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Edito : La dépression, un fléau sanitaire et social mondial sous-estimé...

Au niveau mondial, l'OMS estime qu'il y environ 280 millions de personnes qui souffrent de dépression, un nombre qui ne cesse d'augmenter depuis 20 ans. La dépression est d'ailleurs devenue la première cause mondiale d'incapacité. Les conséquences néfastes de cette pathologie complexe sont nombreuses dans de multiples domaines ; elle entraîne un risque accru de suicide, favorise les addictions aux drogues et à l'alcool et augmente sensiblement les maladies cardiovasculaires, le diabète et possiblement, même si cette question reste débattue, les risques de certains cancers en perturbant le système immunitaire.

En France, on estime que trois millions de personnes ont connu un épisode dépressif au cours des douze derniers mois, selon l'enquête Baromètre santé de l'INPES. Les femmes jeunes (de 20 à 25 ans) sont les plus concernées. Une grande enquête publiée fin 2023 révèle que les recours aux soins d’urgence pour troubles de l’humeur, idées et gestes suicidaires ont fortement augmenté depuis 2021, particulièrement chez les jeunes de 18-24 ans, qui sont presque deux fois plus touchés par la dépression qu'en 2017, 20,8 % en 2023 contre 11,7 % en 2017. Sur le plan économique, la dépression constitue un vrai fardeau, encore sous-estimé : en septembre dernier, une étude a évalué à 24 milliards d’euros le coût médical, économique et social global de la dépression, ce qui représenterait environ 20 % du coût total, pour notre société, des pathologies mentales et psychiatriques, évalué à 109 milliards d'euros (soit plus du tiers des dépenses totales de santé en 2022), d’après le Ministère de la Santé. Il est important de souligner que, partout dans le monde, les femmes sont deux fois plus touchées par la dépression que les hommes. Ce phénomène s'explique par un ensemble de facteurs complexes et intriqués, biologiques, hormonaux mais aussi sociaux et culturels, qui commencent à être mieux identifiés, ce qui devrait permettre une meilleure prévention des risques spécifiques de la dépression chez les femmes.

En juin dernier, une étude de phase 2, réalisée en double aveugle, a montré l’efficacité et la sécurité d’un nouveau traitement chez des sujets atteints de dépression sévère. Il s'agit de la kétamine, sous forme de comprimé oral à libération prolongée (Voir Nature Medicine). L’étude réalisée dans vingt établissements répartis en Australie, en Nouvelle-Zélande, à Taïwan et à Singapour, s'est effectuée en deux phases. Dans un premier temps, 231 sujets ont reçu pendant cinq jours des comprimés de kétamine à la dose de 120 milligrammes (mg) par jour, puis ont été évalués huit jours plus tard. Les chercheurs ont sélectionné les patients ayant réagi à ce premier traitement, soit 168 personnes. Celles-ci ont ensuite été réparties en cinq groupes, chacun avec un dosage différent, soit un placebo, soit un comprimé de kétamine aux doses de 30 mg, 60 mg, 120 mg ou 180 mg deux fois par semaine pendant douze semaines. A l’issue de ces trois mois, tous les groupes traités ont vu des réductions de leurs symptômes. « L’effet le plus important a été observé chez les patients qui avaient reçu des doses de 180 mg », souligne Paul Glue, professeur de psychiatrie à l’université d’Otago (Nouvelle-Zélande). La kétamine était déjà utilisée contre les dépressions réfractaires (environ un tiers des cas) depuis 2020, sous le nom de Spravato et sous la forme d'un spray nasal, uniquement délivré en milieu hospitalier. Mais son arrivée future sous forme de comprimes à libération prolongée pourrait améliorer sensiblement l'efficacité et le confort de ce traitement pour les patients concernés. Attention : la kétamine étant assez souvent utilisée comme drogue, son usage doit toujours se faire sous la surveillance d’un médecin

En Août dernier, la Food and Drug Administration (FDA), l'agence gouvernementale qui autorise la mise sur le marché des médicaments aux États-Unis, a donné son accord, après des essais positifs sur 1100 volontaires, à la commercialisation d'un nouveau traitement oral contre la dépression appelé Auvelity, développé par Axsome Therapeutics Inc. Ce médicament est conçu pour réduire rapidement les symptômes du trouble dépressif majeur (TDM) chez l'adulte ; il agit en effet au bout de seulement une semaine après le début du traitement, ce qui peut être un avantage par rapport aux antidépresseurs déjà disponibles, qui mettent plus de temps (souvent jusqu'à un mois) à produire un effet thérapeutique mesurable. Selon le psychiatre Maurizio Fava, du Massachusetts General Hospital, « Il s'agit du premier et unique médicament oral à action rapide approuvé pour le traitement de la dépression ». Quand on sait que les deux tiers des patients traités avec des antidépresseurs actuellement disponibles ne répondent pas de manière satisfaisante à leur traitement, on comprend l’intérêt de cette nouvelle classe de médicament à action rapide.

