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Edito : La Chine relance la compétition vers le solaire spatial
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Il y a maintenant bientôt un siècle, en 1925, le génial scientifique russe Konstantin Tsiolkovski, père de l’astronautique moderne, après avoir imaginé le concept d’ascenseur spatial dès 1895 et, en 1903, les voyages dans l’Espace à l’aide de fusées, proposait l’idée d’une centrale solaire spatiale, capable de capter en permanence une grande quantité d’énergie en provenance du soleil et de la renvoyer sur Terre, sous forme d’un faisceau d’ondes.
En 1968, Peter Glaser, un ingénieur d’origine tchèque, réfugié aux Etats-Unis, reprit l’idée de Tsiolkovski dans un article, devenu célèbre, de la revue Science. Il imagina de mettre sur orbite une centrale énergétique composée de vastes ensembles de panneaux solaires. Glaser voyait grand et sa structure de 50 000 tonnes, pour 50 km2, était conçue pour disposer d’une puissance de 5 GW, équivalente à quatre réacteurs nucléaires. L’électricité produite par ces panneaux spatiaux devait être renvoyée sur Terre par une antenne d’un km de diamètre, sous forme d’un faisceau de micro-ondes, puis, une fois réceptionnée au sol par une antenne de sept km de diamètre, cette énergie reçue sous forme d’ondes courtes devait être reconvertie en électricité, de manière à pouvoir alimenter les réseaux de distribution…
Dans les années 1970, les scientifiques de la NASA démontrèrent qu’il était techniquement possible de construire une telle centrale dans l’Espace pour produire de l’électricité et la transmettre par rayonnement, micro-onde ou laser, à une antenne réceptrice sur Terre. Mais il y a 50 ans, un tel projet n’était pas envisageable sur le plan économique. Un demi-siècle plus tard, les technologies du photovoltaïque et celles de transfert d’énergie sans fil ont fait des progrès si considérables que ce projet de centrale solaire spatiale est récemment ressortie des cartons et suscite un réel intérêt de par le Monde, surtout dans le contexte énergétique et climatique actuel.
Autre facteur décisif : l’industrie spatiale a réussi, grâce à l’arrivée de nouveaux acteurs privés, comme SpaceX, a abaisser de manière sensible les coûts de lancement et d’acheminement sur orbite liés à la réalisation d’une telle station spatiale productrice d’énergie solaire. Aujourd’hui, SpaceX a profondément bouleversé, en seulement quelques années, la donne spatiale et propose des tarifs allant de 4 700 à 12 600 dollars par kilogramme. Son principal concurrent, Arianespace, facture ses coûts de lancement entre 8 300 et 18 700 dollars par kilogramme en utilisant son lanceur Ariane 5. Mais l’entreprise européenne espère pouvoir réduire la facture à 10 000 dollars par kilogramme, grâce à son futur lanceur Ariane 6. A plus long terme, l'Agence spatiale européenne, ArianeGroup, et le CNES travaillent sur le projet « Ariane Next » de lanceur réutilisable à l'horizon 2030. Cette nouvelle fusée, grâce à ses moteurs réutilisables, permettrait de diviser encore par deux le prix du kilo en orbite par rapport à Ariane 6 : 5.000 dollars le kilo au lieu de 10.000.
Toutes ces ruptures récentes, ou en cours, ont relancé les recherches visant à développer le solaire spatial dans de nombreux pays, USA, Japon, Inde et Chine notamment. En 2009, l’Agence spatiale japonaise (JAXA) a lancé un ambitieux projet, s’appuyant sur la coopération de dix-sept entreprises, dont Mitsubishi Electric, Nec, Fujitsu et Sharp. Le projet nippon vise à produire de l’électricité en 2030, grâce à une centrale de 1.000 MW (soit l'équivalent d'un gros réacteur nucléaire), au tarif très économique de 6 centimes d'euro par kilowatt-heure, inférieur à celui du coût actuel moyen du kWh produit à partir de charbon. En 2015, la JAXA a franchi une nouvelle étape, en annonçant la réussite de ses premiers essais de modules solaires spatiaux en laboratoire.
