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Edito : La fascinante et foisonnante Histoire de l’Homme est beaucoup plus ancienne…
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Au cours de ces derniers mois, plusieurs découvertes archéologiques extraordinaires, facilitées par l’emploi de nouvelles technologies spatiales, électroniques et optiques de détection et de datation, ont eu lieu dans différentes régions du monde et sont venues bouleverser à la fois la chronologie du peuplement humain sur les différents continents et celle de l’apparition des premières grandes civilisations.
Des chercheurs ont trouvé en 2018, dans trois grottes dispersées à travers l'Espagne, plus d'une douzaine d'exemples de peintures murales datant de plus de 65 000 ans. À Cueva de los Aviones, une grotte située dans le sud-est de l'Espagne, ces chercheurs ont également mis au jour des perles de coquillage perforées et des pigments vieux d'au moins 115 000 ans (Voir Science). « Les découvertes faites sur le site d'Aviones sont les plus anciens objets d'ornementation connus à ce jour ; ils précèdent de 20 000 à 40 000 ans toutes les expressions artistiques que nous ayons jamais trouvées sur le continent africain et sont très probablement l’œuvre des Néandertaliens » explique João Zilhão, archéologue de l'Université de Barcelone et coauteur de l'étude. Pour pouvoir dater avec précision ces peintures, les paléontologues ont utilisé une nouvelle méthode reposant sur la présence du thorium.
En juin dernier, une autre étude retentissante effectuée par une équipe franco-danoise a montré, en recourant à la technique de Luminescence Stimulée Optiquement (LSO), que des peintures réalisées sur les parois de la grotte de la Roche-Cotard en Touraine, il y a près de 57 000 ans, sont très probablement l’œuvre des Néandertaliens. Il s’agirait des empreintes d’expression symbolique les plus anciennes attribuées à cette espèce du genre Homo en France, voire en Europe (Voir PLOS ONE). Ces gravures, réalisées sur un panneau de tuffeau, une roche calcaire tendre, se composent de dix panneaux non figuratifs qui se déploient sur une douzaine de mètres de long, C’est avec les doigts que les artistes paléolithiques ont tracé minutieusement ces panneaux, composés de lignes et de points sur les parois et ces scientifiques ont pu en confirmer le caractère humain, en éliminant toutes les autres hypothèses. L’archéologue Jean-Claude Marquet (Université de Tours), co-auteur de l’étude, souligne que ces panneaux gravés ont été créés d’une manière structurée et intentionnelle. « Ces panneaux n’ont pas été produits à la hâte, mais conçus et exécutés avec soin, ce qui montre qu’Homo sapiens n’a plus le monopole des représentations artistiques et symboliques », ajoute ce scientifique.
Une autre découverte majeure concerne le site de Göbekli Tepe, en Turquie, qui est à présent considéré comme le plus ancien temple monumental connu, édifié à partir de la fin du Xᵉ millénaire avant notre ère et réputé pour ses impressionnantes stèles dressées et ses magnifiques reliefs animaliers. Découvert par l’archéologue allemand Klaus Schmidt il y a 20 ans, cet ensemble monumental incroyable porte un nom qui signifie “colline du ventre” en turc ; il se compose d’au moins vingt enceintes circulaires en pierre. La plus grande atteint un diamètre de 20 mètres et comporte en son centre deux piliers sculptés de 5,5 mètres et de plus de dix tonnes, sur lesquels ont été sculptées de remarquables figures humaines stylisées. Il y a quelques mois, des chercheurs de l'Institut archéologique allemand ont découvert sur ce site la sculpture d'un petit sanglier au pied d'une nouvelle stèle, sur une corniche elle-même décorée d'un serpent, d'un croissant de lune et de têtes humaines. Ce relief a pu être daté du IXe millénaire av. J.-C. Au même moment, d’autres archéologues de l'université d'Istanbul ont découvert une statue anthropomorphe colossale sur le site voisin de Karahan Tepe. Cette statue, d’une hauteur de 2,3 mètres, représente un personnage barbu qui pourrait être une représentation d’une divinité.
