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Edito : Les effets néfastes et innombrables, encore trop largement sous-estimés, de la pollution de l’air

On estime que la pollution de l'air est responsable d'environ 9 millions de morts par an, ce qui en fait la troisième cause de mortalité derrière les maladies cardiovasculaires (18 millions de morts par an) et le cancer (10 millions de morts par an), mais à égalité avec le tabac (9 millions de morts par an). En, Europe, les efforts mis en œuvre au niveau de l'UE et des Etats ont permis de diminuer de 45 % la pollution de l'air depuis 25 ans, ce qui est significatif mais reste insuffisant : 300 000 européens, dont 45 000 Français décèdent prématurément chaque année à cause de la pollution de l'air liée aux composants chimiques et aux particules fines émises principalement par les transports thermiques, les centrales à charbon, l'industrie et... le chauffage au bois, trop souvent oublié.

De nombreuses études réalisées au cours de ces dernières années montrent que les effets de la pollution de l’air, notamment par le biais des particules fines, surviennent à des niveaux d’exposition plus faibles que ce que l’on pensait et affecte toutes les fonctions de l’organisme ou presque, respiration bien sûr, mais également système cardio-vasculaire, système nerveux, fonctions cognitives, système immunitaire et système reproductif.

En 2017, le Professeur Parinaud, spécialiste en biologie de la reproduction au Centre Hospitalier Universitaire de Toulouse, a pu par exemple montrer que la pollution de l'air avait un effet direct sur la qualité du sperme et la fertilité masculine (Voir BMC). Cet effet néfaste de la pollution de l'air sur la fertilité masculine a été confirmé en 2022 par une étude chinoise réalisé par l'Université de Nanjing sur 1554 hommes adultes. Ce travail a montré un lien très net entre le niveau d'exposition à la pollution atmosphérique et la qualité du sperme (Voir BMC). Ces découvertes récentes sont très importantes car il faut savoir qu'on assiste depuis un demi-siècle à une baisse constante et très alarmante de la fertilité masculine au niveau mondial. Selon une vaste étude internationale publiée en novembre dernier, celle-ci aurait, globalement, diminué de 51 %, sans qu'on en comprenne clairement les raisons. Comme le souligne le Professeur Hagai Levine, co-auteur de cette étude et épidémiologiste, de l'Université hébraïque de Jérusalem, « Nous avons entre les mains un problème grave qui, s’il n’est pas maîtrisé, pourrait menacer la survie de l’humanité », (Voir Oxford Academic). La pollution de l'air pourrait bien jouer, selon un nombre croissant de scientifiques, un rôle délétère bien plus important que prévu sur cette baisse de la fertilité masculine.

En 2015, le Centre international de recherche sur le cancer de Lyon (CIRC) a conclu que la pollution de l'air ambiant est cancérogène pour l'homme, la pollution par les PM2.5 étant étroitement associée à un risque accru de cancer du poumon. En septembre 2021, l'OMS a publié une révision des valeurs guides de qualité de l'air ambiant pour les PM2.5, les PM10 (diamètre inférieur ou égal à 10 µm), l'ozone et le dioxyde d'azote (NO2). Les nouvelles valeurs guides sont beaucoup plus strictes que les précédentes (divisées par deux pour les particules fines er par quatre pour le NO2) et se rapprochent des normes préconisées par l’OMS.

Le terme générique de "particules fines" regroupe des mélanges complexes de substances organiques et inorganiques qui sont en suspension dans l'air sous forme de particules solides ou liquides. La composition de ces particules et leur nocivité varient considérablement selon le lieu, la source et la saison, ce qui a rendu difficile pendant très longtemps leur étude et a conduit à sous-estimer pendant des décennies leurs effets très négatifs sur la santé humaine. Parmi les nombreuses substances nocives qui composent ces particules, on trouve de l'ammonium, du sulfate, du nitrate, de la matière carbonée, du sodium et du silicium. Ces microparticules sont émises directement dans l'air ou se forment par transformation de polluants gazeux, notamment les oxydes d'azote (NOx), les oxydes de soufre (SOx) et les fameux composés organiques volatils (COV), dont on a découvert il y a seulement quelques années le rôle majeur dans la pollution intérieure présente dans les habitations et les bureaux.

