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Edito : Et si la vie obéissait à la Physique Quantique ?
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L’édification de la physique quantique fut certainement l’une des plus grandes aventures scientifiques de tous les temps et représente un saut conceptuel majeur dans notre connaissance intime du réel et des lois qui gouvernent la Nature. De 1900 à 1927, une génération de physiciens et théoriciens géniaux, parmi lesquels on retrouve Einstein, Planck, Bohr, De Broglie, Dirac, Born, Pauli, Schrödinger et Heisenberg, pour ne citer que les principaux, construisit une nouvelle représentation de l’infiniment petit et du monde des particules et des atomes. Le parachèvement théorique de cette nouvelle physique, souvent déroutante et particulièrement abstraite, fut le principe d’indétermination d’Heisenberg (1927), et la fonction d’onde, pressentie par De Broglie, en 1924 et formalisée par l’Autrichien Schrödinger en 1927.
En moins de 30 ans, les physiciens avaient dû se rendre à l’évidence, au grand dam d’Einstein qui, bien qu’ayant joué un rôle majeur dans l’émergence de la mécanique quantique (avec la découverte de l’effet photoélectrique qui lui vaudra son prix Nobel), n’accepta jamais complètement les immenses conséquences épistémologiques et philosophiques de cette étrange physique qui impose ses lois déroutantes dans le domaine de l’infiniment petit.
A cette échelle atomique et subatomique, les lois et règles de la physique classique cessent de s’appliquer et il devient impossible d’isoler de manière précise, dans le temps et dans l’espace, les « objets », que représentent les particules et les atomes. Ceux-ci n’existent plus indépendamment de l’observateur et, en outre, ils se comportent, selon les méthodes employées pour les observer, tantôt comme des ondes, étendues dans l’espace, tantôt comme des particules ponctuelles…
Mais la propriété sans doute la plus étrange de la physique quantique est le principe d’intrication, qui veut que, lorsque deux particules, deux photons par exemple, sont issues d’une même source et sont ensuite séparées, même par d’immenses distances, elles restent liées entre elles, de sorte que, toute mesure sur l’une de ses particules aura une influence immédiate sur le comportement de l’autre !
Il fallut cependant attendre 1982 pour qu’une série d’expériences mémorables, menées sous la direction du grand physicien français Alain Aspect, à l’Institut d’optique d’Orsay, démontre de manière incontestable la réalité de cet étrange principe d’intrication quantique.
C’est au cours de la même période, à partir des années 1980, que quelques scientifiques de renom, comme Roger Penrose ou John Eccles (Prix Nobel de Médecine 1964), commencèrent à poser l’hypothèse imaginant que les lois de la physique quantique ne se limitaient peut-être pas au monde des particules et se manifestaient probablement, sous des formes qui restaient à découvrir, dans le domaine de la biologie, qu’il s’agisse des processus d’échange et de transformation d’énergie, ou même des mécanismes de production et d’échanges d’informations à l’œuvre dans notre cerveau.
Depuis une dizaine d’années, physiciens, chimistes et biologistes n’ont cessé de repousser les limites de manifestation des phénomènes quantiques, et ont montré, par exemple, que, dans certaines conditions expérimentales précises, on pouvait observer la nature ondulatoire de la matière, non seulement pour les particules, mais aussi pour les atomes, et même pour de grosses molécules organiques.
Dans ce domaine, une avancée décisive a été accomplie en 2012, quand une équipe internationale réunissant des scientifiques autrichiens, israéliens et suisses, a mis au point un nouveau dispositif très sophistiqué, conçu pour révéler d’éventuelles franges d’interférences pour des molécules massives. Ces chercheurs ont réussi à concevoir un dispositif expérimental composé d’un ensemble de fentes parallèles reprenant le célèbre principe des fentes (imaginé et testé par Thomas Young en 1804), ainsi qu'un système optique capable de réaliser l'image de chaque molécule et de la localiser sur l'écran avec une précision de dix nanomètres.
