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Edito : La connaissance scientifique bascule dans une nouvelle ère : la vie recréée
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Tout commence en 2003 quand l'équipe de l'Américain Craig Venter parvient à synthétiser pour la première fois le génome d'un virus fonctionnel, PhiX174. En 2008, la même équipe réussit à produire un génome synthétique d'une petite bactérie : Mycoplasma genitalium.
En mai 2010, l’équipe de Craig Venter parvenait, après plus de 10 ans de recherches, à concevoir, à l'intérieur d'une levure, une cellule bactérienne de M. mycoides, longue de 1 million de bases et contrôlée par un ADN artificiel. Le chromosome ainsi fabriqué avait été injecté dans la bactérie M. capricolum et après plusieurs tentatives de transplantations sans résultat, une colonie bactérienne présentant l'ensemble des caractéristiques propres à ce génome synthétique -et notamment la capacité de produire certaines protéines spécifiques- était enfin apparue dans la boîte de culture ! (Voir Science)
Une autre avancée considérable, passée un peu inaperçue, fut franchie en octobre 2013 quand des chercheurs américains des universités de Yale et Harvard, dirigés par Farren Isaacs et George Church, annoncèrent qu’ils étaient parvenus à franchir une étape-clé vers la reconstruction de la vie en concevant les premiers OGR, ou organismes génétiquement recodés (Voir Yale News).
Ces chercheurs ont en effet réussi à reprogrammer l'ADN d’une souche bactérienne d’Escherichia coli afin de donner naissance à des protéines inédites, améliorant la résistance aux infections virales. En exposant ces bactéries ainsi modifiées à deux virus bactériophages redoutables, le T4 et le T7, ces chercheurs ont eu la confirmation que cette reprogrammation permettait bien de renforcer sensiblement la résistance bactérienne aux virus.
Cette nouvelle technique de reprogrammation génétique est d’autant plus intéressante qu’elle repose sur l’ajout d’acides aminés et qu’elle interdit de ce fait l’expression de protéines fonctionnelles, ce qui réduit pratiquement à zéro les risques redoutés de contamination et d’expansion à d’autres organismes. Cette nouvelle méthode de reprogrammation génétique qui pourrait permettre de produire bien plus facilement des molécules thérapeutiques, présente donc un avantage tout à fait décisif par rapport aux actuels OGM qui font l’objet d’une contestation croissante notamment liée aux risques de dissémination et de contamination d'autres organismes.
Il y a deux mois, en mars 2014, une autre équipe, française celle-là, associant des chercheurs de l’Inra Versailles-Grignon et du CNRS, franchissait une étape supplémentaire en parvenant à caractériser l'une des enzymes impliquées dans la synthèse des triglycérides de la plante modèle Arabidopsis thaliana, en l’exprimant dans de la levure de boulanger (Saccharomyces cerevisiae) (voir PLOS One).
Quelques jours plus tard, le 27 mars, une équipe américaine, dirigée par Jef Boeke (Johns Hopkins University de Baltimore), franchissait une nouvelle étape décisive imaginée il y a 10 ans par Ronald Davis (Stanford University), et parvenait à synthétiser, pour la première fois, un chromosome de la levure de boulanger, Saccharomyces cerevisiae, appartenant à une cellule eucaryote, un type de cellule semblable à celles qui constituent les mammifères (Voir Nature).
Cette fois, il ne s'agissait plus de synthétiser le génome relativement simple d'un virus ou d'une bactérie, comptant quelques centaines de milliers de paires de bases mais celui autrement plus complexe de la levure de boulanger qui compte un peu plus de 12 millions de paires de bases distribuées sur 6 275 gènes, eux-mêmes répartis dans 16 chromosome. Ces chercheurs se donnent à présent cinq ans pour parvenir à produire de façon entièrement artificielle de la levure de boulanger…
Mais pour réaliser cet exploit scientifique, les chercheurs américains ne pouvaient pas insérer en une seule fois le chromosome III dans une levure. Pour surmonter cet obstacle, les scientifiques ont imaginé un processus de fabrication par étapes. Ils ont d'abord synthétisé 367 "briques", comportant chacune 750 paires de bases. Ensuite les chercheurs ont rassemblé ces briques par groupe de quatre de manière à obtenir 127 fragments. Ces derniers ont alors été introduits par groupe de 10 dans la levure pour se substituer au chromosome initial.
Au total, le process d'assemblage synthétique de ce génome a nécessité 12 étapes successives et s'est appuyé sur la propriété remarquable de cette levure qui possède la capacité de pouvoir intégrer des séquences d'ADN étranger dans son propre génome, à condition de sélectionner soigneusement l'ordre des "lettres" ainsi transplantées.
