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Edito : Dans les grandes villes, avez-vous conscience de l’importance des Espaces Verts pour la Santé ?

En 1900, seul un être humain sur huit était un citadin, en dépit de la révolution industrielle qui s’était traduite par un fort essor urbain en EuropeEn 1950, cette proportion atteignait trois sur dix. Depuis 2008, un basculement historique a été franchi puisque, pour la première fois de sa longue histoire, plus de la moitié de l’humanité – soit 3,5 milliards de personnes – vivait dans des ensembles urbains. Et cette évolution devrait encore s'amplifier au cours de ce siècle. On estime en effet que les trois quarts des quelque 10,4 milliards d’habitants attendus sur Terre en 2050 résideront en ville. En 150 ans, la population mondiale aura été multipliée par 6, alors que la population urbaine, rassemblée sur seulement 2 % de la surface émergée du globe, aura été multipliée par 30...

Selon les dernières prévisions démographiques, l’humanité pourrait continuer à croître pendant cinquante ans, atteignant un pic à 10,3 milliards d’individus au milieu des années 2080, pour ensuite décliner jusqu’à 10,2 milliards en 2100. Mais d'autres projections démographiques sont bien plus pessimistes. C'est le cas de l’étude des chercheurs de l’initiative Earth4All pour la Global Challenges Foundation, publiée en mars 2023, qui prévoit que le pic démographique mondial surviendra dès 2046 (9 milliards de personnes), pour ensuite décliner à 7,3 milliards en 2100. C'est également le cas d'une étude de 2020, réalisée par l’université de l'Etat de Washington (Seattle) qui prévoit une population mondiale qui pourrait atteindre son pic en 2064, à 9,7 milliards d’individus, avant de connaître un rapide déclin pour redescendre à 8,8 milliards de Terriens à la fin du siècle (Voir The Lancet).

Dans ce nouveau contexte mondial, qui combine un déclin démographique plus rapide qu’attendu et un inéluctable réchauffement climatique qui s'accélère et dépassera très probablement les deux degrés mondial, on peut s'attendre à ce que les grandes métropoles connaissent, elles aussi, une augmentation moins rapide de leur population. Les grandes villes située sur le littoral, qui rassemblent 10 % de la population mondiale seront les plus touchées par le changement climatique et la hausse du niveau des mers. D'une manière plus globale, le réchauffement climatique va rendre plus difficile et plus coûteux l’accès à la nourriture, à l’eau, et l’énergie dans les grandes villes et l'on assiste déjà, à des degrés divers dans le monde, à un processus de rééquilibrage en faveur des villes moyennes. Déjà, comme le constate l’Insee pour la France, on assiste à des déplacements importants de populations qui quittent les métropoles pour des petites villes ou des villes moyennes. C'est notamment le cas en France où la population a augmenté dans les villes moyennes de 2,6 % entre 2013 et 2019, contre 1,6 % entre 2008 et 2013, alors qu'elle a tendance à stagner dans les grandes villes. Mais historiquement, l'urbanisation de notre pays reste impressionnante : entre 1952 et 2020, la part de la population habitant dans les villes est en effet passée de 50 % à 80 %. En 2023, les 12 métropoles de plus de 500 000 habitants que compte notre pays représentaient, à elles seules, 20,5 millions d'habitants, soit 30 % de la population française.

