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Edito : En 2030, les robots humanoïdes seront partout...

C'est en 1920 que l'écrivain tchèque Karel Capek utilisa pour la première fois, dans sa pièce de théâtre R.U.R (Rossum's Universal Robots), le terme de "robot", pour désigner un ouvrier mécanique ayant une apparence humaine. En 1954, les ingénieurs américains George Devol et Joseph Engelberger déposèrent le brevet de UNIMATE, premier robot industriel qui n'était en fait qu'un bras articulé capable de transférer un objet d'un endroit à un autre. Mais il fallu attendre 1973 pour que l’université de Waseda (Tokyo), présente WABOT-1, le tout premier robot anthropomorphe à marche bipède. En 2000, Honda présenta son robot humanoïde ASIMO, le premier à être capable de marcher de manière convaincante. En 2013, la firme Boston Dynamics présenta son fameux robot humanoïde ATLAS, qui n'a cessé d'évoluer jusqu'à la dernière version impressionnante présentée en 2024, plus longiligne et entièrement électrique. En 2022, la start-up britannique Engineered Arts a franchi un nouveau palier technologique en présentant son robot humanoïde AMECA, dont le visage possède une palette d'expressions assez extraordinaires et qui peut tenir une véritable conversation avec un être humain depuis qu'il intègre le moteur de conversation doté d’intelligence artificielle GPT-3, développé par la société OpenAI (Voir YouTube). Depuis quelques mois, on assiste à l'arrivée d'une véritable vague de robot humanoïdes tous plus performants les uns que les autres et il ne fait plus de doute à présent que ces robots humanoïdes polyvalents, autonomes et sociaux, vont arriver dans nos vies quotidiennes bien plus rapidement qu'on ne l'imaginait il y a encore deux ou trois ans.

Il y a quelques semaines, des ingénieurs chinois d'Astribot ont créé l'événement en présentant leur nouveau robot humanoïde, le S1. Ce robot est capable de réaliser une variété de tâches complexes grâce à l’apprentissage par imitation. Ce robot se distingue notamment par sa capacité à effectuer des mouvements à une vitesse impressionnante de 10 mètres par seconde, tout en manipulant une charge utile jusqu’à 10 kg par bras. Ce robot S1 est si rapide et adroit qu'il peut retirer une nappe sous une pile de verres à vin sans les renverser, peler délicatement un fruit, ou retourner un steak dans une poêle... (Voir YouTube).

En décembre dernier, Unitree Robotics, une autre société de robotique basée en Chine, a dévoilé son premier robot humanoïde, le UNITREE H1. Pesant 47 kg pour une taille d’1,80 m, le H1 a été conçu pour transporter des charges allant jusqu’à 30 kg. La dernière version de ce robot, baptisée Evolution V3.0, parvient à se déplacer à 3,3 m/s (11,9 km/h) ; il est donc plus rapide qu'OPTIMUS de Tesla, qui ne dépasse pas les 0,6 m/s, mais aussi plus qu’ATLAS, avec ses 9 km/h, soit 2,5 m/s. Ce robot est également capable de réaliser des mouvements complexes et coordonnés ; il peut danser, monter et descendre des escaliers. Composé d'une structure en acier et aluminium et étanche à l'eau et la poussière, le H1 est d'une résistance à toute épreuve et peut en outre évoluer dans les environnements hostiles et effectuer des tâches complexes avec une précision remarquable. Il peut également encaisser des coups sans broncher, grâce à un système d'amortissement sophistiqué qui absorbe les vibrations (Voir YouTube).

Amazon mise également sur les robots humanoïdes, avec son nouveau robot, DIGIT. Grâce à son agilité, ce robot bipède peut réaliser de nombreuses tâches. « Digit peut être utilisé pour déplacer des bacs et des colis », affirme Emily Vetterick, directrice recherche et développement chez Amazon Robotics. Et, de fait, DIGIT peut remplacer à lui seul deux autres robots déjà utilisés par Amazon, en combinant deux capacités : il peut à la fois se déplacer et manipuler divers objets.

