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Edito : Les drones vont changer la nature de la guerre...

Chères lectrices et lecteurs,

Comme chaque année, l'équipe de RTFlash (Monique, Mark et moi-même) se met au vert du 26 juillet au 6 septembre 2024, date de notre Lettre de rentrée. Nous vous souhaitons de très agréables vacances et aurons le plaisir de vous retrouver en septembre pour de nouvelles aventures scientifiques... 

En vous remerciant pour votre fidélité et votre soutien. A bientôt

René Trégouët 

Sénateur Honoraire

Fondateur et Rédacteur en Chef de RTFlash

Edito

Les drones vont changer la nature de la guerre...

En moins de 20 ans, les drones militaires se sont imposés sur tous les théâtres d’opération et sont devenus incontournables sur les champs de bataille. Grâce à ces engins redoutables, les Américains ont notamment pu éliminer un grand nombre de responsables de groupes terroristes et détruire les infrastructures militaires d'organisations terroristes comme l'Etat islamiste. Aujourd’hui, des drones tels que le MQ-9 Reaper américain, le drone MALE européen, et le CH-4 chinois ont atteint un très haut niveau de technologie et de performances et peuvent remplir de nombreux types de missions à plusieurs milliers de km de distance. Selon un rapport de MarketsAndMarkets, le marché mondial du drone militaire est passé de 3 milliards en 2015 à plus de 13 milliards en 2023 et devrait atteindre 18,2 milliards de dollars en 2028.

Depuis le début de l'année, Kiev a multiplié les attaques de plus en plus en profondeur sur le territoire russe, frappant des sites industriels ou militaires que le pouvoir russe croyait pourtant hors d'atteinte des drones ukrainiens. Une raffinerie dans la république du Bachkortostan a par exemple été détruite par des drones ukrainiens, alors qu'elle se situait à 1.200 km de sa frontière. Le 13 avril dernier, des drones ukrainiens ont réussi à détruire une usine russe de fabrication de drones militaires, à plus de 1000 km du front, dans la région industrielle de la République russe du Tatarstan. Le 21 juin dernier, des drones d'attaque ukrainiens à longue portée ont frappé quatre raffineries de pétrole russes ainsi que des stations radar et d'autres cibles militaires, dont certaines situées à plusieurs centaines de km du front. Ces attaques aussi dévastatrices que spectaculaires en disent beaucoup sur l'évolution incroyablement rapide des drones militaires depuis le début du conflit en Ukraine et la place majeure prise par ces nouvelles armes, tant sur le plan tactique que stratégique. Se battant pour leur survie et celle de leur nation, les Ukrainiens font preuve d'une remarquable ingéniosité pour développer des drones redoutablement efficaces, pour seulement quelques dizaines de milliers d'euros pièce, c'est-à-dire dix fois moins chère qu'un obus et cent fois moins chère qu'un missile ou qu'un drone de combat russe ou américain... C'est le cas du “Liutiyv” ("Féroce" en ukrainien), utilisé dans 80 % des attaques. Développé avec des matériaux légers, ce drone-kamikaze, sans cesse amélioré depuis un an et demi, est à présent aussi performant que les Shahed iraniens ou les Bayraktar turcs. Il peut transporter une ogive de 50 kg et est guidé en temps réel par satellite, ce qui rend difficile son interception.

L'autre drone redoutable utilisé avec succès par l'Ukraine pour décimer les blindés russes est l'appareil turc Bayraktar TB2. Surnommé le « Kalachnikov du XXIe siècle », cet engin, de douze mètres d'envergure pour 650 kilos, est deux fois moins gros qu'un drone Male (moyenne Altitude Longue Endurance) Reaper américain, mais néanmoins très performant et surtout, il coûte dix fois moins cher qu'un drone américain et fait des ravages en détruisant d'onéreux chars russes, grâce à ses missiles à guidage laser. Il y a quelques semaines, le patron de Bayraktar, Baykar Haluk Bayraktar a annoncé la construction prochaine d'une usine secrète de production, quelque part en Ukraine, qui pourra fabriquer au moins 120 de ces drones par an. Le 9 juin dernier, l'armée ukrainienne a réussi un nouveau coup d'éclat, en détruisant un SU-57, grâce à ses "drones fantômes". Ce fleuron de l'aviation russe, un avion furtif de plus de 50 millions de dollars, était pourtant stationné à près de 600 km du front et bien protégé, mais l'Ukraine possède à présent des drones suffisamment invisibles et performants pour frapper ce genre de cibles militaires à des centaines de km derrière la ligne de front.