Mais il faut bien comprendre que l'objectif de l'équipe de Jef Boeke ne se limitait pas à reproduire de manière synthétique un chromosome eucaryote. Les chercheurs voulaient également obtenir un nouvel outil qui puisse accélérer la croissance de cette levure. C'est pour cette raison que le chromosome artificiel finalement produit a été simplifié si on le compare à sa version naturelle. Ce chromosome synthétique a notamment été balisé à l'aide de petits segments d'ADN permettant les recombinaisons génétiques. L'intérêt de ce procédé, baptisé SCRaMbLE - Mélange - est de conférer une plus grande souplesse à l'ADN artificiel, ce qui en fait un instrument de recherche fondamentale particulièrement efficace en matière de génomique des eucaryotes.
Mais si ces différentes étapes intervenues depuis 11 ans sont impressionnantes et marquent bien une rupture dans la recherche en biologie en ouvrant la voie vers la production entièrement synthétique d'organismes vivants complexes, la dernière étape franchie il y a seulement une semaine, est tout simplement vertigineuse et fait basculer l'ensemble de la connaissance scientifique dans une nouvelle ère, comme cela avait été le cas en 1953, quand James Watson et Francis Crick avaient découvert la structure en double hélice de l'ADN et quand le chimiste américain Stanley Miller parvint, en recréant la « soupe primitive » qui existait aux premier âges de la Terre, à produire 13 des 22 acides aminés nécessaires à la fabrication des protéines dans les cellules du vivant.
Ces chercheurs dirigés par Floyd Romesberg (Scripps Research Institute, La Jolla, Californie) et Ivan R. Corrêa, du Biolab de Nouvelle-Angleterre (Ipswich, Massachusetts) viennent en effet d'annoncer qu'ils avaient réussi à ajouter aux quatre "lettres" de base constituant l'ADN (ATCG), deux nouvelles lettres (XY) à cet alphabet fondamental, puis à faire répliquer celles-ci par plusieurs générations de bactéries ! Cette avancée majeure a fait l'objet d'un éditorial et d'une publication dans la célèbre revue Nature le 8 mai 2014, sous le titre "Un organisme semi synthétique muni d'un code génétique augmenté" (voir Nature).
Pour mieux comprendre l'immense portée de ces recherches, il faut rappeler la logique de l'alphabet du vivant, élucidé il y a maintenant un peu plus de 60 ans. Celui-ci obéit à une logique binaire : dans l'ADN, les "lettres" AT (adénine-thymine) et CG (cytosine-guanine), sont complémentaires et forment les barreaux de la double hélice si caractéristique de cette molécule.
Mais l'exploit des chercheurs américains a consisté à réussir à insérer dans le génome d’une bactérie très commune, Escherichia coli, une nouvelle paire de bases nucléiques, d5SICS et dNaM. Le plus étonnant est que cet ADN ainsi "augmenté" a été accepté par ce micro-organisme puisque ces paires de bases non naturelles ont été retrouvées dans plus de 99 % des bactéries "descendantes" de celles ainsi transformées… Certes, ces nouvelles bases modifiées n'étaient pas présentes dans les chromosomes de la cellule, mais apparaissaient dans un plasmide, un anneau d’ADN qui n’est pas essentiel à la survie de cette bactérie mais possédant également la propriété de se répliquer.
Pour obtenir cet ADN "enrichi ", les chercheurs ont dû développer et appliquer de nouvelles méthodes de bio-ingénierie. Il est vrai que les défis à relever pour parvenir à un tel résultat ont été nombreux. Il a notamment fallu modifier la bactérie E. coli de manière à ce qu'elle puisse intégrer des protéines de transfert qui autorisent l'entrée des triphosphates précurseurs des deux bases d5SICS et dNaM.
Mais les chercheurs devaient également surmonter un autre obstacle de taille : faire en sorte que le système génétique, particulièrement sensible et délicat, accepte ces nouvelles lettres atypiques sans se détraquer. Connaissant le rôle des polymérases dans la réplication des plasmides et sachant que certaines de ces polymérases étaient capables de répliquer cette nouvelle paire de 5SICS-dNaM, les chercheurs ont réussi à insérer très précisément cette nouvelle paire de bases dans une région du plasmide contrôlée par cette polymérase. Les scientifiques ont alors pu observer que le plasmide conservait bien ces nouvelles "lettres" au fil des générations, même si la prudence reste de mise et que les chercheurs ne parlent pour l'instant que de « tolérance ».
