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Edito : ET SI LA BONNE VIEILLE VOITURE AVEC UN MOTEUR THERMIQUE FONCTIONNANT A L'HYDROGENE BATTAIT LA VOITURE ELECTRIQUE...

L’exploit n’a pas fait la une des journaux, mais il marque pourtant une rupture technique qui n’a sans doute pas fini de bouleverser les perspectives qui s’ouvrent pour la mobilité propre. En décembre dernier, sur le circuit de glace de Val Thorens (Savoie), le pilote d’endurance Adrien Tambay, fils de l’ancien champion de Formule 1, a couvert, au volant d’une Hyundai Nexo de série fonctionnant à l’hydrogène, 190 tours en six heures, soit une distance de 152 km, de ce circuit alpin. Le Nexo aura consommé 3,1 kg d’hydrogène aux 100 km. Cette performance est venue rappeler que le bon vieux moteur thermique, inventé il y a 163 ans par le génial ingénieur franco-belge Etienne Lenoir (c’était un petit moteur deux temps d’une puissance de deux chevaux, fonctionnant au gaz), est en train de retrouver, grâce à l’hydrogène, une nouvelle jeunesse, qui pourrait bien en faire la clef de voute que l’on attendait pour décarboner de manière économique et rapide, le secteur dit de « la mobilité lourde », qui représente 2 % des véhicules en circulation, mais près du quart des neuf milliards de tonnes d’émissions de CO2 liées aux transports dans le monde (sur un total de 36,5 milliards de tonnes d’émissions entropiques de CO2 en 2021).

Même si l’hydrogène reste difficile à stocker et à distribuer, en raison de sa grande volatilité et son pouvoir explosif, un plein d’hydrogène se fait aussi rapidement qu’un plein d’essence, alors qu’il vous faudra, à condition que vous puissiez trouver une borne à recharge rapide libre, près de 30 minutes pour récupérer 80 % de la capacité de votre voiture électrique. Autre avantage qui a été confirmé par le record de Val Thorens, le moteur à hydrogène a conservé ses performances par une température de – 20 degrés, alors que la batterie d’un véhicule électrique, avec un tel froid, aurait perdu près de 30 % de sa capacité.

De manière avouée, ou plus discrète, tous les constructeurs automobiles, refusant de se laisser enfermer dans l’alternative véhicule tout électrique ou véhicule à PAC (Pile à Combustible), travaillent sur l’adaptation de leurs moteurs thermiques à l’hydrogène, ce qui leur permet de capitaliser sur un savoir-faire technique ancien et considérable et surtout de conserver le même outil industriel. Lexus, qui appartient au géant japonais Toyota, a développé un nouveau concept, baptisé ROV (pour Recreational Off-highway Vehicle). Cette voiture à hydrogène ressemble à un buggy assez classique. Mais, sous le capot, on trouve un moteur à hydrogène de 1,0 litre de cylindrée, qui fonctionne comme un modèle thermique classique, avec toutefois une différence de taille : il est alimenté par de l'hydrogène issu d'un réservoir haute pression. Cerise sur le gâteau, l’excellent pouvoir de combustion de l'hydrogène augmente sensiblement le couple du moteur, afin d'offrir les mêmes sensations de conduite qu'un bloc thermique !

Lexus entend montrer que l'hydrogène ne se cantonnera pas, à l’avenir, à simplement alimenter un moteur électrique, du type Mirai, la voiture à PAC de Toyota qui a d'ailleurs récemment battu un record du monde d'autonomie, pour une voiture de série, en roulant plus de 1.000 km avec une seule charge d'hydrogène. En France, le groupe Renault et Stellantis (via Citroën, Peugeot et Opel) ont également senti le vent tourner et, après être passés à côté de l’hybride, il y a 25 ans, ils ne veulent pas rater cette nouvelle rupture technologique du moteur thermique à hydrogène, même si, pour l’instant, ils visent en priorité le marché des utilitaires. D'autres projets plus originaux viennent de voir le jour, comme Hopium Machina, une berline haut de gamme, attendue pour 2025, qui promet des performances inédites pour un véhicule de série à hydrogène : 500 ch de puissance et 1000 km d'autonomie.

