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Energies marines, retards français

Alors que les équilibres énergétiques doivent être reconsidérés après Fukushima, on peut s’étonner du retard pris par la France dans l’utilisation de la puissance des marées.

Même si l’immersion de la première hydrolienne destinée au parc marin de la Horaine, dans l'archipel de Bréhat au large de Paimpol, a pris quelques jours de retard à cause des tests et de la météo, le projet semble bien engagé. Une turbine actionnée par les courants de marée… le concept est limpide. On en viendrait presqu’à se demander pourquoi l’opération, qui a débuté le 31 août dernier à Brest, n’a pas été menée quelques années plus tôt.

Pour la Bretagne souvent à la limite du black-out électrique du fait d’une production régionale insuffisante, un vrai potentiel existe sur le littoral. La religion de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) est faite depuis longtemps : pour La Chaussée de Sein le Fromveur à Ouessant, les Heaux de Bréhat, le Cap Fréhel et le Raz Blanchard, la ressource est «considérable», d’autant que «l’onde de marée est amplifiée par la configuration de la côte».

Certes, il arrive que les populations locales soient hostiles à la construction d’infrastructures, arguant de pollution visuelle ou acoustique ou de risques pour l’environnement. Mais dans le cas précis, aucune opposition. Ni des riverains de Paimpol : «La communauté de communes est partie prenante à 100 % du projet», déclare sans réserve le maire, Jean-Yves de Chaisemartin. Ni des pêcheurs qui ont vite compris que, immergées par plusieurs dizaines de mètres de profondeur, les turbines ne les gêneraient pas (seuls les gros chalutiers devront être attentifs).  Ni des autorités locales qui, tant au niveau de la région ou que du département, militent de longue date pour la promotion d’énergies marines, totalement compatibles avec la mise en valeur du patrimoine naturel.

Les hydroliennes font partie de la palette de technologies inscrite dans le programme de la Bretagne pour promouvoir le développement durable. Malgré tout, d’autres pays, à commencer par le Royaume Uni, ont largement devancé la France dans la réalisation d’un projet basé sur ces machines. Aurait-il buté contre la priorité donnée par EDF au nucléaire à Flamanville, bien que d’échelle sans commune mesure ?

  • Une filière industrielle potentielle

Pourtant, la France ambitionne de devenir le leader mondial d’une technologie de production d’énergie renouvelable, qui permettrait à l’industrie de générer des emplois et de la plus-value. Elle a raté le train de l’éolien terrestre, dont les leaders sont aujourd’hui danois, américains, allemands ou espagnols. Elle s’est fait doubler dans le photovoltaïque par la Chine qui, grâce à des panneaux solaires commercialisés à des prix inaccessibles en France, fournit 80 % de la demande dans l’Hexagone. Elle aurait pu espérer reporter le défi dans le secteur marin. N’a-t-elle pas, par exemple, été pionnière pour capter l’énergie des marées avec l’usine marémotrice de la Rance, construite il y a près de 50 ans et qui est toujours exploitation… Malheureusement, la France n’a pas poussé son avantage. Ce n’est pas faute d’idées !

  • Des idées françaises, et une technologie irlandaise

Ainsi, à la fin du siècle dernier, un ingénieur creusait l’idée d’utiliser la force des courants marins pour la transformer en courant électrique. Après huit ans de travail, il s’associa à un ancien de l’Ifremer pour monter la société HydroHélix Energies. Et huit ans plus tard, dans le cadre du consortium Sabella créé avec le soutien de la Région Bretagne, du conseil général du Finistère, de communautés de communes et de l’Ifremer, un pilote d’hydrolienne à l’échelle 1/3 était immergé dans l’estuaire de Bénodet. C’était la première hydrolienne dans les eaux françaises. Mais déjà, pour l’avancée des projets, le retard avec la Grande-Bretagne était de l’ordre de trois années.

