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Edito : La Chine veut être la première à maîtriser l’énergie solaire spatiale dans la seconde moitié du siècle

Comme le soulignait récemment l'AIE (Agence Internationale de l’Energie), jamais dans l'histoire de l'humanité une énergie ne s'est développée aussi rapidement que l'énergie solaire. Alors qu'elle ne représentait que 0,1 % de l'électricité mondiale en 2010, l'énergie solaire devrait atteindre les 1500 TWH de production électrique fin 2025, soit 5 % de la consommation électrique mondiale. Et ce n'est qu'un début : l'AIE prévoit que le solaire devrait être multiplié par 4 d’ici 2030, et par 9 à l’horizon 2050. La production d'énergie électrique issue du solaire devrait dépasser le nucléaire, l’hydraulique et l’éolien dès 2026, le gaz en 2031, et enfin le charbon d’ici 2033. A ce rythme, l'énergie solaire, propre, gratuite et inépuisable pourrait représenter 13 500 TWh en 2050 et assurer alors le tiers de la consommation mondiale d'électricité prévue à cette échéance et qui devrait augmenter jusqu'à représenter la moitié de la consommation mondiale d'énergie en 2050 (contre 25 % en 2025) à cause de l'électrification des transports, de l'industrie et des foyers. En 50 ans, le rendement des meilleures cellules solaires commerciales a plus que doublé, passant de 10 % à 25 % et ce rendement dépassera probablement les 30 % en 2030, grâce aux cellules associant silicium et pérovskite. Parallèlement, le rendement des cellules solaires organiques (à base de polymère), flexibles, légères et peu coûteuses, ne cesse lui aussi de s'améliorer et atteint déjà, en laboratoire, 19,4 % (Voir Science Direct).

Mais à coté du solaire terrestre, qu'il s'agisse de petites installations domestiques, de mini-centrales rurales ou d'immenses centrales capables de produire autant d'électricité que plusieurs réacteurs nucléaires, une autre voie technologique que l'on avait pu croire abandonnée, refait brusquement surface depuis plusieurs mois, le solaire spatial. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, le concept de solaire spatial ne date pas d'hier. Il a même un siècle, puisque c'est en 1925 que l'ingénieur russe Konstantin Tsiolkovski publia un article dans lequel il imaginait déjà la possibilité de capter en permanence l’énergie soleil, puis de la renvoyer sur Terre, sous forme d'ondes. Le grand auteur de science fiction Isaac Asimov avait également prévu, en 1941 dans sa nouvelle, "Reason", d'immenses centrales solaires spatiales, gérées par des robots. L'ingénieur américain Peter Glaser reprit cette idée en 1968 et en 1970, la NASA démontra qu’il était techniquement possible de produire de l’électricité dans l’Espace et de transmettre cette énergie vers la Terre.

L'avantage de l’espace, c'est que le rayonnement solaire n’est pas réfléchi ou absorbé par l’atmosphère et les nuages : il est donc bien plus intense que celui qui arrive à la surface de la Terre. Si l'on place cette station sur une orbite géostationnaire stable à une altitude d’environ 36.000 kilomètres, on peut alors capter en permanence l'énergie du soleil. A superficie égale, une installation spatiale pourrait, au final, capter huit fois plus d’énergie qu’une installation photovoltaïque terrestre. En juin 2023, le Caltech, dans le cadre de son projet "Energie Solaire spatiale", lancé en 2011, a, pour la première fois au monde, confirmé la faisabilité d'une centrale solaire spatiale. Son prototype, le Space Solar Power Demonstrator (SSPD-1), a réussi à capter la lumière du Soleil, la convertir en électricité et la renvoyer sur Terre, où elle a été récupérée par des récepteurs micro-ondes installés sur un toit du campus de Caltech à Pasadena. Comme le souligne le Professeur Ali Hajimiri, directeur du Space Solar Power Project, « À notre connaissance, personne n’a jamais fait la démonstration d’un transfert d’énergie sans fil depuis l’espace même avec des structures rigides onéreuses. Nous avons pu réaliser un tel transfert avec des structures flexibles légères et avec nos propres circuits intégrés », s’est félicité le patron de Caltech (Voir Caltech).