Il y a quelques semaines, la FDA des États-Unis a par ailleurs accordé la désignation de percée thérapeutique à la société CYBIN, pour son médicament expérimental CYB003, un analogue de psilocybine deutéré mis au point pour le traitement du trouble dépressif majeur (TDM). Les récents résultats de l'essai de phase 2 de la société ont montré une amélioration substantielle et durable des symptômes de la dépression quatre mois après le traitement, avec 75 % des sujets en rémission après deux doses de 16 mg de CYB003. Notons que la recherche travaille également sur le repositionnement de médicaments existants. C'est ainsi que des chercheurs chinois ont testé avec sucès, sur des souris, l’efficacité du dulaglutide, une molécule employée dans les traitements contre le diabète de type 2. Ces recherches ont montré que le dulaglutide pouvait réduire les déficits cognitifs et les lésions neuronales. Reste cependant à confirmer cet effet surprenant sur l'homme.

Parallèlement aux thérapies médicamenteuses, une autre approche très prometteuse est en train de s'imposer dans le traitement de la dépression, notamment dans ses formes sévères, la stimulation magnétique. Il y a quelques semaines, des scientifiques du Centre médical de l'Université Radboud (Pays-Bas) ont publié une étude qui confirme l'efficacité surprenante de la stimulation cérébrale profonde sur certaines dépressions sévères. Pour cette étude, ils ont recruté 89 personnes souffrant de dépression unipolaire, n'ayant pas répondu de manière satisfaisante aux traitements classiques. Les participants ont été répartis en deux groupes. Le premier a bénéficié pendant deux mois de 25 séances de stimulation magnétique transcrânienne à haute fréquence (10 Hz) sur le cortex préfrontal dorsolatéral gauche. Le second groupe a testé un nouvel antidépresseur. A l'issue de l'étude, les chercheurs ont constaté des différences importantes de l'état des patients, entre les deux groupes. La stimulation magnétique transcrânienne répétitive a entraîné une réduction des symptômes dépressifs significativement plus importante que les médicaments. Pour le groupe traité par stimulation magnétique, les taux de réponse ont été nettement plus élevés (37,5 % contre 14,6 %) que pour le groupe traité par médicaments. Quant aux rémissions, elles ont été 5 fois plus nombreuses. Les médecins ont également constaté une diminution plus importante des symptômes d'anxiété (Voir Psychiatry online).

En février dernier, une autre équipe de l’Université de Nottingham, au Royaume-Uni, a testé la stimulation magnétique transcrânienne sur 255 patients souffrant de dépression résistante aux différents traitements en les soumettant à une vingtaine de séances de SMT d’une durée de trente minutes, sur quatre à six semaines. Résultat : les deux tiers des patients ont répondu au traitement et ont vu leurs symptômes s'améliorer (Voir University of Nottingham).

En France, l'équipe du Professeur Domenech, psychiatre et directeur scientifique et médical de l’Institut de neuromodulation du GHU Paris psychiatrie et neurosciences, a implanté depuis un an une cinquantaine de modules qui permettent la stimulation électrique du nerf vague, une nouvelle thérapie qui s'avère efficace pour traiter des patients atteints de dépressions réfractaires aux autres traitements, notamment chimiques. Comme le souligne Professeur Domenech, « cette technique de neurostimulation du nerf vague est aujourd’hui la plus aboutie contre la dépression résistante. Elle multiplie par cinq les chances de rémission durables. L’effet thérapeutique permet au patient d’être stabilisé, qu’il s'agisse d'une dépression récurrente normale ou d'une maladie bipolaire. En plus, notre technique n’est pas invasive, elle est réversible et personnalisable ».