Ces scientifiques ont ainsi pu constater qu’après avoir traversé le dispositif de nanofentes, les molécules venaient frapper une plaque en verre éclairée par un laser, ce qui permettait de réaliser un film vidéo, à l’aide d'une caméra CCD ultrasensible. Et sur ce film, on pouvait voir de manière très nette la présence caractéristique de fanges d'interférence (alternance de bandes sombres et claires) formées par ces molécules, en l’occurrence de la phtalocyanine, un colorant synthétique utilisé dans la fabrication des encres et peintures, ce qui démontrait sans ambiguïté que ces objets, pourtant bien plus massifs et volumineux que des particules, avaient manifesté, eux-aussi, un comportement ondulatoire.
En 2007, les physiciens Graham Fleming, Gregory Engel, avaient déjà montré que les Bacteriochlorophylles, des pigments photosynthétiques présents dans les bactéries sulfureuses vertes étaient capables de cohérence quantique, dans des conditions de très basses températures (-196 °) pour optimiser le transfert de l'énergie lumineuse absorbée. Quelques années plus tard, la même équipe alla plus loin, en montrant cette fois qu’on pouvait également observer ce phénomène de cohérence quantique pendant un temps-record (300 femtosecondes) à la température, beaucoup plus « chaude » de 4°C.
Plus récemment, une autre équipe, dirigée par Gregory Scholes, de l'Université de Toronto, est allée encore plus loin, en montrant que, dans les algues Chroomonas et Rhodomonas, les cellules réceptrices qui captent les photons savent utiliser les propriétés quantiques pour optimiser les transferts d'énergie le long des pigments moléculaires. Ces travaux ont également montré que la cohérence quantique, dans ce cas précis, était maintenue pendant 400 femtosecondes (4 × 10-13 seconde) à température ambiante, ce qui était, jusqu’alors, considéré comme impossible…
Enfin, il y a quelques jours, une équipe internationale de recherche de l'Université de Vienne a publié une étude montrant la présence de franges d'interférence, avec des molécules de gramicidine, un antibiotique naturel composé de 15 acides aminés (Voir Nature).
Pour mettre en évidence ce comportement quantique, les scientifiques ont eu recours à une technologie de pointe : ils ont utilisé des impulsions laser ultra-brèves pour manipuler et transporter ces molécules à très basse température, sans les détériorer. Grâce à ce dispositif ingénieux, les chercheurs ont alors pu observer que les molécule de gramicidine produisait des franges d’interférence associées à une longueur d'onde de 350 femtomètres (1 femtomètre est égal à 10-15 mètres), soit exactement la longueur d’onde prévue par la théorie quantique… Fort de ces résultats, ces chercheurs se disent persuadés qu’avec ces nouveaux dispositifs expérimentaux très sensibles, il sera bientôt possible de démontrer que l’ensemble des molécules biologiques, protéines, enzymes, ADN, expriment des propriétés quantiques encore ignorées, ce qui ouvre d’immenses et passionnantes perspectives de recherche et jette un nouveau pont entre le monde de la physique et celui de la biologie.
La neurobiologie et les neurosciences s’intéressent également à la dimension quantique que pourrait revêtir le fonctionnement de notre cerveau et de notre système nerveux. Le physicien quantique Matthew Fisher est par exemple persuadé que les capacités et propriétés extraordinaires de notre cerveau ne pourront être pleinement comprises qu’en prenant en compte les lois de la physique quantique qui se manifestent au niveau de son fonctionnement atomique et moléculaire.
Matthew Fisher, contrairement à ses prédécesseurs, notamment Penrose et Eccles, a revu ses ambitions à la baisse, Il ne prétend pas démontrer une nature quantique de la conscience, mais cherche, dans un premier temps, à mettre en lumière l’existence de certains phénomènes quantiques dans certains mécanismes et processus biochimiques relativement simples, qui se déroulent dans notre cerveau.