En Chine, le fabricant de moteurs China Yuchai International a annoncé que son moteur à hydrogène YCK05 était au point. Destiné, pour l’instant, au marché intérieur, ce moteur à hydrogène intègre plusieurs technologies avancées telles que l’injection multipoints d'air à haute pression, la turbocompression à faible inertie et à haut rendement, mais aussi une solution originale de combustion à mélange pauvre. Yuchai, qui a développé ce moteur à combustion utilisant de l’hydrogène comme carburant, avec le réputé Institut de technologie de Pékin, entend bien s’imposer, d’ici 2025, sur le marché chinois des cars et utilitaires, et veut également devenir un acteur incontournable du moteur thermique à hydrogène, sur le marché mondial.

Mais si tous les constructeurs automobiles et poids-lourds développent des moteurs thermiques de nouvelle génération à hydrogène, ils tentent également d’adapter les véhicules classiques à moteur thermique à l'hydrogène, en remplacement de l'essence ou du diesel. La Commission européenne, qui a décidé la fin, en 2035, des moteurs thermiques fonctionnant avec du diesel ou de l'essence, les encourage parallèlement à adapter les moteurs à combustion aux énergies propres. Et c’est précisément l'objectif du laboratoire lyonnais de l'Ifpen (Institut français du pétrole et des énergies nouvelles), qui a développé un petit moteur thermique très performant, et très peu polluant, d’une trentaine de chevaux, monocylindre de 580 cm3, alimenté à l'hydrogène. L’avantage de cette technologie c’est qu’elle ne nécessite pas de grosses modifications sur le véhicule : il suffit de changer le réservoir, d’installer un boîtier électronique et de modifier le circuit d'injection.

Selon l’IFPEN, le moteur thermique à hydrogène est rentable pour les gros véhicules, destinés au transport ferroviaire, fluvial et maritime. Mais l’essor du moteur à hydrogène dépendra également du développement du réseau de stations de recharge, et de la capacité de production massive d'hydrogène vert, à partir des énergies renouvelables, mais aussi du nucléaire. L’IFPEN souligne, en outre, que, les moteurs thermiques ne nécessitent pas, contrairement aux piles à combustible, d’hydrogène de grande pureté, ce qui simplifie la distribution du carburant. Dernier atout, le moteur thermique a fait des progrès considérables en termes de rendement ces dernières années, ce qui rend à la fois possible et économiquement viable son évolution vers le moteur à hydrogène. Il est vrai qu’en 2021, le parc électromobile ne représentait encore que 10 millions de véhicules électriques sur le 1,4 milliard de véhicules avec un moteur thermique circulant dans le monde. Et même si les voitures électriques ont doublé leur part de marché en Europe en 2021 (7,5 %, contre 3,5 % en 2020), l’essor des véhicules « tout électrique » risque de se heurter, sans ruptures technologiques majeures, à la raréfaction croissante des ressources exploitables de cobalt, du cuivre, du lithium et de nickel et le coût des batteries électriques.

En raison de son efficience énergétique, de sa compacité et de sa fiabilité, le moteur à hydrogène devrait d’abord se développer avec les véhicules lourds terrestres, bus, camions et trains, avant de s’étendre au secteur maritime (cargos, ferries, navettes), puis de gagner à plus long terme le secteur aérien, où les défis techniques à relever sont plus importants. En France, de nombreuses villes se sont déjà converties à l’hydrogène pour leurs flottes de bus et de bennes à ordures. Les dernières prévisions tablent sur 450.000 utilitaires et 10.000 camions à hydrogène en 2030. Quant au prix du kilo d’hydrogène, il devrait être divisé par quatre d’ici 10 ans, passant à 3 euros selon les professionnels.

Pour Motohiko Nishimura, directeur général de Kawasaki Heavy Industries, « En termes de durabilité et de fiabilité, le moteur à combustion interne à hydrogène est supérieur aux piles à combustible, ce qui le rend adapté à une utilisation intensive sur les navires, les machines lourdes et les bus et camions longue distance ». Anders Johansson, vice-président des équipementiers poids lourds chez Westport Fuel Systems, partage cet avis et souligne que « L'hydrogène comme carburant de moteurs à combustion interne est une solution technologique mature et fiable ». Westport Fuel Systems a d’ailleurs publié, il y a un an, une étude réalisée avec le consultant autrichien en industrie automobile AVL. Celle-ci compare les bénéfices de l’injection d’hydrogène dans 3 types de moteurs utilisés sur les poids lourds pour un fonctionnement au gaz, en particulier au GNL. L’étude montre que l’injection d’hydrogène dans les moteurs diesel HPDI reste, certes, 10 % plus chère (sur l’ensemble du cycle de vie), que l’injection diesel, mais est plus efficace pour l’environnement et moins coûteuse de 12 % qu’un camion électrique à pile hydrogène (Voir Green Car Congress).

