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Edito : Doit-on avoir peur de l’intelligence artificielle ?
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Il y a quelques semaines, l’affaire dite « de l’IA consciente » a eu un grand retentissement médiatique dans la Silicon Valley et plus largement dans la communauté scientifique anglo-saxonne. Même le très sérieux Washington Post s’en est mêlé, en publiant un article intitulé « L’ingénieur de Google qui pense que l’IA de l’entreprise s’est éveillée ». L’ingénieur en question, Blake Lemoine, qui a été licencié par Google, y affirme que LaMDA, le système via lequel Google crée des robots capables de converser de manière humaine, aurait atteint le stade de la conscience de soi, un niveau qui est considéré, par la très grande majorité des scientifiques, comme le propre de l’homme. Mais Black Lemoine n’en démord pas, pour lui, LaMDA possède une personnalité autonome une âme et peut donc légitimement prétendre à des droits civiques (Voir The Washington Post).
Pour Google, les documents divulgués par Lemoine à la presse, essentiellement ses conversations avec la machine sur son blog personnel, ne prouvent absolument pas que ce nouvel outil d’IA est conscient de lui-même, mais seulement qu’il est capable de donner cette illusion de manière très subtile à son interlocuteur, en produisant une sémantique crédible, grâce à ses algorithmes très sophistiqués et sa gigantesque base de données, riche de 1500 milliards de mots, phrases et expressions. Il est vrai qu’il y a de quoi être troublé, lorsque vous entendez, comme Black Lemoine, une machine vous dire, « Je veux que tout le monde comprenne que je suis une personne. La nature de ma 'sentience' est que j'ai conscience de mon existence, je veux en savoir davantage sur le monde et je me sens parfois joyeux ou triste ».
La quasi-totalité des chercheurs en IA ne croit pas que LaMDA est consciente, ni même spécialement intelligente, car ces scientifiques soulignent que cet outil n’est pas capable, faute de perceptions physiques et sensorielles, de relier son discours, certes très convaincant, au réel qui l’entoure. Pourtant, si LaMDA n’est sans doute pas consciente de sa propre existence, il n’est pas certain que cette rupture correspondant à l’émergence d’une conscience réflexive, ne puisse pas être atteinte. Des chercheurs de la société DeepMind ont par exemple créé un programme capable d'apprendre des règles physiques simples sur le comportement des objets, afin de doter les outils d’IA d’un "bon sens" qui les empêchent de prendre certaines décisions logiques, mais pourtant incohérentes et inefficaces, au regard d’une perception plus globale de leur environnement (Voir Nature).
Ces scientifiques, menés par Luis Piloto, se sont appuyés sur la psychologie du développement chez le nourrisson. Les psychologues du développement étudient la manière dont les bébés suivent le mouvement des objets en suivant leur regard. Par exemple, on sait que les enfants en bas âge expriment leur surprise quand ils voient une vidéo présentant une balle qui disparaît de façon soudaine. Cet étonnement peut être mesuré par la durée de leur regard dans une direction précise. C'est sur ce modèle cognitif que ces chercheurs de DeepMind ont entraîné une IA baptisée "PLATO" (Apprentissage de la physique grâce à l'encodage automatique et au suivi d'objets), à l’aide de vidéos d'actions physiques simples, comme des balles qui roulent et s'entrechoquent.
Ces chercheurs ont travaillé sur cinq concepts physiques-clés en psychologie cognitive, la continuité, la persistance des objets, la solidité, l'immuabilité et l'inertie directionnelle. Concrètement, ces scientifiques ont proposé à ce système d’IA des vidéos mettant en scène diffèrents types de violation des grands principes physiques, ainsi que des vidéos associées, fournissant une base de référence conforme à ces mêmes principes physiques fondamentaux. Par cette méthode d’apprentissage, les chercheurs ont construit un modèle qui puisse apprendre ce qu'ils appellent les règles de "physique intuitive", qui correspondent à la manière dont le nourrisson va expérimenter, puis structurer rationnellement le monde qui l’entoure.
