un siècle, au rythme actuel de consommation, le deutérium peut être extrait de l’eau de mer et ne risque pas de manquer. Quant au tritium, il sera, dans un premier temps, récupéré dans des réacteurs nucléaires existants, puis ensuite généré directement dans l'enceinte du tokamak en utilisant l'interaction entre les neutrons issus de la réaction de fusion et le lithium présent dans les éléments de couverture. Mais il faut bien avoir à l’esprit que les quantités de combustibles utilisés pour la fusion sont très faibles. Alors qu'une centrale au charbon d’un TWH brûle 2,7 millions de tonnes de charbon par an, une centrale de fusion de puissance équivalente ne consommera que 250 kilos de combustible chaque année, répartis à parts égales entre le deutérium et le tritium.

Mais il y a loin de la théorie à la pratique car, pour que les atomes fusionnent et puissent libérer une énorme quantité d’énergie, plus importante que celle nécessaire pour faire fonctionner le réacteur, il faut vaincre la puissante barrière électrostatique qui tend à les faire se repousser, en obtenant un plasma stable qui réponde simultanément aux fameux "3 critères de Lawson", atteindre une densité et une température suffisante pendant un temps suffisamment long.

Pour parvenir à cette prouesse technologique, le tokamak est constitué d’une chambre à vide en forme d’anneau. Grâce à une température et une pression extrêmes, le gaz d’hydrogène se transforme en plasma, au sein duquel les atomes d’hydrogène peuvent fusionner et produire de l’énergie. Mais comme aucun matériau connu ne peut résister aux températures atteintes par ce plasma (sous peine d’être instantanément désintégré), le plasma doit rester soigneusement confiné dans un champ magnétique très intense qui nécessite l’emploi d’énormes et complexes électroaimants, devant être assemblés avec une précision extrême et refroidis à une température proche du zéro absolu.

En décembre 2016, le tokamak West, précurseur d’Iter, a produit à Cadarache son premier plasma à 100 millions de degrés, franchissant ainsi une nouvelle étape décisive vers la fusion contrôlée à un niveau industriel. Et depuis quelques semaines, l’assemblage du réacteur Iter, dix fois plus grand que toutes les installations expérimentales existantes, a commencé et le premier plasma est prévu pour 2025. Ce réacteur est sans doute l’installation technique la plus complexe au monde : plus d’un million de pièces, pesant 23 000 tonnes, et une vaste chambre à vide de 830 m3, pour un coût total revu à 18 milliards d’euros, dont l’UE, il est bon de le rappeler, assure la part la plus importante (45 %, incluant la construction des bâtiments de l’installation), les six autres membres apportant chacun 9 %.

Si tout se passe bien, après dix ans de tests, Iter devrait atteindre sa pleine puissance en 2035 avec la fusion de tritium deutérium. A cette échéance, les scientifiques devront avoir démontré, et c’est là tout le défi qui les attend, que la machine est capable de fournir dix fois plus d'énergie qu'elle n'en consomme pendant au moins 6 minutes pour fonctionner. Mais pourquoi vouloir dompter la fusion thermonucléaire ? Pour plusieurs raisons très fortes.

D’abord parce que, nous l’avons vu, la fusion, même par rapport à la fission, ne nécessite que de minuscules quantités de combustible et que celui-ci est en outre disponible en quantité illimitée. Ensuite, outre sa capacité hors norme à produire d’énormes quantités d’énergie, à partir de seulement quelques grammes de matière, un réacteur de fusion de type ITER ne présente pas, contrairement aux réacteurs à fission, de risque d’emballement et d’accident majeur ; il est, et ce point est fondamental, « intrinsèquement sûr ». La chambre à vide de la machine ne contiendra jamais plus de quelques grammes de combustible et, en cas de dysfonctionnement, le réacteur s’arrêtera spontanément. Enfin, une centrale de fusion ne produirait pas, comme cela est le cas dans les centrales nucléaires classiques, de déchets hautement radioactifs pendant plusieurs centaines de milliers d’années.