La firme norvégienne 1X NEO travaille, en coopération avec Open AI, le créateur de ChatGPT, sur son prochain robot humanoïde, baptisé NEO. Ce robot mesure 1,67 mètre, pèse 30 kg et peut transporter des objets jusqu'à 20 kg. La batterie a une autonomie de 4 heures et permet à l'androïde de courir jusqu'à 12 km/h. Ce robot retourne tout seul à la station de recharge lorsque sa batterie devient faible. Il est conçu pour évoluer de manière autonome et il est capable de réaliser des mouvements d'une grande précision. Il peut interagir grâce à des commandes verbales utilisant une version dédiée de GPT4 : il peut notamment se saisir d'objets grâce à ses bras et ses mains afin d'effectuer des tâches logistiques jusque là réservées aux humains, comme le rangement, le ménage ou la manutention. Neo vise à répondre à la pénurie de main-d'œuvre dans certains secteurs d'activité, comme la logistique et l'industrie, mais veut également s'imposer sur le marché très prometteur de l'aide à la personne.

L'entreprise de robotique canadienne Sanctuary AI, basée à Vancouver, a récemment présenté son robot PHOENIX qui est capable de trier et ranger de multiples objets avec une dextérité tout à fait étonnante. PHOENIX mesure 170 centimètres de haut pour 70 kg ; il peut se déplacer à une vitesse maximale de 4,8 km/heure et peut soulever une charge utile de 25 kg. Mais surtout, PHOENIX possède des mains robotiques extrêmement agiles offrant 20 degrés de liberté de mouvement, ce qui l'autorise à manipuler des objets de la même manière qu'un opérateur humain. Ses mains intègrent une technologie haptique capable de reproduire le sens du toucher. L'année dernière, PHOENIX a été testé sur le terrain, en situation réelle, dans un magasin de vêtements, et il s'est montré capable de remplir 110 tâches différentes, allant de la recherche et l’emballage de marchandises, au nettoyage, l’étiquetage, le pliage, etc. (Voir YouTube).

Les progrès en matière de robots humanoïdes sont tels que ceux-ci sont en train de s'imposer bien plus vite que prévu dans l'industrie. La startup californienne Figure et le constructeur automobile allemand BMW ont récemment conclu un partenariat prévoyant le déploiement de FIGURE 01, le robot humanoïde fabriqué par la startup, au sein de l'usine de fabrication de BMW située à Spartanburg aux Etats-Unis. Ces robots humanoïdes de Figure vont permettre d'effectuer les tâches de production pénibles, dangereuses ou fastidieuses, ce qui libérera du temps pour les ouvriers, qui pourront ainsi se recentrer sur leurs compétences et les processus qui ne peuvent pas être automatisés. De son côté, Mercedes-Benz a conclu un accord avec la start-up américaine Apptronik, pour déployer des robots humanoïdes dans ses usines hongroises. APOLLO, un robot humanoïde qui mesure 1,80 m et peut soulever jusqu’à 25 kg, sera utilisé par Mercedes pour inspecter et apporter des pièces aux ouvriers.

En France, la start-up française Enchanted Tools, en partenariat avec l'AP-HP, a mis au point deux automates, MIROKI et MIROKA, destinés à assister les travailleurs humains dans de nombreuses tâches. Ces robots, d'une hauteur de 1,23 mètre et d'un poids de 28 kg, intègrent une intelligence artificielle avancée qui leur permet d'évoluer dans un environnement complexe et de manipuler et transporter de nombreux objets. Ces robots peuvent ainsi exécuter avec un taux de réussite record de 97 % de nombreuse tâches répétitives mais indispensables, apporter des médicaments ou tirer un chariot pendant que le soignant se concentre sur une tâche à plus grande valeur cognitive et sociale. Ces robots sociaux et conviviaux devraient rapidement se rendre indispensables dans les secteurs de la santé, des services et du commerce, que ce soit dans les hôpitaux, les maisons de retraite, les hôtels, les centres commerciaux ou les services publics. Ces machines polyvalentes ont pour vocation de réduire le fardeau logistique supporté par le personnel soignant et de service, afin de le rendre plus disponible et attentif dans les tâches proprement relationnelles ou créatrices, qui ne peuvent pas être automatisées.

Le bond en avant représenté par MIROKI et MIROKA tient dans leur capacité à comprendre et exécuter des commandes vocales et à interagir de manière émotionnelle avec les humains. La forme et l'esthétique très élaborée de ces robots, ainsi que leur utilisation combinée de sons et de couleurs, leur permettent d'exprimer et de communiquer toute une palette d'émotions de manière intuitive. Ce n'est donc pas par hasard si ce projet MIROKI et MIROKA a reçu le soutien et la reconnaissance des pouvoirs publics, en tant que lauréat du programme French Tech 2030. Les robots Mirokaï ont déjà été testés avec succès dans plusieurs hôpitaux de l'AP-HP. Leur utilité s'est rapidement confirmée dans le domaine logistique, notamment dans la livraison de fournitures médicales. Ces robots se sont rendus indispensables pour le personnel médical.