Mais en attendant que la population des mégapoles commence à se stabiliser, sans doute pas avant une quarantaine d'années, c'est bien dans le contexte mondial d'urbanisation croissante que médecins et scientifiques ont découvert récemment que la végétalisation intelligente de nos villes pouvait non seulement atténuer de manière importante le conséquences néfastes des pics de chaleurs de plus en plus forts, liés au réchauffement climatique, mais pouvait aussi, en tant que facteur intrinsèque, améliorer la santé globale des citadins en diminuant leurs risques de nombreuses pathologies, diabète, cancers, maladies cardio-vasculaires, dépression, maladies neurodégénératives. En 2019, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a mené une étude auprès de huit millions de personnes. Celle-ci avait pour objectif de confirmer un lien réel entre espérance de vie et nature en ville. Pour cette étude, les scientifiques ont utilisé des images satellites pour suivre pendant plusieurs années l’évolution de la végétalisation de plusieurs grandes villes dans le monde. En parallèle, ils ont également étudié la courbe d’espérance de vie au sein de ces mêmes villes. Huit millions de personnes ont ainsi été suivies à travers 7 pays : la Chine, l’Espagne, l’Italie, la Suisse, le Canada, les États-Unis et l’Australie. Les conclusions de cette étude d'ampleur sont qu’il y a bel et bien un lien fort entre l’espérance de vie des habitants et l’accessibilité à la végétation. Selon l’étude, plus les habitants vivaient à proximité d’un parc, plus le taux de mortalité diminuait .Les espaces verts ont également des bienfaits sur la santé mentale, en réduisant les risques de dépression et de stress chronique, facteurs d'autres pathologies. En effet, le niveau de cortisol (l’hormone du stress) diminuerait après seulement une vingtaine de minutes passées dans un parc urbain. Enfin, et cet effet positif n'est pas assez souvent évoqué, les espaces verts sont également responsables de bénéfices sociaux, dans la mesure où ils contribuent à briser l’isolement social en favorisant échanges et rencontres.

Pour cette vaste étude, les chercheurs ont eu recours à un nouvel indice, l'Indice Végétal de Différence Normalisé (NDVI), qui se base sur l'analyse d’images satellites permettant de repérer et classer les différents types d’espaces verts. Ce travail d'une ampleur inédite révèle un lien puissant entre l’augmentation de la végétation à proximité des lieux d’habitation et la réduction de la mortalité prématurée. Plus précisément, à chaque augmentation de 0,1 point de l'indice de végétation à mois de 500 mètres du lieu de résidence, on constate une réduction de 4 % de la mortalité prématurée. Comme le souligne David Rojas, chercheur à l’Université d'État du Colorado et premier auteur de l’étude, « Il s’agit de la synthèse la plus vaste et la plus complète à ce jour sur les liens entre espaces verts et mortalité prématurée. Elle montre qu'augmenter la part de verdure en ville peut devenir un puissant levier pour améliorer fortement et durablement la santé publique » (Voir The Lancet).

Une étude japonaise réalisée en 2009 a montré que des hommes ayant dormi pendant trois nuits consécutives dans des chambres exposées à une odeur de Cyprès ont vu leur taux d’adrénaline sensiblement diminué et leur taux de cellules immunitaires tueuses, les cellules NK, augmenté. Une autre étude, réalisée par des chercheurs de l’université Cornell aux États-Unis, montre que des contacts fréquents avec la nature seraient associés à des niveaux inférieurs d’inflammation systémique (Voir Sage Journals). Pour arriver à cette conclusion, l’équipe du Professeur Anthony D. Ong a analysé les données provenant de 1244 participants. Ces derniers ont été interrogés sur la fréquence de leurs expositions à la nature, mais également sur la nature de leurs contacts avec des espaces verts. Les résultats ont montré que les participants aimant les contacts fréquents avec la nature présentaient des niveaux d’inflammation moins élevés, notamment en ce qui concerne trois biomarqueurs, l’interleukine-6 (IL-6), la protéine C-réactive (CRP) et le fibrinogène. Comme le souligne le Professeur Ong, « Notre étude fournit une explication biologique des raisons pour lesquelles la nature peut améliorer la santé. Nos travaux montrent notamment comment la proximité de la nature peut prévenir ou gérer les maladies liées à l’inflammation chronique, telles que les maladies cardiaques et le diabète ».