EDF aussi s’intéressait à cette énergie renouvelable, beaucoup moins aléatoire que l’éolien (les marées sont perpétuelles et totalement prévisibles) et, à ce titre, plus efficace. Dès juillet 2008, après quatre années d’études et de concertation, Pierre Gadonneix, ancien PDG du groupe, annonçait un projet de ferme hydrolienne dans les Côtes d’Armor, au large de Paimpol. Celui-là même qui, aujourd’hui, se met en place. A l’époque, on tablait sur un investissement de 25 millions d’euros. Finalement, pour les quatre turbines qui doivent être installées, il se situerait plutôt autour de 40 millions pour EDF, soutenu par la Région Bretagne, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) au niveau national et la Fonds européen de développement régional (Feder) au niveau européen. Mais la technologie retenue est irlandaise : elle a été mise au point par l’entreprise OpenHydro. Encore une fois, la France risque de voir s’échapper les retombées industrielles d’une technologie prometteuse, même si l’entreprise irlandaise a trouvé en la DCNS un partenaire français qu’elle a invité à son capital (à hauteur de 8 %) en janvier 2011.

  • La Grande-Bretagne, ambitieuse, mène le jeu

On ne s’étonnera pas de l’intérêt marqué par les îles anglo-saxonnes pour les hydroliennes. Les conditions requises pour capter une énergie suffisante supposent des courants marins réguliers de plus d’un mètre par seconde, et des possibilités d’immersion entre 35 et 100 mètres. Aussi, à elles-seules, la France et la Grande Bretagne totalisent-elles environ 80 % du potentiel européen pour l’installation d’hydroliennes. Mais les Britanniques ont pris les devants, notamment en Ecosse où GdF est déjà partie prenante, et au Pays de Galles. D’autres projets en Norvège et au Canada sont aussi des concurrents du concept OpenHydro-DCNS.

La partie, toutefois, n’est pas jouée. Car si la technologie retenue par EDF est irlandaise, la construction des turbines géantes (seize mètres de diamètre pour un poids total de 1.000 tonnes) peut être réalisée en France. DCNS a déjà assuré le montage des éléments pour le premier élément de la ferme située au large de Paimpol.

Le potentiel marin de la France ne s’arrête pas aux hydroliennes. Les éoliennes off-shore constituent un autre axe de développement prometteur, compte tenu à la fois de l’importance du littoral et du potentiel de vent. Après les contraintes imposées pour freiner la croissance de l’éolien terrestre, l’offshore permettrait d’exploiter malgré tout le fort potentiel de vent en France, deuxième pays le plus venté d’Europe. Las ! Alors que l’Europe dispose de près de la moitié de la puissance de production offshore installée dans le monde,  ce sont la Grande-Bretagne, la Belgique, le Danemark, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Suède, la Norvège, la Finlande… qui ont franchi le pas. Ensemble, ces pays fournissent déjà l’électricité nécessaire à 3 millions de foyers grâce à cette technologie. Et ils ont installé plus de 300 éoliennes offshore nouvelles au cours de la seule année 2010. Dans l’Hexagone, on débat encore.

  • Une France frileuse sur son littoral

Comparée à ses voisins, la France est à la traîne dans les énergies tirées du secteur marin. Elle a seulement lancé en juillet 2011 son premier appel d’offres pour l’installation d’éoliennes en mer et donné le coup d’envoi pour la consultation du second. Dans nul autre pays, les décisions n’auront été aussi longues à prendre. Faut-il y voir la marque la marque du lobby nucléaire, hostile au développement des énergies renouvelables dans la mesure où les choix en faveur des énergies décarbonées ont privilégié l’atome ? La tragédie de Fukushima, même si elle ne sonne pas forcément le glas du nucléaire, oblige forcément à une révision des équilibres. Malheureusement, l’objectif de 1.200 éoliennes off-shore installées en 2020, induit par les engagements du Grenelle de l’Environnement, semble déjà bien inaccessible ! Pour l’instant, on espère que les premières entreront en exploitation en 2015. Pour l’énergie, ainsi que pour les milliers d’emplois que la filière pourrait créer.

Slate

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