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Edito : Dépistage et prévention du cancer : vers une approche personnalisée
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Avec le vieillissement généralisé de notre population, la prévention et le dépistage précoce des cancers sont en train de devenir un enjeu médical, social, politique et économique majeur car deux cancers sur trois, il faut le rappeler, surviennent après 65 ans. Cancer et vieillissement sont donc intimement liés et de très nombreuses études épidémiologiques nationales et internationales montrent l'utilité d'une politique de dépistage bien définie et bien menée en terme de réduction des risques de mortalité mais également de qualité de vie pour le patient et, bien sûr, en terme d'économie globale pour la collectivité.
Malheureusement, la France reste très en retard en matière de prévention par rapport à ses grands voisins européens. En outre, il faut en général 15 ou 20 ans pour qu'une action de prévention et de dépistage porte complètement ses fruits et cette durée n'est guère compatible avec le "temps politique" qui s'inscrit essentiellement dans l'action visible et rapide. Une grande étude américaine publiée en 2010 a montré que l'adoption d'un ensemble cohérent de mesures de prévention par 90 % de la société américaine pourrait permettre, en théorie, d'éviter 7 millions de décès prématurés et d'économiser plus de 10 milliards de dollars par an.
Mais si personne ne met en doute le principe même de la prévention médicale, tout se complique lorsqu'on passe à sa mise en oeuvre effective et à l'évaluation de ses bénéfices réels pour les patients, d'une part, et pour la société, d'autre part.
A cet égard, le débat actuel qui a lieu en Europe et en France sur l'utilité d'un dépistage généralisé du cancer de la prostate est particulièrement intéressant et éclairant. Au niveau européen, une vaste étude a été réalisée entre 1990 et 2007 sur plus de 160 000 hommes âgés de plus de 55 ans, pour tenter d'évaluer précisément l'utilité du dépistage du cancer de la prostate à l'aide du dosage de la PSA (antigène prostatique spécifique). Les résultats de cette étude sont sans appel : ils montrent qu’il est nécessaire de réaliser au moins 1 400 dépistages et de traiter 50 patients pour éviter in fine un décès par cancer de la prostate ! En outre, ce décès évité revient à plus de 4 millions d'euros pour la collectivité.
L'enjeu constitué par le dépistage précoce du cancer de la prostate est d'autant plus important à évaluer que ce cancer est devenu le plus fréquent en France (70 000 nouveaux cas en 2011) et constitue maintenant la troisième cause de mortalité par cancer dans notre pays (8 500 morts par an). Face à ce défi de santé publique, notre pays a mis en place depuis une dizaine d'années une politique de dépistage systématique pour le cancer de la prostate et on estime que 70 % des hommes de plus de 50 ans pratiquent ce dépistage par la méthode classique et bien connue du dosage de la PSA, l'antigène spécifique de la prostate.
Mais aujourd'hui, la Haute autorité de Santé (HAS), remet clairement en cause l'intérêt médical de ce dépistage de masse, ce qui suscite un vif débat au sein des la communauté médicale et scientifique et entraîne également des interrogations dans le grand public. Elle souligne, en s'appuyant sur plusieurs études, qu'il est difficile et parfois impossible d'isoler les patients à risque et d'identifier les hommes qui souffriront de la forme la plus agressive et la plus évolutive de cancer de la prostate.
La Haute Autorité de Santé considère que le dépistage systématique du cancer de la prostate par dosage du PSA ne présente pas de preuves scientifiques suffisantes de son efficacité et de son intérêt et qu'il convient de privilégier l'information personnelle et le dépistage "à la carte", en fonction des risques spécifiques à chaque patient (voir rapport complet).
Une autre étude publiée dans le New England Journal of Medecine a montré que le dépistage du cancer de la prostate par dosage de l'antigène prostatique spécifique (PSA) tous les quatre ans réduisait certes de 40 % le risque de décès dû au cancer de la prostate. Mais cette étude souligne également que le dépistage ne modifie pas, in fine, le taux de mortalité global des patients considérés, simplement parce que la majorité de ces hommes âgés souffrant d'un cancer de la prostate connaissent une évolution lente de leur maladie et finissent par mourir d'une autre cause !
A la suite de ces études, la plupart des pays développés ont renoncé à la mise en place d'un dépistage généralisé du cancer de la prostate. En France, la prévention et le dépistage de ce cancer vont à présent être envisagés et pratiqués de manière individuelle, en tenant compte de plusieurs facteurs personnels : âge et état du patient, type de tumeur, etc...
Autre exemple, le cancer du poumon, particulièrement meurtrier (environ 15 % de survie à 5 ans). Pour ce cancer grave, une vaste étude européenne lancée il y a 10 ans chez les fumeurs de plus de 55 ans a montré qu'une prévention généralisée n'apportait pas non plus de gains significatifs en matière de prise en charge et de réduction de la mortalité finale des patients. En outre, cette prévention généralisée requiert des examens qui entraînent de nombreux cas de "faux positifs" (entre 20 et 30 % selon les techniques utilisées) car la moitié des patients intégrés dans cette étude sont porteurs de nodules bénins. Comme pour le cancer de la prostate, un dépistage généralisé du cancer du poumon risquerait donc d'angoisser sans raison un grand nombre de patients, et entraînerait en outre une multitude d'examens douloureux et coûteux pour la collectivité, sans permettre pour autant une baisse importante de la mortalité.
