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Edito : Dernières nouvelles du cerveau…
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Cette semaine, je reviens sur quelques récentes avancées scientifiques qui éclairent d’un jour nouveau cet organe aussi fascinant que mystérieux qu’est notre cerveau. Parmi les nombreux travaux remarquables qui nous permettent de mieux comprendre comment fonctionne notre cerveau et comment il peut être amené à construire une « réalité alternative » qui parfois refuse les faits et s’enferme dans un discours complotiste, il faut évoquer les recherches du psychologue Jan-Willem van Prooijen, chercheur à l’Université libre d’Amsterdam, auteur d’une étude de référence, intitulée « La psychologie des théories du complot » (Voir NCBI).
Prenant le contrepied des opinions les plus répandues sur les causes de ce phénomène en plein essor que l’on appelle conspirationnisme, ou complotisme, ce chercheur réfute l’idée répandue selon laquelle les adeptes des thèses complotistes seraient des personnes peu cultivées, peu instruites et souffrant de troubles psychologiques. Rejoignant l’opinion du sociologue Gerald Bronner (auteur du remarquable essai « Déchéance de rationalité » en 2019), ce scientifique pense qu’il est inutile de vouloir démentir à tout prix les croyances erronées et qu’il vaut mieux mettre à la disposition de chacun les outils cognitifs qui lui permettront de développer une pensée critique et libérée des biais cognitifs réducteurs et simplificateurs univoques, qui l’enferme dans une fausse - mais rassurante - représentation de la réalité.
Selon Jan-Willem van Prooijen, n’importe qui peut, placé dans un certain contexte informationnel anxiogène, se laisser convaincre par des thèses complotistes délirantes. Pourquoi ? Tout simplement parce que notre cerveau possède une propension à croire ce genre de théories. Cette disponibilité cognitive à l’accueil de ces discours serait, selon ce chercheur, le fruit d’une longue évolution qui a modelé notre cerveau de façon à ce qu’il puisse assurer notre survie dans toutes les circonstances, y compris les plus périlleuses. Ce chercheur rappelle que nos ancêtres avaient tout intérêt à rester constamment sur leur garde et à être méfiants, jusqu’à l’excès, car leur vie en dépendait…Face à un monde hostile et agité par des forces qui le dépassaient, et l’effrayaient, l’homme préhistorique avait besoin de donner un sens au réel pour pouvoir supporter ses conditions de vie très précaires et très dures. Dans un tel contexte, son cortex temporal médian se mettait sans cesse en quête des causes qui pouvaient le menacer. Mais confrontés à de multiples phénomènes naturels qu’ils ne comprenaient pas, nos lointains ancêtres préféraient croire à l’existence de causes intentionnelles (qu’elles soient ou non surnaturelles) plutôt qu’accidentelles. Corrélativement, notre cerveau tendrait, encore aujourd’hui, à surestimer les intentions malveillantes d’autrui, une déformation cognitive qui a certainement été très utile pour conférer un avantage compétitif indéniable à notre espèce, qui a dû, pendant des centaines de milliers d’années, s’adapter en permanence à de nouvelles menaces et se battre sans cesse pour sa survie.
Mais pourquoi nous est-il si difficile de changer d’opinion, lorsque nous avons acquis une conviction concernant une relation de cause à effet ? Selon Read Montague, chercheur à l’Institut polytechnique et Université d’État de Virginie, c’est simplement parce que notre cerveau est conçu pour filtrer les nouvelles informations selon le critère dit du « biais de confirmation ». Ce mécanisme qui commence à être mieux compris nous incite à privilégier les informations qui sont en accord avec nos opinions et à minimiser ou rejeter celles qui les contredisent (Voir Nature Neuroscience). C’est pourquoi les adeptes de théories du complot vont avoir tendance à retenir presque exclusivement les informations qui confortent leurs croyances et rejeter rapidement celles qui les contredisent, même si ces dernières sont solidement établies. Comme le souligne Read Montague, « Si vous êtes toujours vivants, c’est parce que vos biais du passé ont fonctionné. Donc, votre cerveau se doit de rejeter les nouvelles informations qui contredisent vos biais, à moins que le désaccord ne soit vraiment très grand ».