Outre-Atlantique, une incroyable découverte archéologique a également été révélée il y a quelques semaines. Après plus de vingt ans de recherches, des scientifiques dirigés par l’archéologue Stéphen Rostain ont mis au jour un vaste ensemble très organisé de villes et de routes perdues en Equateur, dans la forêt amazonienne (Voir Science). Une cartographie récente réalisée à l’aide de capteurs laser a révélé que ces sites faisaient partie d’un réseau dense d’établissements et de voies de communication, qui s’étendait dans les contreforts boisés des Andes. Ces structures, qui témoignent d’un haut degré de compétences techniques en matière de construction et d’irrigation, ont été réalisées sur une période de 1000 ans par le peuple Upano entre environ 500 avant J.-C. et 500 après J.-C, une période contemporaine de l’Empire romain en Europe.
Les bâtiments résidentiels et cérémoniels érigés sur plus de 6000 monticules de terre étaient entourés de champs agricoles et de canaux de drainage. Les plus grandes routes mesuraient dix mètres de large et s’étendaient sur dix à vingt kilomètres. Bien qu’il soit difficile d’estimer les populations, le site aurait accueilli jusqu’ à 30 000 personnes à son apogée, selon l’archéologue Antoine Dorison, co-auteur de l’étude au même institut français. Cet ensemble urbain aurait donc été aussi peuplé que Londres à l’époque romaine, qui était alors la plus grande ville de Grande-Bretagne. Cette découverte remet donc en question l’idée que l’Amazonie n’a pas pu accueillir de sociétés évoluées, avant l’arrivée de Christophe Colomb, à la fin du 15e siècle. Pour Stephen Rostain, cette découverte démontre « qu'il n'y avait pas que des autochtones chasseurs-cueilleurs archaïques en Amazonie mais aussi des populations urbaines possédant la maîtrise de techniques sophistiquées de construction et d'agriculture, ainsi qu'une organisation politique et sociale complexe »...
Dans les années 70, des archéologues dirigés par Mickaël Heckenberger avaient déjà montré que l’Amazonie précolombienne avait abrité des populations vingt fois plus nombreuses qu’aujourd’hui et avait développé autour du fleuve Xingu d’extraordinaires réseaux de cités urbaines et d'infrastructures routières qui n’avaient rien à envier à celles des villes d'Europe occidentale d’alors. Ces scientifiques avaient notamment mis à jour le site exceptionnel de Kuhikugu, un immense complexe archéologique comprenant vingt villes et villages, étalés sur plus de 20 000 km2. Cet ensemble qui fut florissant pendant plus de 1000 ans, pour péricliter au XVIème siècle, compta probablement jusqu'à 50 000 habitants...
Toujours récemment, des fouilles sur le site de la ville côtière de Sao Luis, dans l'État de Maranhao, au Brésil, ont mis au jour des milliers d'objets anciens qui pourraient remonter jusqu'à il y a 9000 ans. L'archéologue qui dirige les fouilles, Wellington Lage, a été appelé par le géant brésilien de la construction MRV, en 2019, pour mener une étude sur le site, avant la construction de logements. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que les premiers résultats de ces fouilles dépassent les attentes de ces scientifiques : En quatre années de fouilles ont été déterrés 43 squelettes humains et plus de 100 000 objets anciens, selon l'Institut brésilien d'histoire et d'héritage artistique (Iphan), qui a annoncé cette découverte il y a quelques jours. Les chercheurs vont désormais inventorier les objets, les analyser en détail, avant de les exposer et de publier leurs découvertes. Pour Wellington Lage, « Ces découvertes changent complètement l'histoire non seulement de la région mais de tout le Brésil ». Les scientifiques débattent depuis longtemps de la question de savoir quand et comment des premiers humains sont arrivés sur le continent américain en provenance d'Asie. Les découvertes de ce spécialiste laissent à penser qu'ils se seraient installés dans cette région du Brésil actuel au moins 1400 ans plus tôt que ce qui semblait établi.
Une étude publiée en 2021 dans la revue Science a révélé l’existence d’empreintes qui ont été laissées dans la boue à proximité d'un ancien lac des White Sands (Nouveau Mexique) il y a 21 000 à 23 000 ans, époque à laquelle de vastes étendues de glace auraient empêché l'Homme de se rendre en Amérique du Nord selon les scientifiques (Voir Science). En fouillant la grotte de Chiquihuite, dans le nord du Mexique, d’autres archéologues ont mis au jour des centaines d'outils en pierre taillée révélant une industrie lithique encore méconnue, remontant jusqu'à 33.000 ans avant notre ère. Selon ces chercheurs, ce site, perché en altitude, aurait été occupé pendant 20.000 ans. Ces découvertes battent en brèche la théorie dominante qui voulait que l’arrivée de l’homme sur le continent américain ne puisse pas remonter à plus 13 000 ans, à cause de l’étendue des calottes glacières qui recouvrait le Nord de l’Amérique à cette époque.