Toutefois le fonctionnement du réacteur produit des neutrons rapides très énergétiques qui rendent ses parois radioactives et doivent être absorbés par des matériaux composites qu’il faudra remplacer régulièrement à l’aide de robots. Mais il faut préciser que les parties du réacteur qui deviendront radioactives sous l’effet du bombardement de ces neutrons rapides, ne le resteront que quelques dizaines d’années, ce qui change tout en matière de stockage et de sécurité, par rapport aux centrales à fission, qui produisent des déchets ultimes qui restent très longtemps fortement radioactifs…

Il n’en demeure pas moins que la fusion nucléaire n’est pas encore, à ce jour, totalement maîtrisée, en dépit des progrès tout à fait impressionnants réalisés depuis un demi-siècle. Iter va précisément permettre de progresser dans la compréhension des lois de phénomènes très complexes qui gouvernent le comportement des plasmas portés à des températures extrêmes, dépassant les 100 millions de degrés. Le but ultime d’Iter est de démonter qu’il est possible de produire, grâce à la fusion, pendant une durée suffisamment longue, au moins dix fois plus d’énergie qu’il n’en a fallu pour amorcer la réaction initiale. Le record est actuellement détenu par JET, qui est parvenu à restituer 70 % de l'énergie injectée : 24 mégawatts injectés pour 16 mégawatts produits. D’ici 15 ans, Iter devra monter qu’il peut produire 500 mégawatts pendant au moins dix minutes, en utilisant seulement 1 g de tritium comme combustible et après avoir investi environ 50 mégawatts d’énergie dans l’allumage du réacteur.

En cas de succès d'Iter, un autre projet, encore plus ambitieux, doit voir le jour : DEMO (DEMOnstration Power Plant), la machine qui devra succéder à ITER, la fusion nucléaire entamera alors son passage à l'échelle industrielle. Contrairement à Iter, Demo sera capable de produire une partie de son carburant thermonucléaire, le tritium, comme sous-produit de son fonctionnement.

Mais Iter, même s’il est le projet de fusion thermonucléaire le plus avancé et le plus médiatique, n’est pas le seul. Aux Etats-Unis, une équipe de recherche du MIT, dirigée par Martin Greenwald, explore une autre voie prometteuse, un réacteur à fusion nucléaire "compacte" baptisé SPARC. La construction de SPARC pourrait débuter en 2021 pour être terminée en 2025 avec une production électrique dès 2035. Il s'agit d'un réacteur torique de type Tokamak de petite taille, mais tout aussi efficace que son « grand frère » Iter. SPARC devrait, à terme, produire également 10 fois plus d'énergie qu'il n'en faut pour alimenter sa réaction, mais son coût de construction pourrait être de 50 à 100 fois moins élevé que celui d’Iter…

Pour faire la différence avec Iter et pouvoir produire bien plus vite, pour un coût bien inférieur, de l’électricité, SPARC compte utiliser des électroaimants plus efficaces que les bobines électromagnétiques utilisées par ITER. Bien que le MIT reste volontairement discret sur la nature de ces électroaimants, il laisse entendre que ceux-ci utilisent des supraconducteurs à haute température qui peuvent produire un champ magnétique beaucoup plus élevé que les aimants utilisés par Iter. Comme le précise le responsable du projet SPARC, « Notre objectif est d'accélérer le calendrier de l'énergie de fusion en tirant parti d'une percée dans la technologie des aimants ». Il ajoute : « La pierre angulaire de notre plan est SPARC, un dispositif de fusion conçu pour démontrer une production nette d'énergie pour la première fois aux environs de 2025 ».

Mais une autre voie vers la fusion thermonucléaire contrôlée que celle des Tokamak (géant comme Iter, ou compact comme SPARC) progresse également à grand pas, celle du confinement inertiel, qui utilise de puissants faisceaux laser pour comprimer de manière incroyablement puissante de minuscules billes de matière et amorcer ainsi un processus de fusion des atomes qui peut dégager, en théorie, plus d’énergie que n’en consomment ces lasers. Les Américains sont à la pointe de ces recherches, grâce à leur installation unique au monde, la NIF, National Ignition Facility, qui rassemble 192 faisceaux laser et se trouve au sein du Lawrence Livermore National Laboratory, à Livermore (Californie, États-Unis). Ces lasers convergent pour écraser violemment une bille millimétrique remplie d'hydrogène. Récemment, les ingénieurs du NIF ont réalisé une nouvelle avancée importante en montrant qu’un champ magnétique autour des billes de combustible permettait de mieux confiner la chaleur et favoriser les réactions de fusion.

Au cours de la dernière assemblée annuelle de la Division de physique des plasmas de l'American Physical Society (DPP) qui s’est tenue à Fort Lauderdale, en Floride, la physicienne du MIT Maria Gatu Johnson, l’une des meilleurs spécialistes au Monde dans ce domaine de recherche, a révélé de nouvelles avancées dans le domaine de la fusion inertielle. « Pour la première fois, nous avons pu observer récemment de manière expérimentale cette réaction de fusion à des conditions de température et de densité comparables à celles trouvées dans les étoiles » a-t-elle précisé (Voir MIRAGE) et, selon Vincent Bagnoud, de l'Institut Helmholtz (Allemagne), cette approche inertielle par laser progresse très rapidement et s'approche de puissances compatibles avec la production d'énergie de fusion.

