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Evolution record

Selon un chercheur américain, soixante ans ont suffi pour que les saumons du lac Washington se scindent en deux populations distinctes. Une rapidité qui contredit l'idée d'une évolution étalée sur des centaines ou des milliers d'années. Cela se passait sous leur nez et ils ne le voyaient pas ! Depuis plus d'un siècle, les scientifiques ont renoncé à l'idée de voir, vivre et décrire en direct l'émergence d'une nouvelle espèce. Une vie humaine ne suffisait pas, à les entendre, pour observer un processus aussi long et aussi étiré dans le temps, voire parfois interminable. Pourtant, un chercheur américain affirme aujourd'hui avoir saisi sur le vif, ou presque, l'évolution d'un groupe de poissons sauvages. Et plus précisément le mécanisme clé de leur spéciation, c'est-à-dire de leur formation en deux espèces distinctes : l'isolement reproductif. Dans un article publié le mois dernier par la revue américaine Science, Andrew Hendry, de l'université du Massachusetts (Etats-Unis), retrace ainsi l'épopée évolutive des saumons Sockeye du lac Washington. Une histoire qui s'inscrit non pas en milliers, ni même en centaines, mais en quelques dizaines d'années à peine. Les saumons, reconnaissables à leur livrée d'un beau rouge Mercurochrome, ont été introduits à la fin des années 30 dans le lac Washington, non loin de Seattle. Soixante ans plus tard, deux groupes distincts se sont formés. L'un s'est établi près du rivage, ce sont les " saumons de la plage ". L'autre fraie dans la Cedar River, qui alimente cette grande nappe d'eau douce de près de 90 km2. Comme s'y attendaient les écologues, les deux populations ont développé des adaptations différentes, et tout d'abord dans leur apparence. Les mâles de la plage sont ainsi plus charpentés que leurs congénères de la rivière. " La différence est en moyenne de 10 %, explique l'écologiste Andrew Hendry qui a consacré huit années à les étudier. Ce trait influence leur succès reproducteur ". Les femelles semblent plus sensibles aux costauds. Dans une rivière balayée par un fort courant en revanche, un corps épais serait un handicap sur le plan hydrodynamique. Les mâles de la rivière Cedar sont donc restés particulièrement sveltes, affinant même un profil aérodynamique. A l'inverse, leurs femelles ont pris de l'ampleur et de la longueur. C'est qu'il faut une certaine force pour creuser son nid dans le gravier de la rivière, tout en résistant au courant. De telles adaptations - avec écotypes différents - ont déjà été constatées chez d'autres saumons, " captifs " des grands lacs américains depuis 10 000 ans, c'est-à-dire depuis qu'ils se sont vu bloquer l'accès à la mer lors des dernières glaciations. Mais la rapidité du processus a, cette fois, de quoi surprendre. Les observations menées sur les saumons l'ont été, et c'est une première, sur la vie sauvage. Plus fort encore, l'étude de Science a enfin démontré in vivo ce que pressentaient les modèles théoriques de la spéciation : ce sont les différences développées par une population pour s'adapter à un nouveau milieu qui contribuent peu à peu à l'isoler sexuellement. Et qui finissent par l'empêcher de se reproduire avec les membres de la population dont elle est originaire, faisant naître une nouvelle espèce. Un isolement géographique strict n'est même pas indispensable au processus. Cet isolement reproductif se serait installé en cinquante-six ans maximum (entre 1937, date de l'introduction des Sockeye, et 1992, date des premières études), c'est-à-dire en l'espace de treize générations à peine. Soit dix fois moins de temps qu'il n'en faut pour faire une espèce, selon les modèles en cours. Un bond dans le temps, même si Andrew Hendry souligne qu'il faudra sans doute encore quelques générations avant que les saumons ne soient totalement différenciés et isolés sur le plan génétique.

Science&Avenir :

http://www.sciencesetavenir.com/vivre/page68.html

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