La JAXA (l’agence spatiale japonaise) travaille depuis 2009 en collaboration avec dix-sept entreprises privées à un projet de centrale solaire de 1.000 mégawatts (l’équivalent d’un gros réacteur nucléaire) à l’horizon 2030. Le Japon a annoncé en décembre dernier qu'il voulait lancer une centrale solaire en orbite terrestre basse pour transmettre de l’énergie vers la Terre. Le premier prototype de démonstration devrait peser environ 180 kg et transmettra environ 1 kilowatt de puissance énergétique, soit de quoi alimenter un appareil électroménager. Dans un premier temps, le Japan Space Systems (JSS) exploitera des avions équipés de panneaux de transmission d’énergie volant de 5 à 7 kilomètres au-dessus du niveau de la mer et renverra au sol des micro-ondes qui seront transformées en électricité. En cas de succès, le projet passera à la phase suivante dans le courant de cette année. Il s'agira alors de tester, dans la ville de Suwa (centre du Japon) l'efficacité de 13 récepteurs, répartis sur 600 mètres, pour recevoir des faisceaux de micro-ondes émises par des panneaux de transmission d’énergie aéroportés. A plus long terme, d'autres essais vérifieront s'il est possible de produire en continu de l'énergie à partir d'un satellite de 150 kg, de manière sûre et précise, sous forme de micro-ondes. Enfin, la phase ultime de ce programme consistera, d'ici une vingtaine d'années, à construire une centrale solaire spatiale géante de deux kilomètres carrés de panneaux solaires, capable de produire environ 10 TWH par an, soit l'équivalent d'un gros réacteur nucléaire. Selon les scientifiques qui dirigent ce projet, une telle centrale solaire spatiale devrait peser 10 000 tonnes et son coût total de construction est estimé à environ 7 milliards d'euros (Voir Nikkei Asia).

Il y a quelques semaines, la Chine a également annoncé qu’elle avait, elle aussi, la ferme intention de mettre sur orbite, d’ici 2035, ses premières centrales solaires spatiales (Voir Live Science). Ce projet très ambitieux, dirigé par Long Leaho, prévoit la réalisation d'un ensemble de centrales solaires spatiales d’une largeur de 1 km en orbite géostationnaire, à 36.000 km de la Terre. Chacune de ces mégastructures pourra produire 100 TWH par an, autant que le gigantesque barrage des Trois Gorges, fleuron de l'hydroélectricité chinoise. La Société des Sciences et Technologies Aérospatiales de Chine (CASC), qui est en charge de ce projet, reste volontairement assez floue sur les détails techniques de ce programme hors norme, qui entre en compétition directe avec différents projets, de moindre envergure, menés par les États-Unis, le Japon et l'Europe. Les responsables chinois rappellent simplement que le potentiel énergétique solaire exploitable dans l’espace est dix fois plus élevé que sur Terre et que ces centrales bénéficieront, en outre, de nouveaux panneaux solaires, plus légers et plus performants que ceux utilisés sur Terre. Long Leaho précise toutefois, non sans fierté, qu'à terme, l’énergie recueillie en une année par ces centrales solaires pourrait représenter une quantité équivalente à celle issue des matières fossiles encore disponibles sur Terre...

Pour acheminer les éléments de structure nécessaires dans l'espace, la Chine compte sur son lanceur géant « Longue Marche », une fusée réutilisable de 110 mètres de haut, capable de transporter 150 tonnes sur orbite, grâce à sa poussée au lancement d’environ 6.000 tonnes. Mais ce projet, dont le coût pharaonique n'a pas été précisé et qui pourrait être de l'ordre de 10 milliards de dollars par centrale, est également vu par le pouvoir chinois comme un formidable catalyseur qui va booster la recherche fondamentale et appliquée dans de nombreux domaines, matériaux, électronique, énergie, propulsion spatiale...

En novembre 2022, les partenaires de l’Agence Spatiale Européenne ont approuvé le lancement du projet Solaris qui consiste à étudier la faisabilité de centrales utilisant le rayonnement solaire en orbite terrestre (SBSP, Space-based Solar Power) pour alimenter la Terre en électricité. Pour mener à bien ce projet, l'ESA a choisi Tales Alenia Space (Thalès, France, 67 % et Leonardo, Italie, 33 %) qui veut s'entourer, dans le cadre d'un consortium, de sociétés européennes réputées pour leurs compétences dans les domaines aéronautiques, spatiaux et énergétiques, comme Dassault Aviation, Engie (France), Enel (Italie), et d’Air Liquide. Ce projet s'appuie sur un rapport commandé par l’Agence Spatiale Européenne (ESA), qui estime que le solaire spatial pourrait produire environ 800 TWH par an d'ici 2050, soit plus de 20 % de la consommation électrique de l'UE prévue à cette échéance. Le projet Solaris envisage les premiers tests sur orbite en 2030 et les premières centrales spatiales opérationnelles vers 2040 (Voir ESA).