En début d’année, LG a présenté, à l'occasion du CES 2024, un robot domestique intelligent à deux pattes, conçu pour faciliter la vie quotidienne. Le robot peut se déplacer de manière autonome au sein du foyer et assurer le contrôle les appareils électroménagers, assurer la sécurité de la maison, détecter des événements inhabituels et alerter, le cas échéant, les propriétaires. Mais ce robot domestique peut également interagir verbalement avec ses utilisateurs. Là encore, LG vise à libérer du temps pour les possesseurs de cette machine et alléger la charge mentale que peut représenter, surtout pour des personnes âgées ou fragiles, la gestion des tâches domestiques.

Il faut bien comprendre que toutes ces avancées rapides et surprenantes dans la robotique humanoïde n'arrive pas par hasard et s'inscrivent dans un contexte démographique et économique particulier. Une étude réalisée par le célèbre cabinet britannique Oxford Economics prévoit que les robots de nouvelle génération pourraient remplacer vingt millions d'emplois dans le monde d'ici 2030 (Voir Oxford Economics). Mais cette étude souligne toutefois que cette robotisation accélérée de l'économie devrait augmenter la productivité et la croissance économique, tout en créant autant d’emplois qu’elle en détruira, ce qui se traduirait par une richesse supplémentaire produite de 5.000 milliards de dollars d’ici 2030 grâce aux gains de productivité. Il y a quelques semaines, un autre rapport de Gartner (Voir Gartner) prévoit, pour sa part, que l'ensemble des nouvelles technologies d'intelligence artificielle, y compris celles intégrées à la robotique, pourraient permettre la création de pas moins de 500 millions de nouveaux emplois d'ici 2033, un nombre d'emplois finalement supérieur à celui des emplois détruits au cours de la même période et suffisant pour envisager une baisse du taux de chômage mondial (5,1 % en 2023).

A plus long terme, cette robotisation accélérée de l'économie s'inscrit dans un phénomène dont nous n'avons pas encore prise toute la mesure ; la décélération démographique mondiale plus forte et plus rapide que prévue, puisque les dernières projections tablent sur un pic démographique mondial à 10, 4 milliards d’habitants dès 2064, suivi d'un lent mais inexorable déclin du nombre d’habitants sur Terre. Dans ce contexte démographique, la population active mondiale, actuellement de 3,3 milliards de personnes, pourrait commencer son déclin dès 2040 dans l'ensemble des pays développés et à partir de 2050 dans le reste du monde.

Confrontées à une baisse inexorable et continue de la population active mondiale, nos économies développées n'auront d'autre choix que de faire appel massivement aux robots dans tous les secteurs d'activités, industrie, bâtiment, transports, commerce mais aussi et surtout services à la personne, que ce soit dans les hôpitaux, à domicile ou dans les services publics. Global Data rappelle que le nombre de robots industriels a triplé depuis 10 ans, pour dépasser les 4 millions cette année, et devrait atteindre les 20 millions d'unités en 2030. Ce cabinet prévoit parallèlement que le marché mondial de la robotique passera de 75 milliards de dollars en 2023 à 218 milliards de dollars en 2030. Les récentes avancées impressionnantes des robots humanoïdes autonomes et polyvalents pourraient bien déjouer ces prévisions et David Holz, fondateur de Midjourney, a estimé récemment que nous devrions nous attendre à un milliard de robots humanoïdes sur terre dans les années 2040, soit une machine pour 9 terriens. Dans son rapport, The investment case for humanoid robots (Les raisons d’investir pour les robots humanoïdes ), Goldman Sachs Research prévoit que les robots humanoïdes représenteront un marché mondial de 154 milliards de dollars en 2035 (équivalent à celui des voitures électriques) et pourraient combler la moitié de la pénurie de main-d'œuvre dans le secteur industriel et dans celui du soin et du service à la personne d'ici 2035 (Voir Electrek).