Dans son éditorial, la revue Nature explique les prochaines étapes qui devraient suivre cette avancée capitale. Selon la célèbre publication scientifique, le prochain chantier qui attend les biologistes consistera à s’assurer que les nouvelles bases créées soient bel et bien adoptées définitivement par l’organisme qui les réplique. Les chercheurs devront également démontrer que ces nouvelles bases qui n’existent pas dans la nature peuvent être traduites en ARN pour contrôler l’expression des gènes et permettre notamment la production d’une gamme étendue de protéines spécifiques à la demande.
Denis Malyshev, l’un des chercheurs impliqués dans ces travaux, se dit persuadé que la conception et l’utilisation de ces nouveaux organismes dotés d’un ADN synthétique « augmenté » constitue bien, comme la nouvelle méthode des organismes génétiquement reprogrammés (OGR), une avancée fondamentale par rapport aux OGM actuels. « Contrairement aux OGM que l’on utilise actuellement, nos nouvelles bases ne peuvent entrer dans la cellule que si l’on active la protéine membranaire venue de l’algue. Sans cette activation, la cellule revient automatiquement aux bases ATGC, et les bases ajoutées d5SICS et dNaM disparaissent entièrement de son génome ».
Il est vrai que cette dimension liée au contrôle et à la sécurité de ces nouveaux outils extrêmement puissants de modifications biologiques et génétiques est absolument essentielle car le grand public, sans être hostile par principe à ces fulgurantes avancées scientifiques, exprime un grand nombre d’interrogations et de réserves légitimes quant à leurs risques pour la santé humaine, en cas de généralisation et quant à leur intérêt réel sur le plan médical et plus largement social et humain.
Ces questions liées aux champs d’utilisation et au contrôle de ces nouvelles technologies du vivant viennent d’ailleurs d’être au centre de la conférence sur la xénobiologie qui s’est tenu début mai à Gênes, sous la direction du généticien Philippe Marlière, cofondateur de Global Bioenergies. Rappelons que l’équipe de Philippe Marlière, avait annoncé en décembre 2010 qu’elle avait réussi à transformer, de façon partielle et réversible, l'ADN de la bactérie Escherichia coli en AXN en remplaçant l'une des bases, la thymine, par un composant artificiel, le 5-chloro-uracile. Pour ce chercheur, ces derniers travaux américains constituent bien le franchissement d’un « cap symbolique qui a une réelle valeur historique puisqu’une troisième paire de bases entièrement artificielle a pu être répliquée in vivo ».
Cette avancée américaine presque incroyable qui a abouti à la production d’un ADN viable modifié, comportant 6 lettres au lieu de quatre, doit enfin être rapprochée de deux percées remarquables, annoncées également début mai. La première a été réalisée par une équipe américano-coréenne : il s'agit du premier clonage de cellules adultes humaines pour créer des cellules souches embryonnaires correspondant à l’ADN du donneur. Ces travaux, qui confirment la possibilité d’obtenir des cellules souches pluripotentes fiables sans avoir besoin d’utiliser des embryons, lèvent un obstacle éthique majeur et ouvrent la voie vers le clonage thérapeutique et la médecine régénérative qui permettront demain de réparer ou de remplacer des organes endommagés par l'âge ou la maladie.
La seconde percée vient d'être annoncée par une équipe de l'université Brigham Young qui a mis au point un nano-injecteur de type MEMS (microelectromechanical system) qui permet d'injecter l'ADN dans le noyau cellulaire sans avoir recours à un fluide, ce qui rend ce transfert d'ADN bien plus efficace et rapide et ouvre la voie vers des transferts massifs d'ADN en parallèle, dans des centaines de milliers de cellules (Voir Nanotechnology Now).
Il n’est pas exagéré de dire que l’ensemble de ces découvertes et travaux dans les domaines de la biologie cellulaire, de la génétique et de la génomique et particulièrement les avancées majeures annoncées depuis le début de cette année, ouvrent la voie vers la possibilité de contrôler et de modifier les mécanismes les plus fondamentaux du vivant mais également de créer de nouvelles formes de vie complexes et entièrement artificielles…
Si nous voulons que les chercheurs puissent continuer d’explorer ces nouvelles voies scientifiques et médicales vertigineuses qui sont en train de s’ouvrir, il est grand temps d’organiser un vaste et sérieux débat démocratique afin non seulement d’enrichir et de préciser notre cadre éthique, législatif et juridique de référence dans ce domaine mais également d’éclairer nos concitoyens le plus complètement et le plus honnêtement possible sur les enjeux de société considérables qui résultent de ces progrès fulgurants des sciences de la vie.
René TRÉGOUËT
Sénateur Honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
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