Les scientifiques classent ces particules en fonction de leur diamètre moyen. Les PM2.5 et PM10 correspondent à la masse des particules (généralement exprimée en µg/m3) dont le diamètre aérodynamique moyen est égal ou inférieur, respectivement, à 2,5 et 10 µm. Les PM10 comprennent donc les particules dites fines (PM2.5) et les particules dites grossières dont le diamètre est compris entre 2,5 et 10 µm (PM2.5-10). Si les particules les plus grosses (PM2.5-10) se déposent principalement dans les voies respiratoires supérieures, les PM2.5 peuvent en revanche atteindre les alvéoles pulmonaires, pénétrer dans le système sanguin et finalement se fixer sur des organes internes.

De nombreuses études ont montré les effets néfastes de ces particules fines sur le système pulmonaire, cardiovasculaire, nerveux et immunitaire. Ces travaux ont également montré qu’il n'existe pas de seuil en dessous duquel les PM2.5 n'augmenteraient pas la mortalité aiguë ou chronique. Les normes et les lignes directrices, ainsi que les mesures d'atténuation de la pollution, doivent donc viser à atteindre l'exposition humaine aux PM2.5 la plus faible possible.

Des études épidémiologiques récentes montrent que l'exposition à long terme aux PM2.5 altère le développement des poumons, tant chez les enfants, avec une hausse du risque de développer un asthme), que chez les adultes, pour lesquels elle accélère le déclin de la fonction respiratoire et augmente les risques de Bronchite Obstructive Chronique. Plus récemment, de nouveaux travaux ont montré que l'exposition à long terme aux PM2.5 provoque des effets neurologiques, qu’il s’agisse de déclin cognitif ou de démence. Enfin, on sait aujourd’hui que cette exposition chronique aux PM2.5 augmente le risque de diabète et provoque très probablement une baisse de la fertilité masculine et féminine à long terme.

L'ozone est un gaz qui est naturellement présent dans la stratosphère et la haute troposphère. Au niveau du sol, l'ozone présent dans l'air ambiant est la principale composition oxydante du smog photochimique. Il s'agit d'un polluant secondaire produit dans les zones urbaines et autres zones polluées par les réactions de la lumière du soleil (réactions photochimiques) avec les oxydes d’azote (NOx) et les composés organiques volatils (COV).

Les niveaux les plus élevés d'ozone sont généralement observés l'après-midi, pendant les journées chaudes et ensoleillées. En France, les épisodes de pollution à l'ozone se produisent généralement pendant l'été. La dangerosité de l’ozone résulte de son pouvoir oxydant et de sa faible solubilité dans l’eau, qui lui permettent d’endommager l’épithélium du poumon profond et de provoquer de nombreuses pathologies respiratoires, comme l’asthme et la bronchite chronique. Des effets néfastes de l'ozone sur les voies respiratoires peuvent se produire même chez des sujets sains à partir de faibles concentrations. Récemment, de nouvelles études ont par ailleurs montré qu’une exposition excessive à l’ozone provoquait également des perturbations dans le métabolisme du glucose et de l'insuline.

Le dioxyde d'azote (NO2) présent dans l'air ambiant est un gaz formé par la réaction de l'oxygène avec l'azote à l’occasion du processus de combustion. Précision importante, la quantité de NO2 générée est d’autant plus importante que la température de combustion est élevée. La principale source anthropique de NO2 dans l'air ambiant est l’utilisation de combustibles fossiles pour le chauffage, la production d'électricité ou le fonctionnement des véhicules thermiques, notamment diesel. On sait à présent que l’exposition à long terme à de fortes concentrations de NO2 est particulièrement néfaste pour la santé respiratoire des enfants. D’autres études récentes ont mis en évidence des associations probablement causales entre l’exposition prénatale au NO2 et à d’autres polluants atmosphériques et l’augmentation considérable et inexpliquée de l’incidence mondiale des troubles autistiques dans le monde depuis trente ans.

