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Edito : Le cerveau dévoile de nouveaux océans de complexité...

Cette semaine, je reviens sur un sujet d'étude fascinant, notre cerveau. En quelques mois, de multiples découvertes, parfois très surprenantes, sont venues éclairer un peu plus ce vaste continent, encore bien mystérieux, qui ne cesse de nous étonner par sa richesse et son inépuisable complexité. En septembre dernier, des chercheurs suisses de l’Université de Lausanne ont fait une découverte surprenante : ils ont révélé l'existence, à côté des neurones et des astrocytes, d'un troisième  type de cellules nerveuses : l’astrocyte glutamatergique, une cellule hybride. Les neurones sont des cellules spécialisées qui traitent et transmettent l’information à d’autres cellules nerveuses, ou musculaires. Les astrocytes sont des cellules nerveuses, qui appartiennent à la famille des cellules gliales. Ils jouent un rôle dans la régulation du flux sanguin cérébral et le fonctionnement des synapses, le point de contact entre deux neurones. Ce nouveau type de cellules découvert possède à la fois les caractéristiques des neurones et des astrocytes. D’une part, comme les neurones, elles peuvent libérer un neurotransmetteur appelé glutamate. D’autre part, comme les astrocytes, ces cellules hybrides sont capables de protéger les neurones en régulant leur activité (Voir Nature).C’est une découverte majeure car ces astrocytes pourraient être impliqués dans les dérèglements responsables de l’apparition de la maladie d’Alzheimer ou encore de Parkinson. C’est en effet dans les régions du cerveau où l'on trouve ces astrocytes que ces maladies neuro-dégénératives pourraient être provoquées à la fois par une destruction des neurones et par un dysfonctionnement de ces astrocytes glutamatergiques.

En novembre dernier, une équipe de l’Université Catholique de Louvain (UCL) a fait une autre découverte majeure : ces chercheurs, dirigés par Isabelle Bets, ont montré qu'à côté du mode de communication électrochimique direct entre neurones, via les axones, il existait un autre mode communication sans contact entre neurones, qui agit en utilisant des neuropeptides, des hormones, composées de petites protéines. Ces neuropeptides agissent comme des neuromodulateurs et peuvent modifier la manière dont les neurones communiquent entre eux. Ces chercheurs parlent, dans leur étude, d'un véritable "Wi-Fi" des neurones et ils ont réussi à cartographier ce réseau sans fil que forment les neuropeptides (Voir Nature). Grâce à cette découverte, on sait maintenant que ces neuropeptides constituent un système de communication à part entière. Comme le souligne Isabel Beets, « On pensait que le réseau qui repose sur les neuropeptides était là pour aider le réseau de signalisation synaptique, mais la carte montre que ce réseau de signalisation est étendu et qu'il est tout aussi important, complexe et peut-être même plus diversifié que le réseau de signalisation synaptique ».

Fin 2023, une étude menée par l’Inserm, l’institut Pasteur et le CNRS a montré que le nerf vague, qui relie l'intestin au cerveau, joue un rôle clé dans l'apparition de dépression induite par des anomalies du microbiote intestinal (Voir Inserm). Cette découverte confirme le lien entre la dépression et le déséquilibre de la flore intestinale. De plus, le nerf vague est relié à des régions cérébrales impliquées dans la gestion des émotions. Ces éléments ont conduit les chercheurs à supposer que le nerf vague joue un rôle clé dans la communication entre l'intestin et le cerveau, et pouvait influer sur l'humeur et l'apparition de la dépression. Dans le but de comprendre le rôle du nerf vague dans la dépression, les chercheurs ont effectué des transferts de microbiote de rongeurs dépressifs à d'autres animaux exempts de ce trouble. Résultat : les souris saines ont développé une dépression après le transfert de microbiote provenant des souris dépressives. Cependant, chez les souris, dont le nerf vague avait été coupé, le transfert de microbiote n'a pas entraîné de dépression. Ces chercheurs forment l’hypothèse qu'il serait possible de moduler l’activité de protéines ou molécules spécifiques du nerf vague pour traiter ou prévenir la dépression chez les patients, sachant que seulement un tiers des patients sont efficacement soulagés par les médicaments.

