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Edito : Commander une machine par la pensée : ce n’est plus de la science-fiction !
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En 2008, des chercheurs du Center for Cognitive Brain Imaging (Centre pour l’imagerie cognitive du cerveau), à l’université Carnegie Mellon, avaient réussi à cartographier la représentation usuelle d’objets simples. Ils avaient montré à un groupe de patients une série de 10 dessins représentant des outils ou des maisons et leur avaient demandé de se concentrer sur ces dessins. Les chercheurs avaient ensuite analysé l'activité cérébrale des patients en utilisant l’imagerie par résonance magnétique et le résultat fut très probant : dans huit cas sur dix, il était possible de reconstituer les principaux éléments du dessin en observant simplement quelles zones étaient stimulées. Ces recherches ont également permis de montrer que la représentation d’un objet par notre cerveau n’était pas localisée dans une zone unique mais répartie dans plusieurs zones cérébrales.
Autre point décisif : les chercheurs sont parvenus à deviner les objets observés par une personne même lorsque le dispositif technologique et informatique utilisé était "calibré" pour analyser l’activité cérébrale d’un autre patient ! Cette avancée est remarquable car elle établit qu'il existe bien des structures neurobiologiques universelles, communes à toute l'espèce humaine. Néanmoins, cette dimension universelle ne semble valable que pour les objets simples et matériels. Il semble en effet que cette universalité des processus cognitifs disparaisse quant la pensée devient plus complexe et plus abstraite.
En septembre 2011, une autre équipe de l'Université de Berkeley (Californie), dirigée par Jack Galland, avait fait grand bruit en annonçant la mise au point d'un outil de "traduction " de la perception des images (Voir articles Current Biology, CBS News et Jack Gallant). Même si les images obtenues par cette technique restaient grossières et floues, elles permettaient cependant de reconnaître par approximation certaines images !
En fait, les chercheurs américains ont utilisé la RMN (résonance magnétique nucléaire) pour enregistrer les flux sanguins du cortex (zone cérébrale particulièrement impliquée dans la perception) lorsque celui-ci est stimulé par des vidéos. S'appuyant sur les informations recueillies, ces neurobiologistes ont alors conçu et utilisé un logiciel informatique capable de reproduire avec un bon niveau de fidélité les images produites par le cerveau. L'idée est de pouvoir, à terme, perfectionner et utiliser cette technologie pour communiquer avec des patients victimes de congestion cérébrale ou dans le coma.
En octobre 2011, une équipe du laboratoire des technologies émergentes d’IBM à Winchester en Angleterre annonçait la mise au point d'un casque utilisant des électrodes capables de capter et de "traduire" les signaux émis par notre activité cérébrale. IBM veut à présent réaliser des interfaces homme-machine directement commandables par la pensée, ce qui constituerait une immense avancée pour les personnes paralysées.
Dans le même domaine de recherche, la société japonaise Cyberdyne a mis au point une combinaison robotisée, appelée Hal. Une fois enfilée, celle-ci permet à son utilisateur d'effectuer les mouvements auxquels il pense ! Une autre équipe de l’université de Duke (Caroline du Nord) a mis au point un bras robotisé destiné aux personnes paralysées, lui aussi directement contrôlé par la pensée.
Enfin, il y a quelques semaines, une autre équipe américaine, dirigée par Brian Pasley (Université de Californie à Berkeley) est parvenue à reproduire des mots en analysant l'activité cérébrale de patients à l'aide d'électrodes. Cette étude a été réalisée sur 15 patients en attente d'une intervention chirurgicale destinée à traiter certaines formes d'épilepsie. Ces malades ont été munis d'un casque intégrant des électrodes enregistrant l'activité d'une zone du lobe temporal du cortex spécialisée dans le traitement et l'interprétation des signaux auditifs. Les expérimentateurs ont lu une série de mots aux patients pendant que l'activité électrique de leurs neurones était enregistrée et analysée (Voir article PLoS).
Les chercheurs ont ensuite utilisé un logiciel spécialement développé pour la circonstance et qui est capable de recréer par synthèse les "mots" extraits de ces enregistrements de l'activité du cortical. Contre toute attente, ces expériences ont permis de reproduire le son entendu par le patient et il est possible, dans un grand nombre de cas, de reconnaître les mots, bien que la méthode soit loin d'être parfaite.
Ces avancées impressionnantes démontrent qu'il est à présent envisageable d'imaginer, d'ici 5 à 10 ans, la généralisation d'interfaces fiables permettant une commande directe par la pensée d'un grand nombre de dispositifs ou d'appareils, qu'il s'agisse d'ouvrir sa porte de maison, d'allumer la télévision ou l'ordinateur ou de faire un mouvement précis grâce à un membre artificiel robotisé.
En revanche, nous sommes encore loin d'une machine qui pourrait lire dans nos pensées comme dans un livre car les difficultés à surmonter pour atteindre un tel objectif restent immenses, compte tenu de la complexité de la pensée humaine et de son haut niveau d'abstraction.
L'apparition prochaine de ces "commandes mentales", aux côtés de la commande vocale et de la reconnaissance d'écriture, va permettre à l'informatique d’être accessible à tous et va entraîner un véritable saut qualitatif dans la prise en charge des personnes malades et handicapées. On peut également imaginer les progrès que permettra une telle innovation dans de multiples domaines : en chirurgie par exemple, un robot piloté par la pensée pourrait réaliser des prouesses. En matière de transport, on peut imaginer que certaines fonctions précises, liées à l'urgence, pourront être directement déclenchées par la pensée. Enfin, en matière de télécommunication, il deviendrait possible d'envoyer des messages simples, oraux ou écrits, directement issus de nos pensées !
Les géants de l'électronique et de l'informatique ont bien compris les immenses enjeux économiques et industriels de ce nouveau mode d'action sur notre environnement mais il n'est pas certain que nos gouvernements et nos concitoyens aient bien pris conscience de l'impact humain, social et moral d'une telle avancée technologique. C'est pourquoi nous devons, dès à présent, commencer à réfléchir à cette question en définissant ce que j'avais appelé, il y a déjà une dizaine d'années, alors que ces recherches relevaient encore de la science-fiction, une "neuroéthique" qui protège l'intimité et la liberté de chacun.
René TRÉGOUËT
Sénateur Honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
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- Publié dans : Neurosciences & Sciences cognitives
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