La même année, l’Institut de Technologie de Californie (Caltech) a lancé « l’initiative pour l’énergie solaire spatiale », un grand projet de recherche financé par le groupe Northrop Grumman et conduit par les professeurs Harry Atwater, Ali Hajimiri, et Sergio Pellegrino. En 2018, le Caltech a annoncé la réalisation d’un premier prototype intégrant la collecte de l’énergie solaire et sa transmission sans fil. Le prototype actuel a la forme d’un module de base de 16,5 cm de long sur 10 cm de large et 1,2 cm d’épaisseur. Il intègre un ensemble de miroirs optiques pour concentrer les rayons du soleil, un panneau photovoltaïque pour convertir l’énergie solaire en électricité et des circuits intégrés qui transforment l’énergie électrique produite en énergie de fréquence radio. Les derniers modules mis au point pour ce projet sont d’une légèreté remarquable, (0,8 kg/m2)) et ils ont été conçus pour être mis à plat, ce qui réduit leur volume et permet d’abaisser encore les coûts de lancement. L’idée des chercheurs est de déployer dans l’Espace 2500 de ces modules ultra légers pour former une surface utile de 9 kilomètres carrés, qui pourra capter l’énergie du soleil en permanence, puis la renvoyer sur Terre, sous forme d’ondes radio où elles seront reconverties en énergie électrique.
L’énergie solaire spatiale pouvant être diffusée vers n’importe quel endroit sur terre, les scientifiques du Caltech pensent qu’il sera possible d’alimenter directement d’innombrables stations au sol qui redistribueront l’énergie aux réseaux électriques locaux. Selon ces chercheurs, on peut tout à fait imaginer de placer des antennes réceptrices sur les toits des entreprises ou des particuliers pour capter les ondes envoyées par la centrale spatiale et les convertir en électricité pour les usages industriels ou domestiques. Il est même possible d’intégrer cette réception d’énergie sous forme de faisceaux d’ondes dans des installations existantes, comme les panneaux solaires terrestres qui deviendraient ainsi opérationnels en permanence.
Mais pourquoi vouloir capter l’énergie solaire dans l’Espace, alors qu’on peut l’exploiter, avec un rendement qui a triplé en 40 ans, directement sur Terre. Pour une raison simple, qu’il faut rappeler ici : dans l'Espace, l'énergie solaire est omniprésente. Le rayonnement solaire n’est atténué, ni par l’atmosphère, ni par les nuages. Par rapport à la surface de la Terre, ce rayonnement par unité de surface est quatre fois supérieur dans l'Espace. Mais il y a plus : à condition que la station se trouve suffisamment loin de la Terre, elle peut ne jamais passer dans l'ombre de notre planète et rester constamment en lien direct avec le Soleil. C'est ce qui se passerait avec une centrale qui serait placée en orbite géostationnaire stable, au-dessus de l’Equateur, à 35.780 kilomètres au-dessus de la surface terrestre. Une telle installation pourrait récupérer, au total, huit fois plus d’énergie, à surface comparable, qu’une centrale au sol.
Mais après les Etats-Unis et le Japon, la Chine a récemment annoncé qu’elle avait, elle aussi, la ferme intention de réaliser, d’ici le milieu de ce siècle, ses premières centrales solaires spatiales. C’est la revue chinoise Science and Technology Daily China, directement rattachée au ministère chinois des Sciences et Technologies, qui a révélé ce projet aussi ambitieux que novateur. La centrale solaire en orbite qu'imaginent les scientifiques chinois reprend le concept d'origine mais en combinant toutes les ruptures technologiques récentes, notamment en ce qui concerne la question-clé de l'acheminement vers la Terre de l'électricité produite, sous forme de faisceaux d'énergie dirigée. Pour cela, l’énergie doit être convertie en micro-ondes ou bien en un faisceau laser. Ces deux solutions techniques restent pour l’instant en compétition et présentent chacune des avantages et inconvénients qui restent à évaluer précisément. C’est ce que vont faire les scientifiques chinois, dans leur futur centre expérimental, en construction à Chongqing dans le sud-ouest du pays. Les autorités chinoises précisent qu’un essai devrait avoir lieu entre 2021 et 2025 dans la stratosphère avant qu’une installation solaire d’un mégawatt ne soit assemblée dans l’Espace d’ici 2030.
