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Edito : Le CO2, nouveau moteur de l’économie durable ?
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En 2014, l’homme a émis plus de 50 milliards de tonnes-équivalent-CO2 (dont 36 gigatonnes de CO2) dans l’atmosphère, une quantité dix fois plus importante qu’il y a un siècle. L’immense majorité de la communauté scientifique internationale est d’accord sur le fait que, pour parvenir à éviter un dérèglement climatique incontrôlable et atteindre les objectifs définis lors de la récente COP 21, le monde va devoir réduire de moitié ses émissions de CO2 avant la moitié de ce siècle. Pour parvenir à relever un tel défi de société, il va donc falloir réduire considérablement à la source nos émissions de CO2. Mais cet effort seul ne suffira pas et il faut également parvenir à piéger et séquestrer de manière sûre et durable le CO2 émis, grâce à plusieurs technologies en cours d’expérimentation qui fonctionnent mais restent à ce jour lourdes, complexes et onéreuses à mettre à œuvre.
Reste un troisième levier, aussi audacieux que prometteur, qui pourrait peut-être changer la donne : celui de la récupération, de la transformation et de la valorisation du CO2 atmosphérique. L’idée de base consiste à pouvoir transformer les différentes formes d’énergie en énergie chimique, par exemple en convertissant le gaz carbonique en molécules carbonées, à travers la formation de liaisons carbone-hydrogène et carbone-carbone, riches en énergie. C’est ce que fait la nature grâce au mécanisme biologique fascinant qu’est la photosynthèse qui permet de stocker l’énergie solaire en convertissant l’eau et le CO2 en biomasse.
Dans cette perspective, le CO2 cesse d’être considéré uniquement comme un fléau responsable du réchauffement mondial et devient alors une source de carbone durable pour l’industrie, les transports et la chimie. Reste que cette mutation techno-industrielle suppose des ruptures technologiques majeures car la molécule de CO2 est intrinsèquement stable et tellement qu’il est difficile de l’activer pour la transformer. Les contraintes en effet ne sont pas seulement thermodynamiques mais également cinétiques. Il faut donc mettre au point des procédés performants, notamment avec le développement de catalyseurs efficaces pour les réactions étudiées.
Pourtant, fait peu connu, l’industrie utilise déjà plus de 150 millions de tonnes de CO2 dans le monde (extrait du sous-sol ou provenant de l’industrie) pour fabriquer de nombreux composants et produits, comme des engrais mais également de l’acide salicylique qui entre dans la composition de l’aspirine et de certains produits pharmaceutiques, ou encore des polycarbonates, un type de polymères qui sert à fabriquer nos verres de lunettes et nos CD.
Pour parvenir à piéger et à transformer le CO2 présent dans l’air, plusieurs voies techniques sont à l’étude. Après 30 ans de recherche, Klaus Lakner, un chercheur reconnu de l'Université d'Arizona, a présenté récemment son "arbre" à CO2. Après avoir testé différents matériaux, Lackner et son collègue Allen Wright ont découvert une résine blanche en plastique qui est capable d’absorber naturellement le gaz carbonique de l’air. Quand l’air est sec, il se charge de CO2. Quand il est humide, il le relâche. Cette résine est poreuse et fait office d’éponge. Il suffit de la rincer à l’eau dans une boîte vide pour que le CO2 se détache. Comme le souligne Lackner « Le procédé est on ne peut plus simple : absorber, rincer, collecter ».
Quant au CO2 ainsi récolté, on peut le stocker dans un conteneur standard de 60 m³, l’enfouir sous terre en le liquéfiant ou encore le transformer en ingrédient pour essence synthétique en y ajoutant de l’hydrogène. Selon Lackner, l’efficacité de ce dispositif est 1.000 fois plus grande que celle d’un arbre. La résine utilisée peut être produite massivement et à bas prix. Une centaine de millions de dispositifs de la taille d’un container utilisé pour le transport maritime suffiraient pour résoudre le problème du changement climatique mondial causé par le CO2.
