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Edito : Les éruptions volcaniques ont changé le destin de l’Humanité

Depuis la nuit des temps, les éruptions volcaniques ont jalonné l’histoire de notre planète et plus récemment, l’histoire de l’Humanité. Bien que moins dévastatrices et moins meurtrières que les tremblements de terre, ces éruptions, en raison de leur visibilité et de leur dimension spectaculaire, et parfois apocalyptique, ont toujours profondément marqué les sociétés et civilisations et certaines, comme celle du Santorin, sous l’Antiquité, ou du Vésuve, au début de notre ère, se sont inscrites dans notre  inconscient collectif de manière indélébile.

Les plus grandes éruptions des 2.000 dernières années ont laissé des marques toujours observables à l’intérieur de la calotte glaciaire de l’Antarctique. En 2014, des chercheurs, sous la direction de Michael Sigl et Joe McConnell du Desert Research Institute du Nevada (DRI), ont procédé à une analyse minutieuse des dépôts de poussière de sulfate présents dans la glace. Ils ont ainsi pu retracer une histoire très complète des éruptions volcaniques survenues au cours de cette période.

Selon cette vaste étude, il y aurait eu au moins 116 éruptions volcaniques au cours des deux derniers millénaires, dont certaines d’une puissance suffisamment gigantesque pour émettre des panaches de poussières de sulfate qui ont voyagé jusqu’au pôle sud (Voir article Phys.org).

En étudiant les différents niveaux de dépôts de sulfate, les scientifiques ont pu établir le calendrier et le classement des éruptions volcaniques les plus violentes de ces 2.000 dernières années. Parmi celles-ci, il faut citer celle qui eut lieu près de la Crète, sur l’ile de Thera –appelée aujourd’hui Santorin – vers 1646 avant notre ère). Cette éruption, d’une violence inouïe, fit plusieurs dizaines de milliers de morts et aurait été cent fois plus puissante que celle du Vésuve qui détruisit, seize siècles plus tard, la ville romaine de Pompéi.

Cette éruption aurait également provoqué, conjuguée à d’autres facteurs économiques et politiques, l’effondrement de la brillante civilisation minoenne sur l’île de Crète, à 110 km au sud, au travers d’un gigantesque tsunami. Le souvenir de ce cataclysme volcanique perdure jusqu’à aujourd’hui chez les peuples méditerranéens et a peut-être été à l’origine de la légende du continent englouti de l’Atlantide ; il pourrait également expliquer l’origine des dix plaies d’Egypte mentionnées dans le Livre de l’Exode.

Toujours selon cette étude, deux éruptions énormes auraient déposé 35 % du sulfate en Antarctique : celle du Samalas en Indonésie (à proximité du mont Sinjani sur l'île de Lombok) et celle du  Kuwae en 1452, situé dans l'archipel du Vanuatu, près des iles Shepard. Ces deux éruptions  auraient joué un rôle majeur dans l'apparition du "petit âge glaciaire", une période marquée par un net refroidissement du climat dans l'hémisphère Nord entre le début du  XIVème siècle et le milieu du XIXème siècle.

L’étude mentionne également l’éruption du Huaynaputina situé au Sud du Pérou. Celle-ci eut lieu le 19 février 1600 et fut la plus forte jamais enregistrée dans la période historique en Amérique du Sud. A la suite de l'explosion, d’énormes coulées de boue détruisirent de nombreux villages sur leur passage et certaines de ces coulées atteignirent la côte de l’Océan Pacifique, pourtant distante de 120 km. Quant aux pluies de cendres, elles retombèrent dans un rayon de 500 kilomètres et l’agriculture de cette région, située aux confins du chili, du Pérou et de la Bolivie, mit 150 ans à retrouver le niveau de productivité qu’elle avait avant cette explosion.

Entre 1783 et 1785, le Laki, une chaîne de volcans islandais comptant environ 130 cratères, entra en éruption. Ce gigantesque nuage, équivalent à plus de trois fois les émissions annuelles actuelles de toute l’Europe, toucha notre continent, porté par des vents favorables, à partir de l’été 1783. Il provoqua un grand nombre de victimes par maladies respiratoires et eut également des conséquences catastrophiques sur le climat en favorisant des tempêtes de grêle dévastatrices. L’un des effets de cette éruption islandaise fut de détruire une grande partie de la récolte de blé en France en 1788, ce qui fut à l’origine d’une hausse considérable du prix du pain, facteur qui lui-même alimenta le mécontentement populaire qui allait conduire à la Révolution française…

Alors que l’Empire connaissait ses derniers feux, le Tambora, un volcan situé sur l'île de Sumbawa en Indonésie, connut le 10 avril 1815, une éruption volcanique catastrophique, considérée comme l'une des plus meurtrières de l'Histoire. Entendue à plus de 2.000 kilomètres aux alentours, l'éruption a causé l'éjection de quelque 160 kilomètres cubes de roches incandescentes et d'un volume tout aussi considérable de cendres volcaniques. La catastrophe aurait directement causé la mort de plus de 10.000 personnes et aurait entraîné famine et maladies, aboutissant à un bilan dépassant les 70.000 morts. Elle aurait généré d'importantes anomalies climatiques, notamment une importante chute des températures. 1816 a par la suite été baptisée "l'année sans été".