Pour mettre en orbite une centrale solaire spatiale d’une capacité d’un mégawatt, les ingénieurs chinois vont devoir relever des défis immenses, qui supposent de véritables ruptures technologiques. Une telle installation suppose en effet l’assemblage de plus de 5 km2 de panneaux solaires, ce qui représente une structure de plus de 1 000 tonnes, soit deux fois et demi l’imposante station spatiale internationale (420 tonnes), qui a nécessité 13 ans d’effort et 115 milliards de dollars pour sa réalisation. C’est pourquoi il est envisagé de recourir à la technologie de l’impression 3D ainsi qu’à un système robotisé afin de construire directement dans l’Espace, et de manière progressive, les différentes parties de la centrale.
Pour mieux comprendre ce pari chinois, très audacieux, en faveur du solaire spatial, il faut rappeler les immenses défis énergétiques auxquels est confronté ce géant économique et démographique, qui consomme un quart de l’énergie mondiale, produit 28 % de l’électricité planétaire… et émet 30 % du CO2 d’origine humaine. Selon une étude de l’ONG Global Energy Monitor (GEM), publiée fin 2019, la Chine, pour accompagner son développement économique soutenu, a de nouveau été obligée d’accroître depuis 2018 le nombre de ses centrales électriques fonctionnant au charbon. Elle peut désormais produire 1027 gigawatts au moyen de cette matière fossile, ce qui représente une hausse de 4 % en un an de sa consommation de charbon.
Pour la Chine, qui reste à la fois le 1er producteur mondial de charbon (46 % de la production mondiale), le 1er consommateur (50,5 % du total mondial), ce retour à la hausse de la consommation de charbon est intenable sur le long terme, à la fois pour des raisons économiques, sanitaires et environnementales. La Chine avait d’ailleurs réussi à stabiliser en 2013 sa consommation de charbon, puis à la diminuer légèrement jusqu’en 2017. Mais à partir de 2017, sa consommation de charbon est repartie à la hausse, en raison d’une progression plus forte que prévue de la demande d’électricité, tant de la part de l’industrie que des ménages.
En 2019, la Chine a consommé 4,6 milliards de tonnes de charbon, soit une croissance de 3,3 % sur un an, le niveau le plus élevé depuis cinq ans, précise le département chinois de l’énergie. La consommation d'énergie propre, y compris le gaz naturel, l'hydroélectricité, le nucléaire et l'éolien, a représenté, pour sa part, 22 % de la consommation d'énergie l'an dernier, en hausse de 1,3 % par rapport à 2017. Quant à la consommation totale d'électricité, elle a progressé de 6 % en 2019, ce qui ne fait qu’augmenter encore les besoins en charbon qui assurent encore les deux-tiers de la production électrique, malgré un développement massif des énergies renouvelables. On mesure encore mieux le poids du charbon dans l’économie chinoise en rappelant que sa consommation est passée de 440 millions de tonnes par an, en 1990, à sans doute plus de 4 milliards de tonnes par an cette année, soit une multiplication par presque dix en seulement 20 ans…
Obsédée par son indépendance énergétique, la Chine a certes l’intention de diversifier de manière considérable son mix énergétique. Elle veut notamment atteindre 10 % d’électricité nucléaire en 2035, ce qui implique la construction d’une centaine de réacteurs en 15 ans, et se fixe l’objectif d’au moins 50 % d’énergies renouvelables en 2040 dans sa production d’électricité. Mais, quels que soient les efforts déployés par la Chine pour décarboner à marche forcée sa production d’énergie, de nombreux experts prévoient que le charbon représentera encore 40 % de l’énorme production d’électricité prévue en Chine, à l’horizon 2040 (8 100 TWh par an, soit 22 % de la production mondiale d’électricité prévue à cette échéance).