Mais en attendant que cet arbre à CO2 puisse être déployé à grande échelle, chercheurs et ingénieurs tentent également d’améliorer l’efficacité des systèmes qui capturent le CO2 à la sortie des cheminées d’usine où il est le plus concentré. Comme le souligne Marc Robert, chercheur au laboratoire d’Electrochimie Moléculaire du CNRS, « À partir du CO2, on est capable de produire du monoxyde de carbone (CO), un produit de base que l’industrie chimique utilise pour fabriquer des molécules plus complexes ». Il est vrai que ce monoxyde de carbone permet par exemple, combiné à l’hydrogène, d’obtenir de l’acide formique (H-COOH), un composé liquide à température et pression ambiantes qui peut être utilisé dans les piles à combustible des voitures du futur avec des risques moindres que l’hydrogène pur (H2), hautement inflammable…
Mais récupérer et réutiliser le CO2 pour synthétiser d’autres produits carbonés à grande échelle nécessite de faire sauter plusieurs verrous technologiques car les molécules de CO2 sont caractérisées par des liaisons carbone-oxygène extrêmement solides, ce qui suppose beaucoup d’énergie pour les casser. Ce « craquage » se fait par catalyse et repose pour le moment encore largement sur l’utilisation de métaux précieux tels que l’or, le platine, l’iridium ou le rhodium, ce qui constitue un vrai frein à leur déploiement.
Face à ce défi, Marc Robert et son équipe cherchent à mettre au point un procédé de catalyse utilisant le fer, le métal le plus abondant dans la croûte terrestre. « Nous arrivons déjà à fabriquer de façon maîtrisée du CO à partir de CO2 en utilisant des électrodes contenant du fer, tout en limitant au minimum les sous-produits issus de la catalyse, puisque nous obtenons uniquement du monoxyde de carbone, gazeux, et de l’eau liquide » souligne ce chercheur. Cerise sur le gâteau : toute l’électricité nécessaire à la catalyse est fournie par de petits panneaux solaires, soit une énergie 100 % renouvelable.
D’autres recherches dans le monde ont également montré qu’il était possible de produire un mélange de CO et d’acide formique avec des électrodes au nickel et d’obtenir du méthanol à l’aide d’électrodes à base de cuivre. Mais la plupart des scientifiques travaillant dans ce domaine pensent qu’il faudra encore une bonne dizaine d’années avant que ces procédés soient bien maitrisés et soient utilisables à l’échelle industrielle. A plus long terme, on peut même imaginer une économie du CO2 « circulaire » qui deviendrait capable de produire, à partir du CO2 extrait de l’air, des hydrocarbures complexes, comme l’octane. « Certes, leur combustion libérerait à nouveau du CO2 dans l’atmosphère, mais celui-ci serait recapturé et retransformé en carburant dans le cadre d'un nouveau cycle vertueux », souligne Marc Robert.
Mais, comme le souligne François Guyot, chercheur à l’Université Diderot, « On peut également copier la Nature et utiliser le CO2 extrait de l’atmosphère pour fabriquer une roche très stable, sous forme de carbonates de calcium. En France, un groupe de recherche travaille sur un tel projet, dans le cadre du projet Carmex. Ces chercheurs tentent de reproduire, mais surtout d’accélérer ces processus géologiques naturels et parviennent déjà à produire des “cailloux” d’une dizaine de microns, au prix il est vrai d’une dépense importante d’énergie.
Ces micro-granules de carbonate de magnésium pourraient être utilisés dans de nombreux matériaux de construction et notamment dans le ciment. Mais pour qu’une telle voie de capture et valorisation du CO2 devienne économiquement attractive, il faudrait que le prix de la tonne de CO2 atteigne 80 dollars, une perspective qui peut sembler encore lointaine mais qui a le mérite de montrer à quel point il est important que le marché du carbone s’organise au niveau mondial.
Heureusement, les choses avancent et la France est fortement impliquée dans le projet de recherche VALCO2 II, labellisé par le pôle de compétitivité Axelera. Ce projet regroupe 6 partenaires : Solvay (porteur), IFP Energies nouvelles, l’Institut de Transition Energétique IDEEL, la PME Inevo Technologies et 2 laboratoires de recherche : l’Institut de Chimie et Biochimie Moléculaires et Supramoléculaires de Lyon (ICBMS) et le Département de Chimie Moléculaire de Grenoble (DCM).
VALCO2 II, qui couvre la période 2014-2018, vise à considérer le CO2 comme une matière première à exploiter pour développer des procédés de transformation du CO2 à grande échelle capables de fabriquer des produits d’importance industrielle (hydrogénocarbonates, carbonates d’alkyle, acide formique) tout en s’assurant de leur rentabilité économique et de leur impact positif sur l’environnement, ainsi que la mise en place d’un observatoire français des sources industrielles de CO2 disponibles.
Outre-Atlantique, le groupe canadien Carbon Engineering a lancé en 2015 un étonnant projet-pilote visant à recycler et revaloriser énergétiquement le CO2 de l’atmosphère grâce à des ventilateurs géants. Le projet pilote développé à Squamish dans la province de Colombie-Britannique à l’ouest du Canada, permet pour cela d’aspirer, de filtrer et de purifier le CO2 avant de le transformer en un combustible synthétique exploitable.
