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Edito : Et si bientôt, la Science savait réparer nos neurones ?
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René Trégouët
Sénateur Honoraire
Créateur du Groupe de Prospective du Sénat
Rédacteur en Chef de RT Flash
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EDITORIAL :
Et si bientôt, la Science savait réparer nos neurones ?
Le concept de neurone, comme unité structurelle et fonctionnelle de base du système nerveux, a été établi il y a plus d’un siècle, en 1888 par Santiago Ramón y Cajal (1852-1934), le grand médecin et neuroscientifique catalan. Nous savons à présent qu’il existe une grande variété de neurones qui peuvent être classés de trois manières. Premièrement, en fonction de leur nombre de neurites (axones ou dendrites) ; on parlera alors de neurones unipolaires, bipolaires ou multipolaires. La deuxième classification se fait en fonction de leur structure : on distinguera par exemple les cellules pyramidales (dans la matière grise), et les neurones en étoiles (dans le cortex cérébral). Enfin la dernière classification se fait sur le critère fonctionnel, avec trois catégories de neurones. La première regroupe les interneurones, qui assurent la communication entre les neurones sensoriels. La deuxième est celle des motoneurones, qui contrôlent directement ou indirectement les glandes et les muscles. Enfin la troisième catégorie est celle des neurones sensoriels, situés dans le système nerveux et qui vont avoir pour mission de convertir les stimuli externes de l’environnement en impulsions électriques internes.
Les neurones communiquent entre eux de manière remarquable en utilisant un mode électrochimique de transmission des signaux. L’influx nerveux se propage le long de l’axone, jusqu’à atteindre la terminaison synaptique. En fonction de la fréquence de cet influx nerveux, le neurone stimulé produit des substances chimiques, les neurotransmetteurs, qui sont libérés au niveau de la synapse et vont, selon un processus en cascade, activer ou inhiber un second neurone au niveau de sa dendrite ou de son corps cellulaire. C’est ainsi que l’influx nerveux peut se transmettre dans le cerveau. Quant aux neuromédiateurs (plusieurs dizaines sont connus à ce jour) il en existe sept groupes principaux (Glutamate, GABA, Dopamine, Adrénaline, Sérotonine, Ocytocine et acétylcholine), qui sont soit « excitateurs », ce qui signifie qu’ils déclenchent une action dans une autre cellule, soit « inhibiteurs, ce qui veut dire qu’ils bloquent l’influx nerveux.
Pendant plus d’un siècle, il était admis par la communauté scientifique que le cerveau des mammifères était incapable de produire de nouveaux neurones à partir de l’âge adulte et que, par conséquent, notre « capital » de neurones était voué à une lente mais inexorable diminution, à mesure que nous vieillissions. Mais ce dogme tenace commença à s’effriter en 1998, quand Elisabeth Gould et son équipe observèrent la présence de neurogenèse dans l’hippocampe et les bulbes olfactifs de primates adultes. La même année, l’équipe du chercheur suédois Peter Eriksson et de l’américain Fred H. Gage montra qu’il y avait bien production de nouveaux neurones dans le gyrus dentelé de cerveaux humains adultes. Ces chercheurs purent également montrer que ces nouveaux neurones produits à partir de cellules souches se différenciaient en neurones matures avec dendrites et axones.
Fin 1999, Elizabeth Gould publia une nouvelle étude montrant que de nouveaux neurones étaient produits dans trois régions du néocortex du macaque adulte (le cortex préfrontal, temporal inférieur et pariétal postérieur), impliquées dans des fonctions cognitives supérieures. Mais cette découverte se heurta au scepticisme d’une partie de la communauté scientifique, qui avait du mal à admettre que la région la plus récente du cerveau, sur le plan de l’évolution de notre espèce, était capable de produire de nouveaux neurones.
Cette question capitale a définitivement été tranchée par une étude très solide, publiée en 2019 par des chercheurs de l’Université de Madrid (Voir Nature Medicine). Dans ce travail rigoureux, les chercheurs ont utilisé différents types de marqueurs afin d’étudier dans un premier temps l’absence ou la présence de nouveaux neurones dans certaines structures cérébrales et dans un deuxième temps la maturation de ces nouveaux neurones. Ce travail a pu montrer que, chez l’homme, de nouveaux neurones sont bien produits dans le gyrus denté de l’hippocampe, structure impliquée dans les processus de mémoire. Il est à présent largement admis par la communauté scientifique que, pour un « capital » de départ un peu revu à la baisse, et à présent estimé à 86 milliards de neurones pour un cerveau adulte moyen, chaque jour, tout au long de notre vie, ce sont entre 1500 et 500 neurones de l'hippocampe du cerveau humain qui sont renouvelés (la production de nouveaux neurones diminuant régulièrement avec l’âge), soit un demi-million à 1,5 million de nouveaux neurones chaque année en moyenne. À titre de comparaison, un adulte perd chaque jour environ 85.000 neurones du néocortex, soit l'équivalent de 31 millions par an.