Ces recherches sur les bases neurobiologiques qui favorisent le complotisme sont à mettre en relation avec une autre étude très intéressante réalisée par des chercheurs de l’Université de Virginie. Selon ces recherches, notre cerveau aurait une tendance innée à favoriser l'ajout d'éléments plutôt que d'en enlever. « La plupart des gens supposent que la meilleure façon de gérer un problème est d'ajouter de nouvelles fonctionnalités, même si ce n'est pas la solution la plus rationnelle », constate Benjamin Converse, de l'Université de Virginie à Charlottesville (Voir Nature).
Les chercheurs ont mené différentes expériences pour étudier la manière dont les participants vont essayer de changer des objets, des concepts ou des situations. Par exemple, lorsqu'on demande aux participants d'améliorer un itinéraire de voyage, seulement 28 % des participants éliminent les destinations, même si l'emploi du temps est déjà surchargé. De même, lorsque l'on demande à quelqu'un de retoucher un texte, seuls 17 % des gens enlèvent des mots plutôt que d'en rajouter. Et l’on retrouve cette propension naturelle dans pratiquement tous les domaines d’activités, y compris la cuisine : lorsqu’on demande aux participants d’améliorer une recette, la plupart proposent de rajouter des ingrédients, et pas d’en enlever…A cet égard, une expérience est révélatrice : lorsque ces chercheurs ont demandé aux participants de stabiliser une structure en Lego avec un pied plus long que l'autre en ajoutant ou en ôtant des blocs, seuls 41 % ont opté pour la deuxième solution.
Pour expliquer cette propension naturelle à la pensée additive et cumulative, ces chercheurs forment l’hypothèse que les idées additives viennent plus rapidement et facilement à l'esprit, alors que les idées soustractives ne vont pas de soi et nécessitent un effort cognitif plus important. Face à une situation anxiogène, ou un problème nouveau que nous devons résoudre, il semblerait donc que notre cerveau, au lieu d’appliquer le principe de raisonnement à l’économie, applique préférentiellement un principe cognitif cumulatif, ce qui expliquerait également que nous ayons tendance à refuser les explications les plus évidentes, et à préférer les hypothèses « à tiroirs » reposant sur l’existence d’une réalité cachée, ce qui peut, dans certains contextes particuliers, aller jusqu’à l’adhésion à des thèses complotistes qui vont venir nous rassurer, en donnant un sens, apparemment très construit, bien que faux, à une réalité qui nous échappe.
Parallèlement à ces passionnantes recherches, aux frontières des sciences cognitives et de la sociologie, qui nous éclairent sur les modes d’appréhension du monde par notre cerveau, la recherche ne cesse de progresser sur ce qui fait la spécificité du cerveau humain et sur l’évolution qu’a connue cet organe au cours des âges. On le sait, le cerveau humain est environ trois fois plus gros que celui des grands singes. Un cerveau humain atteint généralement environ 1.500 cm3 à l’âge adulte, contre 500 cm3 pour un gorille, et 400 cm3 pour un chimpanzé. Mais comment expliquer cette différence considérable de volume ? Pour essayer de répondre à cette question, des chercheurs du Laboratoire de Biologie moléculaire de l'Université de Cambridge, en Angleterre, ont étudié des organoïdes cérébraux, des mini cerveaux dérivés de cellules souches humaines, de gorilles et de chimpanzés (Voir Cell).
En observant le développement de ces organoïdes, ces scientifiques ont découvert que les cellules cérébrales humaines se multiplient davantage que celles du tissu cérébral des grands singes, grâce à l’activation tardive du facteur de transcription «Zeb2». Ces travaux ont montré notamment que le gène, qui ralentit la production de neurones, est activité au cinquième jour du développement du cerveau chez le gorille et le chimpanzé, alors que chez l’homme, il n’apparaît qu’au huitième jour. Ce décalage permet aux cellules neuroépithéliales, qui se transforment en glies radiaires, qui formeront des neurones, de proliférer durant plus longtemps, et ce serait cette différence de fonctionnement cellulaire qui explique la taille plus importante du cerveau humain, par rapport à celle de nos cousins primates. Pour démontrer le rôle de Zeb2 dans ce processus, les chercheurs ont réussi à activer plus tôt le gène dans l'organoïde humain, ce qui a bien provoqué un arrêt de la multiplication des cellules souches neurales. En revanche, en supprimant ce gène dans les organoïdes cérébraux de gorille et de chimpanzé, ces cellules-souches sont se multipliées de la même façon que dans l'organoïde humain normal.