D'après une nouvelle étude publiée dans le Canadian Medical Association Journal, les pics de pollution augmentent le risque d'arythmie cardiaque. Et endommagent le cœur en quelques heures à peine. Des chercheurs chinois de l’Université de Shangaï ont croisé les données de plus de 2200 hôpitaux à travers la Chine, un pays où la pollution provoquerait jusqu’à deux millions de morts prématurées par an (Voir CMAJ).

En tout, les données d'environ 190.000 patients souffrant d'arythmie soudaine ont été étudiées. Résultat : une exposition à la pollution était clairement associée à des risques d'arythmie cardiaque, associée notamment à de la fibrillation auriculaire, qui favorise la formation de caillots de sang dans les artères. Cette étude a également confirmé la rapidité des effets néfastes de cette pollution. Ils sont apparus au cours des premières heures suivant l'exposition, avant de s'atténuer au bout de 24 heures. C’est pourquoi, soulignent les auteurs, il est très important que les pouvoirs publics réagissent rapidement à chaque épisode de forte pollution et mettent en œuvre des mesures immédiates pour mieux protéger les personnes à risque – enfants, personnes âgées ou malades – en cas de forte pollution de l'air. Mais le pire c’est que cette pollution de l’air semble également en mesure de provoquer des pathologies chez des jeunes, comme l’a montré une récente étude anglaise qui a établi un lien entre la pollution aux particules fines à Londres et les arythmies cardiaques chez des adolescents en bonne santé.

Autre enseignement que nous apportent des recherches récentes, la pollution aux particules fines accroît également le risque de déclin cognitif et de démence, selon une méta-analyse récemment publiée dans le British medical journal (BMJ). L’équipe de chercheurs de la Harvard T.H. Chan School of Public health a passé au crible plus de 2 000 études publiées ces dix dernières années. Les chercheurs ont ainsi pu établir un lien entre l’exposition aux particules PM2,5 et l’augmentation des risques de démence, même pour une exposition annuelle inférieure à la norme de 12 microgrammes par mètre cube d'air (μg/m3), fixée par l’Agence américaine de protection de l’environnement. Ces chercheurs ont observé une augmentation de 17 % du risque de développer une démence pour chaque augmentation de 2 μg/m3 de l'exposition annuelle moyenne aux PM2,5. (Voir BMJ).

Les chercheurs de la Harvard T.H. Chan School of Public health ont aussi pu mettre en lumière des liens suggérant une association entre démence et oxyde d’azote – 5 % d'augmentation du risque pour chaque augmentation de 10 μg/m3 de l'exposition annuelle au dioxyde d’azote (Voir Harvard T.H. Chan). Cette étude souligne que, compte tenu du nombre considérable de personnes dans le monde exposées à la pollution de l’air, la moindre action visant à réduire cette pollution a un effet immédiat et à long terme sur la santé physique et mentale de la population mondiale. Le Professeur Marc Weisskopf, qui a dirigé ces recherches, souligne que « Pour réduire massivement et durablement l’exposition des populations aux particules PM2,5 et à d’autres polluants atmosphériques, le levier de loin le plus efficace est le changemen des réglementations et l’adoption de norme d’exposition plus strictes »,

Actuellement, dans le monde, 57 millions de personnes vivent avec des symptômes de démence, rappellent les auteurs, et ce nombre pourrait atteindre 153 millions en 2050. Or, ces chercheurs estiment que 40 % de ces cas sont liés à des facteurs de risque potentiellement modifiables, tels que l'exposition aux polluants atmosphériques. On mesure donc, dans ce domaine dans la santé mentale et cérébrale, l'immense enjeu de santé publique que constitue la diminution de la pollution de l'air.