En décembre dernier, une startup britannique, Space Solar, a conclu un accord révolutionnaire avec Reykjavik Energy. Ce projet ambitieux prévoit la mise en service d’un satellite démonstrateur de 30 MW d’ici 2030, pour fournir 30 mégawatts d'énergie solaire à la Terre (de quoi alimenter 3000 foyers). Le projet vise ensuite la construction de six centrales solaires spatiales d'ici 2036, fournissant, grâce à 1,7 km de panneaux solaires, un gigawatt d'électricité spatiale à un coût quatre fois inférieur à celui du nucléaire. Si ce projet aboutit, l’Islande pourrait devenir en 2030 le premier pays bénéficiant d'une énergie propre venu d de l'espace (Voir New Atlas).

L'avenir du solaire spatial n'est pas écrit. Il dépendra notamment des avancées qui seront réalisées dans deux domaines, la diminution du poids et l'amélioration du rendement des cellules solaires spatiales et la diminution des coûts de lancement, élément décisif quand on sait que ces futures stations solaires spatiales pèseront plusieurs milliers de tonnes. Le Caltech travaille déjà sur des cellules solaires organiques dix fois plus légères, pesant moins d'un kg par mètre carré. Quant au coût par tonne de matériel transporté, il devrait passer de 15000 à 10 000 euros le kg avec Ariane 6. Et l’Agence spatiale européenne, ArianeGroup et le CNES travaillent conjointement au développement d’un lanceur réutilisable, prévu pour 2030, qui devrait encore abaisser à 5.000 dollars le kilo lancé en orbite, soit moitié moins cher que celui d’Ariane 6. La conjonction de tous ces progrès, diminution par 4 du coût d'acheminement des matériaux, panneaux solaires plus légers et deux fois plus performants, amélioration de la précision et de l'efficacité de la transmission par micro-ondes de l'énergie, pourrait faire tomber à moins de 100 euros du MWh le coût de cette électricité spatiale d'ici 2040. Si l'on prend la peine de comparer ces estimations (certes à considérer avec prudence tant les facteurs d’incertitude demeurent nombreux) avec les dernières estimations de la Cour des Comptes du coût réel du nucléaire EPR (80 milliards d'euros pour les 6 futurs EPR qui devraient produire environ 80 TWh et un MWh nucléaire revenant à plus de 110 euros), on doit admettre qu'il est possible, en dépit des nombreux défis technologiques qui restent à surmonter, que le solaire spatial de grande capacité devienne à terme effectivement économiquement rentable, par rapport au nucléaire de nouvelle génération dont le coût est alourdi par la complexité technique et  les nouvelles contraintes drastiques de sûreté.

Bien sûr, le coût du MWh spatial restera toujours plus élevé que celui du solaire terrestre qui pourrait tomber à 10 euros le MWh en 2050, pour les très grandes installations (40 euros le MWh pour les parcs éoliens marins) mais cette technologie, déployée à grande échelle, présenterait l'avantage unique de pouvoir rapidement fournir, à n'importe quelle région du monde, une importante quantité d' énergie, qui pourrait alors être distribuée localement, en fonctions des besoins. Le solaire spatial pourrait donc devenir le chaînon manquant, en complément avec la fusion thermonucléaire contrôlée, l'hydrogène, l'éolien marin, le solaire terrestre et les nouvelles énergies marines (énergie osmotique, énergie houlomotrice et énergie des courants marins), qui apporterait une souplesse incomparable au nouveau paysage énergétique mondial décarboné qui dominera la seconde partie de ce siècle. Mais pour la Chine, devenir la première nation à maîtriser à grande échelle le solaire spatial, au-delà des défis énergétiques qu'elle doit relever, est d'abord un formidable enjeu de puissance qui confirmerait son hégémonie géopolitique mondiale. Et cela est d'autant plus vrai que, parallèlement, le Chine compte bien être aussi, son ambitieux programme spatial le montre, la première à installer une base lunaire permanente sur la Lune et elle se lancera très probablement dans la course avec les États-Unis, pour la conquête de Mars...

Il faut également bien comprendre, comme en son temps la conquête de la Lune dans les années 60, que le développement du solaire spatial va entraîner de nombreuses ruptures technologiques et d'innombrables retombées industrielles et économiques dans de multiples domaines. La maîtrise de cette technologie promet donc d'être un formidable facteur de compétitivité économique. Dans cette perspective, on ne peut que souhaiter que la France et l'Union européenne, s'inspirant des recommandations lucides du récent rapport Draghi sur la compétitivité européenne (Voir SGAE) prennent pleinement conscience de l'importance stratégique capitale pour notre continent de ne pas abandonner à la Chine et au États-Unis cette révolution du solaire spatial et se donnent les moyens de déployer sur le long terme un projet capable de doter l'Europe de ce nouvel atout énergétique spatial majeur, d'ici le milieu du siècle...

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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