En 2003, la découverte de cellules souches au cœur du cerveau adulte par Pierre-Marie Lledo et son équipe, à l’Institut Pasteur (unité Perception et mémoire, CNRS URA 2182), est venue également bouleverser un autre dogme en biologie, qui voulait que le cerveau et la moelle épinière ne soient pas capables de se réparer, en cas de lésion ou de maladie. Ces chercheurs ont montré que certaines cellules non-neuronales, appelées cellules gliales, qui sont 1,5 fois plus nombreuses que les neurones (120 milliards environ dans notre cerveau) et ont longtemps été considérées comme inertes et dépourvues d’intérêt, pouvaient se transformer en neurones, capables d’intégrer des réseaux cellulaires existants. En 2008, l’équipe de Pierre-Marie Lledo, en collaboration avec celle de Pierre Charneau, a réalisé une nouvelle avancée, en montrant que les cellules souches de type glial, capables de se transformer en neurones, sont localisées non seulement dans la région initialement identifiée en 2003, mais également dans le bulbe olfactif.
Ces chercheurs ont également fait une autre découverte majeure : ils ont constaté que l’absence de stimulation olfactive, à la suite d’une lésion de l’organe sensoriel, provoquait la transformation des cellules gliales en neurones, ce qui établissait pour la première fois de manière solide que notre cerveau possédait une capacité insoupçonnée d’autoréparation. Pour Pierre-Marie Lledo, il est d’ailleurs envisageable de détourner des neurones nouvellement formés vers les régions lésées, dans le but de traiter des pathologies neurodégénératives comme la Chorée de Huntington ou la maladie de Parkinson ». En 2017, des scientifiques français (Laboratoire de neurosciences de l’Université de Poitiers) et belges (Institut de recherche en biologie humaine et moléculaire de Bruxelles) ont montré qu'il était possible de réparer un cerveau abîmé grâce à une greffe de neurones obtenus à partir de cellules souches, à condition toutefois que les neurones ainsi fabriqués soient identiques à ceux de la région lésée.
En identifiant une nouvelle voie de communication entre les cellules, le neurobiologiste Alain Prochiantz a réussi, en dépit du scepticisme de la communauté scientifique à restaurer des neurones dysfonctionnels dans les maladies neurodégénératives telles Charcot (SLA) et Parkinson. Alain Prochiantz a en effet montré en 2019 que, de manière surprenante, certaines homéoprotéines, notamment la protéine Engrailed-1, sont capables de sortir du noyau d’une cellule pour gagner le noyau d’une autre cellule (Voir Biorxiv). Ce scientifique de renom a également montré que l’homéoprotéine hEN1 est essentielle pour la survie et l’entretien des motoneurones-alpha de la moelle épinière innervant les muscles de tout l’organisme. Ces travaux montrent également que, grâce à leurs propriétés passe-membrane, des homéoprotéines peuvent traiter, chez l’animal, la maladie de Parkinson, en réparant les neurones dopaminergiques impliqués dans cette maladie.
Chez la souris, la vie en bonne santé est prolongée de six mois grâce à ce traitement révolutionnaire, l’équivalent d’au moins dix ans pour des cellules humaines. Commentant ses recherches, Alain Prochiantz souligne que « Si une unique injection engendre des effets durables, c’est sans doute qu’elle induit une action épigénétique : son ADN n’a pas changé, mais l’expression génétique est modifiée ». Fin 2020, sa société, BrainEver, spécialisée dans la recherche et le développement de thérapies innovantes pour le traitement des maladies neurodégénératives, a obtenu, fait rarissime, de la FDA (Food and Drug Administration) aux États-Unis, la désignation de médicament orphelin pour son produit BREN-02, l’homéoprotéine humaine recombinante Engrailed-1 (rhEN1), dans le traitement de la sclérose latérale amyotrophique (SLA). BREN-02 devrait prochainement entrer en essai clinique chez des patients atteints de SLA.
