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Edito : Ces virus qui provoquent le cancer...et qui le soignent...

Il y a quelques années, au cours d'un débat télévisé, un scientifique avait demandé aux participants quels étaient, selon eux, les principaux facteurs responsables du cancer. De manière prévisible, le public avait spontanément évoqué, pêle-mêle, la génétique, le tabac, l'alcool, la mauvaise alimentation, la pollution ou encore l'exposition aux produits chimiques. Sans nier l'implication de tous ces facteurs dans les risques de cancer, ce scientifique avait alors surpris le public en rappelant une vérité scientifique pourtant bien établie : personne n'avait évoqué les virus comme cause de cancer, alors qu'ils sont responsables d'un cancer sur six au niveau mondial, soit trois millions de cancers sur les vingt millions diagnostiqués dans le monde en 2022. Encore faut-il préciser qu'il s'agit d'une moyenne mondiale et que, dans nombre de pays en développement, les virus sont responsables de plus d'un quart des cancers.

Bien que certains médecins aient émis l'hypothèse, dès le milieu du XIXème, l'hypothèse que certains cancers puissent être provoqués ou favorisés par des virus, il faudra attendre 1965 pour avoir la preuve du rôle oncogène des virus d'Epstein-Barr et de l'Hépatite dans le déclenchement de certains cancers et 1973 pour qu’un virologue allemand, Harald zur Hausen, identifie le virus responsable du cancer du col de l’utérus : le papillomavirus, ou HPV. Depuis, les scientifiques ont identifié plusieurs autres virus oncogènes avérés, en particulier le HTLV, le KSHV et le Polyomavirus. Mais heureusement, bien que certains virus puissent provoquer directement un cancer, il faut le plus souvent que d'autres facteurs s’ajoutent à cette infection, causes génétiques, environnementales, alimentaires notamment. Par exemple, s'agissant du rétrovirus HTLV-1 (présent principalement en Amérique du Sud, dans les Caraïbes, en Afrique centrale et au Japon), l'infection, à l’origine du développement d’une grave leucémie, a lieu principalement lors de l'allaitement prolongé d’un enfant par sa mère infectée. Pourtant, seuls 5 % des personnes infectées pendant leur enfance développeront plus tard ce cancer du sang.

S'agissant des virus de l'hépatite (cinq familles ont été identifiées à ce jour, A, B, C, D et E), l'OMS estime qu'ils infectent plus de 350 millions de personnes dans le monde, soit 4 % de la population mondiale et qu'ils multiplient par cent les risques de cancer du foie. Ce cancer touche déjà un million de personnes par an dans le monde et il est devenu le troisième cancer le plus meurtrier. Dans un tel contexte, on mesure mieux la nécessité d'une vaccination à grande échelle, surtout dans les pays en développement, contre les virus de l'hépatite B et E (il n'existe pas encore de vaccins contre les autres virus de l'hépatite).

S'agissant du papillomavirus, on estime que 620 000 nouveaux cas de cancer chez les femmes et 70 000 nouveaux cas de cancer chez les hommes ont été causés par le HPV dans le monde en 2020 et ce cancer du col de l’utérus est devenu la quatrième cause de cancer et de décès par cancer chez les femmes en 2022, avec environ 350 000 décès dans le monde. En France, les médecins de Gustave Roussy estiment que 30 000 lésions précancéreuses et 8 000 cancers provoqués par les infections à l’HPV en France pourraient être évités chaque année, si le taux de couverture vaccinale de la population ciblée dépassait 80 %. Or, actuellement seulement 40 % des filles et 6 % des garçons sont vaccinés en France, contrairement à nos principaux voisins européens, où la couverture vaccinale dépasse les 50 %.

En France, la vaccination anti-HPV est recommandée chez les filles de 11 à 14 ans depuis 2007, et chez les garçons du même âge depuis 2021. Une vaccination généralisée et gratuite des collégiens de 5eme a par ailleurs été mise en place depuis octobre 2023 dans les collèges, pour les élèves de 5eme, avec un objectif de couverture vaccinale de 80 % à terme. Mais compte tenu de la couverture vaccinale qui reste encore insuffisante en France (48 % pour les filles et 13% pour les garçons), l'Académie de Médecine a proposé de manière pertinente il y a quelques semaines de vacciner non seulement les adolescents, mais aussi les jeunes adultes des deux sexes jusqu'à 26 ans. Confirmant l'importance d'étendre la vaccination contre le HPV, une vaste étude internationale, publiée il y a quelques jours, a montré que, chez les hommes, le risque de développer un cancer causé par le virus du papillome humain (VPH ou papillomavirus, qui se transmet notamment par voie sexuelle) a radicalement diminué grâce à la vaccination. Selon ce travail, le vaccin réduit le risque de cancer lié au VPH de 56 % chez les hommes et de 36 % chez les femmes (Voir STAT).