D'autres prévisions tablent sur 20 % des foyers mondiaux utilisant (soit ponctuellement, soit en permanence) un robot humanoïde en 2040, ce qui correspond à environ 450 millions de machines, auxquelles il convient d'ajouter une centaine de millions d'autres robots humanoïdes qui trouveront leur place dans les différents services publics, sécurité, santé, éducation. Jensen Huang, le patron de Nvidia, leader mondial incontesté des puces d'IA, a souligné récemment que les coûts de production des robots humanoïdes devraient baisser rapidement, pour atteindre une fourchette de prix de 10 000 à 20 000 dollars, ce qui les rendrait accessibles à de nombreux consommateurs. Le mois dernier, NVIDIA a par ailleurs dévoilé le projet GROOT, entièrement dédié aux robots humanoïdes, et a présenté Jetson Thor, un outil informatique puissant spécialement conçu pour les robots humanoïdes. L'IA générative multimodale GROOT de Nvidia permet d'apprendre et de répéter les gestes d'un formateur humain ou d'un autre robot. A supposer que le prix de vente moyen d'un robot humanoïde puisse tomber à 20 000 dollars vers 2040, ce qui est l'objectif visé par la plupart des fabricants, on arrive tout de même, dans cette hypothèse de 550 millions de robots humanoïdes d'ici 15 ans, à un marché mondial gigantesque, de l'ordre de 1100 milliards de dollars par an en 2040...

Le créateur de la Fondation XPrize, Peter Diamandis, prévoit pour sa part plus d'un milliard de robots humanoïdes dans les foyers et lieux de travail d'ici 2050, notamment grâce à la combinaison de trois avancées technologiques : les nouvelles puces d'IA ultrapuissantes dédiées à la robotique, des micromoteurs électriques bien plus performants et des batteries solides à haute densité d'énergie, capables de rendre un robot autonome plusieurs jours. Il reste que l’arrivée et la diffusion de ces robots humanoïdes polyvalents très sophistiqués et dotés de grandes capacités cognitives et mimétiques en matière émotionnelle ne va pas sans soulever de profondes interrogations sociales, culturelles, éthiques et politiques. Il y a quelques semaines, huit entreprises ont d'ailleurs signé un accord à Kranj, en Slovénie, à l'occasion du 2e Forum mondial de l'Unesco sur l'éthique de l'IA. Ces firmes, dont Microsoft, Mastercard, LG, AI Research et Salesforce, se sont notamment engagées à protéger les droits humains lors de la conception, du développement et de l'utilisation de l'IA. Ce cadre éthique est indispensable mais il n'est pas suffisant car, face à des machines qui seront de plus en plus nombreuses et vont devenir de plus en plus humaines, en reproduisant toujours plus habilement nos émotions et en comprenant de mieux en mieux nos attentes, les Etats vont devoir rapidement construire des cadres législatifs solides qui préciseront les possibilités et les limites d'utilisation de ces artefacts humanoïdes.

Comment, par exemple, s'assurer que ces robots sophistiqués ne puissent être détournées de leur usage initial pour servir à des activités criminelles ou illicites ? Comment s'assurer qu'en toute circonstance, y compris en cas de dilemmes éthiques, ces robots privilégient la sauvegarde la vie humaine dans leurs décisions ? Ces questions fondamentales ne sont pas simples et pourtant il va falloir que nos sociétés tentent de les résoudre le mieux possible, si l'on veut prévenir des phénomènes sociaux de rejet violent de ce type d’androïdes dans un futur proche. Dès 1942, le grand auteur de science-fiction Isaac Asimov (1920-1992) avait défini de manière particulièrement visionnaire les fameuses trois lois de la robotique auxquelles doivent impérativement obéir les robots humanoïdes autonomes et polyvalents :

- Un robot ne peut porter atteinte à un être humain ni, restant passif, laisser cet être humain exposé au danger ;

- Un robot doit obéir aux ordres donnés par les êtres humains, sauf si de tels ordres entrent en contradiction avec la première loi ;

- Un robot doit protéger son existence dans la mesure où cette protection n'entre pas en contradiction avec la première ou la deuxième loi.

On le voit, l'arrivée massive et inexorable des robots humanoïdes dotés d'une intelligence artificielle très puissante va profondément transformer nos vies et nos sociétés, bien au-delà de la dimension économique et utilitaire, car ces machines vont devenir, pour le meilleur et pour le pire, des parties intégrantes de notre monde mental, affectif et émotionnel, au point que nous aurons de la peine à imaginer comment nous avons pu vivre sans elles... Nous devons, dès à présent, nous préparer à cette mutation majeure de civilisation afin qu'elle permette un enrichissement humain, social et économique, et ne conduise pas à des formes subtiles mais redoutables de contrôle et d'asservissement...

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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