Toujours en Indonésie, l’explosion en 1883 du volcan Perbuatan, sur l’île de Krakatoa, a eut lieu en 1883, éjectant plus de 20 km3 de cendres à 80 km d’altitude, ce qui provoqua un abaissement la température mondiale moyenne de 0,25° C l'année suivante et entraîna un dérèglement climatique mondial d’au moins cinq ans. Quant aux pertes humaines, elles atteignirent au moins 34 000 personnes, principalement victimes du tsunami de 40 mètres de haut qui ravagea une grande partie de l’archipel indonésien.

Il faut encore citer l’éruption du Santa Maria, au Guatemala, en 1902, qui fut l’une des plus grandes éruptions du 20e siècle et provoqua la mort d’au moins 6 000 personnes. La même année eut lieu la terrible éruption de la Montagne Pelée qui a marqué à jamais la Martinique et raya de la carte la ville de St-Pierre, provoquant au moins 30 000 morts.

L’éruption du Novarupta, qui eut lieu en Alaska, en 1912, fut sans doute la plus grande éruption volcanique du 20ème siècle. Elle éjecta environ 30 km3 de magma et de cendres dans les airs, soit trois fois plus que le Pinatubo en 1991 et son panache de cendre monta jusqu’à 40 km d’altitude.

L’éruption du Mont St-Hélène, en mai 1980, libéra une quantité d'énergie équivalente à 27 000 fois la puissance dégagée par une bombe atomique comme celle d'Hiroshima (soit approximativement 350 mégatonnes d'équivalent TNT) et éjecta plus de 4 km3 de matière. Cette éruption tua 57 personnes et fut la plus dévastatrice de l’histoire des Etats-Unis, tant sur le plan humain qu’économique, avec des dégâts estimés à plus d’un milliard de dollars.

Le 13 novembre 1985 eut lieu l’éruption particulièrement destructrice du Nevado del Ruiz, un volcan situé au centre de la Colombie. Ejectant plus de 5 km3 de cendres et de gaz, ce volcan tua plus de 25 000 personnes, ce qui fait de cette éruption la 4ème plus meurtrière depuis un siècle, après celles du Tambora en 1815, du Krakatoa en 1883 et de la Montagne Pelée en 1902.

Enfin, l’éruption du Pinatubo aux Philippines, en 1991, a projeté plus de 10 km3 de matière et 20 millions de tonnes de soufre dans l’air et a créé une colonne de cendres qui monta jusqu’à 35 km dans l’atmosphère, causant une baisse des températures mondiales d’environ 0,5°C au cours de l’année suivante. Heureusement, grâce à une évacuation bien organisée, cette éruption, qui aurait pu être bien plus meurtrière, ne fit que 1000 victimes.

Il est frappant de constater que toutes ces éruptions majeures, outre les pertes humaines qu’elles provoquèrent, eurent également des effets considérables et dévastateurs sur le climat et les productions agricoles et entraînèrent parfois des conséquences économiques sociales et politiques majeures, émeutes, révolutions, changement de régime…

En 2016, une étude internationale dirigée par Matthew Toohey, du Centre de recherche sur les océans GEOMAR Helmholtz à Kiel, (Allemagne) a montré que deux éruptions volcaniques, dont l’origine n’a pas encore pu être située avec précision, survenues à quelques années d’intervalle, en 536 et 540 de notre ère, avaient obscurci le ciel de l'Europe pendant plus d'une année, et abaissé la température de deux degrés avec des conséquences dramatiques sur l’agriculture (Voir UiO). Cette chute brutale et prolongée de la température eut un effet dévastateur sur l'agriculture, provoquant une famine dans la plus grande partie de l'Europe et contribua sans doute à l’effondrement économique et démographique de l’Occident au cours de la seconde moitié du VIème siècle et peut-être également au déclenchement de la terrible pandémie de peste qui frappa l’Europe en 542.