Baptisée Air Capture, cette machine est composée de dizaines de ventilateurs géants destinés à la capture du CO2, d’un contacteur d’air produisant une solution liquide riche en CO2, et d’un système de régénération permettant le rejet d’un CO2 pur. Ce flux de CO2 peut alors être utilisé dans de nombreuses applications industrielles ou séquestré de manière permanente.
L’ensemble du dispositif nécessite bien sûr une source d’énergie pour fonctionner, et la société privilégie les énergies peu émettrices comme le gaz naturel, l’énergie solaire concentrée, ou le nucléaire. Comme le souligne Adrian Corless, le PDG de la société, « il est maintenant possible de prendre le CO2 de l’atmosphère et de l’utiliser comme un combustible qui, combiné à l’hydrogène, produit une énergie sans émission de CO2 ».
Autre avantage de ce procédé, ce nouveau type de combustible peut s’utiliser dans le cadre industriel actuel de production d’énergie. La machine Air Capture a déjà aspiré plus de dix tonnes de CO2 en l’espace de seulement cinq mois et pourrait, à grande échelle, absorber les émissions créées par plus de 300.000 voitures. Cette nouvelle technologie représente donc une avancée majeure dans la récupération et l’exploitation durables des combustibles fossiles, mais également des émissions de CO2 générées par l’industrie.
De son côté, Air liquide a réussi pour la première fois à capter et à valoriser le CO2 émis sur une unité de production d'hydrogène : celle de Port-Jérôme en Seine-Maritime, le plus grand site de reformage en France (50 000 m3/h). Il a investi pour cela 30 millions d'euros dans Cryocap, un procédé cryogénique qui a nécessité dix ans de R&D.
La production d'hydrogène à partir de la réaction du gaz naturel et de la vapeur d'eau s'accompagne de la synthèse d'un « offgaz », un gaz riche en CO2 à hauteur de 40 %. Cet offgaz est comprimé dans Cryocap à 50 bars et porté à - 50°C pour être liquéfié. Ce gaz, constitué à 99 % de CO2, est stocké sous forme liquide à - 26°C dans des citernes. Il est ensuite transporté par camion pour être valorisé pour des cultures sous serre, des applications agroalimentaires, et la carbonatation de boissons gazeuses. Ce procédé très innovant permet en outre de récupérer l'hydrogène encore présent dans l'offgaz, augmentant ainsi de 20 % la production d'hydrogène.
Signalons enfin l’étonnant système de chauffage que vient de présenter la start-up BoostHeat. Celui-ci combine une chaudière à condensation et une pompe à chaleur utilisant le CO2 comme fluide. Ce cycle thermodynamique très ingénieux a été mis au point avec le soutien de l'Ademe, de GrDF, de l'École des mines d'Albi Carmaux et du Laboratoire de thermique énergétique et procédés (Latep).
La clef de voute de cette innovation réside dans la mise au point d'un compresseur thermique à très haute efficacité qui utilise la chaleur du brûleur à gaz (environ 700°C) pour comprimer efficacement du CO2. L’avantage décisif du système est que la compression se fait sans transmission mécanique de puissance - et par conséquent sans pièces mécaniques, ni usure - car elle ne résulte que d'un cycle thermique.
Ce compresseur thermique peut fonctionner 50 000 heures sans huile et sans entretien et il devrait permettre, d'ici 2020, de répondre aux besoins de chauffage et d'eau chaude sanitaire de tout type de logement (résidentiel, collectif et tertiaire) avec un très haut rendement. BoostHeat construit à présent, avec le soutien de GRDF, une unité de production dotée d'un objectif ambitieux de 100 000 chaudières par an à l'horizon 2020 !
On le voit, dans la perspective de la feuille de route ambitieuse définie par la communauté internationale au cours de la récente COP21, la transformation et la valorisation du CO2 sont devenues un enjeu technologique, industriel, économique et politique tout à fait majeur.
Dans cette compétition scientifique et technique décisive, seule une approche résolument transdisciplinaire, associant physique, chimie, biologie, mathématiques et informatique permettra de surmonter, au cours des 10 prochaines années, les principaux obstacles qui nous barrent encore la route vers une économie circulaire du carbone. Souhaitons que nos décideurs économiques et politiques prennent pleinement conscience de l’importance capitale que représente cet objectif de recyclage et de valorisation globale du CO2 et sachent dégager les moyens financiers et budgétaires nécessaires pour accélérer cette rupture de société si vitale pour l’avenir de notre Planète.
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
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- Publié dans : Matière Matière et Energie
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