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Edito : Le cerveau : un monde encore inconnu !
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RT FLASH se met en mode "pause" : La période des fêtes arrive. Comme chaque année, RT Flash va interrompre ses publications pendant quelques jours pour permettre à notre toute petite équipe de prendre un peu de repos. Notre prochaine Lettre sera mise en ligne le Vendredi 5 Janvier.
En attendant, permettez moi de vous présenter, à vous tous chers lecteurs de RT Flash, nos meilleurs vœux pour l'année 2018.
Bien Cordialement
René TRÉGOUËT
EDITO
Depuis une vingtaine d’années, les avancées dans la connaissance de notre cerveau ont été spectaculaires et sans précédent et l’on peut dire sans exagérer que nous avons plus progressé en deux décennies qu’en deux siècles dans la compréhension de cet « organe-univers » d’une incroyable complexité qu’est le cerveau humain.
Sans prétendre évidemment faire la liste exhaustive de toutes les découvertes intervenues dans les domaines de la neurobiologie et des sciences cognitives depuis la fin du siècle dernier, j’ai voulu cette semaine en rappeler quelque unes qui me semblent particulièrement marquantes, tant elles sont venues enrichir et parfois remettre en cause les principales théories scientifiques concernant le fonctionnement du cerveau.
Très longtemps, les scientifiques ont pensé que les neurones constituaient les unités fondamentales à étudier pour comprendre le cerveau. A contrario, les structures d’interconnexion dites neuronales (axones et dendrites) et les autres types de cellules cérébrales, comme les cellules gliales, ont été longtemps considérées comme secondaires et vues comme des éléments qui ne jouaient qu'un rôle subsidiaire
Prenons l’exemple des dendrites qui constituent 90 % du tissu de neurones de notre cerveau et forment les prolongements filamenteux du neurone servant à recevoir et conduire l'influx nerveux. Très longtemps, ces structures cérébrales ont été considérées comme des éléments passifs de l'activité électrique. Pourtant, des chercheurs de l'UCLA (Université de Californie à Los Angeles) viennent de démontrer qu'elles génèrent en réalité dix fois plus d'impulsions que le soma, corps principal des neurones dont elles sont le prolongement (Voir UCLA Newsroom).
« Nous avons comparé l'activité dendritique avec l'activité principale des neurones de rats de laboratoire en plein déplacement. Et elle semble en effet 10 fois supérieure, bien plus que ce qui est couramment admis », explique Pascal Ravassard, chercheur à l'Institut de Neurosciences Cognitives et Intégratives d'Aquitaine. Pour parvenir à ces conclusions, les chercheurs ont mesuré les impulsions électriques à l'aide d'une électrode qu'ils ont pu fixer avec une précision de l’ordre de quelques micromètres seulement, réalisant au passage un véritable exploit technique.
Cette découverte modifie profondément la compréhension du fonctionnement des neurones et de la façon dont ils traitent l'information. Elle montre également que les neurones n’ont pas l’exclusivité du processus d’apprentissage et que chaque dendrite joue individuellement un rôle très important dans ce domaine. Cette découverte pourrait ainsi aider à guérir certains troubles neurologiques et ouvre même des perspectives de recherche en dehors de la biologie, en laissant entrevoir de nouvelles architectures pour les ordinateurs à réseau de neurones artificiels, capables d’auto-apprentissage.
Autre avancée tout à fait majeure, celle concernant le rôle jusqu’alors insoupçonné des cellules gliales. Ces cellules sont au nombre d’au moins 150 milliards dans notre cerveau et sont donc plus nombreuses que les neurones (environ 100 milliards). Elles sont de trois types : la microglie, cellules immunitaires qui assurent la défense du cerveau, les oligodendrocytes qui enrobent les fibres émettrices du neurone, pour accélérer la transmission électrique, et enfin les astrocytes, qui assistent les neurones pour leur permettre d’accomplir correctement leurs différentes fonctions.
Contrairement aux neurones, les astrocytes n’ont pas d’activité électrique. Mais, comme le souligne le neurobiologiste Yves Agid, "si on regarde l’évolution, plus on en a, plus on est intelligent" ! Ces cellules, véritables « ouvriers » du cerveau, protègent le neurone, lui fournissent son énergie et assurent son nettoyage. Mais de récentes recherches ont également montré que ces astrocytes ont un rôle important dans les processus de mémorisation et peuvent même influer sur nos comportements.