Et ce nerf vague semble également être un acteur essentiel dans le mécanisme qui permet à notre cerveau de commander au système immunitaire une réponse face à une agression. Des chercheurs américains de l’université Columbia, à New York, viennent en effet de montrer que le cerveau intègre des signaux pro et anti-inflammatoires transmis par les neurones du nerf vague, puis régule en retour la réponse inflammatoire. Ces chercheurs ont également réussi, en stimulant les neurones DBH dans le complexe vagal, à restaurer l’équilibre de la réponse immunitaire. Par ailleurs, des essais de stimulation du nerf vague sont également en cours dans le traitement de pathologies inflammatoires, comme la polyarthrite rhumatoïde (Voir Nature).

Une autre étude franco-allemande récente a montré de manière surprenante mais convaincante qu'une modification du microbiote chez l'homme pouvait modifier certaines prises de décision et notre sens de l'équité et de la justice (Voir Oxford Academic). Selon ces travaux, il semblerait qu'un microbiote plus équilibré favorise des décisions prenant davantage en compte le contexte social et collectif. Ces scientifiques ont voulu savoir de quelle manière la composition du microbiote pouvait influencer nos décisions sociales. Pour cela, ils ont recruté 101 hommes en bonne santé. La moitié des participants ont reçu un mélange de pré- et de probiotiques, contenant notamment Lactobacillus et Bifidobacterium, tandis que l’autre moitié recevait un placebo pendant sept semaines.

Les participants ont alors participé à un test comportemental appelé "jeu de l’ultimatum", avant et après avoir reçu la supplémentation. Le principe est d’attribuer une somme d’argent à un joueur, qui doit ensuite la partager, équitablement ou non, avec un second joueur. Ce dernier peut accepter ou refuser l’offre, en particulier s’il la juge injuste. Dans ce cas, aucun joueur ne reçoit d’argent. Dans ce cas de figure, le second joueur sacrifie sa part d’argent pour "punir" le premier joueur de son manque de générosité. Ce jeu permet donc de mesurer expérimentalement la sensibilité à l’injustice. Les résultats de l’étude montrent que les participants du groupe ayant reçu les probiotiques étaient sensiblement plus nombreux à rejeter les offres inégalitaires. Le groupe placebo, quant à lui, a eu un comportement identique tout au long de l'expérience. « Cela tendrait à montrer que la modification du microbiote intestinal a rendu les participants moins rationnels et plus humains, plus sensibles aux considérations sociales », résume Hilke Plassmann. Les scientifiques ont également constaté, dans le groupe probiotique, une baisse des taux de tyrosine, précurseur de la dopamine, après sept semaines de supplémentation. « On peut faire l'hypothèse que la composition du microbiote intestinal pourrait influencer le comportement social par le biais de précurseurs de la dopamine, qui intervient dans les mécanismes cérébraux de la récompense », souligne Hilke Plassmann...

Dans ces recherches, les scientifiques soulignent que l'intestin communique avec le système nerveux central grâce notamment... au nerf vague, qui semble décidément jouer un rôle-clé dans l'axe de communication cerveau-intestin. C'est la première fois que l'on montre que la composition du microbiote intestinal pourrait influencer le comportement social par l'intermédiaire des précurseurs de la dopamine, un neurotransmetteur qui intervient dans les mécanismes cérébraux de la récompense. Il n'est donc pas impossible, selon cette étude, que l'on puisse influencer notre comportement social en modifiant nos habitudes alimentaires...