En mars 2014, une étude du Laboratoire américain Lawrence Livermore a par ailleurs montré que, bien qu’aucune éruption majeure n’ait été enregistrée depuis 2000, leur fréquence a permis de compenser l’impact des gaz à effet de serre sur le climat. On savait déjà qu’en rejetant d’énormes quantités de dioxyde de soufre, une puissante éruption volcanique est capable d’entraîner à elle seule une baisse des températures au niveau mondial. C’est ce qui s’est passé en 1991, lors de l’éruption du Pinatubo qui a provoqué une baisse des températures mondiales de 0,4°C pendant trois ans en réduisant l’ensoleillement.

Mais cette étude américaine qui porte sur les 17 éruptions survenues depuis 1999, a montré que même les phénomènes volcaniques de faible intensité ralentissent le réchauffement climatique. Les « petits » volcans expulsent eux aussi dans la stratosphère des particules réfléchissant les rayons du soleil et ces travaux montrent que, par un effet de synergie totalement ignoré jusqu’à présent, l’ensemble de ces éruptions, bien que de faible intensité considérées isolément, ont provoqué une réduction d’ensoleillement considérable, de l’ordre de 7 % entre 2000 et 2009. Quant aux éruptions plus récentes, elles pourraient, selon ces recherches, être responsables de 15 % du décalage existant entre les températures attendues et celles enregistrées entre 1998 et 2012.

En mars 2015, une autre étude réalisée par des chercheurs du CNRS, de l'IRD, du CEA et de Météo‐France est parvenue, pour la première fois, à associer des simulations climatiques, des mesures océanographiques récentes et des informations historiques sur l’évolution climatique (Voir Nature). Ces recherches ont pu montrer que les particules émises lors d'éruptions volcaniques majeures refroidissent l'atmosphère par un effet "parasol", réfléchissant les rayons du soleil. Bien que ces particules volcaniques aient un effet atmosphérique direct relativement court, de l’ordre de deux à trois ans, elles modifient pendant plus de 20 ans la circulation océanique de l'Atlantique nord, qui relie courants de surface et courants profonds, et module le climat européen. Il s’en suit un ralentissement des courants océaniques locaux et une augmentation de la salinité des océans. Ce dernier phénomène vient perturber la vitesse des grands courants, qui influencent le climat. Selon Didier Swingedouw qui a dirigé cette étude, « Les volcans pourraient peser sur la moitié des variations du climat observées ».

En 2015, une équipe regroupant de chercheurs de l’Université de Genève et de l’Institut Laplace a  réussi à développer un nouveau modèle informatique qui a pour la première fois calculé avec précision le refroidissement engendré par les deux plus grandes éruptions du dernier millénaire, les éruptions du Samalas et du Tambora, toutes deux survenues en Indonésie en 1257 et 1815 (Voir Nature).

Ce modèle intègre une multitude de paramétres, comme la localisation des volcans, la saison de l'éruption, la hauteur d'injection du dioxyde de soufre et il intègre un module microphysique capable de simuler le cycle de vie des aérosols volcaniques. Ce nouvel outil a permis de montrer que les éruptions de Tambora et du Samalas, en Indonésie, ont induit, à l'échelle de l'hémisphère nord, un refroidissement moyen de trois ans, oscillant entre 0,8 et 1,3°C pendant les étés 1258 et 1816.

Enfin il faut souligner que, si les volcans ont un effet bien plus important qu’on ne l’imaginait encore récemment sur le climat, il semble que l’inverse soit également vrai : selon une récente étude suisse de l’Université de Genève, le réchauffement climatique en cours agirait en effet sur le niveau d'activité magmatique et par conséquent sur les éruptions volcaniques.

En étudiant plus particulièrement l’évolution de la salinité de la Méditerranée à l’époque messinienne, il y a six millions d’années, ces chercheurs ont découvert que la diminution du poids causée par l'assèchement marin stimulait la production de magma. Selon Pietro Sternai qui a dirigé ces travaux, la fonte accélérée des glaces provoque un important transfert de charge des continents vers les océans, ce qui aurait pour effet d’augmenter sensiblement la production de magma sur les continents et de la diminuer  dans les océans. Selon ce chercheur reconnu, la baisse de poids sur les continents pourrait avoir eu des conséquences sur des éruptions récentes de volcans tels que l'Eyjafjallajökull en Islande en 2010.

Quant aux outils et méthodes de prévisions des éruptions volcaniques, ils ont également effectué des pas de géants au cours de ces dernières années. En 2014, une équipe grenobloise de l'Institut des Sciences de la Terre a démontré qu’il était possible, en  analysant le bruit sismique enregistré sur le Piton de la Fournaise lors de deux éruptions, d'utiliser l’analyse du bruit sismique pour la prévision des éruptions volcaniques.