En 2022, des chercheurs du CHU de Besançon et à l’Université de Franche-Comté, dirigés par le Prfesseur Herbein ont découvert un lien de causalité direct entre le CMV et le cancer du sein. En isolant deux nouvelles souches directement à partir de tissu provenant de cancers du sein triple négatif, l’équipe du Professeur Herbein a révélé que le CMV pouvait être un facteur déclenchant de ce cancer particulier du sein, difficile à traiter. Il faut par ailleurs souligner que des traitements anti-CMV ont été utilisés en Suède pour ralentir le glioblastome, un cancer du cerveau très agressif, pour lequel le CMV a été incriminé. Ces traitements anti-CMV vont donc également être expérimentés dans les cancers du sein triple négatif.

Il y a quelques semaines, une équipe de virologues de la Cleveland Clinic a décrypté comment certains virus provoquent le cancer. Ces travaux, qui se sont focalisés sur l'herpès, un virus associé au sarcome de Kaposi, ont mis en lumière une voie spécifique qui, par le biais de deux enzymes humaines appelées CDK6 et CAD, provoque l'infection virale et la croissance cellulaire incontrôlée, à l’origine de la formation de tumeurs et ouvre une nouvelle voie thérapeutique prometteuse. « Comprendre comment ces agents pathogènes transforment une cellule saine en cellule cancéreuse révèle des vulnérabilités exploitables qui peuvent être ciblées par des médicaments existants », souligne le Docteur Jun Zhao, qui a dirigé ces recherches. La découverte de ce mécanisme clé utilisé par le virus KSHV, associé au sarcome de Kaposi pour induire le cancer, devrait donc, à terme, avoir des conséquences en matière de nouveaux traitements. Ces perspectives cliniques sont très importantes car les cancers induits par le KSHV sont difficiles à traiter et on estime que 10 % des populations d’Amérique du Nord et d’Europe du Nord sont porteuses du KSHV.

Le mois dernier, une autre étude réalisée sur le virus d'Epstein-Barr (EBV), par des chercheurs de l’Université de Bâle, a montré que le virus manipule des cellules infectées du système immunitaire, les lymphocytes B, de manière à ce qu’elles produisent en plus grande quantité une enzyme appelée IDO1, ce qui favorise un cancer du sang déclenché par l’EBV, appelé lymphome post-transplantation. En utilisant un médicament déjà existant mais repositionné, ces chercheurs ont montré chez la souris qu'il était possible de bloquer cet enzyme, de réduire la transformation des lymphocytes B et d'empêcher le développement du lymphome (Voir University of Basel).

Mais, de manière tout à fait surprenante, si les virus sont maintenant reconnus comme facteurs importants dans l’apparition de certains cancers, ils peuvent également devenir des armes redoutables pour traiter les cancers les plus graves qui ne répondent pas aux traitements classiques. Et, de fait ces nouvelles thérapies à base de virus génétiquement modifiés sont en train de connaître un formidable essor depuis quelques années. C'est en 2015 que les virus oncolytiques ont vraiment pris leur essor, avec l'arrivée de V-Tech, mis au point par Amgen, qui a permis de prévenir les récidives de mélanomes pendant plusieurs années chez certains patients. En 2022, un essai clinique britannique sur 40 patients a montré des résultats prometteurs pour un traitement associant un virus oncolytique appelée RP2, et l'anticorps nivolumab. Le Professeur Kevin Harrington, qui a dirigé ces recherches, souligne que « les réponses au traitement sont "vraiment impressionnantes pour toute une série de cancers avancés, notamment des cancers de l'œsophage, des glandes salivaires et de l’œil, difficiles à traiter » (Voir NIHR). De manière remarquable, six des sept patients étaient toujours en rémission plus d'un an après l’arrêt du traitement.

Fin 2023, des chercheurs du Brigham and Women's Hospital de Boston se sont aperçus que le virus responsable des boutons de fièvre et de l’herpès génital pourrait être utilisé pour lutter contre l’une des formes les plus mortelles de cancer du cerveau. Ce virus, appelé CAN-3110, peut déclencher une réponse immunitaire forte contre les cellules cancéreuses du cerveau. Ce traitement a été administré à 41 malades, dont les deux tiers avaient déjà des anticorps contre le virus de l’herpès provenant d’infections antérieures. Résultat : les chercheurs ont observé un doublement du taux de survie sans progression de la maladie (Voir Daily Mail).

L'Institut Gustave Roussy va également lancer un essai visant à évaluer l'efficacité du virus modifié RP-1 sur certains cancers de l'utérus métastasé. Cet essai sera conduit par la Docteure Judith Michels sur 38 femmes souffrant d’un cancer du col de l’utérus métastasé, qui n’ont plus d’autres options. Le mécanisme d'action de ce virus est original et différent de celui de tous les autres traitements anti cancéreux : il va d'abord pénétrer dans les cellules cancéreuses et les obliger à produire un antigène, qui permet au système immunitaire de les repérer de manière ciblée. Grâce à cette signalisation, les globules blancs vont alors se mettre à produire des anticorps contre ces cellules cancéreuses. Au Québec, l'équipe de Marie-Claude Bourgeois-Daigneault (Centre hospitalier de l’Université de Montréal) est parvenue à créer un vaccin personnalisé efficace en combinant des virus oncolytiques avec de petites molécules synthétiques (peptides) spécifiques au cancer visé (Voir Nature). Bien que ce vaccin doive être personnalisé pour chaque patient, en fonction des mutations propres à chaque cellule cancéreuse, cette approche ne nécessite aucune modification génétique des virus et la combinaison des peptides synthétiques et des virus oncolytiques permet potentiellement de cibler tous les cancers.