Dans cette voie du confinement inertiel par laser, il existe aussi des projets de recherche alternatifs intéressants, comme celui développé par les chercheurs de l’Université de New South Wales, qui utilisent un laser pour créer un champ magnétique très puissant et un second laser pour chauffer des pastilles d’hydrogène et de bore et atteindre le point de fusion. Quand un noyau d’hydrogène avec un seul proton fusionne avec un noyau de bore contenant 11 protons, il produit trois noyaux d’hélium. Cette réaction présente le grand avantage, par rapport à la réaction deutérium-tritium, de ne pas produire de flux de neutrons très énergétiques. Mais en revanche, la réaction hydrogène-bore est très difficile à amorcer et nécessite des impulsions laser très puissantes et très brèves. Ces chercheurs se donnent dix ans pour faire la preuve de leur concept de fusion par laser au bore, sans émissions de neutrons.

La maîtrise de la fusion permettrait non seulement à l’humanité de disposer d’une source d’énergie quasiment inépuisable et n’émettant pas de CO2, mais, on l’oublie trop souvent, ouvrirait également des perspectives radicalement nouvelles en matière de voyages spatiaux et d’exploration de notre système solaire. Une équipe de chercheurs du Laboratoire de physique des plasmas de Princeton (PPPL) est en pointe dans ce domaine et travaille sur un nouveau moteur DFD (Direct Fusion Drive). Ces chercheurs, dirigés par le Docteur Samuel Cohen, travaillent actuellement sur la deuxième mouture de ce concept de moteur à fusion, le PFRC-2 (Princeton field-reversed configuration). Si les futurs tests sont concluants, leur technologie pourrait devenir le principal système de propulsion des vaisseaux spatiaux explorant le système solaire (Voir NEWS WISE).

Ce moteur à fusion directe permet un rapport puissance/poids extrêmement élevé. Le carburant est un mélange de deutérium (2H) et d’hélium 3 (3He). Son impulsion spécifique, c’est-à-dire sa force exercée en fonction de la quantité de carburant consommé par unité de temps — est comparable à celle des moteurs électriques les plus efficaces existant aujourd’hui. Ce moteur DFD fournirait en outre une excellente poussée de l’ordre de 4-5 N en mode faible puissance. Il pourrait donc combiner deux avantages décisifs, l’excellente impulsion spécifique des systèmes de propulsion électrique à la forte poussée des fusées à propulsion chimique.

La NASA se montre très intéressée par ce nouveau type de moteur qui ouvre la voie vers un voyage, dans un délai raisonnable – de l’ordre de seulement deux ans – vers Titan, situé à 1,2 milliard de km de la Terre. Avec plus de 5000 km de diamètre, Titan est le plus gros et le plus mystérieux satellite de Saturne. Il possède une atmosphère riche en composés organiques, des lacs d’hydrocarbures liquides (éthane et méthane), ainsi qu’un immense océan souterrain découvert par la sonde Huygens qui s’est posée sur Titan en 2005. Compte tenu de ses caractéristiques tout à fait extraordinaires, Titan pourrait abriter des formes de vie rudimentaires, ce qui excite la curiosité des chercheurs.

Alors qu’il y a moins dix ans, la question se posait encore de savoir si la maîtrise de la fusion était vraiment possible et serait effective un jour, et que des oiseaux de mauvais augure nous expliquaient que cette technologie ne serait jamais au point et que l’argent investi dans Iter relevait du gaspillage (sur ce point, rappelons que le coût total d’Iter depuis ses origines a été d’environ 20 milliards de dollars, répartis sur sept contributeurs, soit moins de 1 % du PIB annuel de la France et à peine plus qu’une nouvelle ligne de TGV), il ne fait aujourd’hui plus de doute, si l’on en croit les extraordinaires avancées réalisées depuis le début de ce siècle, et l’avis de nombreux physiciens et chercheurs, que la fusion thermonucléaire contrôlée deviendra une réalité avant le milieu de ce siècle, même si personne ne peut prévoir quelle voie technologique s’avérera finalement la plus efficace, tant du point de vue énergétique qu’économique et sécuritaire.

Ce projet scientifique unique en son genre, dans lequel la France joue un rôle-moteur, aura des répercussions positives considérables qui iront bien au-delà de la production propre et abondante d’énergie et permettra de faire des pas de géant dans notre connaissance intime des mécanismes fondamentaux qui régissent l’énergie et la matière, ce qui ne manquera pas, j’en suis convaincu, d’alimenter en aval une cascade d’innovations de rupture dans de nombreux domaines, de favoriser un développement plus durable pour l’économie mondiale et d’améliorer les conditions de vie pour tous les habitants de notre planète…

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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