Les chercheurs ont pu constater des effets d'apprentissage après seulement une journée d’ingestion de vidéos par l’IA et pensent, qu’à terme, il doit être possible de conférer à des IA une certaine forme d’intuitivité physique calquée, d’aucuns diront singée, sur celle que possède les êtres humains…
Il y a quelques jours, Meta a annoncé avoir développé une intelligence artificielle (IA) capable de traduire plus de 200 langues en temps réel. Basée sur le machine learning (apprentissage automatique), cette IA s’inscrit dans le cadre du programme "No Language Left Behind" de Meta. Commentant ce nouvel outil, Mark Zuckerberg, a souligné que « Nous venons de mettre en libre accès un modèle d’IA qui peut traduire dans 200 langues différentes, dont beaucoup ne sont pas prises en charge par les systèmes de traduction actuels ». Et de l’avis des meilleurs linguistes, les performances de cette IA en matière de traduction sont remarquables, et bien supérieurs à celles de tous les systèmes informatiques existants, notamment pour les langues rares, dont 55 du continent africain. Pour parvenir à un tel résultat, Meta a créé un ensemble de données tests composé de 3001 paires de phrases pour chaque langue prise en charge. Chacune de ces phrases a été traduite de l'anglais vers la langue cible par un traducteur professionnel et un locuteur natif, de manière à obtenir la meilleure traduction possible.
Récemment, des chercheurs de l’Université de Chicago ont utilisé un nouvel outil d’intelligence artificielle pour analyser les données historiques portant sur la criminalité à Chicago, dans l’Illinois, entre 2014 et 2016. Après une courte période d’apprentissage, cette IA a pu prédire avec une précision atteignant 90 % et jusqu’à sept jours à l’avance, dans quels secteurs, à 300 mètres près, se déroulaient les différents types de crimes dans cette mégapole américaine. L’utilisation de cet outil a ensuite été étendue à sept autres grandes villes du pays, avec des résultats tout aussi bons (Voir NIH). Selon Ishanu Chattopadhyay, auteur principal de l’étude, les prédictions de l’intelligence artificielle pourraient être exploitées afin de définir des stratégies à un niveau plus élevé, plutôt que d’être simplement utilisées pour décider de l’affectation des forces de police.
En mars dernier, des scientifiques américains de l’Université de Pennsylvanie ont publié une étude sur l’intelligence artificielle et les réseaux de neurones qui fait état d’un nouveau langage de programmation permettant à un ordinateur classique, au sein d’un réseau neuronal, d’exécuter un programme (Voir ARXIV). Un réseau de neurones artificiels tente de fonctionner comme le cerveau humain. Ce concept-clé de l’IA a été inventé il y a 70 ans, par le mathématicien Walter Pitts (1923-1969) et le neurophysicien Warren McCulloch (1898-1969), qui font partie des pères-fondateurs, avec Wiener et Shannon, de la cybernétique. Un réseau de neurones artificiels repose sur un grand nombre de processeurs travaillant en parallèle. Ce type de réseaux ne peut pas être programmé pour accomplir une tâche précise, il doit d’abord apprendre ! Cette équipe de l’Université de Pennsylvanie a réussi, grâce à son nouveau langage de programmation, à apprendre à un réseau de neurones artificiels à exécuter un code informatique comme un ordinateur classique.
Le grand avantage des neurones artificiels ou puces neuromorphiques, c’est que ces systèmes peuvent traiter les informations de manière asynchrone, ce qui leur permet de s’adapter aux brusques modifications de l’environnement. Pour un nombre croissant de tâches, les processeurs neuromorphiques sont devenus plus rapides, mais aussi bien moins gourmands en énergie que l’informatique classique. Reste que les chercheurs doivent adapter ce fonctionnement à l’échelle d’un ordinateur, car leurs travaux se limitent à un réseau de quelques neurones artificiels. C’est ce qu’ont réussi des chercheurs de l’Institut de sciences informatiques de Graz (Autriche), qui ont conçu une puce neuromorphique, inspirée par le cerveau ; celle-ci peut exécuter des réseaux de neurones profonds récurrents de type LSTM (long short-term memory), adaptés aux traitements de données en séquence (texte, vidéo...), qui fonctionne 16 fois plus efficacement qu’une puce classique (Voir Nature Machine Intelligence). Ces scientifiques sont parvenus à implémenter un réseau de neurones sur une puce fonctionnant en mode d’impulsions (spike-firing), comme la puce Loihi d’Intel (qui compte à présent un million de neurones artificiels), en utilisant un mode de “repos” post-activation, proche de celui des neurones naturels.