Il y a quelques mois, une équipe de chercheurs de l’Inserm, du CNRS et de l’Université Claude Bernard Lyon 1 à l’Institut Cellule Souche et Cerveau, en collaboration avec le King’s College de Londres, est parvenue à transformer des cellules non-neuronales présentes dans le cerveau en nouveaux neurones inhibiteurs qui permettent de diminuer de moitié l’activité épileptique chronique (Voir Inserm). Ces scientifiques ont réussi à reprogrammer génétiquement l’identité des cellules gliales pour en faire des neurones dits « neurones induits », dont les propriétés sont comparables à ceux disparus dans la maladie. Fait remarquable, il n’a fallu que quelques semaines pour que ces cellules gliales reprogrammées se transforment en nouveaux neurones, présentant des caractéristiques moléculaires comparables à celles des neurones ayant dégénéré dans l’épilepsie. Ces chercheurs ont ensuite pu confirmer qu’il s’agissait bien de neurones fonctionnels, capables d’inhiber les neurones voisins responsables des crises. Ces nouveaux neurones s’étaient pleinement intégrés dans le réseau épileptique mais également plus largement dans le cerveau. Comme le souligne Christophe Heinrich, qui a dirigé ces travaux, « Ces résultats révèlent ainsi le potentiel thérapeutique de cette stratégie de reprogrammation cellulaire pour combattre une pathologie comme l’épilepsie mésio-temporale. Une aubaine dans le cas précis de cette maladie alors que 30 % des patients qui en sont atteints sont réfractaires aux traitements pharmacologiques. Cette étude met en lumière la reprogrammation des cellules gliales en neurones comme une nouvelle stratégie capable de modifier une pathologie telle que l’épilepsie, mais qui pourrait se généraliser à d’autres pathologies dévastatrices de notre cerveau ».
Nos neurones nous sont également indispensables pour classer nos souvenirs sur une échelle chronologique qui va nous permettre de savoir non seulement si un souvenir est proche ou lointain dans le temps, mais également quelle est la distance temporelle qui sépare deux souvenirs. Des chercheurs de l'UT Southwestern viennent d’identifier les caractéristiques de plus de 100 neurones impliqués dans le processus de mémoire. « Notre étude éclaire la question suivante : Comment savez-vous que vous vous souvenez de quelque chose du passé ou que vous vivez quelque chose de nouveau dont vous essayez de vous souvenir ? », explique le Docteur Bradley Lega, qui a dirigé ces travaux. Ces recherches ont montré que le processus de récupération des souvenirs se fait de façon décalée par rapport aux autres activités cérébrales. C’est la première fois que cette petite différence de synchronisation, appelée "décalage de phase", est mise en lumière dans le cerveau humain. Grâce à cette découverte, on comprend mieux comment notre cerveau peut "revivre" un événement, tout en sachant si le souvenir est nouveau ou s'il a déjà été encodé. Cette étude a permis d’identifier 103 neurones spécifiquement sensibles à la mémoire, dans l'hippocampe et le cortex entorhinal du cerveau. Ces neurones vont augmenter leur activité lorsque l'encodage de la mémoire est effectif et le même circuit d'activité se réactivera lorsque les patients essayeront de se remémorer ces mêmes souvenirs. Ce travail ouvre de nouvelles possibilités en matière de stimulation cérébrale profonde pour raviver la mémoire de personnes souffrant de lésions cérébrales ou de la maladie d’Alzheimer.
Récemment, une autre fascinante étude de chercheurs israéliens du Technion a montré chez la souris que les neurones présents dans l'insula (le corps insulaire) sont capables, par des mécanismes qui restent à élucider, de communiquer avec les neurones situés dans le côlon pour déclencher ou bloquer une réponse immunitaire. Le cerveau aurait donc la capacité de se "souvenir" des agressions que notre système immunitaire a dû combattre dans le passé pour pouvoir réactiver plus rapidement ce dernier en cas de besoin...
Une autre étude américaine dirigée par le Docteur Brian Gulbransen (Université d’État du Michigan) vient par ailleurs de confirmer que les cellules gliales et les neurones qui vivent dans l’intestin sont aussi nombreux que ceux présents dans le cerveau d’un chat (Voir PNAS). Ces travaux montrent l’existence d’un véritable réseau de neurones et de cellules gliales dans nos intestins. Brian Gulbransen souligne que neurones et cellules gliales ont des rôles très complémentaires : la glie module ou modifie le signal nerveux, alors que les neurones déterminent le contenu du message nerveux.