Cette pollution atmosphérique constitue également, on l'oublie souvent, un fardeau économique gigantesque : selon la Banque mondiale, le coût de la pollution de l’air s’élèverait au moins à 5 110 milliards de dollars (4 543 milliards d’euros) par an, soit environ 5 % du produit mondial brut. La Commission européenne a présenté en novembre dernier, dans le cadre des nouvelles normes d'émissions Euro 7 pour les véhicules thermiques, un plan global visant à réduire de 75 % d'ici 2030 le nombre de décès prématurés (environ 300 000 par an) provoqués par la pollution de l'air sur notre continent. Ces normes devraient permettre de réduire de 35 % les émissions d'oxyde d'azote (NOx) des voitures particulières et utilitaires légers et de 56 % celles des bus et camions d'ici à 2035. Ces nouvelles normes européennes seront aussi les premières au monde à fixer des limites à l'émission de particules fines provoquée par l'usure des freins et celle des pneus qui sont devenues d'importantes sources de production de ces minuscules particules très dangereuses pour la santé, avec le chauffage au bois, l'industrie et la production d'électricité à partir d'énergies fossiles .

Mais pour de nombreux médecins et scientifiques, cet effort louable reste insuffisant car les propositions de la Commission en matière de réduction des valeurs limites d’exposition aux principaux polluants restent très en deçà des seuils préconisés par l’OMS. C'est notamment le cas pour les particules fines (PM2,5), les plus dangereuses pour la santé, dont la concentration devrait passer de 25 microgrammes par mètre cube (μg/m3) à 10 μg/m3 d’ici à 2030, soit un niveau qui reste deux fois plus élevé que celui de l’OMS (5 μg/m3). Pour le dioxyde d’azote (NO2), également très néfaste et, émis principalement par le trafic routier, l’Europe veut réduire son seuil à 20 μg/m3, quand l’OMS préconise 10 μg/m3.

A côté des transports, la production et la consommation d'électricité, à partir du charbon, représentent encore environ 80 % des particules fines et de la quasi-totalité des oxydes de soufre et d'azote, comme le rappelle l'AIE. Il faut en effet savoir que jamais le monde n'a consommé autant de charbon, huit milliards de tonnes en 2022, soit trois fois plus qu'en 2003, et selon l'AIE cette consommation ne devrait pas se stabiliser avant 2025. Selon un rapport édifiant du groupe Ember, la production des centrales électriques à charbon a connu une croissance annuelle de 9 % en 2021, assurant la production de 10.042 TWh. Soit 36,5 % de la production d'électricité mondiale, contre 35,3 % en 2020. Pourtant l'AIE fait valoir qu'il suffirait d'augmenter de 7 % seulement les investissements dans l'énergie jusqu'en 2040 pour réduire de 1,7 million le nombre de décès prématurés liés à la pollution de l'air extérieure en 2040, et de 1,6 million celui des décès liés à la pollution domestique.

Mais, me direz-vous, n'est-il pas utopique d'envisager sérieusement un monde dans lequel l'ensemble des besoins en énergie serait assuré par des sources renouvelables, propres et décarbonées ? Et bien non, si l'on en croit plusieurs études extrêmement complètes et argumentées réalisées par l’équipe du Professeur Jacobson de la prestigieuse Université de Stanford. Ces travaux montrent que dans 145 pays, la transition vers une énergie reposant entièrement sur l’éolien, l’hydraulique, le solaire et le stockage, serait rentable en six ans, et coûterait moins cher à terme que de conserver les systèmes énergétiques actuels, encore majoritairement dominés par les énergies fossiles. La dernière étude publiée en 2022 montre qu’au niveau mondial, l’association éolien-hydraulique-solaire permettrait de réduire de 56 % les besoins en énergie finale, grâce à la production décentralisée d'énergie et à l'amélioration de l'efficacité énergétique globale. Quant aux décès provoqués par la pollution, ils seraient réduits d'environ 80 %, soit sept millions de vies sauvées chaque année (Voir Royal School of Chemistry).

On voit donc bien, à la lumière de toutes ces récentes recherches, que la lutte mondiale contre le réchauffement climatique et contre la pollution de l’air constituent pour notre civilisation humaine deux défis intimement liés. C’est en actionnant simultanément et de manière très volontariste quatre leviers principaux au niveau de la production d’énergie, des transports, du chauffage/climatisation des bâtiments et de l’industrie, et en décarbonant plus rapidement ces quatre secteurs, que nous parviendrons non seulement à stabiliser le dérèglement climatique planétaire, mais également à réduire massivement les effets néfastes et innombrables, encore trop largement sous-estimés de la pollution de l’air.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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