Dans cette perspective, l’angle d’attaque de Matthew Fisher concerne les raisons de l’efficacité thérapeutique du lithium, toujours inexpliquée, sur certains troubles psychiatriques ou cognitifs. Fisher pose l’hypothèse que la physique quantique pourrait bien expliquer cette action incomprise du lithium sur notre cerveau.
En effet, les noyaux atomiques possèdent une propriété quantique spécifique, le spin. Le spin peut se définir comme le moment cinétique propre du noyau, ou, pour simplifier et être plus concret, sa capacité de rotation sur lui-même. Le spin ne peut prendre que certaines valeurs « discrètes », correspondant à des multiples entiers ou demi-entiers de la constante de Planck.
Selon Fisher, grâce à son spin bas (1/2), un noyau lithium est suffisamment protégé des perturbations électromagnétiques ambiantes dans le cerveau pour éviter la décohérence quantique pendant de longues minutes, ce qui expliquerait sa capacité d’action. Mais le lithium n'est pas présent naturellement dans le cerveau, ce qui n’est pas le cas de l’acide phosphorique, constitué d’atomes de phosphore dont le noyau possède un spin de ½, lui permettant précisément de rester cohérent plusieurs minutes.
Fisher pense qu’il existe très probablement de nombreuses réactions chimiques dans le cerveau, susceptibles de produire des états d’intrication quantique entre spins de noyaux. Parmi ces réactions, il en a identifié une qui l’intéresse particulièrement. Il s’agit de celle qui implique une enzyme, la pyrophosphatase. Au cours de cette réaction, la liaison entre deux ions phosphates est brisée, ce qui produit deux ions phosphates séparés. Au cours de ce processus, les noyaux de ces ions devraient, en théorie, connaître un état d’intrication quantique. Fisher veut à présent démontrer, sur le plan expérimental, son hypothèse, ce qui lui permettrait de prouver que l’action thérapeutique du lithium sur le cerveau a bien un fondement quantique.
Comme le souligne Fisher, « Si depuis 3,5 milliards d’années, la vie a appris à utiliser les propriétés quantiques pour rendre aussi efficace la photosynthèse chlorophyllienne, pourquoi n'aurait-elle pas également cherché à exploiter les lois de la physique quantique pour améliorer l’efficacité de notre cerveau au cours de notre longue évolution, donnant ainsi à notre espèce un avantage compétitif décisif ? »
Fisher souligne également que notre cerveau n’est pas seulement capable, pour une consommation d’énergie dérisoire, au regard de celle de n’importe quel ordinateur, de réaliser des calculs très complexes, il est également apte à produire, évaluer, comparer instantanément des scénarios imaginaires, face à un problème imprévu, et surtout à donner un sens, une intention aux actions qu’il conçoit, ce qui le distingue radicalement d’un ordinateur, même surpuissant, qui ne sait pas ce qu’il fait et n’est pas conscient de son existence.
Pour que notre cerveau possède une telle capacité à comprendre le réel et à agir effacement sur son environnement, il est donc raisonnable d’imaginer qu’il puisse fonctionner à un niveau quantique, ou du moins, exploiter les lois de la physique quantique pour réaliser certaines opérations de conceptualisation ou de représentation hautement complexes.
Il se pourrait bien que la matière, la vie et la conscience soient finalement toutes gouvernées par les étranges lois de la physique quantique, ce qui n’exclut pas, bien sûr, l’existence et l’émergence d’autres niveaux d’organisations, régis par d’autres lois, spécifiques au vivant. On le voit, la recherche et le dévoilement progressif de la dimension quantique de la vie et des organismes vivants, loin de conduire à un nouveau réductionnisme, éclairent d’une lumière nouvelle la prodigieuse évolution du vivant vers une complexité toujours plus grande, jusqu’à voir l’émergence d’une espèce singulière entre toutes, homo sapiens, capable de reconstruire et de comprendre sa propre genèse, et d’imaginer sa destinée, en regardant les étoiles.
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
e-mail : tregouet@gmail.com
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