En avril dernier, le CEA a dévoilé, pour la première fois au monde, une série d’images de cerveau obtenue avec le scanner IRM Iseult, doté d’un champ magnétique d'une intensité unique au monde de 11,7 teslas. Cet appareil, qui utilise l’imagerie par résonance magnétique, permet, en seulement quelques minutes, contre plusieurs heures avec les appareils standards, de réaliser des images en très haute définition du cerveau humain. Ce nouvel outil devrait permettre d'établir un meilleur diagnostic et une meilleure prise en charge de maladies neurodégénératives telles que les maladies d’Alzheimer ou de Parkinson. Il permettra également de voir directement les effets de petites molécules, comme le glucose et le glutamate, activement impliquées dans certaines pathologies cérébrales,

Il y a quelques semaines, des scientifiques de l’EPFL de Lausanne ont testé avec succès une nouvelle technique permettant de sonder en profondeur le cerveau humain, sans chirurgie. Cet outil repose sur la stimulation électrique par interférence temporelle transcrânienne (tTIS), qui cible spécifiquement les régions profondes du cerveau formant les centres de contrôle de plusieurs fonctions cognitives importantes et sont impliquées dans différentes pathologies neurologiques et psychiatriques. Cette nouvelle technique pourrait révolutionner la prise en charge des troubles neuro-psychiatriques, tels que l'addiction, la dépression, la maladie de Parkinson et le trouble obsessionnel-compulsif (TOC), qui concernent des millions de personnes dans le monde. Selon ces scientifiques, cette nouvelle méthode de stimulation cérébrale pourrait également améliorer les fonctions cérébrales. « Nos recherches sont également prometteuses pour l’amélioration du comportement moteur et pour le renforcement de l’activité du striatum, surtout chez les personnes âgées dont les capacités d’apprentissage sont réduites », affirme Pierre Vassiliadis, co-auteur de ces travaux.

Il y a quelques jours, des neuroscientifiques d'Harvard, dirigés par le professeur Jeff Lichtman, ont réalisé un véritable exploit scientifique. Ils sont parvenus à reconstruire numériquement un fragment du cerveau humain en utilisant 1,4 pétaoctet de données (Voir Science). Ce fragment mesure un millimètre cube, et contient 57 000 cellules, 150 millions de synapses et 230 millimètres de veines, ce qui représente la cartographie la plus détaillée du cerveau à ce jour. Cette avancée, soutenue par Google, pourrait révolutionner la recherche sur les maladies neurologiques en fournissant une compréhension plus fine et plus profonde des connexions synaptiques. Fruit de dix ans de travaux, il s’agit de la reproduction la plus étendue et la plus détaillée du cerveau humain à ce jour, avec une résolution allant jusqu’au niveau des synapses. Ces chercheurs ont notamment utilisé un microscope électronique à balayage multifaisceau pour recueillir pendant près d'un an des images haute résolution de plus de 5 000 tranches de tissu, chacune d’une épaisseur d’environ 30 nanomètres. Cette reconstruction, baptisée H01, a déjà permis de faire des découvertes passionnantes , comme la mise en évidence d'un type de connexions synaptiques rares mais extrêmement puissantes dans lesquelles une paire de neurones peut être connectée par plus de 50 synapses individuelles.

Toujours dans ces derniers temps, des scientifiques du MIT ont découvert de nouvelles dimensions dans l'organisation de notre cerveau et la façon dont celui-ci traite et stocke l’information (Voir MIT Press Direct). Leur objectif visait à mieux comprendre comment les synapses réagissent à des signaux cérébraux particuliers et à déterminer la quantité d’informations que chaque synapse peut potentiellement stocker. Les résultats de cette étude ont été saisissants. Contrairement aux conceptions antérieures, les chercheurs ont observé une capacité de stockage d’informations beaucoup plus élevée (près de dix fois plus) que ce qui était auparavant supposé. Cette constatation, bien que réalisée sur le cerveau d’un rat, ouvre des perspectives tout à fait nouvelles sur la réelle capacité de stockage du cerveau humain. Cette avancée pourrait ouvrir la voie à de nouveaux traitements pour les maladies neurodégénératives, telles que la maladie d’Alzheimer, ou des troubles psychiatriques, comme la schizophrénie et l'autisme. Dans ces différentes pathologies, la plasticité synaptique se trouve perturbée, entraînant une dégradation de la perception et des fonctions cognitives. En comprenant mieux les mécanismes sous-jacents de ces perturbations, les chercheurs pourraient développer des thérapies ciblées visant à restaurer la plasticité synaptique altérée.