L’armée ukrainienne cherche à échapper aux systèmes de brouillage russes avec de nouveaux drones de combat, capables de naviguer sans GPS. Ces engins utilisent un nouveau logiciel de déplacement. Baptisé "Eagle Eye", "l’œil de l’aigle", qui peut comparer les données récupérées par les avions avec la vidéo réalisée en direct par le drone. L’opérateur peut ainsi guider son appareil sans recourir au GPS. En deux ans de guerre, l'Ukraine a également réussi à tenir en échec la puissante flotte russe de la Mer Noire, en utilisant ses nouveaux drones maritimes autonomes, les Magura V5 (Maritime Autonomous Guard Unmanned Robotic Apparatus). Mesurant 5,50 m de long pour 1,50 m de large, ce drone maritime peut atteindre une vitesse maximale de 42 nœuds (78 km/h), avec un rayon d'action d'environ 830 kilomètres. Grâce à sa vélocité, le Magura V5 est difficile à repérer et il a déjà permis de détruire plusieurs navires de guerre russes, avec sa charge explosive de 300 kg.

Les Ukrainiens ont également réussi à détruire le pont d'Ivaniv'ske (est du pays), grâce à l’intervention d'un nouvel engin kamikaze conçu par les Ukrainiens : le “Ratel S”. Il s'agit en fait d'une petite voiture télécommandée, capable de transporter jusqu'à 20 kilogrammes d'explosifs et de rouler à 24 kilomètres/heure sur une distance de 5 kilomètres. Le “Ratel S” ne coûte que 3000 euros à fabriquer et peut détruire blindés et infrastructures sans se faire détecter. Ces différents types de drones infligent des dégâts de plus en plus importants aux forces russes.

Le ministère de la défense ukrainienne a annoncé récemment son intention de disposer d'une armada d'un million de drones d'ici la fin de cette année. Et tous les moyens sont bons pour parvenir à cet objectif. Parmi les nouveautés ukrainiennes, on trouve le nouveau AQ 400 Scythe, avec son fuselage en contreplaqué provenant d'usines d'ameublement et un moteur thermique de petite cylindrée. Ce drone rustique, d'un coût dérisoire, peut être produit à des milliers d'exemplaires chaque mois et saturer les défenses russes. Sur le champ de bataille, tous ces drones modifient les principes tactiques et stratégiques et changent la façon de faire la guerre. Avec l’emploi massif des drones d'observation, on peut suivre en temps réel les mouvements de troupes et il devient pratiquement impossible de dissimuler des concentrations de blindés précédant une offensive.

Les États-Unis ont tiré les leçons du conflit en Ukraine et ont considérablement accéléré l'intégration des drones de toutes catégories dans leur aviation, leur marine et leur infanterie. L'US Air Force prévoit de constituer rapidement une flotte de plus de 1000 drones autonomes afin de maintenir sa supériorité aérienne et garder une avance suffisante sur son grand rival chinois. L'objectif clairement affiché par l'armée américaine est à présent de transformer le plus rapidement possible chaque avion, char ou soldat en « système extensif d'intervention », accompagné de plusieurs drones de reconnaissance et de combat autonomes, pilotés par l'IA, également appelés des "coéquipiers loyaux".

Dans cette compétition technologique et militaire, la Chine n'est pas en reste : le 19 mars dernier, le South China Morning Post (SCMP) révélait que des scientifiques chinois sont parvenus à créer des drones capables de se multiplier rapidement dans les airs pour créer un “choc tactique”. Concrètement, cet appareil modulaire va pouvoir se diviser instantanément en deux, trois ou même six engins plus petits, selon les besoins militaires. Cette technologie, jamais vue sur le champ de bataille, pourrait changer la donne dans un conflit (Voir SCMP). Bien que chacun de ces engins ne dispose que d’une seule pale, il peut planer et se déplacer aussi aisément qu’un drone ordinaire. Ces drones modulables peuvent bien sûr communiquer entre eux et se reconfigurer pour mener à bien leurs différentes missions. Selon cet article, la combinaison de ces engins a permis une efficacité de vol près de deux fois supérieure à celle d’un drone multirotor DJI chinois de taille similaire. Et même après la séparation, leur efficacité en vol est restée 40 % supérieure à celle des drones traditionnels. Pour concevoir ces engins, les ingénieurs et scientifiques chinois se sont inspirés des propriétés de la graine d’érable, qui peut voyager sur de grandes distances en se laissant porter par le vent.

Il y a quelques jours, le concept du futur drone furtif "collaboratif" Wingman, développé par Airbus, a été dévoilé lors du salon aérospatial ILA à Berlin. Le Wingman mesure 12 mètres de large, 15,5 mètres de long et dispose de deux baies d'armement internes. Il sera propulsé par le turboréacteur Eurojet EJ200, déjà en service sur l'Eurofighter. Le Wingman sera équipé d'une multitude de capteurs, destinés aux missions de renseignement, surveillance, reconnaissance ou attaque. Ce drone pourra être équipé, selon les missions à remplir, de bombes à guidage-laser et des missiles air-sol Brimstone. Le Wingman accompagnera les chasseurs de nouvelle génération du Système de Combat Aérien du Futur (SCAF), qui ne devrait entrer en service qu’au début des années 2040. Mais dès l'horizon 2030, la France devrait disposer d'un système d'attaque aérienne redoutable, composé du futur Rafale F5 de Dassault, et de son essaim de drones accompagnateurs, issus du programme nEUROn, dirigé par Dassault Aviation, dans le cadre d’une coopération européenne. Ainsi transformé en système de combat polyvalent, le Rafale F5 verrait sa force de pénétration des défenses ennemies démultipliée.