Depuis trois ans, le transporteur Transdev, et Fernand de Sousa, un entrepreneur d’Hangest-en-Santerre (Somme) qui dirige IBF, une entreprise de dépannage, entretien et réparation de véhicules de transport en commun, travaillent sur un prototype de bus « rétrofité », c’est-à-dire modifié pour accueillir un moteur à hydrogène. Leur objectif est de proposer un véhicule qui pourra accomplir 700 km avec un seul plein d’hydrogène, et sera proposé à 352 000 euros aux collectivités, un prix inférieur à celui d’un bus classique…

Pour Adina Vălean, Commissaire européenne aux Transports, l’hydrogène devrait jouer un rôle important dans la décarbonation des transports, et l’UE prévoit que à 24 % de l’énergie consommée pourraient provenir de l’hydrogène en 2050. Pour atteindre cet objectif ambitieux, l’UE veut soutenir la création d’un réseau de distribution d’hydrogène suffisamment dense pour permettre la circulation de 60 000 camions à hydrogène sur les routes européennes d’ici 2030. L’objectif européen étant qu’en 2030, un camion neuf sur cinq vendu  fonctionne à l’hydrogène.

Du côté du rail, la révolution de l’hydrogène est également bien engagée. En septembre dernier, le train à hydrogène « Coradia iLint » du français Alstom a déroulé ses premiers essais concluants sur les voies du Centre d’essais ferroviaire à Valenciennes (Nord). D’ici une dizaine d’années, la SNCF envisage de remplacer les 1 200 trains qui circulent au diesel par ces trains à hydrogène, qui pourront rouler sur les 40 % de notre réseau ferré non électrifié. Rappelons que la SNCF a commandé 12 trains à hydrogène, d’une autonomie de 600 km, à Alstom, pour le compte de quatre régions. Bourgogne-Franche-Comté, Grand Est, Occitanie et Auvergne-Rhône-Alpes. Les premiers essais sont annoncés pour 2023 avec une mise en service commerciale en 2025. Ce basculement vers un modèle de transport ferroviaire à hydrogène pourrait à terme permettre le maintien de 9 000 km de voies de desserte locale, jouant un rôle majeur dans l’aménagement du territoire, dans lesquels les régions et l’Etat vont investir 7 milliards d’euros.

S’agissant du secteur aérien, une étude récente de l'ONG International Council on Clean Transportation (ICCT) a montré que l’arrivée d'avions propulsés à l'hydrogène à partir de 2035 permettra de limiter les émissions de CO2 mais pas de réduire à eux seuls l'empreinte carbone du secteur aérien (Voir ICCT). L’étude souligne que, si les vols long-courriers ne peuvent être propulsés à l'hydrogène, notamment en raison du volume qui serait nécessaire à son stockage à bord, « les avions à hydrogène sont viables sur les vols court et moyen-courrier et pourraient pratiquement éliminer les émissions de CO2 ». Ces avions, dont l’autonomie resterait inférieure à celle des appareils consommant du kérosène, pourraient représenter près du tiers du trafic passager mondial à compter de 2035.

L’étude de l'ICCT a imaginé un scénario intégrant deux projets d'avions à hydrogène : un biréacteur monocouloir de la classe A320 et un avion régional turbopropulseur type ATR-72. Le biréacteur couvrirait 71 % du marché des monocouloirs et pourrait transporter 165 passagers sur 3400 kilomètres ; le turbopropulseur représenterait 97 % de son marché et pourrait, lui, transporter 70 passagers sur 1400 kilomètres. Sachant que le secteur aérien émet plus de 3 % des émissions mondiales de CO2 et devrait doubler d'ici 2050, l’étude a calculé que, si la totalité des liaisons aériennes éligibles étaient desservies par des avions à hydrogène en 2050, ces derniers permettraient de réduire les émissions du transport aérien de 31 %, soit 628 millions de tonnes de CO2.

En France, Airbus, dans le nouveau cadre européen de la réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, travaille sur plusieurs projets complémentaires d’appareils à hydrogène : d’abord Le Turboprop, qui part de l’actuel ATR à 2 moteurs à hélice. Il serait capable de transporter une centaine de passagers sur 1 800 km. Deuxième projet, le Turbofan. Cet appareil, proche de l’A320, aurait une autonomie de 4 000 km, et pourrait embarquer jusque 200 voyageurs. Enfin, Arbus travaille sur un concept plus futuriste d’aile volante baptisé Blended-Wing Body, qui offre la meilleure aérodynamique, et permet de stocker de grandes quantités d’hydrogène.