Au Pérou, on peut également évoquer la mystérieuse civilisation de Caral, découverte en 1948, qui s’est développé et épanouie entre 3000 et 1800 avant notre ère et est à présent considérée comme la plus vieille civilisation américaine et l’une des plus anciennes du monde, puisqu’elle est contemporaine des Sumériens et des Egyptiens. La capitale, Caral-Supe, située à 180 km au Nord de Lima, s’étend sur 66 hectares et aurait compté, à son apogée, plus de 30 000 habitants. Cette cité extraordinaire, qui est loin d’avoir livré tous ses secrets, s’organisait autour de sept pyramides, aussi anciennes que les pyramides d’Egypte, dont la plus imposante, la Pyramide majeure, mesure 150 m de long, 110 m de large et 28 m de haut. Cette civilisation de Caral, dont l’organisation politique et sociale semble avoir été dominée par une religion d’état puissante, avait également atteint un haut degré de connaissance et de technique dans les domaines de la construction, de l’agriculture et de l’irrigation.
Je reviens à présent au Moyen Orient où une équipe de chercheurs du CNRS a mis en lumière, dans l’oasis de Khaybar, située dans le désert d’Arabie du Nord, des vestiges impressionnants d’une immense fortification datant de l’âge du bronze, entre 2250 et 1950 avant notre ère. Cette découverte archéologique exceptionnelle représente l’une des deux plus grandes oasis fortifiées jamais identifiées en Arabie Saoudite (Voir Science Direct). Ces découvertes confirment l’émergence, dès l’âge du bronze, d’un processus d’urbanisation et de protection des oasis, jouant un rôle majeur dans l’essor des royaumes caravaniers qui s’étaient développés à l’époque le long des routes commerciales majeures empruntées par les caravanes traversant les déserts. Les dimensions de ces fortifications sont colossales pour l’époque : 14,5 km de long, 1,7 à 2,4 m d’épaisseur et 5 m de hauteur. La présence et l’entretien de ces fortifications pendant plusieurs siècles montrent en outre une occupation durable de la région.
C’est dans cette même région que Sept mille ans avant notre ère, des chasseurs du Néolithique aménageaient d’immenses enclos dans de larges étendues désertiques afin d’y piéger le gibier. Baptisés "cerfs-volants du désert", ces immenses structures de plusieurs kilomètres de long témoignent du haut degré de sophistication technique et stratégique auquel était parvenu le peuple qui a imaginé, réalisé et entretenu pendant des siècles ces pièges à gibier très efficaces. On peut également évoquer la découverte récente, dans plusieurs régions du Proche et Moyen Orient, d’immenses dessins gravés dans le sol et ne prenant sens que vus du ciel. Ces structures étonnantes, dont beaucoup sont vieilles de plus de 9000 ans, ont pu être révélées grâce aux images haute définition fournies par les différents satellites d’observation en orbite (Voir PLOS ONE). Une collaboration scientifique interdisciplinaire, dans le cadre du projet de recherche "Globalkites", a permis d’inventorier à ce jour 7000 de ces géoglyphes. Ces formes étranges, discernables uniquement depuis le ciel, sont des pièges disséminés de l’Arabie Saoudite jusqu’au Kazakhstan, en passant la Jordanie, la Syrie, la Turquie, l’Irak, l’Arménie et l’Ouzbékistan. Ces pièges, parfois longs de plusieurs kilomètres, sont composés d’enclos pouvant avoir une superficie allant jusqu'à un hectare. Les chercheurs ont pu démontrer que des murs-guides conduisaient les animaux piégés à tomber dans de nombreuses fosses de 5 à 10 mètres de diamètre et de 2 à 3 mètres de profondeur.