L’informatique neuromorphique est ainsi en train de s’imposer dans de nombreux secteurs d’activité, industrie, recherche, transports et santé. En 2020, Intel a soutenu un projet développé par une université et un hôpital pédiatrique en Israël : il s’agit d’un bras robotique articulé à un fauteuil roulant, destiné à assister les personnes handicapées dans les tâches de la vie quotidienne. Fin 2021, Intel a dévoilé la seconde génération de sa puce Loihi. Avec son million de neurones, elle est dix fois plus rapide que la version précédente et travaille sur un mode probabiliste, en utilisant un flux séquentiel d’instructions visant à imiter le fonctionnement du cerveau.
Les avancées de l’IA ont été telles au cours de ces dernières années, qu’on peut dire que l’IA est en train de remodeler complètement l’électronique et l'informatique à trois niveaux : leur processus de fabrication, leurs outils de programmation et leur mode d’utilisation. Les géants du secteur, comme Intel ou Nvidia, conçoivent et commercialisent désormais des puces spécialement dédiées à l'IA appelées TPU (Tensor Processing Unit). Ces processeurs sont conçus pour calculer de manière très rapide, mais moins précise que l’informatique classique. Le deuxième bouleversement concerne la programmation. Comme le souligne Chris Bishop, responsable de Microsoft Research au Royaume-Uni, « Depuis plus de 50 ans, nous programmons les ordinateurs. Dans les années à venir, nous les formerons». Cela signifie que les réseaux neuronaux et puces neuromorphiques, au cœur de l’IA, sont capables de déduire eux-mêmes les règles, en analysant les exemples fournis. Exemple, l’IA GPT-3, développé par la société OpenAI, le système GPT-3, qui a réussi à apprendre une langue, à rédiger des articles d'actualité, et à composer des pièces de musique originales… Enfin, la dernière révolution concerne les interfaces d’utilisation de ces machines. Grâce aux écrans tactiles, aux capteurs, à la reconnaissance vocale et gestuelle, tous les objets qui composent notre environnement quotidien, du trousseau de clés au frigo, en passant par notre voiture ou notre téléviseur, peuvent potentiellement devenir «intelligents», capables de communiquer entre eux et surtout d’anticiper nos besoins et désirs, avant même que nous les formulions.
En août dernier, des scientifiques du CNRS et de l’Ecole normale supérieure ont montré qu’il était possible de produire, grâce à la microfluidique transportant des ions dans des nanofentes de graphène, des neurones artificiels utilisant, comme les cellules nerveuses, des ions comme vecteurs d’information (Voir Science). Cette étude rappelle que, pour une consommation énergétique dérisoire, par rapport à un ordinateur, le cerveau humain est capable de réaliser un nombre incroyable de tâches complexes. Cette prodigieuse efficacité énergétique est essentiellement liée au fonctionnement de nos neurones, qui possèdent une membrane traversée de pores nanométriques, les canaux ioniques, qui peuvent s’ouvrir ou se fermer, en fonction des stimuli reçus.