Mais en attendant ce système futuriste de combat aérien, notre pays vient de présenter deux drones de combat, le Colibri et le Veloce 330, lors du grand salon de la défense Eurosatory. Le Colibri, déjà utilisé depuis plusieurs années par les forces armées françaises, a été transformé en engin-kamikaze, pour tirer les leçons du conflit ukrainien. D’une envergure d’un mètre, le Colibri possède un fuselage en polystyrène et peut voler pendant près d’une heure, de jour comme de nuit, dans un rayon de 25 km. L’appareil peut embarquer une charge explosive d’environ 500 g, suffisante pour détruire un véhicule ennemi. Le second drone, le Veloce 330, a une envergure de 3,3 mètres, 8h d’autonomie, un rayon de pilotage de 80 km, ainsi qu’un système antibrouillage pour terminer sa mission et revenir à la base. Pouvant atteindre 400 km/heure en vitesse de pointe, le Veloce 330 peut embarquer des charges explosives de 3,3 kg, suffisantes pour perforer le blindage d’un char.

L'armée française a également présenté, à Eurosatory, le NX70, un micro-drone de reconnaissance révolutionnaire, conçu par Novadem. Cet engin souple et polyvalent, qui ne pèse qu'un kg peut effectuer des observations de jour comme de nuit pendant 45 minutes et peut transporter divers équipements, grenades fumigènes ou brouilleurs de fréquence. Le NX70 est capable de filmer le terrain en haute définition dans toutes les conditions météorologiques. La transmission des données numériques est cryptée et hautement sécurisée. Toujours à l'occasion de ce salon Eurosatory, le groupe Thales a présenté une plate-forme futuriste, destinée à contrôler simultanément tous les futurs engins militaires téléguidés. Thales veut aller plus loin et souhaite implanter sa plate-forme Open RDRobotics dans tous les futurs systèmes de combat. Avec ce système, un opérateur pourrait contrôler un drone terrestre depuis l’intérieur du blindé. L’opérateur aura le choix entre plusieurs types d'actions et une fois l'une d'entre elles choisie, l'intelligence artificielle se chargera de mener à bien la mission jusqu’au bout. Ces essaims de drones automatisés devraient équiper notre armée dès 2030.

Avec cette arrivée massive d'une panoplie toujours plus vaste de drones bon marché, autonomes et polyvalents, allant du micro-drone de quelque grammes au drone de combat de dix tonnes, c'est le concept même de guerre qui change de nature. Ces engins redoutables et difficiles à repérer et à détruire nous font entrer dans l'ère des conflits diffus, hybrides et asymétriques, qui seront fondamentalement différents de ceux que l'on a pu connaître par le passé. Il faut en effet bien comprendre qu'à partir du moment où un drone à quelques centaines ou milliers de dollars peut détruire facilement un navire, un char ou une infrastructure coûtant plusieurs millions de dollars, les interventions militaires cessent d'être le monopole des armées régulières, commandées par les Etats et deviennent des options possibles et rentables pour de nombreuses organisations terroristes ou criminelles, qui souhaitent asseoir leur domination sur un marché ou un territoire, pour éliminer leurs concurrents ou même tenir en échec une puissance militaire étatique. Équipée de tels auxiliaires autonomes, on peut même imaginer qu'une unité bien entraînée, de quelques centaines d'hommes, soit en mesure, au cours d'un raid commando, de s'emparer et de contrôler plusieurs jours une grande ville, voire une région entière.

Face à cette nouvelle menace, qui ne relève plus de la science-fiction, nos sociétés démocratiques doivent se mobiliser pour imaginer et mettre en œuvre des plans et stratégies nouvelles et audacieuses, susceptibles de neutraliser rapidement ce type d'attaques dévastatrices et difficiles à anticiper. C'est par exemple la "stratégie du Porc-épic", mis en œuvre par Taïwan, pour rendre très coûteuse - et donc dissuasive - en hommes et en matériels une possible invasion chinoise de son territoire. C'est en mobilisant sans tarder toutes les potentialités de la recherche fondamentale et appliquée dans les domaines de l'IA, des armes à énergie dirigée, des capteurs quantiques, des robots autonomes et des technologies d'observation spatiales, que nous parviendrons à faire face efficacement à ces nouvelles menaces, dont nous n'avons pas encore pris toute la mesure, et qui risquent d’engendrer des conflits permanents et meurtriers, de renforcer la capacité de nuisance des groupes criminels de toute nature et de déstabiliser nos démocraties...

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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