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Les effets néfastes de « mémoires biologiques » inversés sur deux générations
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Des souris séparées de leur mère à la naissance transmettent la mémoire biologique de l’événement anxiogène aux deux générations suivantes, mais un simple médicament fait disparaître les symptômes associés à cette adversité, montrent les travaux de neuroscientifiques montréalais publiés. Les événements qui se produisent tôt dans la vie peuvent avoir des conséquences longtemps et forger qui nous devenons plus tard, souligne Yves De Koninck, le directeur scientifique du Centre de recherche CERVO, associé à l’Université Laval, et l’un des principaux auteurs de l’étude, avec le psychiatre et neurobiologiste Marco Battaglia.
En 2003, les travaux des chercheurs Moshe Szyf et Michael Meaney, du Centre de recherche de l’Institut Douglas, montraient que de jeunes rats qui avaient été suffisamment léchés par leur mère étaient, à l’âge adulte, beaucoup plus calmes que ceux qui avaient été moins choyés. Ces chercheurs avaient aussi montré que l’administration de méthionine, un acide aminé, dans le cerveau des rats choyés modifiait l’expression de certains récepteurs, ce qui menait à une hausse de la production d’hormones de stress. Ainsi, les rongeurs calmes devenaient beaucoup plus agités. Une étude publiée en 2021 par certains auteurs participant à ces nouveaux travaux avait montré que des souris séparées de leur mère et soignées à plusieurs reprises par d’autres souris, au début de leur vie, présentaient une expression accrue d'ASIC1. Ce gène est important puisqu’il aide à détecter les changements de pH dans le système nerveux.
Les récents travaux de l’équipe du CERVO vont encore plus loin, toujours chez la souris, mais aussi chez l’humain. Chez le rongeur, les chercheurs ont séparé une première génération de souriceaux de leur mère, en les associant à des mères adoptives toutes les 24 heures pendant quatre jours au cours de la première semaine de vie. Par la suite, ils ont remis les bébés dans des conditions d'élevage normales. Ils ont ensuite permis aux souris exposées à l’adversité au début de la vie de se reproduire sur deux générations. Résultat ? Les lignées de rongeurs exposées à des difficultés tôt dans leur vie étaient plus sensibles à la douleur que les lignées élevées normalement. En outre, l'exposition à un air enrichi de 6 % de CO2 provoquait l'hyperventilation (symptôme de panique) chez les souris exposées à de l’adversité dans leur jeune âge ainsi qu'à leur progéniture. Les analyses moléculaires montrent que l'expression de certains gènes sensibles au pH – dont ASIC1 – est renforcée dans les lignées exposées à de l’adversité, en particulier dans des régions du cerveau responsables des processus sensoriels et de la douleur.
Les chercheurs en viennent au même résultat chez l’humain, mais avec des balises moins faciles à contrôler. On a noté l’histoire familiale des participants, et ceux qui ont vécu de l’adversité lorsqu’ils étaient enfants étaient aussi plus enclins, une fois adultes, à une sensibilité accrue à la douleur ou à l’anxiété, indique M. De Koninck. Il est donc clair pour les chercheurs que l’adversité tôt dans la vie modifie les fonctions moléculaires du cerveau chez l’humain, produisant des mémoires biologiques qui peuvent se manifester par des réactions d'anxiété et une sensibilité amplifiée à la douleur à l'âge adulte.
Le fait que l’hyperventilation en réponse à l'hypercapnie (excès de gaz carbonique dans le sang) et la sensibilité à la douleur soient observables sur trois générations montre aussi une composante épigénétique. L’épigénétique correspond à des variations dans l’activité des gènes induites par l’environnement et les expériences d’une personne qui peuvent se transmettre d’une génération à l’autre. Il existe donc une mémoire des événements qui est passée de génération en génération, affirme le professeur Yves De Koninck. Le professeur De Koninck souligne un détail très important révélé par ces travaux : il y a des points communs entre les chemins empruntés par la douleur et l’asphyxie, quant à la modulation de leurs mécanismes de sensibilisation.
Un détail déterminant, puisque ces travaux montrent aussi que les symptômes associés à la modification moléculaire peuvent être soulagés dans les trois générations de souris grâce à l'inhalation d'une molécule approuvée par l’Agence américaine des médicaments (FDA). Il s’agit de l’amiloride, qui est déjà utilisée dans d’autres traitements, notamment comme diurétique et contre l’hypertension. Lorsqu’elle est pulvérisée dans les muqueuses nasales, elle pénètre plus rapidement dans le cerveau que lorsqu’elle est injectée par voie intraveineuse. Elle inhibe ASIC1 et inverse ses effets.
On a ici une avenue thérapeutique intéressante pour l'anxiété et les troubles de panique, un low-hanging fruit, comme disent les Anglais, mentionne Yves De Koninck. Le professeur De Koninck se réjouit également des résultats obtenus sur les trois générations de souris et d’humains avec le traitement à l’amiloride. Quelqu'un qui a hérité d’une plus grande vulnérabilité aux troubles anxieux en raison de son histoire familiale répond aussi bien au traitement qu’une personne qui a vécu directement des traumatismes dans sa jeunesse. Le traitement serait donc applicable à une grande partie de la population.
Article rédigé par Georges Simmonds pour RT Flash
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