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Le cerveau modélisé
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C’est un rêve : reconstruire de toutes pièces un cerveau humain. Neurone par neurone, synapse par synapse. Lui fournir l’électricité nécessaire pour qu’il s’active et l’utiliser comme une poupée pour étudier le fonctionnement du cerveau humain, ses dysfonctionnements, ses addictions et, plus largement, ses émotions ou son intelligence.
Les avancées technologiques et scientifiques permettent aujourd’hui d’envisager, avec de plus en plus de sérieux, d’y parvenir. Mais l’humain pourra-t-il un jour reproduire ce que la nature a créé avec brio ? Un homme y croit, c’est Henry Markram, fondateur du projet Blue Brain de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) et père de l’ambitieux Humain Brain Project (HBP), qui vient de passer le premier niveau de sélection sur le plan européen. En quoi consiste ce défi ultime qui allie recherche fondamentale et technologie ? Explications.
Le cerveau compte environ 100 milliards de neurones auxquels s’ajoutent des milliers de fois plus de connexions entre ces cellules. Chez les mammifères, la majeure partie du cerveau est divisée en unités fonctionnelles, appelées colonnes corticales. Chacune contient environ 70?000?neurones chez l’homme et 10?000 chez le rat. Des millions de ces colonnes forment le cortex cérébral, une structure qui permet d’accomplir certaines tâches, de voir, d’entendre, d’apprendre ou de mémoriser. «Mais, dans ce domaine, les chiffres sont à prendre avec précaution, rappelle Richard Walker, porte-parole du projet HBP. On est loin de tout connaître et l’on peut se tromper beaucoup, comme ce fut le cas avec le nombre de gènes humains.»
Plus largement, les scientifiques sont encore loin d’avoir percé tous les mystères de cet organe ultracomplexe. D’où leur idée d’intégrer l’ensemble de nos connaissances sur le cerveau dans un modèle reproduisant son fonctionnement. «Nous adapterons l’infrastructure à ce que nous découvrirons. Plus nous en connaîtrons, plus les détails seront précis. Il ne sera pas nécessaire de tout savoir pour commencer à l’utiliser», assure Henry Markram. En outre, il tiendra compte de paramètres tels que la plasticité synaptique – en d’autres termes, sa capacité d’adaptation aux changements – et des interactions qu’il peut avoir entre un corps ou un environnement. «Un cerveau pur ne serait pas fonctionnel, nous pensons le coupler à des robots qui agissent dans l’environnement et sont capables de lui envoyer des signaux, précise Richard Walker. Pour autant, ce ne sera pas une chimère, ce sera un instrument scientifique.»
L’HBP n’est pas né de rien. En 2005, l’EPFL lançait le Blue Brain Project (BBP), qui visait déjà à modéliser le cerveau. Ainsi, dans les laboratoires lausannois, les chercheurs découpent des petits morceaux de tissu cérébral chez les rats ou les souris, et les étudient avec des microscopes ultrasophistiqués. «Nous voyons les neurones se parler et récoltons les informations de base des micromouvements neuronaux afin de les introduire dans la modélisation», explique Félix Schürmann, responsable du BBP. Pour des raisons évidentes, ces recherches sont impossibles sur l’humain. «Les cellules de rats ne sont pas identiques mais elles ont permis de découvrir beaucoup de chose. Il faut désormais changer des détails, mais chez les mammifères, les neurones sont très similaires», précise Richard Walker.
Pour l’heure, le BBP a réussi à modéliser le fonctionnement d’une colonne corticale du cerveau du rat. Les auteurs du HBP envisagent de pouvoir fournir cette infrastructure capable de simuler le cerveau humain en 2023. Un des principaux défis à relever pour y parvenir est informatique. L’ordinateur capable de reproduire la complexité du cerveau n’est pas encore né. A ce jour, l’EPFL et les Universités de Lausanne et de Genève ont acquis un superordinateur, le Blue Gene P, avec environ 16?000 microprocesseurs et une capacité de 53,5 téraflops (ndlr.: capable d’effectuer 53,5 millions de millions d’opération par seconde). Une puissance déjà insuffisante pour modéliser le cerveau d’un rat et ses 100 millions de neurones. Et des cacahuètes comparé aux exaflops nécessaires pour faire de même pour le nôtre. «Il y a dix ans, on n’aurait jamais imaginé avoir des ordinateurs aussi puissants qu’aujourd’hui, alors tout est possible», assure Richard Walker.
Le défi est autant une question de puissance que d’énergie. Pour fonctionner, notre cerveau dépense 20 à 30 watts (ndlr.: la consommation d’une ampoule). Pour faire le même travail, un ordinateur a besoin de 15 à 20 mégawatts, un million de fois plus, et surchauffe. Le dialogue entre recherche fondamentale et technologie vise aussi à s’inspirer du cerveau pour produire des ordinateurs avec une limite énergétique et thermique beaucoup plus élevée.Enfin, le projet Human Brain poursuit aussi un but médical. «Deux milliards de personnes souffrent de maladies cérébrales, rappelle Henry Markram. Or les moyens de les traiter diminuent alors que le nombre de patients croît.» Comprendre le fonctionnement du cerveau, ce sera aussi favoriser les réponses à ses dysfonctionnements dans des maladies comme celles d’Alzheimer ou de Parkinson. Par exemple, «on pourra rapidement mesurer l’efficacité d’une neuroprothèse, virtuellement la dessiner, la tester et l’adapter au patient», avance encore Henry Markram. «Le modèle ne permettra pas de se passer des tests cliniques. Mais il permettra de voir, sans sacrifier de rats, l’effet d’une molécule sur les neurones du cerveau. Si elle n’est pas efficace ou nuisible, il sera inutile d’aller plus loin», complète Richard Walker.
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