Une autre étude récente concernant l’évolution de notre cerveau depuis l’apparition de l’espèce humaine est venue éclairer d’une lumière nouvelle les théories qui prévalaient sur ce sujet passionnant. Nous savons que le plus ancien membre connu de la lignée humaine, Toumaï, qui vivait au Tchad, il y a sept millions d’années, avait un cerveau dont le volume ne dépassait pas les 370 cm3, comparable en taille à celui de nos actuels chimpanzés. Tout au long de ces 7 millions d'années nous séparant de Toumaï, l'évolution du cerveau s'est effectuée par paliers, combinant des poussées quantitatives (augmentations de taille) et qualitatives (réorganisations du cortex cérébral). Mais on ne sait toujours pas à quel moment a eu lieu l’étape décisive qui marque l’apparition du cerveau humain moderne, d’un volume moyen de 1500 cm3. Et c’est justement à cette question essentielle qu’a essayé de répondre, au moins partiellement, une récente et passionnante étude, intitulée « Le cerveau primitif des premiers hommes » (Voir Science).
Dans ces recherches, les paléoanthropologues dirigés par Christoph Zollikofer, de l'Université de Zurich, ont analysé les empreintes cérébrales de nombreux crânes provenant d'Afrique, du site de Dmanissi en Géorgie (où ont été découverts des fossiles d'Homo georgicus vieux de près de 1,8 million d'années), et de l'île de Java, en Indonésie. Leurs conclusions remettent en question les théories dominantes sur l'évolution de cet organe capital. Selon ces chercheurs, le cerveau humain moderne serait en fait apparu bien plus récemment qu'on ne le pensait jusqu'ici et beaucoup de temps se serait écoulé entre l'arrivée des premiers représentants du genre Homo (les Homo habilis, apparus en Afrique il y a 2,8 millions d'années) et l'acquisition par ceux-ci d'un cerveau radicalement différent de celui des grands singes.
Il était largement admis, jusqu’à cette étude, que l'apparition d'un cerveau humain proche du nôtre n'avait pu que précéder la première sortie d'Afrique. Mais cette étude bat en brèche cette théorie et montre que les cerveaux des Homo georgicus de Dmanissi étaient encore proches de ceux des grands singes. L'homme n'aurait donc pas attendu d'avoir un gros cerveau pour se lancer à la conquête du vaste monde ! Selon ces travaux, Homo habilis, apparu en Afrique il y a 2,8 millions d'années, avait un cerveau encore proche de celui des grands singes et le palier décisif n'aurait été franchi qu'entre 1,7 et 1,5 million d'années avant le présent. Cette étude souligne d’ailleurs que c’est à cette époque, et ce ne serait donc pas un hasard, que se répand dans toute l'Afrique, puis sur l’ensemble de la planète, l'acheuléen, c’est-à-dire la production industrielle d’outils bifaces de grande qualité.
Pour Antoine Balzeau, paléoanthropologue du Muséum national d'histoire naturelle, il faudrait voir l'évolution ayant conduit du tout petit cerveau de Toumaï jusqu'au gros cerveau d'Homo neanderthalensis et d'Homo sapiens d’avantage comme un continuum, sans coupure bien nette dans le temps, même si les cerveaux des différentes espèces humaines ont leurs caractéristiques propres. Pour étayer sa thèse, il rappelle qu’il a montré en 2014 que dans l'aire de Broca, très prononcée chez Homo sapiens, l'asymétrie entre la 3e circonvolution frontale gauche est associée en neurologie à la capacité langagière. Or, on sait à présent que cette asymétrie est également présente chez les bonobos et chimpanzés actuels, ce qui conforte l’hypothèse selon laquelle cette capacité langagière existait déjà avant la grande séparation entre la lignée humaine et celle des grands singes, il y a plus de 7 millions d'années. Antoine Balzeau souligne enfin que cette progressivité dans le développement cérébral est confortée par des études éthologiques récentes, montrant la richesse et la complexité de la communication gestuelle des grands singes.