Il y a un an, une autre équipe du Moffitt Cancer Center (Tampa, Floride) a testé un virus oncolytique associé à la chimiothérapie, qui a donné des résultats très encourageants dans le cancer du sein triple négatif, avec 89 % des patientes sans récidive deux ans après le traitement. Le virus oncolytique utilisé est le talimogene laherparepvec (T-VEC), de la famille des virus de l'herpès (Voir Nature). En janvier dernier, des chercheurs américains de l’Hôpital pour Enfants Nemours d'Orlando (Floride) ont annoncé qu'ils étaient parvenus à détruire rapidement chez la souris des neuroblastomes, graves cancers du système nerveux de l'enfant, grâce à l'utilisation du virus Zika modifié (Voir AACR).

Aux Etats-Unis, des chercheurs de City of Hope vont débuter sur une centaine de malades un essai de deux ans visant à évaluer l'efficacité d'un virus oncolytique appelé Vaxinia (CF33-hNIS) sur plusieurs types de cancers métastatiques. Les essais chez l'animal ont déjà montré qu’il réduit les tumeurs du sein, des poumons, du côlon et du pancréas. CF33-hNIS est constitué du virus de la variole génétiquement modifié. Ce virus ne pénètre que dans les cellules malignes et s’y duplique. La cellule infectée finit par éclater et disperse alors des particules de virus qui stimulent le système immunitaire pour attaquer les cellules cancéreuses voisines.

Je signale également que depuis un an, Transgene, société de biotechnologie qui conçoit et développe des immunothérapies virales pour le traitement du cancer, a commencé le traitement du premier patient dans l’essai Delivir, un essai clinique de Phase I sur 34 patients, évaluant TG6050. Ce virus oncolytique est administré par voie intraveineuse chez des patients atteints de cancer du poumon non à petites cellules au stade avancé. Ce traitement par virus oncolytique vise, là aussi, à surmonter la résistance tumorale en provoquant une réponse antitumorale combinant plusieurs voies d'action, dont l’oncolyse (destruction directe des cellules cancéreuses), l’induction d’une réponse immunitaire et la production d'anticorps ciblés anti-CTLA4 dans la tumeur.

Evoquons enfin les recherches passionnantes de la biologiste Armelle Guingand, chercheuse à l'Institut de biologie moléculaire et cellulaire (IBMC) à Strasbourg, qui a remporté le 1er prix Kerner de l'ARC, fin 2023. Cette scientifique explore l'immense potentiel des virus végétaux contre le cancer et travaille sur le virus de la vigne, plus connu pour détruire des vignobles entiers que pour combattre le cancer. Mais pourquoi s’intéresser spécialement à ce virus ? Parce qu'il possède une structure unique : Il a l’aspect d’un solide à 20 faces de 30 nanomètres, soit 30 000 fois plus petit qu’un millimètre. Cette scientifique a eu l’idée de transformer cet étrange virus en arme thérapeutique, en changent sa composition sans changer sa forme. Elle fabrique ainsi des nanoparticules solides qui sont capables d'activer le système immunitaire. Pour parvenir à ce résultat, elle vide le virus de son matériel génétique et y incorpore à la place des antigènes tumoraux, des fragments de tumeurs qui vont susciter une réponse immunitaire. Le virus achemine ensuite ces antigènes vers les cellules dendritiques, ce qui a pour effet de mobiliser de manière forte et ciblée le système immunitaire. Ce virus s’est révélé très simple à modifier et à transformer en redoutable machine à détruire les cellules malignes. Il est en outre facile de l'adapter, en sélectionnant les bons antigènes tumoraux, afin qu'il puisse combattre une grande variété de cancers. Après des essais concluants chez la souris, ce virus de la vigne modifié va être expérimenté sur l'homme pour mieux évaluer son potentiel thérapeutique contre les cancers les plus graves.

On le voit, le fait de mieux connaître les mécanismes fondamentaux d'action des virus permet non seulement de mieux les combattre par de nouveaux médicaments et de les prévenir par de nouveaux vaccins, mais autorise également la mise au point de nouvelles thérapies anti-cancéreuses, à base de virus génétiquement modifiés, très efficaces et très ciblées, qui s'avèrent extrêmement complémentaires des immunothérapies classiques. Demain, la médecine devrait disposer de toute une panoplie de virus modifiés, d'origine animale, humaine mais aussi végétale, qui seront autant d'armes de haute précision contre les cancers les plus difficiles à traiter et sans doute aussi contre bien d'autres pathologies graves, infections bactériennes résistantes ou maladies neurodégénératives, qui tiennent encore la médecine en échec et constituent des enjeux mondiaux de santé publique.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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