La start-up toulousaine, Beyond Aero, installée sur l'ancienne base aérienne de Toulouse-Francazal, espère, pour sa part, mettre au point un appareil à propulsion hydrogène, sans émission de CO2, avant la fin de la décennie. Créée il y a 18 mois par trois ingénieurs de l'ISAE-Supaero, HEC et Polytechnique, la jeune pousse travaille sur un appareil de six à dix places, propulsé par une pile à combustible hydrogène. Beyond Aero veut faire sauter le verrou technologique des avions électriques, dont l’autonomie ne dépasse pas 600 km, à cause du poids et de la densité énergétique limitée des batteries lithium-ion. « Nous visons un rayon d'action de plus de 1.000 miles nautiques (1.850 km), soit trois à quatre fois plus que la plupart des projets concurrents. De quoi relier Paris à Berlin, Londres à Varsovie, ou Milan à Barcelone », souligne Eloa Guillotin, co-fondateur de la société. Mais Airbus et Beyond Aero vont devoir affronter de redoutables concurrents internationaux, comme ZeroAvia, soutenu par Bill Gates, Jeff Bezos et British Airways. Ce constructeur vise les premiers vols commerciaux de son avion à hydrogène « rétrofité » dès 2024, entre Rotterdam et Londres.

Terminons ce rapide tour d’horizon sur la révolution en cours du moteur à hydrogène, par une remarquable innovation. Une entreprise Israélienne, Aquarius Engines, a dévoilé un nouveau moteur à hydrogène qui pourrait bien permettre de nous affranchir à la fois des piles à hydrogène et des combustibles fossiles, dans de nombreuses applications de transports. Le moteur linéaire à piston libre d’Aquarius ne pèse que 10 kg. Il possède un seul cylindre central dans lequel le piston se déplace entre deux chambres de combustion. Dans les premières versions, Aquarius utilisait des combustibles fossiles pour créer une combustion, mais l’entreprise se tourne à présent vers l’hydrogène afin de limiter les émissions polluantes. La société affirme que la société d’ingénierie autrichienne AVL-Schrick a récemment terminé des tests, confirmant que ce moteur peut fonctionner à l’hydrogène (Voir Automotive).

La grande innovation de ce moteur réside dans sa simplicité radicale, par rapport à un moteur à combustion interne traditionnel. Avec son piston unique qui se déplace sur un seul axe, ce moteur ne compte que vingt pièces fixes et une seule pièce mobile. Il ne nécessite même pas d’huile pour la lubrification, selon l’entreprise. L’avantage de ce concept est un coût de fabrication beaucoup plus bas, ainsi qu’une efficacité et une facilité d’entretien inégalées. A chaque mouvement du piston, l’arbre se déplace et interagit avec des bobines magnétiques à chaque extrémité du moteur. C’est ce qui génère l’électricité qui alimente les batteries de la voiture ou du deux-roues sur lequel il peut être installé. Il a une puissance de 16 kW (un peu plus de 20 ch) bien qu’il soit capable de générer jusqu’à 80 (environ 107 ch). On peut imaginer qu'un moteur aussi performant et fiable puisse trouver de nombreuses applications dans les transports, y compris aérien.

On le voit, dans le nouveau cadre contraignant de la réduction drastique des émissions de CO2, et de la fin annoncée des énergies et carburants fossiles, le moteur thermique, que l’on avait enterré un peu vite, est en train de trouver une nouvelle jeunesse et n’a pas fini de nous étonner par sa capacité à se réinventer. En réussissant à s’inscrire dans un véritable « pentagone magique », efficacité, sobriété, propreté, longévité et fiabilité, ce moteur thermique de nouvelle génération, associé à l’hydrogène comme carburant, change la donne et pourrait bien accélérer de manière décisive la décarbonation de la mobilité lourde, et plus largement de l’ensemble des transports. Il parait plus que probable que, quelles que soient les ruptures technologiques qui interviendront dans les deux autres modes de propulsion du futur, la pile à combustible et les batteries, le moteur thermique à hydrogène, qui a encore une grande marge de progression, sera demain au cœur de la transition énergétique mondiale et de la lutte contre le changement climatique…

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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