Le plus étonnant est que, selon les archéologues, les bâtisseurs de ces immenses structures ont également voulu donner à ces constructions une dimension symbolique. Ces "cerfs-volants" auraient alors pu servir de structures mémorielles pour les générations futures. Cette conscience et cette maîtrise de l’espace est d’autant plus impressionnante qu’il est très difficile de distinguer le dessin des structures, au niveau du sol, de la même façon que pour les célèbres lignes de Nazca, au Sud du Pérou. Quoiqu’il en soit, ces structures, qui ont perduré pendant des siècles, supposent un haut degré d’organisation sociale et d’intelligence collective, ainsi que la connaissance de techniques d’organisation et de construction bien plus élaborées que celles qu’on prêtait jusqu’à présent aux sociétés de cette époque.
Autre découverte marquante : l’étude récemment publiée par des archéologues du British Museum, qui a mis en lumière toute l’ingéniosité d’un système très perfectionné d'irrigation antique, construit dans la cité sumérienne de Girsu (Voir Ancient Origins). En s’appuyant sur des observations aériennes réalisées par des drones, ces archéologues ont pu établir une modélisation 3D de la structure. Celle-ci, qui remonte à plus de 4000 ans, forme un bief en forme de nœud, surplombé par un pont, ce qui permet de réguler de manière puissante le flux du cours d'eau. Ce canal, long de 19 kilomètres, se resserre en un point, de manière à créer une dépression et à utiliser un phénomène nommé effet Venturi, qui permet une accélération des liquides grâce au rétrécissement d'une zone de circulation. Bien que cet effet Venturi n'ait été théorisé qu'au XIIIe siècle, par le physicien Giovanni Battista Venturi, il semble bien que les Sumériens, ingénieurs, mathématiciens et bâtisseurs hors pair, en connaissaient déjà le principe 2000 ans avant notre ère…
Je termine ce tour d’horizon des découvertes passionnantes sur nos lointains ancêtres en revenant en Europe, plus précisément sur le célèbre site préhistorique de Schöningen, en Allemagne, ou des archéologues de l'université de Tübingen ont découvert en 2020 les restes remarquablement bien conservés de huit bâtons de jets à double pointe vieux de 300.000 ans et donc antérieurs à Homo sapiens (Voir Nature Ecology & Evolution). Ces armes redoutables, lorsqu’elles sont maniées avec habileté, auraient été fabriquées et utilisées pour la chasse par des Hominidés du genre Homo heidelbergensis, qui étaient contemporains des hommes de Neandertal. En février 2023, d’autre chercheurs allemands de l’Université Gutenberg, ont découvert, sur le site de Neumark, en Basse Saxe, les restes de plusieurs dizaines d’éléphants préhistoriques (deux fois plus gros que les éléphants actuels) qui ont manifestement été tués puis soigneusement découpés par des hommes de Neandertal il y a 125 000 ans. Selon ces chercheurs, la carcasse de ces énormes animaux était découpée de manière méthodique et la viande était ensuite probablement séchée et pouvait ainsi nourrir un groupe de quarante personnes pendant au moins un mois (Voir Science Advances).
L’ensemble de ces découvertes nous amène à revoir complètement, non seulement la chronologie du peuplement de la Terre par l’espèce humaine, mais également notre vision concernant l’apparition et la succession des premières civilisations et l’émergence des ruptures symboliques, sociales, culturelles, artistiques et techniques majeures qui ont façonné la longue évolution de l’espèce humaine. Nous savons à présent qu’avant Sapiens, d’autres humains ont développé des compétences remarquables dans tous les domaines et très probablement atteint un niveau d’interrogation spirituel et d’expression symbolique qui n’a pas grand-chose à envier à celui de notre espèce, apparue il y a 300 000 ans en Afrique. Nous savons également que, dès le début du Néolithique, il y a 10 000 ans, existaient déjà des sociétés à haut degré d’organisation sociale, politique et religieuse, capables de bâtir des structures et cités monumentales et possédant peut-être un système d’écriture qui reste à découvrir. Est-ce l’avènement du Néolithique qui a favorisé l’émergence de ces sociétés ou, au contraire, la naissance de ces sociétés qui a permis la révolution de l’agriculture, de l’accumulation des richesses et du commerce entre cités ? La question reste passionnément débattue et le sera sans doute encore longtemps, tant semblent inextricablement liées et interdépendantes les dimensions économiques, sociales, culturelles, techniques et symboliques qui ont façonné la fascinante et foisonnante Histoire de l’Homme…
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
e-mail : tregouet@gmail.com
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