Edito : demain, l'homme neuronique ?
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Pour les chercheurs du Medialab Europe, filiale du MIT américain, le cerveau est un système cybernétique ultra-complexe dont on pourra demain modifier le fonctionnement et peut-être décupler les performances. Ces objectifs, qui relevaient encore de la science-fiction il y a 10 ans, semblent aujourd'hui envisageables dans un futur sans doute plus proche qu'on ne l'imagine. Il est vrai que depuis une décennie la recherche dans ce domaine a fait des pas de géants. S'appuyant à la fois sur les progrès de la microélectronique et des neurosciences, les chercheurs sont notamment parvenus à réaliser des interconnexions entre puces électroniques et neurones et ont montré que l'on pouvait modifier de manière contrôlée l'état électrique d'un neurone grâce à une puce et vice et versa.
D'autres recherches sont même allées plus loin et ont montré qu'il était possible de cultiver des cellules nerveuses sur un substrat électronique, ouvrant ainsi la voie à de nouvelles interfaces bioélectroniques. Aujourd'hui, ces percées de la bionique commencent à déboucher sur des applications concrètes et sur de nouvelles thérapies pour les personnes victimes de maladies neurologiques ou d'accidents ayant lésé leur moelle épinière. C'est ainsi qu'au cours de ces dernières années des expérimentations remarquables aux Etats-Unis, en France et en Grande Bretagne ont permis de restaurer partiellement la mobilité de personnes paralysées grâce à des dispositifs neuro-électroniques capables de traduire et de transmettre aux muscles l'influx nerveux défaillant.
Des scientifiques suisses ont également présenté, fin 2003, un oeil artificiel directement branché sur le cortex qui pourrait rendre au moins partiellement la vue aux aveugles de naissance. Dans le domaine des maladies neurologiques, l'électrostimulation a été utilisée avec succès pour traiter des malades atteints de certaines formes de la maladie de Parkinson rebelles aux autres traitements.
D'autres chercheurs aux USA travaillent sur un « pacemaker du cerveau » qui pourrait lutter contre la dépression et l'anxiété en stimulant les centres cérébraux du bien-être. Il faut aussi évoquer de récentes et fascinantes expériences sur le singe qui ont montré qu'il était possible, à l'aide d'un dispositif neuro-électronique et après un apprentissage spécifique, d'effectuer une série de commandes précises directement par la pensée, ce qui ouvre évidemment la voie vers une extraordinaire révolution scientifique et technique dans tous les domaines d'activités humaines.
Enfin, des chercheurs du Centre de recherche des neurosciences de l'université de Californie viennent d'annoncer qu'ils avaient expérimenté avec succès sur le rat une « neuro-puce » capable de se substituer à l'hippocampe pour reproduire certaines fonctions de mémorisation. Selon le Professeur Berger, qui dirige ces recherches, la question n'est plus de savoir si l'utilisation de neuro-prothèses et de neuro-implants est possible chez l'homme, mais quand ce saut scientifique aura lieu. (Voir Wired).
Il est pour sa part convaincu que, d'ici 15 ans, il sera possible d'utiliser des neuro-prothèses et des implants électroniques sur l'homme pour réparer les disfonctionnements de notre cerveau provoqués par l'âge ou les maladies neuro-dégénératives. Mais à mesure qu'elles progressent, ces recherches, si elles soulèvent d'immenses espoirs, posent également de redoutables questions éthiques car réparer des dommages neurologiques causés par l'âge, la maladie ou l'accident est une chose mais vouloir contrôler les émotions et, pourquoi pas, améliorer certaines facultés mentales, ou lire dans les pensées, en est une autre.
Même si le cerveau comporte des aires spécialisées de mieux en mieux connues et semble se comporter, à un certain niveau d'organisation, comme un super-ordinateur, nous oublions un peu vite que c'est un système autotélique, conscient de son propre fonctionnement et capable de s'autoreconfigurer, dans certaines circonstances, avec une plasticité stupéfiante et bien supérieure à celle de nos pauvres ordinateurs.
En outre, comme l'a montré de manière si remarquable le grand neurobiologiste Antonio Damasio (lire « L'inscription corporelle de l'esprit » et « Spinoza avait raison »), nos facultés et nos performances intellectuelles sont inséparables de nos émotions, de nos sentiments et de notre singularité existentielle.
Si nous devons bien entendu nous réjouir des extraordinaires progrès des neurosciences, et de perspectives thérapeutiques immenses qui en résultent, nous devons également réfléchir à la mise en place d'un cadre neuroéthique que j'ai déjà appelé de mes voeux mais qui, aujourd'hui, devient indispensable si nous voulons poursuivre l'exploration scientifique de notre cerveau en intégrant cette dimension éthique irréductible.
René Trégouët
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
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