Il faut également évoquer une autre découverte fondamentale, celle des fascinants neurones-miroirs, découverts par Giacomo Rizzolatti chez les primates, il y a 30 ans, et approfondis notamment par le neurologue franco-allemand Christian Keysers. Ces neurones miroirs constituent une classe particulière de neurones corticaux, qui s’activent lorsqu’un individu exécute une action mais, également, lorsqu’il observe un autre individu en train d’exécuter la même action. Ces neurones miroirs ne codent pas des mouvements particuliers mais s’activent en fonction de la signification de l’action observée et ils répondent, seulement, à la vue d’une action finalisée : ils vont, par exemple, réagir lors de l’observation d’un acte de saisie, mais resteront inactifs à la vue de la main ou de l’objet considéré séparément. En 2010, l’équipe de Roy Mukamel, du laboratoire de neurophysiologie cognitive de Los Angeles, a réussi à montrer pour la première fois la preuve directe de l’existence des neurones miroirs chez l’homme et a révélé que ces neurones-miroirs jouaient bien un rôle important dans les processus cognitifs, et dans la sociabilité, qu’il s’agisse de la compréhension des émotions ou de l’apprentissage par mimétisme (Voir Science Direct). Ces neurones-miroirs ont ceci de remarquables qu’ils nous permettent non seulement de nous synchroniser sur les émotions de notre interlocuteur, de manière à pouvoir nous-mêmes les ressentir, mais nous aident également à deviner et à anticiper les intentions des personnes avec lesquelles nous sommes en relation, une aptitude qui résulte de la longue évolution de notre espèce et qui a permis à nos lointains ancêtres de se doter d’un avantage compétitif décisif, pour mieux faire face à bien des situations périlleuses et survivre dans un environnement hostile.
Dans le prolongement de ces recherches, une équipe de l’Université de Genève (UNIGE) a étudié récemment les mécanismes neurobiologiques impliqués lorsque deux souris entrent en contact par l’apprentissage d’une tâche. Ces scientifiques ont découvert que la motivation à s’investir dans une interaction sociale est intimement liée au système de récompense, à travers l’activation des neurones dopaminergiques. De manière encore plus remarquable, ces chercheurs ont observé que les neurones dopaminergiques étaient capables d’anticiper l’enclenchement du circuit cérébral de la récompense, ce qui incite encore davantage ces souris à rechercher et à développer des interactions sociales avec leurs congénères (Voir Nature Neuroscience).
Il y a quelques semaines, une autre découverte tout à fait majeure est venue conforter l’idée que, si nous sommes bien des mammifères comme les autres, notre cerveau n’en est pas moins unique, tant sur le plan de son organisation que de ses prodigieuses capacités cognitives. Les neurones, on le sait depuis longtemps, communiquent entre eux via des impulsions électriques, produites par des canaux ioniques qui contrôlent le flux d'ions tels que le potassium et le sodium. Mais des neuroscientifiques du MIT viennent de montrer que, de manière tout fait inattendue, les neurones humains possèdent beaucoup moins de canaux ioniques que prévu, comparé aux neurones de tous les autres mammifères étudiés dans ces travaux (Voir MIT).
Là aussi, les chercheurs émettent l'hypothèse que cette réduction de la densité des canaux a probablement permis au cerveau humain d’évoluer au cours de sa longue histoire, vers une efficacité et une complexité uniques chez les mammifères, en optimisant la consommation d’énergie pour privilégier les tâches cognitives complexes. « Si le cerveau peut économiser de l'énergie en réduisant la densité des canaux ioniques, il peut dépenser cette énergie sur d'autres processus neuronaux ou de circuits », explique Mark Harnett, professeur de sciences du cerveau et cognitives au MIT, et auteur principal de l'étude.
Enfin, il y a quelques semaines, des scientifiques américains de la Wake Forest School of Medicine ont identifié, pour la première fois, à partir d’une vaste analyse post-mortem de cerveaux de patients décédés, une population rare de neurones, qui s’avèrent être des cellules sénescentes potentiellement toxiques pour le cerveau humain. Ces chercheurs ont également montré chez la souris qu’il était possible d’éliminer ces cellules sénescentes chez les sujets âgés, grâce à un médicament conçu pour éliminer les cellules cancéreuses, associé à un flavonoïde, un antioxydant d'origine végétale. Selon ces chercheurs, cette voie de recherche sénolytique, qui consiste à empêcher ou ralentir l'accumulation de cellules sénescentes toxiques, ouvre de nouvelles perspectives thérapeutiques, non seulement contre la maladie d’Alzheimer, mais plus largement contre l’ensemble des maladies neurodégénératives et contre le processus de déclin cognitif lié au vieillissement.