Il y a quelques jours, une autre étude française remarquée, conduite par Lionel Dahan, maître de conférences en neurosciences à l’université Toulouse III – Paul Sabatier et au Centre de recherches sur la cognition animale (CRCA/CBI – CNRS/UT3), a montré que les neurones à dopamine sont à l’origine de la formation de la mémoire (Voir Nature Communications). Chez les mammifères, la création de souvenirs passe par l'établissement de connexions entre les neurones, au sein de l’hippocampe, une structure du lobe temporal. Mais nous savons que notre mémoire ne fonctionne pas comme celle d’un ordinateur qui enregistre toute l'information produite en continu dans le temps. Mais comment notre cerveau décide, lui, de retenir certains souvenirs, plutôt que d'autres ? C'est justement la question que se sont posée Lionel Dahan et son équipe. Ces scientifiques ont voulu vérifier l'hypothèse que cette mémorisation sélective des souvenirs impliquait les neurones à dopamine. En ayant recours à un dispositif de stimulation par fibre optique de ces neurones à dopamine, ces chercheurs ont pu montrer que c'était bien cette catégorie rare de neurones, présents dans l’hippocampe, qui avait une action majeure sur la plasticité synaptique et l’apprentissage.

Je voudrais enfin parler d'une étude très intéressante, réalisée par des chercheurs suisses de l'EPFL et publiée en janvier dernier. Ces scientifiques ont en effet montré, en comparant le cerveau humain avec celui des macaques et des souris, que seul le cerveau humain transmet les informations par de multiples voies parallèles, ce qui permet de mieux comparer et comprendre l’évolution des mammifères (Voir Nature Communications). Ces scientifiques ont recueilli des données de diffusion (DWI) et d’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) provenant d’êtres humains, de macaques et de souris éveillés et au repos. Les scans DWI ont permis aux scientifiques de recréer les "cartes routières" du cerveau, et les scans IRMf de voir différentes aires cérébrales s’illuminer le long de chaque "route", ce qui permet de visualiser les voies empruntées par l’information neuronale. Les chercheurs ont analysé les données IRM multimodales en combinant la théorie de l’information et de la théorie des graphes, ce qui leur a permis de montrer que, dans les cerveaux non humains, les informations sont toujours envoyées le long d’une seule "route", alors que chez les êtres humains, on trouve au contraire systématiquement de multiples voies parallèles entre la zone émettrice et la zone réceptrice de l'information. « On supposait depuis longtemps l’existence d’un tel traitement parallèle dans le cerveau humain, mais il n’avait jamais été observé sur l’ensemble du cerveau », résume Alessandra Griffa. Ces travaux confortent la théorie selon laquelle ces flux d’informations parallèles ont permis, au cours de l'évolution, des représentations de plus en plus riches et complexes de la réalité et ont développé, uniquement chez l'espèce humaine, la capacité d’exécuter des tâches de plus en abstraites.

Toutes ces découvertes récentes montrent à quel point nous avons sous-estimé, non seulement la plasticité de notre cerveau, mais son incroyable capacité d'adaptation, d'auto-organisation, de traitement et de stockage d'informations. Mais il y a plus : comme l'ont pressenti depuis longtemps de grands scientifiques et de grands philosophes, il semblerait bien que le concept même de cerveau déborde largement l'organe du même nom... Ces recherches montrent en effet que le cerveau, le microbiote et le système immunitaire, forment un méta-système intégré d'une incroyable subtilité et que, d'une certaine façon, il n'est pas exagéré de dire que réflexion et action sont inextricablement liées et que c'est bien avec tout notre corps que nous pensons. Enfin, il semblerait également, même si, comme je l’ai souvent évoqué, il n'y a plus de doute qu'il existe une véritable et surprenante intelligence animale, mais que notre espèce soit la seule à posséder un cerveau capable, par son organisation et ses modes de fonctionnement singuliers, de reconstruire et de comprendre le monde en produisant des concepts d'un niveau d'abstraction inégalé...

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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