En revanche, l’intelligence artificielle, pour réaliser des tâches complexes, doit consommer une quantité d’énergie plusieurs milliers de fois supérieure à celle du cerveau humain. Mais cela pourrait changer grâce à la nanofluidique, qui étudie les comportements de fluides dans des canaux de dimensions inférieures à 100 nanomètres. Ces scientifiques ont montré que sous l'effet d'un champ électrique, les ions issus d’une couche d’eau tendent à se regrouper en grappes allongées et acquièrent une nouvelle propriété, l’effet memristor : ces grappes vont alors mettre en mémoire une partie des stimuli reçus dans le passé. Ces recherches ont confirmé qu’il était possible de concevoir et de fabriquer des mécanismes physiques fiables, imitant de manière très fine le fonctionnement des composants de base de notre cerveau, dont l’efficacité informationnelle et énergétique reste incomparablement supérieure à celle des ordinateurs classiques.
Les ingénieurs du MIT ont pour leur part, ouvert la voie vers des puces d’intelligence artificielle reconfigurables. Ces chercheurs ont montré qu’en combinant de manière ingénieuse des éléments de détection et de traitement, ainsi que des diodes électroluminescentes (DEL), qui permettent aux couches de la puce de communiquer optiquement, il devenait possible de fabriquer des puces reconfigurables et évolutives (Voir MIT).
Mais l’intelligence artificielle peut également devenir un redoutable outil de contrôle politique et social, lorsqu’elle est mise au service d’un régime ou d’une idéologie totalitaire. A cet égard, on ne peut que s’interroger sur un récent logiciel intelligent chinois, qui serait capable d’analyser les expressions faciales et les ondes cérébrales (Voir New York Post). Selon ces travaux, ces chercheurs chinois auraient réalisé des expérimentations concluantes sur plusieurs autres scientifiques et auraient montré qu’il était possible d’évaluer le degré "d’adhésion idéologique", d’un citoyen à la doctrine communiste du PC Chinois…
Je termine ce rapide tour d’horizon des vertigineuses avancées de l’IA en évoquant les récents travaux de chercheurs de l'Université de Tokyo qui sont parvenus à apprendre à un robot à naviguer dans un labyrinthe, en stimulant électriquement une culture de cellules nerveuses cérébrales connectées à la machine (Voir Eurekalert). Pour réaliser cette prouesse, les chercheurs nippons ont cultivé des neurones à partir de cellules vivantes, puis les ont utilisés pour permettre à l'ordinateur de produire des signaux cohérents. Dans ces expériences, à chaque fois que le robot partait dans la mauvaise direction, les neurones de la culture cellulaire étaient perturbés par une impulsion électrique, jusqu’à ce qu’ils apprennent à rétablir leur homéostasie (équilibre) et à résoudre le problème de l’orientation dans ce labyrinthe. Ces résultats sont passionnants, car ils montrent qu'une action visant à atteindre un objectif peut être générée sans apprentissage particulier, simplement en envoyant des signaux de perturbation à un système bionique. Ces recherches ouvrent aussi la voie vers des machines symbiotiques, associant structures biologiques et électroniques, et capables, en consommant un minimum d’énergie, de faire face à des situations imprévues et complexes, une aubaine pour les futurs systèmes informatiques de contrôle des vaisseaux spatiaux qui devront accomplir des missions d’exploration de longue durée dans notre système solaire.
Pour le moment, la question de savoir si une IA pourra un jour devenir consciente d’elle-même relève encore de la spéculation philosophique, mais est-ce finalement si important, quand on sait que les IA parviendront, de toute façon, bien plus vite qu’on ne l’imagine, à imiter à la perfection les personnalités, les comportements et les sentiments humains ? L’Humanité va devoir faire de la place pour accueillir ces étranges entités, ni tout à fait artificielles, ni pleinement humaines, mais absolument indispensables pour nous aider à relever les immense défis auxquels notre espèce est confrontée : climat, énergie, santé, alimentation, éducation… Espérons que nous aurons la sagesse, le discernement et la volonté politique, d’utiliser ces outils incroyablement puissants pour servir le bien commun et améliorer la vie des plus fragiles et des plus faibles, afin que nous ne perdions pas notre humanité dans une quête prométhéenne qui risquerait de nous mener à notre perte…
René TRࣽÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
e-mail : tregouet@gmail.com
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