Une étude récente menée par des chercheurs de l’Université de Washington à St Louis a en outre fortement étayé l’hypothèse selon laquelle les astrocytes joueraient finalement un rôle majeur en régulant notre rythme circadien dans une région du cerveau proche de l’hypothalamus composée d’environ 20 000 neurones et d’environ 6 000 cellules.
Une des autres avancées fondamentales à évoquer en matière de connaissance du cerveau concerne la prodigieuse capacité du cerveau à se régénérer et à produire tout au long de la vie de nouveaux neurones, contrairement à ce que les scientifiques ont longtemps pensé. Dès la fin du XIXe siècle, le grand neurobiologiste Ramon y Cajal, spécialiste du système nerveux, prix Nobel de médecine en 1906, avait émis l’hypothèse que les activités mentales pouvaient modifier l’organisation cérébrale en favorisant, dans les régions du cerveau les plus sollicitées, le développement de nouveaux neurones et de nouvelles interconnexions neuronales.
Il faudra cependant attendre 1965 pour que les chercheurs Joseph Altman et Gopal Das parviennent à mettre en évidence la production de nouveaux neurones dans l’hippocampe, et plus précisément dans une petite région cérébrale nommée gyrus denté. En 1998, ce fut un coup de tonnerre dans le monde de la neurobiologie lorsque l’équipe du suédois Peter Eriksson et de l’américain Fred H. Gage démontra que de nouveaux neurones étaient effectivement produits, à partir de cellules souches dans le gyrus dentelé de cerveaux humains adultes.
En 1999, l’équipe d’Elisabeth Gould montra, chez l'animal, que l’importance de la neurogenèse était proportionnelle au degré de stimulation cognitive que l’environnement produit. Toujours en 1999, Elizabeth Gould publia dans la célèbre revue Science un article affirmant que de nouveaux neurones étaient produits, chez le singe dans trois régions associatives du néocortex (le cortex préfrontal, temporal inférieur et pariétal postérieur), fortement impliquées dans des fonctions cognitives supérieures.
En 2000, Peter Eriksson et Fred Gage publièrent une étude où ils démontrent que de nouveaux neurones sont générés dans le gyrus dentelé de personnes ayant jusqu’à 72 ans. Enfin, l’année dernière, des chercheurs de l'Université belge de Louvain, menés par Peter Carmélite, ont découvert que les méninges, couches de tissu protectrices qui enveloppent le cerveau, hébergeaient une véritable « pouponnière de neurones ». Cette découverte confirme que les neurones se régénèrent tout au long de la vie, grâce à des cellules spécifiques, dites "progéniteurs neuronaux", capables de se multiplier à loisir et de se différencier en neurones (Voir Cell Stem Cell).
Aujourd’hui, on sait qu’il se forme environ 1.400 nouveaux neurones par jour dans notre cerveau. C’est ce que les scientifiques appellent la neurogénèse. Ces nouveaux neurones sont créés à partir de cellules souches neurales présentes dans notre cerveau et capables de se multiplier puis de se différencier en neurones.
Mais la découverte, en 2016, par cette équipe belge est passionnante dans la mesure où elle montre que ces cellules souches semblent être présentes dans plusieurs aires cérébrales et semblent également être capables de fabriquer de nouveaux neurones dans une autre région du cerveau que l’hippocampe. Il serait donc en théorie possible, en apprenant à contrôler et à stimuler ces cellules souches, de produire des neurones fonctionnels dans certaines régions du cerveau endommagées à la suite d’une maladie, comme Alzheimer ou Parkinson ou d’un accident vasculaire cérébral. Mais la grande surprise révélée par cette étude belge est que cette nouvelle pouponnière de progéniteurs neuronaux ne se trouve pas dans l’hippocampe mais dans les méninges, la structure de protection qui entoure le cerveau.