Parallèlement à l'arrivée de nouveaux traitements, plus efficaces et plus ciblés, la recherche fondamentale progresse pour mieux comprendre les mécanismes biologiques et neurologiques et les causes multiples et intriquées de cette maladie ravageuse. La dépression a révélé récemment des liens puissants, bien que complexes, avec l'état du système immunitaire des patients. L'étude MOODSTRATIFICATION, menée entre 2018 et 2023, par douze équipes européennes de recherche, ouvre la voie vers une révolution dans le traitement des troubles dépressifs. Ce vaste travail scientifique avait pour objectif de mieux comprendre les mécanismes immunitaires sous-jacents aux troubles de l’humeur, en identifiant les groupes de patients atteints des différents types de dépressions unipolaire et bipolaire, afin de le leur proposer une thérapie ciblée et adaptée. L’étude s’est concentrée sur des altérations affectant des cellules immunitaires particulières, notamment les lymphocytes T régulateurs et les lymphocytes Th17, deux acteurs importants de la régulation des processus inflammatoires. Ces recherches ont démontré qu'il était envisageable de personnaliser les stratégies thérapeutiques en fonction des anomalies immunitaires identifiées chez les personnes atteintes de dépressions. L’identification de ces signatures immunitaires ouvre ainsi la voie à la psychiatrie de précision, qui devrait permettre, dans un proche avenir, de proposer à chaque patient un traitement sur mesure, plus efficaces et mieux toléré. Au sein de ce projet scientifique européen, les chercheurs de l’hôpital Henri Mondor à Créteil et du laboratoire d’immunologie "Biothérapies" de l’hôpital Pitié-Salpêtrière ont montré l’efficacité, dans la dépression bipolaire, de faibles doses de la cytokine interleukine 2 (IL-2) administrée conjointement avec le traitement antidépresseur usuel. Cette approche thérapeutique novatrice a permis, en agissant sur certaines de cellules immunitaires (les lymphocytes T régulateurs), de réduire les symptômes dépressifs (Voir MOODSTRATIFICATION).

Une autre récente étude, menée par des chercheurs américains, montre, de manière très intéressante, que le fait de cibler les cellules de l’intestin permet à la fois un traitement efficace de la dépression et de l’anxiété et une diminution des effets secondaires liés à la prise des principaux antidépresseurs. « Ces derniers, comme le Prozac et le Zoloft, augmentent les niveaux de sérotonine et peuvent parfois provoquer des effets secondaires assez lourds. Notre étude suggère que limiter l'interaction des médicaments avec les cellules intestinales pourrait éviter ces problèmes », souligne Mark Ansorge, professeur de neurobiologie clinique au Collège des médecins et chirurgiens Vagelos de l'Université Columbia (Voir Gastroenterology). Les ISRS augmentent la signalisation de la sérotonine non seulement dans le cerveau mais aussi dans l’intestin, ce qui confirme l'hypothèse, déjà vérifiée sur l’animal, qu'un ciblage de cette zone peut avoir un impact, via le nerf vague, sur l'axe intestin-cerveau. Ces résultats suggèrent que les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) produisent des effets thérapeutiques en agissant directement dans l’intestin, ce qui réduit sensiblement les effets secondaires néfastes pour les patients.

Toujours il y a quelques semaines, des chercheurs du CNRS ont montré qu'en restaurant les rythmes circadiens dérégulés, il était possible d'obtenir un effet thérapeutique contre la dépression. Ces cycles biologiques d'environ 24 heures ont, chez tous les mammifères, une influence majeure sur de nombreux processus physiologiques et comportementaux. Pour mieux comprendre le rôle de ces rythmes biologiques dans les troubles de l’humeur, les scientifiques ont utilisé un modèle de souris présentant un état de type dépressif induit par le stress. Ces recherches ont pu montrer qu'une seule injection d’une faible dose de kétamine, une molécule connue comme anesthésique et depuis peu pour ses effets antidépresseurs, améliore les symptômes et normalise la perturbation de l’horloge, en diminuant l'expression des gènes de la boucle négative tout en augmentant celle des éléments positifs (Voir Nature Communications).

D'autres travaux récents menés par des chercheurs de l’Institut Pasteur et du CNRS, en collaboration avec des psychiatres du GHU Paris Psychiatrie et Neurosciences, de l’Inserm et du CEA, se sont focalisés sur l’amygdale pour tenter de mieux cerner son implication dans le déclenchement de phases dépressives. Ces recherches ont montré que l’état dépressif provoque une altération de certains circuits neuronaux spécifiques, ainsi qu'une diminution de l’activité des neurones impliqués dans la perception agréable des stimuli positifs, et au contraire une suractivation de ceux responsables de la perception des stimuli négatifs. Selon la Professeure Chantal Henry (université de Paris), ces travaux « pourraient faciliter la mise au point de nouveaux traitements pour les personnes dépressives mais aussi les personnes atteintes de troubles bipolaires, qui connaissent des variations de l’humeur qui sont disproportionnées dans leur durée et leur intensité » (Voir Nature Translational Psychiatry).

