Edito : Espérance de vie : jusqu'où ?
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Dans une récente publication intitulée "Espérance de vie, peut-on gagner trois mois par an indéfiniment ?", les chercheurs de l'INED retracent les progrès accomplis grâce aux bonds en avant médicaux et tentent de cerner les facteurs qui pourraient permettre de repousser encore les limites de la vie humaine. 27 ans pour les hommes et 28 pour les femmes en 1750, 78 ans pour les hommes et 85 ans pour les femmes aujourd'hui, sans doute centenaires demain... En deux siècles et demi, l'espérance de vie a progressé de façon tellement spectaculaire que l'Institut national des études démographiques (INED) s'interroge : "Peut-on espérer continuer sur cette voie encore longtemps ?"
La question taraude les scientifiques. De record en record, nombreux sont ceux qui ont essayé de trouver la limite. A la fin des années 1920, l'Américain Dublin pronostiquait que l'espérance de vie des femmes ne pourrait jamais dépasser 64,7 ans. Le démographe ne savait pas que c'était un "seuil qu'avait déjà franchi l'Australie dès 1925"... En 1952, le démographe français Pichat estimait que l'espérance de vie plafonnerait à 78,2 ans. Sa prédiction est démentie, l'Islande ayant atteint ce niveau en 1975.
A la fin des années 1980, le biologiste James FRIES assurait que l'espérance de vie n'excéderait pas 85 ans, une moyenne que les Japonaises ont dépassée depuis, dès 2002. Elargissant le spectre, en partant non plus de 1841 mais de 1750, et travaillant sur une base de données "enrichie", les démographes de l'INED remettent en question cette perspective. La progression, assurent-ils, n'a pas été aussi constante. Les vrais progrès en espérance de vie ont commencé en 1790, la courbe se divisant par la suite en "segments" qui correspondent chacun à des découvertes médicales et aux bénéfices qu'en a tirés la communauté humaine.
De 1790 à 1885, l'espérance de vie "décolle fermement". Cette "rupture" est à mettre au compte de la diffusion du premier vaccin. Il s'agit de "la vaccine de Jenner" qui permet un "recul significatif" de la variole et des décès nombreux qu'elle provoque chez les enfants. Dans ce même laps de temps, une meilleure circulation des denrées vient en partie à bout de la famine. En cette fin du XIXe siècle, la Norvège se situe souvent au tout premier rang. La progression est encore plus nette des années 1880 à 1960. En quatre-vingts ans, les hommes et les femmes gagnent quatre mois d'espérance de vie par an, un gain qu'il faut attribuer aux découvertes de Pasteur, qui se conjuguent avec d'autres progrès, comme celui de l'instruction obligatoire ou des transports qui favorisent leur diffusion, ou encore aux avancées en matière sociale, qui permettent aux personnes d'y avoir accès.
L'Australie détient le record de l'espérance de vie durant une bonne partie du XXe siècle. Des années 1960 à aujourd'hui, l'espérance de vie fait un nouveau bond, moins important cependant que pendant la période précédente, grâce, cette fois, "à la révolution cardiovasculaire". L'accélération, importante entre 1960 et 1995, devient encore plus rapide entre 1995 et 2003. Dans les années 1970, l'Islande se hisse au tout premier rang des pays où l'on vit le plus longtemps, détrôné depuis le début des années 1980 par le Japon, qui, avec 86,4 ans pour les femmes, bat tous les records de longévité, les Nippones devançant les Hongkongaises (86,1) et les Françaises (84,5). Côté masculin, c'est le Qatar qui remporte la palme, avec une espérance de vie de 81 ans, devant Hongkong (79,8 ans), l'Islande et la Suisse (79,7 ans). Un progrès dont est encore exclue une immense partie de la population humaine : en Afrique, l'espérance de vie à la naissance est de 55 ans et en Asie de 69,6 ans.
L'histoire de l'évolution de l'espérance de vie indique que les progrès récents ont été obtenus principalement "grâce à une accélération de la baisse de la mortalité aux grands âges". D'où l'idée que tout se jouera désormais "au-delà de 80 ans".
Si nous voulons que notre pays continue à rester dans le peloton de tête mondial en matière de longévité et si nous souhaitons que l'espérance de vie de nos concitoyens poursuive sa progression au même rythme, nous devons cesser de nous en remettre uniquement aux progrès de la science et de la médecine et prendre conscience que nos choix en matière d'alimentation et d'hygiène de vie sont des facteurs essentiels si nous voulons non seulement vivre plus vieux mais encore vivre plus longtemps en bonne santé.