S'agissant du cancer du colon qui, avec 40.000 nouveaux cas par an en France, vient en seconde position pour la mortalité par cancer en France, le taux de survie, grâce aux avancées thérapeutiques remarquables de ces dernières années, peut atteindre 90 % en cas de détection précoce de la tumeur, ce qui rend d'autant plus importante la mise en place d'un dépistage adapté. A cet égard, une étude canadienne a montré, en passant au crible les dossiers médicaux de 10 000 patients décédés d'un cancer du colon et de 50 000 patients n'ayant pas été touchés par ce cancer, qu'une coloscopie préventive pouvait réduire les risques de décès par cancer colorectal d'environ 60 % . En France, le dépistage systématique du cancer du colon existe depuis 2009 mais la participation des patients stagne autour de 35 % à cause des contraintes particulières liées au prélèvement des selles.
En cas de test positif, une coloscopie est pratiquée et celle-ci révèle un cancer dans un cas sur 10 et des polypes importants dans 20 % des cas. La majorité des cancers détectés à la suite de ce dépistage en sont encore au premier stade et peuvent être guéris dans 9 cas sur 10.
Enfin, s'agissant du cancer du sein, plusieurs études, dont celle, très documentée, publiée par Per-Henrik Zahl, de l'Institut norvégien de santé publique en 2006, ont montré que le bénéfice médical du dépistage généralisé du cancer du sein avait été nettement surévalué. En effet, si l'on prend en compte à la fois la forte augmentation de l'incidence de ce type de cancer depuis 30 ans et la faible diminution de la mortalité par cancer du sein, corrigée de l'évolution démographique (29 femmes décédées sur 100 000 en 1993, contre 27 en 2007 en France), on constate que le dépistage massif du cancer du sein en France ne semble pas avoir entraîné, comme on l'espérait, une diminution sensible de la mortalité par cette pathologie. Comme le mieux est souvent l'ennemi du bien, Il semble même que le dépistage généralisé du cancer du sein ait conduit, pour certaines patientes et pour certains types de tumeurs, à des traitements inutiles et lourds alors que ces tumeurs avaient de forte probabilité de ne pas évoluer ou d'évoluer si lentement que les patientes en question seraient finalement décédées pour d'autres raisons !
A la lumière de ces récentes études, qui montrent de manière rigoureuse que des politiques de dépistage généralisé "tous azimuts" ont un faible rapport coût-bénéfices" et une utilité finale limitée pour les patients (en termes de mortalité), les grands pays développés, dont la France, sont en train de revoir en profondeur leurs approches méthodologiques et stratégiques concernant le dépistage et la prévention, notamment en matière de cancer. Il est en effet à présent démontré qu'en matière de cancers, dans le contexte démographique actuel d'une population vieillissante, le dépistage et la prévention appliquée sans discrimination à l'ensemble d'une population n'apportent pas toujours les bénéfices médicaux escomptés et peuvent même s'avérer inutilement pénibles ou dangereux pour certains patients.
Il faut également admettre, même si cela n'est pas toujours facile à expliquer aux patients, qu'un dépistage généralisé chez des personnes ayant dépassé un certain âge et pour certains types de cancer, ne permet pas toujours d'augmenter l'espérance de vie finale car une proportion non négligeable de tumeurs cancéreuses, si elles n'avaient pas été détectées et traitées, n'auraient pas évolué assez vite pour menacer la vie de ces patients. En outre, même lorsque ce dépistage permet de détecter, de traiter et du guérir la pathologie cancéreuse recherchée, le patient souvent âgé, va finir par mourir d'une autre cause sans que son espérance de vie totale s'en trouve significativement allongée.
C'est pourquoi, en s'appuyant sur la mise au point de tests spécifiques beaucoup plus précis, sur la connaissance du génome individuel (voir mon éditorial du 9 mars 2012) et sur le classement génétique des tumeurs, la voie de l'avenir consiste à mettre en place un dépistage et une prévention hautement personnalisés, reposant sur les antécédents familiaux et les risques génétiques propres à chaque individu. Il s'agira, à coût constant, de réserver le dépistage prioritairement aux patients qui présentent des risques sensiblement plus élevés de développer tel ou tel cancer.
Même si elle bouleverse bien des habitudes et pratiques médicales et nous oblige à remettre en cause certaines idées reçues, cette nouvelle approche ciblée, combinant prévention ciblée et active, dépistage personnalisé et évaluation génétique fine des risques, est donc appelée à se substituer rapidement aux politiques de dépistage "aveugles" et massives qui peuvent peut-être rassurer la population mais ne permettent pas de progrès décisifs en matière de prévention et de lutte contre les cancers.
René TRÉGOUËT
Sénateur Honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
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- Publié dans : Médecine
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