Il faut enfin souligner que la dépression, comme la plupart des grandes pathologies de société, peut être largement prévenue, mais aussi combattue, en utilisant le levier du mode de vie, notamment l’alimentation et l'exercice physique. Une récente étude de l'Université de Nouvelle-Galles du Sud (UNSW), en Australie, a suivi pendant onze ans la consommation de fruits et de légumes ainsi que les symptômes dépressifs de 3.483 jumeaux venant d'Australie, du Danemark, de Suède et des États-Unis. Résultat, les chercheurs ont observé qu’une faible consommation de fruits et de légumes était associée à une augmentation du risque de souffrir de dépression. En revanche, une consommation importante de fruits et légumes réduisait les symptômes de dépression sur la durée. Cette étude forme l'hypothèse que cet effet bénéfique serait lié à l'action positive des nombreux minéraux et micronutriments, sans oublier l'effet des fibres alimentaires et des vitamines (Voir Nature Scientific Reports).

S’agissant de l'activité physique, une vaste analyse publiée en février dernier, portant sur 218 études, regroupant 14 000 patients, a montré les effets très bénéfiques de plusieurs types d'activité physique sur la dépression. Parmi les activités évaluées, les plus efficaces seraient la marche, la danse, le jogging, le yoga et la musculation. L’étude a montré que cet effet thérapeutique de l’activité physique sur la dépression semblait proportionnel à l’intensité et à la durée de l’exercice (Voir The BMJ). Cette étude vient d'être confirmée par des chercheurs de l’Université de Castilla-La Mancha (UCLM) qui ont analysé trente-trois études scientifiques incluant 96 000 personnes de plus de 18 ans. Résultat, les individus actifs (ceux qui marchent au moins 7 500 pas par jour) présentent sensiblement moins de symptômes dépressifs que ceux menant une vie plus sédentaire. Les plus grandes différences ont été observées chez les participants qui faisaient plus de 7 500 pas par jour, qui ont une prévalence de la dépression réduite de 42 %, par rapport à celle des personnes marchant moins de 5 000 pas. L'étude précise qu’un léger accroissement de l’activité physique se traduit déjà par des bienfaits : chaque effort de 1 000 pas supplémentaires diminue en effet le risque de dépression de 9 %.

Cet effet bénéfique de l'exercice physique sur la dépression vient également d'être confirmé de façon solide par une vaste étude de l'Université de Nouvelles Galles du sud, en Australie. Ce travail, portant au total sur 128 000 participants, a montré que l'exercice, quel qu'il soit, peut avoir un effet très bénéfique sur la dépression et l'anxiété (Voir BMJ Journals). Selon ces recherches, la pratique régulière pendant au moins trois mois d'activités telle que la marche, le yoga ou le fitness pourrait même s’avérer, pour certains patients, plus efficace que les médicaments ou psychothérapies, bien qu'il faille plutôt considérer ces différentes approches thérapeutiques comme complémentaires et non concurrentes.

L'ensemble de ces récentes études et observations montre que cette maladie de civilisation, invalidante et souvent dévastatrice, peut à présent être non seulement mieux prévenue mais également mieux prise en charge, grâce à l'arrivée de traitements à la fois plus efficaces, plus ciblés et moins porteurs d'effets indésirables. En outre, la combinaison personnalisée de traitements médicamenteux adaptés et de nouvelles approches, comme la stimulation magnétique, laisse espérer une meilleure prise en charge sur le long terme des dépressions résistantes, surtout si les patients adaptent également leur mode de vie, en y intégrant une alimentation saine et une activité physique régulière. Mais au delà de ces nombreuses avancées scientifiques et médicales, c'est bien notre regard sur la dépression qui doit changer. Il est en effet très important que la dépression soit vraiment considérée par notre société comme une véritable maladie, distincte de la tristesse ou de l’anxiété passagère. Il est enfin capital que les personnes qui pensent souffrir de cette pathologie redoutable puissent être prises en charge le plus rapidement possible, pour bénéficier de ces nouvelles thérapies personnalisées qui permettront d'atténuer efficacement leur grande souffrance et favoriseront leur retour à une vie professionnelle, sociale et relationnelle normale...

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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