En utilisant des capteurs extrêmement sensibles sur le Piton de la Fournaise (île de La Réunion) ces chercheurs sont parvenus à capter et à interpréter les modifications caractérisant les infimes vibrations provenant du cœur du volcan et porteuses d’informations précieuses sur le risque d’éruption, une semaine environ avant que celle-ci survienne, ce qui pourrait laisser le temps aux autorités d’organiser une évacuation en bon ordre des populations concernées.

Enfin, en juin dernier, une équipe de recherche de l’Institut des Sciences de la Terre (ISTerre) en France a annoncé une avancée majeure dans la prévision du comportement d’un volcan en utilisant l’assimilation de données, la même technique utilisée dans les prévisions météorologiques (Voir Frontiers in Earth Science). L’assimilation de données est un concept qui vise à combiner les outils de modélisation mathématique et informatique et la multitude de données de toute nature provenant du terrain. Il devient ainsi possible de reconstituer l’état de l’écoulement d’un fluide géophysique, comme le magma par exemple. Concrètement, les scientifiques utilisent des systèmes GPS et radar par satellite qui mesurent les mouvements du sol au cours de la phase d’inflation d’un volcan. En combinant ces données avec des équations mathématiques, par la méthode de l’assimilation de données, les chercheurs peuvent formuler des prévisions précises en temps réel.

Cet outil d’une grande efficacité devrait permettre d’ici quelques années de prévoir, avec une fiabilité beaucoup plus grande, les éruptions des volcans actifs proches des zones habitées. Le but étant évidemment de disposer du temps nécessaire à une bonne évacuation des populations menacées. Ces chercheurs se disent persuadés qu’un jour il sera possible d’établir des prévisions volcaniques quotidiennes, comme cela existe déjà pour les bulletins météo !

En attendant que ces nouveaux outils soient tout à fait opérationnels, il faut se réjouir des progrès déjà effectués par les systèmes de surveillance actuels, combinant observation satellitaire et capteurs sur le terrain. Grâce à ces dispositifs de plus fiables, les autorités indonésiennes ont pu notamment organiser l’évacuation de 150 000 personnes à Bali où le volcan du mont Agung, qui culmine à plus de 3.000 mètres d'altitude, montre des signes inquiétants de réveil depuis le mois d'août et pourrait entrer en éruption. Rappelons que la dernière éruption de ce volcan, en 1963, avait fait plus de 1 600 victimes.

On comprend mieux l’intérêt de parvenir à une  prévision plus fiable et plus précoce des éruptions volcaniques quand on sait qu’il existe sur Terre plusieurs « supervolcans », comme celui de Yellowstone dans le Wyoming, aux Etats-Unis. Ce monstre américain est certes endormi depuis 70 000 ans mais sa dernière éruption massive, il y a 600 000 ans  a été d’une violence tout simplement inimaginable et a expulsé, selon les spécialistes, 2 500 km3 de magma et de cendres dans l’atmosphère. Cette éruption véritablement cataclysmique a donc été 600 fois plus forte que celle du Mont St-Hélène, en Alaska, en 1980 et 15 fois plus violente que celle du Tambora, en 1815, pourtant considérée comme la plus importante du dernier millénaire…

Si le Yellowstone, qui possède le plus grand réservoir de magma au monde (il a été estimé en 2015 à 10 400 km3) connaissait demain une éruption similaire, les conséquences seraient incalculables et absolument dramatiques : toute vie serait détruite dans un rayon d’au moins 500 km autour du volcan et la moitié ouest des Etats-Unis serait dévastée par les énormes retombées de cendres expulsées. Le climat de la Terre connaîtrait un brusque refroidissement d’au moins 10 degrés pendant une bonne dizaine d’années et les rendements agricoles s’effondreraient, provoquant sans doute d’importantes famines dans de nombreuses régions du monde.

On le voit, l’étude et la compréhension des volcans ne relèvent pas seulement de la connaissance fondamentale de notre planète mais pourraient aussi nous permettre de limiter les conséquences désastreuses d’une éruption volcanique hors norme. Souhaitons que notre pays, qui dispose d’une recherche mondialement reconnue dans ce domaine complexe de la vulcanologie, poursuive ses efforts pour mieux comprendre, dans leur extrême diversité, les 1511 volcans aujourd’hui actifs dans le monde et mieux protéger les 500 millions de personnes qui vivent à proximité de ces « Portes de la Terre » qui, depuis l’aube des temps, ont fasciné les hommes.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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