En France, une étude réalisée entre 2015 et 2019 par Santé publique France s’est penchée sur les impacts sanitaires de l’augmentation des espaces verts dans trois métropoles : Lille, Montpellier et Rouen. Cette collaboration a permis d’évaluer l’influence de la végétalisation sur la qualité de vie des habitants et la mortalité urbaine. Ces recherches ont permis de mettre en lumière l’impact positif de la végétalisation, non seulement en matière de prévention contre les effets du réchauffement climatique mais également en matière d'amélioration de la santé globale. L’étude a montré que la végétalisation en milieu urbain pouvait réduire la mortalité de 3 à 7 %. Au total, près de 115 décès seraient évités chaque année à Montpellier, 300 décès à Rouen et 360 à Lille. « C’est un gain d’ampleur comparable, en termes de mortalité, à celui que l’on obtiendrait si l’on parvenait à diviser par trois le nombre de fumeurs en France », commente Rémy Slama, épidémiologiste et directeur de recherche à l'Inserm. La végétalisation urbaine permet une diminution sensible de la pollution de l’air, notamment en divisant par trois le taux de particules fines présentes dans l'air, ce qui réduit les risques de maladies respiratoires et cardiovasculaires pour les citadins. Un arbre peut en effet retenir 7 000 particules atmosphériques par litre d’air et la concentration de particules dans l’air peut être plus de 3 fois inférieure dans les rues arborées, par rapport aux rues sans aucune présence végétale. En outre, certaines plantes ont la capacité de fixer les métaux lourds et exercent ainsi une puissante action dépolluante sur l'air ambiant.

En septembre dernier, une étude de l'Université de Boston a examiné l’impact des espaces verts sur le déclin cognitif chez les personnes âgées. Les résultats montrent que la nature joue également un rôle important dans la préservation de notre santé cognitive. Ce travail qui s'est étalé sur 6 ans a confirmé les nombreux bienfaits des espaces verts pour la santé, à commencer par la diminution du stress (Voir Boston University School of Public Health). En outre, l’exposition aux phytoncides, des composés organiques volatils émis par les plantes, renforcerait notre système immunitaire. Ces recherches qui ont analysé les données de 16 962 infirmières âgées de 70 ans ou plus ont par ailleurs montré que celles qui vivaient dans des environnements plus verts présentaient une meilleure fonction cognitive et un déclin cognitif plus lent. Cette étude confirme d'autres travaux, dont une étude pionnière, qui avait montré, en 1984, que les patients hospitalisés ayant une vue sur un espace vert présentaient des temps de récupération plus courts.

Une étude publiée en 2024 par des chercheurs de la Washington State University (WSU) avait également montré que de simples aménagements dans la ville, en rendant notamment plus accessibles les espaces verts et bleus (les zones aménagées avec de la végétation ou de l'eau), pourraient permettre d'améliorer la santé mentale des habitants. « Nos résultats suggèrent que la perte de nos espaces verts et bleus urbains due à l'urbanisation rapide pourrait avoir un impact non seulement sur l'environnement, mais aussi sur la santé publique », explique Adithya Vegaraju, l'un des principaux auteurs de ces travaux. Ces conclusions reposent sur l'analyse de données issues d'enquêtes de santé réalisées auprès de plus de 42.000 personnes âgées de 65 ans et plus vivant dans des zones urbaines de l'Etat de Washington entre 2011 et 2019 (Voir Washington State University).

Une autre étude américaine publiée en décembre dernier a montré, de façon surprenante, que la fréquentation des espaces verts était associée à des modifications du tissu adipeux humain (Voir JAMA Network). Ces chercheurs ont analysé l'impact des espaces verts sur l’adiposité de 843 enfants, âgés de 8 ans en moyenne. Résultat : un indice de végétation plus élevé au début de l’adolescence, dans un rayon de 270 mètres autour du domicile, est associé à un indice de masse corporelle plus faible à la fin de l’adolescence. « Cet effet est d’ampleur comparable à une cellule de la réduction rapportée dans des essais d’intervention sur le mode de vie d’enfants et d’adolescents atteints d’obésité », précise l'étude qui souligne que la végétalisation urbaine devrait être à présent considérée comme un moyen à part entière de prévention durable de l’obésité infantile.