Une autre avancée majeure a été la découverte des neurones miroirs en 1996 par l’équipe de Giacomo Rizzolatti (Faculté de médecine de Parme). Ces chercheurs sont parvenus à montrer chez le singe, en utilisant différentes techniques d’imagerie cérébrale, que certaines régions particulières du cortex cérébral s’activaient quand l’animal accomplissait une action précise ou observait une action similaire sans l’effectuer. En 2010, ces mêmes neurones miroirs ont été détectés chez l’homme, dans plusieurs régions du cerveau, dont l’aire motrice secondaire et l’hippocampe. Comme chez le singe, ces scientifiques ont observé que les neurones miroirs s’activaient lorsque le sujet effectuait un mouvement ou observait le même mouvement réalisé par quelqu’un d’autre.
Bien que leur rôle reste controversé, il semblerait que ces neurones miroirs jouent également un grand rôle dans notre capacité d’empathie à l’égard d’autrui, une attitude particulièrement développée chez l’homme, grâce à laquelle il parvient à imaginer ce que ressentent ses semblables mais également à intérioriser son environnement et à en reconstruire une représentation cohérente.
Cette capacité de notre cerveau à créer des liens avec autrui, à intégrer le monde et à s’adapter à son environnement, vient encore d’être confirmée il y a quelques jours par une découverte américaine fascinante qui a été très commentée par la communauté scientifique (Voir Science). Une équipe de l'Université Columbia, à New York a en effet montré que, dans l'hypothalamus, région qui commande la production d'hormones, les neurones « à pro-opiomélanocortine » (neurones POMC) se connectent à la paroi du ventricule, où ils libèrent des endorphines.
Ce processus permet la production d’une catégorie spécifique de cellules souches qui se différencient ensuite en neurones du bulbe olfactif. Or les neurones POMC sont activés au cours des repas et mises en sommeil en cas de jeûne. On voit donc que la restriction alimentaire agit sur le cerveau en réduisant la production d'un groupe spécifique de neurones dans le bulbe olfactif. Selon ces scientifiques, cette découverte montre que cette régulation neuronale est un mécanisme qui permet à notre cerveau de s’adapter avec une grande efficacité aux modifications de notre environnement.
Il faut également évoquer, dans ce trop rapide panorama, la découverte majeure réalisée en mai dernier par des chercheurs de l'Institut de neurosciences des systèmes (Aix-Marseille Université/Inserm), du Laboratoire de psychologie sociale et cognitive (Université Clermont Auvergne/CNRS) et de l'Institut de neurosciences de la Timone (Aix-Marseille Université/CNRS). Ces scientifiques ont en effet démontré l’existence, chez le singe, de nouveaux neurones sociaux. Ces recherches ont montré que lorsque l'animal est amené à réaliser une tâche, des neurones différents s'activent selon la présence ou non d'un congénère.
Ces chercheurs du CNRS ont proposé à des singes d’associer une image affichée sur un écran à l'une des quatre cibles qui leur étaient également présentées sur ce même écran. Bien que cette tâche associative n’implique pas les aires cérébrales dites sociales, les chercheurs ont alors enregistré l'activité électrique de neurones dans cette région. Cette expérience a montré de manière très claire que ces singes, lorsqu'ils effectuent leurs tâches, se montrent sensibles à la présence ou l'absence d'un congénère. Constatation encore plus étonnante, plus les neurones sociaux s'activent en présence du congénère, plus le singe réussit la tâche proposée.
Toutes ces récentes recherches convergent pour montrer que notre activité neuronale est intimement liée au contexte affectif et social dans laquelle elle s’effectue et que, pour une même tâche, le cerveau choisira d’utiliser tels ou tels réseaux neuronaux en fonction de la présence ou non d'une autre personne et des liens que nous avons avec celle-ci. En outre, ces neurones sociaux, contrairement à l’hypothèse qui avait prévalu jusqu’à présent, semblent être présents dans l’ensemble du cerveau et également intervenir dans la façon dont nous accomplissons de multiples tâches cognitives.