L’option du solaire spatial répond donc pour la Chine a sa volonté très forte de réduire sa dépendance et ses importations d’énergie. Mais elle répond également à sa volonté, qui est dans son intérêt bien compris, de respecter ses engagements climatiques (passant notamment par une stabilisation, puis une baisse de ses émissions de CO2 d’ici 2030) en explorant de nouvelles solutions de production d’énergie, comme les nodules métalliques sous-marins, l’éolien marin, ou encore l’exploitation de l’hydrogène naturel.
Mais la Chine souhaite également réduire plus rapidement ses émissions de CO2 et sa pollution atmosphérique liée à l’énergie pour des raisons sanitaires. Une étude publiée par le « British Medical Journal » en 2017 et dirigée par Zhou Maigeng, du Centre de contrôle des maladies de Pékin, a en effet montré que les conséquences désastreuses pour la santé de la pollution de l’air en Chine avaient été largement sous-estimées. Selon ces recherches, si la Chine réduisait sa pollution atmosphérique au niveau recommandé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), elle pourrait éviter, non pas un million, mais au moins 3 millions de décès prématurés.
Pour parvenir à ces conclusions, les chercheurs ont étudié pendant trois ans - de 2010 à 2013 - une quarantaine de grandes villes du pays. Résultat : la concentration quotidienne de particules fines PM10 (émises par le chauffage, les transports et l’agriculture) atteignait en moyenne 92,9 µg/m3 dans les villes visées par l’étude, alors que l’OMS recommande de ne pas dépasser la limite de 20µg/m3 en moyenne annuelle. L’étude montre également qu’une hausse de la concentration en PM10 de seulement 10µg/m3 se traduit par une augmentation journalière des décès de l’ordre de 0,5 %.
Le coût humain économique et social de cette pollution de l’air, longtemps minimisé par le régime de Pékin, risque donc de devenir insupportable pour la société chinoise, et pourrait à terme menacer la stabilité même du régime politique chinois qui doit donc résoudre une redoutable équation : assurer le développement économique global et l’amélioration du niveau de vie de ses habitants, tout en maîtrisant sa consommation d’énergie et en décarbonant plus rapidement son mix énergétique.
Cette volonté chinoise de maîtriser la production d’énergie solaire spatiale, et son acheminement vers la Terre, répond également à un objectif géostratégique majeur d’affirmation de puissance. En effet, si la Chine parvient, d’ici 20 ou 30 ans, à construire de grandes centrales solaires spatiales opérationnelles, elle fera d’une pierre trois coups : elle réduira sensiblement sa dépendance énergétique sans impacter le climat mondial, elle se positionnera comme fournisseur mondial incontournable d’énergie propre, à la demande et en n’importe quel point du globe, et enfin elle profitera de son savoir-faire technologique pour le décliner dans le domaine militaire, sans doute en plaçant sur orbite des bases plus petites, armées de redoutables systèmes d’armes à faisceau d’énergie dirigée, capables de repérer et de détruire presque instantanément les missiles les plus rapides, mais également les systèmes de communications électroniques, voire les blindés les mieux protégés…
Bien sûr, la réussite d’une telle entreprise est loin d’être assurée, tant les défis scientifiques, techniques et industriels à surmonter restent immenses. Mais la Chine a pour elle ses compétences humaines et technologiques, ainsi qu’une volonté politique sans faille qui s’inscrit dans la durée. Il faut souhaiter que notre vieux continent prenne vite conscience de l’importance majeure que représente le solaire spatial et sache surmonter ses divisions et ses hésitations, pour bâtir, lui aussi, un projet ambitieux dans le temps long, qui vise à faire de la production d’énergie solaire spatiale une réalité dans le paysage énergétique mondial de la seconde moitié de ce siècle.
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
e-mail : tregouet@gmail.com
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