Pour terminer ce trop rapide tour d’horizon sur les extraordinaires propriétés de nos neurones, évoquons enfin l’étude publiée en Août dernier par des scientifiques du CNRS et de l’Ecole Normale Supérieure, qui ont proposé un nouveau modèle de neurones artificiels utilisant, comme les cellules nerveuses, des ions comme vecteurs d’information. Dans ces recherches, l’idée était de se rapprocher de l’extrême efficacité énergétique de notre cerveau, si l’on regarde son ratio, consommation d’énergie minimale/ traitement parallèle d’informations complexes. Il est vrai que, même si la consommation de notre cerveau représente 20 % de notre consommation totale d’énergie, en valeur absolue, cette consommation reste dérisoire – à peine 300 calories par jours, soit environ 20 watt de puissance électrique, pour une capacité théorique de stockage qui serait, selon une récente étude du Salk Institute (La Jolla) simplement phénoménale, puisqu’elle atteindrait un pétaoctet (1015 octets, Voir eLife). Autre caractéristique étonnante de notre cerveau, sa consommation en pleine activité n’est que de 20 % supérieure à celle observée lorsqu’il est au repos. Et pourtant, avec si peu d’énergie, le cerveau humain est capable de réaliser simultanément un grand nombre de tâches complexes ! Cette grande efficacité énergétique s’explique notamment par son unité de base, le neurone, qui possède une membrane pourvue de pores nanométriques, appelés canaux ioniques, qui s’ouvrent et se ferment en fonction des stimuli reçus. Les flux d’ions obtenus créent un courant électrique responsable de l’émission de potentiels d’action, des signaux permettant aux neurones de communiquer entre eux. Tout l’enjeu de la recherche aujourd’hui est donc de concevoir des systèmes électroniques aussi économes en énergie que le cerveau humain, par exemple en utilisant des ions, et non des électrons, comme vecteurs de l’information.
C’est cette voie de recherche qu’explorent des chercheurs du CNRS et du Laboratoire de physique de l’ENS-PSL (Voir Science). Ces scientifiques ont développé un prototype de neurone ionique ayant des propriétés de transmission proches de celles du neurone. Dans cette étude, les chercheurs ont eu recours à la nanofluidique, qui étudie les comportements de fluides dans des canaux de dimensions inférieures à 100 nanomètres. Ils ont montré qu’il était possible de construire un prototype de neurone artificiel, constitué de fentes en graphène extrêmement fines dans lesquelles est confinée une couche unique de molécules d’eau. Comme dans notre cerveau, les ions issus de cette couche d’eau vont constituer des micro-grappes, sous l'effet d'un champ électrique, et développer une propriété appelée « effet memristor » qui va leur permettre de mémoriser une partie des stimuli reçus dans le passé. A terme, les chercheurs espèrent pouvoir réaliser un véritable « neurone artificiel », dans lequel les fentes en graphène reproduiraient les canaux ioniques, et les grappes remplaceraient les flux d’ions. L’idée est que ces neurones artificiels deviennent la base d’une nouvelle nanoélectronique moléculaire qui consommerait 10 000 fois moins d’énergie que nos composants actuels et aurait une efficience énergétique proche de celle du cerveau humain…
On le voit, nos neurones, qui ont longtemps été considérés par la science comme des unités élémentaires relativement simples et transparentes de notre cerveau, n’en finissent pas de révéler, depuis quelques années, leur incroyable diversité, leur prodigieuse plasticité, et leur capacité de régénération insoupçonnées. Loin d’être isolés, nous savons à présent que ces neurones sont étroitement liés à notre système immunitaire et participent activement à son bon fonctionnement. Nous savons également qu’il sera possible, sans doute dans un avenir plus proche qu’on ne le pensait, de remplacer, par des cellules nerveuses fonctionnelles, les neurones lésés ou détruits par l’âge ou la maladie. Nous savons enfin que nos neurones ont un fonctionnement tout à fait particulier, qui les distingue de ceux des autres mammifères et explique leur efficacité inégalée. C’est bien d’ailleurs parce que les performances énergétiques et informationnelles de nos neurones sont si uniques que nous essayons de nous en inspirer pour concevoir une nouvelle informatique et développer les prochaines générations d’ordinateurs qui pourraient bien être de véritables « cerveaux électroniques »…
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
e-mail : tregouet@gmail.com
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- Publié dans : Neurosciences & Sciences cognitives
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