Terminons enfin ce rapide tour d’horizon sur notre cerveau en évoquant quelques travaux récents, eux aussi passionnants, concernant l’identification cérébrale et les neuroprothèses. Aux Etats-Unis, la société d’origine belge Aerendir affirme avoir mis au point une technique biométrique basée sur le signal électrique émis par le cerveau et transmis par les nerfs jusqu’aux mains. Capté et analysé par un smartphone, ce signal cérébral, unique, permettrait de sécuriser les identités numériques. Cette interface est basée sur le signal électrique émis par le cerveau, puis transmis par les nerfs jusqu’aux mains, avant d’être finalement reconnu par les capteurs intégrés dans un smartphone. Selon Aerendir, chacune des signatures cérébrales serait unique et il serait impossible de les copier ou de les pirater. Le grand avantage de cette technologie est qu’elle est facilement applicable à une multitude de secteurs : elle pourrait, par exemple pour remplacer le capteur d’empreinte digitale, facilement falsifiable, et être utilisée, en combinaison avec d’autres modes d’identification biométrique pour contrôler une serrure électronique, permettre l’accès à un bâtiment, à son compte en banque ou encore à un véhicule, avec un niveau de sécurité extrêmement élevé.
Mais notre cerveau est également sur le point de devenir une télécommande mentale, ce qui constitue une révolution technologique, industrielle et sociale dont nous n’avons pas fini de mesurer les immenses conséquences. L’interface neuronale directe (IND) est un outil qui vise, en utilisant certaines fréquences neuronales, à faire communiquer le cerveau avec un dispositif physique ou informatique externe. Mais jusqu’à présent, la généralisation de cette technique se heurtait à un obstacle de taille : elle nécessitait un lourd dispositif câblé pour relier des capteurs implantés dans le cerveau à un ordinateur.
Depuis 2003, une équipe de chercheurs de la société BrainGate, en collaboration avec l’Université Brown, travaille à améliorer cette IND qui doit permettre, à terme, aux personnes paralysées d’effectuer des actions à distance par la seule concentration de leur pensée. Deux patients tétraplégiques étaient ainsi parvenus en 2012 à faire bouger un bras bionique par la pensée. Ces participants peuvent également, en utilisant la même interface, communiquer en écrivant sur des claviers virtuels.
Cette fois, BrainGate vient de franchir une nouvelle étape décisive vers une neurocommande opérationnelle, en présentant un dispositif sans fil utilisant l’émission en haute bande passante et de nouveaux émetteurs qui permettent aux chercheurs d’étudier les ondes cérébrales des personnes atteintes de paralysie sur une beaucoup plus longue durée et d’adapter en temps réel les algorithmes des IND. Cette avancée majeure a permis de remplacer la liaison câblée par des microémetteurs baptisés Brown Wireless Device (BWD). Ceux-ci se fixent au-dessus de la tête et sont reliés à un système intracortical, c’est-à-dire un réseau d’électrodes implanté directement dans le cortex moteur du patient. Ce nouveau capteur sans fil permet de contrôler des appareils mentalement (Voir Youtube). Léger, indolore et souple, ce nouveau dispositif peut être utilisé sans gêne pour le patient pendant plusieurs jours, ce qui change tout…
On le voit, toutes ces avancées, qu’elles soient fondamentales, cliniques ou technologiques, élargissent un peu plus notre compréhension de la structure et du fonctionnement de notre cerveau. Elles nous éclairent non seulement sur la façon dont le cerveau perçoit et reconstruit le réel, pour nous le rendre intelligible, mais également sur les possibilités, à présent imminentes, d’utiliser notre cerveau comme outil d’intervention et d’action directes sur notre environnement et les nombreux objets et systèmes qui le composent. Elles nous apprennent enfin comment notre cerveau a su constamment évoluer, tant sur le plan quantitatif que qualitatif, pour permettre à nos lointains ancêtres pré-humains, puis à notre espèce, de s’adapter et de survivre à leur milieu en perpétuel changement, depuis plus de sept millions d’années….
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
e-mail : tregouet@gmail.com
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