Quant à la question de la longévité maximale de l'être humain d'un point de vue biologique, elle est loin d'être tranchée. Les scientifiques ont longtemps été persuadés que la longévité humaine avait une limite biologique indépassable -environ 120 ans- sans doute programmée génétiquement au niveau de notre espèce. Cette opinion majoritaire était presque devenue un dogme mais celui-ci, comme bien des certitudes que l'on croyait définitives dans les sciences du vivant, est sérieusement remis en question depuis quelques années.
Il y a 5 ans, John Wilmoth, de l'Université de Berkeley, en Californie, a publié dans la revue Science, un article qui a eu un grand retentissement et qui montre que l'âge maximal de la mort augmente depuis un siècle et demi, connaissant même une hausse rapide depuis 30 ans. Et, sous réserve d'adopter une bonne hygiène de vie, rien ne laisse présager qu'il va plafonner. L'idée d'une limite biologique à notre durée de vie est donc sans fondement sérieux, estime-t-il. Ces travaux établissent que depuis 1841, l'espérance de vie a "imperturbablement" augmenté de trois mois par an. Un constat dont ils tirent la conclusion qu'"il n'y a aucune raison de penser que la progression de l'espérance de vie puisse s'arrêter avant longtemps". Pas si sûr ou, en tous cas, pas au même rythme.
Le chercheur appuie ses propos sur le registre des décès de Suède, considéré depuis 1860 comme l'un des plus précis au monde. Au début de cette période, l'âge des plus vieilles personnes au pays, lors de leur décès, était de 101 ans. En 1960, ce chiffre était passé à 105 ans et il serait aujourd'hui de 108 ans. Les 30 dernières années ont donc fait presque autant pour la longévité maximale que le siècle qui les avait précédées. Selon ces travaux, la durée maximale de la vie ne serait donc pas une constante biologique et évoluerait dans le temps, sans qu'on puisse dire jusqu'où cet accroissement de la longévité pourra aller.
Ce point de vue est partagé par un autre scientifique américain très sérieux, Michael Fossel, de l'université de l'Etat du Michigan. Celui-ci n'exclut pas que l'homme puisse vivre plusieurs siècles. Il souligne que les chercheurs ont déjà rajeuni des cellules de la peau en laboratoire et, selon lui, « le potentiel existe pour étendre cette technologie et renverser l'ensemble du processus de vieillissement de l'être humain".
"La progression de l'espérance de vie a encore de beaux jours devant elle, mais rien ne permet d'affirmer qu'elle peut se poursuivre longtemps à son rythme actuel", estime l'INED. Après le combat contre les maladies infectieuses et celui contre les maladies cardiovasculaires, quel sera le prochain moteur qui permettra de repousser encore un peu plus les limites biologiques ?
Si nous savons combiner les bienfaits d'une bonne hygiène de vie dès l'enfance et les fantastiques progrès attendus dans les domaines biologiques et génétiques (Voir édito 577 il n'est pas du tout exclu que nos enfants et petits-enfants puissent encore gagner 50 ans ou plus d'espérance de vie d'ici le XXIIe siècle !
Ces recherches montrent que la lutte contre le vieillissement passera non seulement par une connaissance intime du fonctionnement du génome mais également par une compréhension encore plus fine du fonctionnement cellulaire et du rôle de l'alimentation (calories, sucres, graisse, vitamines) sur le vieillissement cellulaire. Il faudra également intégrer les nombreux facteurs environnementaux, comme la pollution diffuse ou la présence de molécules chimiques dans l'alimentation dont l'impact sur l'espérance de vie est plus puissant qu'on ne l'imaginait.
Jusqu'où pourrons-nous reculer demain les limites du vieillissement ? Aujourd'hui, à la lumière de toutes ces découvertes récentes (Voir mon édito 577) on peut parier que le cap symbolique des 100 ans d'espérance de vie à la naissance sera franchi bien plus vite que prévu.
Reste que cette évolution démographique vers une société de seniors où coexisteront au moins cinq générations aura des conséquences économiques, sociales et politiques immenses que nous devons absolument évaluer et maîtriser. Ce sera l'un des grands défis de civilisation de ce nouveau siècle.
René Trégouët
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
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- Publié dans : Homme Anthropologie et Sciences de l'Homme
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