Une autre découverte surprenante, publiée en juin dernier par des neurologues américains, mérite d’être également évoquée. Ces chercheurs ont en effet découvert, chez la souris, trois neurones géants reliant différentes zones cérébrales (Voir Nature). Ces neurones possèdent la particularité d’être exceptionnellement longs et de projeter leurs axones à travers l’ensemble du cortex cérébral, connectant ainsi entre elles différentes régions du cerveau intervenant aussi bien dans les tâches cognitives que dans le comportement. Mais ce qui intrigue le plus ces chercheurs, c’est que ces neurones tout à fait particuliers ont été localisés dans le claustrum, une petite région du cerveau encore mal connue qui semble jouer un rôle-clé dans la communication entre les deux hémisphères cérébraux et dans l’émergence de la conscience chez les mammifères.
Toujours en juin dernier, une équipe de recherche internationale dirigée par les chercheurs de l’Université d’Amsterdam Jeroen Bos, Martin Vinck et Cyriel Pennartz, a également identifié, dans une zone située au milieu des lobes temporaux, un nouveau type de neurones, baptisés « cellules de voisinage » qui semblent jouer un rôle essentiel dans notre aptitude à naviguer, de manière quasi automatique, dans un environnement connu (Voir Nature Communications). Cette découverte pourrait à terme avoir des perspectives thérapeutiques nouvelles pour les malades désorientés dans l’espace à la suite d’une affection neurodégénérative.
Enfin, comment ne pas évoquer, dans cet éditorial consacré aux mystères de notre cerveau, la remarquable étude publiée il y a seulement quelques jours par des chercheurs français de l’Inserm, basés à Caen et à Lyon (Voir Nature). Dans ce travail, ces scientifiques ont étudié de manière approfondie le fonctionnement du cerveau de 6 personnes pratiquant de manière intense et prolongée la méditation, en suivant différentes techniques issues de la pratique du bouddhisme.
Cette étude a ensuite permis de comparer le fonctionnement du cerveau de ces personnes pratiquant la méditation avec celui de deux autres groupes témoins non-méditants. Les participants à ces expériences ont été soumis à toute une batterie d’examens neurologiques par imagerie en recourant à l’expertise de la plate-forme d’imagerie biomédicale Cyceron à Caen. Résultat : il existe bien des différences visibles et importantes en matière de volume de la matière grise et de métabolisme du glucose entre les personnes qui pratiquent régulièrement la méditation et les deux groupes témoins. L’étude précise que le cortex frontal et cingulaire et l’insula des personnes pratiquant la méditation est plus volumineux et présente un meilleur métabolisme que celui des personnes témoins, même après ajustement des différents facteurs liés à l’éducation et au mode de vie.
Ces résultats, bien qu’ils restent à confirmer et demandent à être reproduits, indiquent que la pratique d’une méditation intense et prolongée pourrait avoir des effets biologiques profonds sur le fonctionnement du cerveau et contribuer à améliorer son fonctionnement et à prévenir les effets du vieillissement cérébral, et peut-être également, ce point crucial fera l'objet de futures recherches, sur l’apparition de certaines pathologies neurodégénératives…
Ce que nous montrent toutes ces recherches et découvertes passionnantes, c’est que notre cerveau, loin de se réduire à une sorte d’ordinateur extrêmement compact, sophistiqué et performant, est également un extraordinaire système d’intégration et d’interprétation du réel qui ne cesse de produire du sens et de donner une cohérence au monde qui nous entoure, en inscrivant son action, comme l’a remarquablement montré dans ses travaux le grand neurobiologiste Antonio Damasio, dans une dimension corporelle, affective et sociale absolument irréductible et tout à fait fondamentale.
C’est ainsi que dans un processus d’une richesse et d’une complexité sans doute inépuisables, le monde et nos semblables façonnent notre cerveau, qui lui-même donne corps et signification aux choses, aux êtres et aux événements qui composent notre vie… Mais le plus fascinant, bien qu’il faille rester modeste tant ses mystères restent nombreux et profonds, est que notre cerveau ait cette étrange aptitude de se comprendre lui-même, mettant ainsi l’homme dans une position tout à fait singulière sur l’arbre du vivant, celle d’un être capable de se regarder penser mais également de déborder les limites de sa propre raison dans une permanente et foisonnante reconstruction symbolique, mystique et artistique du monde.
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
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- Publié dans : Neurosciences & Sciences cognitives
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