En 2023, une autre étude américaine, portant sur près de 62 millions de bénéficiaires de Medicare, a montré que la nature pourrait également contribuer à protéger contre le risque de développer certaines maladies neurodégénératives. Les résultats ont révélé que les personnes âgées qui vivaient dans une ville avec plus d’espaces verts avaient un taux d’hospitalisation plus faible pour la maladie de Parkinson, la maladie d’Alzheimer et les troubles apparentés, comme la démence vasculaire ou la démence à corps de Lewy. Pour évaluer l’exposition aux milieux naturels, les chercheurs ont analysé la quantité d’espaces verts, d’espaces bleus (rivières, lacs…) et de couverture de parc pour les lieux d’habitation de chaque personne. Résultat : la présence de nature dans son environnement réduit sensiblement l’apparition de troubles neurodégénératifs (Voir The Washington Post).

En avril 2024, une nouvelle étude du réputé King's College de Londres a révélé les effets bénéfiques insoupçonnés de la biodiversité des espaces verts sur la santé mentale des citadins (Voir Scientific Reports). Cette étude a, elle aussi, montré un fort impact positif sur la santé mentale des contacts réguliers avec des espaces naturels intégrés dans la ville. Dans cette étude, les participants déclaraient éprouver un meilleur bien-être mental lorsqu’ils se trouvaient en présence de plantes, d’oiseaux ou d’eau. Selon le Professeur Andrea Mechelli, qui a dirigé ces travaux, « Il est temps de reconnaître que la biodiversité apporte des bénéfices conjoints pour la santé planétaire et humaine et doit être considérée comme une infrastructure vitale au sein de nos villes ».

En France, on voit se multiplier depuis quelques années des "jardins thérapeutiques", adossés à des EPHAD ou à des établissements psychiatriques. A l’hôpital Charles-Foix (AP-HP), à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), Étienne Bourdon et Joël Belmin, chefs du pôle de gériatrie de cet établissement, ont ouvert en 2021 un "jardin enrichi", contenant des installations de stimulation, spécialement destinées aux personnes âgées. Dans cet espace où l'on trouve de nombreuses variétés d'arbustes et de fruits, de nombreuses activités sensorielles et cognitives sont proposés aux patients. En 2021, une étude incluant 120 résidents de quatre Ehpad, atteints de maladie d’Alzheimer, a montré que les résidents bénéficiant des activités du jardin enrichi avaient vu une amélioration significative de leur état cognitif et fonctionnel (niveau de dépendance, risque de chute).

Signalons enfin un article intéressant dans la fameuse revue Wired, qui souligne qu'un peu partout dans le monde, des recherches et projets concernant l'impact esthétique et visuel des immeubles urbains sur la santé physique et mentale se multiplient. Le laboratoire de réalités urbaines de Colin Ellard à l’Université de Waterloo au Canada a mené des études pionnières dans ce domaine et le projet eMOTIONAL Cities, financé par l’UE, est actuellement en cours de réalisation dans plusieurs villes européennes, dont Lisbonne, Londres, Copenhague (Voir Wired). Ce projet ambitieux autant qu'original s'appuie sur une nouvelle discipline, la "neuroarchitecture" et vise à mieux cerner les formes d'urbanisme susceptibles de favoriser le bien être des citadins, tant dans leurs lieux de travail que dans leurs quartiers de résidence et leurs zones de loisirs.

Toutes ces recherches récentes montrent qu'au delà de la nécessité de concevoir des villes plus sobres en énergie, plus résilientes et plus adaptée au conséquences du changement climatique, l'intégration systématique dans les trois dimensions (y compris les façades et toits végétalisés) de la nature dans nos villes peut devenir un puissant facteur de santé publique et de prévention de nombreuses maladies de civilisation. A l'occasion du grand confinement imposé pendant la pandémie de Covid-19, nous avions tous été surpris de voir à quelle vitesse la nature et les animaux sauvages, d'habitude invisibles, reprenaient leur place dans nos villes, pour la plus grande joie des chercheurs et des journalistes qui ont eu ainsi l'occasion de réaliser quelques reportages insolites où l'on pouvait voir une famille de canards traversant tranquillement une grand boulevard parisien... Il faut souhaiter que, d'ici quelques décennies, le retour massif de la nature dans nos villes favorise la restauration d'une biodiversité étonnante et puisse contribuer de manière décisive à notre santé et notre bien être...

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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