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Edito : Capturer, stocker et valoriser le CO2, un défi scientifique et écologique majeur pour notre siècle

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EDITORIAL :

Malheureusement, compte tenu du niveau atteint par les émissions anthropiques mondiales de CO², qui ont atteint 37 gigatonnes en 2018 (hors activités agricoles et forestières) et ont augmenté de 55 % en seulement 20 ans, la communauté scientifique internationale considère que l’objectif minimal d'un réchauffement climatique de moins de 2 degrés n'est plus atteignable par l'humanité, si elle se contente de réduire ses émissions de CO2 et de multiplier des sources énergétiques alternatives, même si ces actions sont tout à fait nécessaires. Selon une étude du MIT, publiée en septembre dernier et s’appuyant sur les recherches de l’Académie des Sciences américaine, il sera nécessaire, pour éviter un désastre climatique de grande ampleur, non seulement de réduire drastiquement à la source nos émissions de CO2 issues des énergies fossiles et de l’agriculture, mais également de capturer dans l'atmosphère 10 gigatonnes de CO2 par an d'ici à 2050 (l’équivalent des émissions annuelles de CO2 de la Chine), puis le double d'ici à la fin du siècle.

Dans une telle perspective, il devient absolument essentiel pour notre pays de développer et de mettre en œuvre à grande échelle, le plus rapidement possible, des technologies performantes de séquestration, stockage, et de valorisation du CO2. Cette voie a déjà été ouverte avec le projet européen de recherche Carbon4PUR, qui vise à produire à partir d’effluents gazeux industriels des polyols. Après avoir réussi à obtenir ces composés en laboratoire, le consortium du projet a débuté l’évaluation des conditions pour la réalisation d’un pilote de production sur la plate-forme de Fos-sur-Mer. Il a pour objectif de  développer un procédé capable de convertir les émissions gazeuses issues d’aciéries – en particulier celles de CO2 et de CO – en polyols, composés précurseurs des mousses et des résines polyuréthanes.

L’industrie cimentière, quant à elle, veut limiter son empreinte carbone qui représente aujourd’hui 7 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales et 3 % des émissions de l’Hexagone. Dans son plan à long terme, le Syndicat français de l’industrie cimentière a annoncé vouloir réduire de 80 % ses émissions de CO2 d’ici 2050 par rapport à 2016.

Pour réduire considérablement son impact environnemental, l’industrie cimentière finance des recherches visant à mettre au point de nouveaux types de béton qui pourraient être composés à partir de résidus industriels qui contiennent une forme active de silice et d’alumine : cendres volantes, cendres de biocarburants, laitier de haut fourneau ou métakaolin. Contrairement au ciment Portland, ces nouveaux bétons ne nécessitent pas de chauffage, ce qui diminue ainsi l’émission de CO2. Outre cet aspect plus écologique, il s’avère que ce nouveau béton fabriqué à base de silico-aluminates présente une résistance aussi élevée que le béton Portland. Enfin, le ciment est adapté au réchauffement climatique : constitué à base de laitier, cette poudre blanche donne au béton un aspect plus clair qui permet ainsi de limiter l’accumulation de chaleur.

La société Air Liquide a également développé, avec la société Solidia, un nouveau procédé très innovant qui remplace l'eau par du CO2 pour le durcissement du béton ; cette nouvelle génération de ciment permet à l'ensemble de la chaîne industrielle de réduire jusqu'à 70 % l'empreinte environnementale du béton préfabriqué.

S’agissant du stockage géologique, l’équipe de chercheurs et d’ingénieurs du projet CarbFix, qui associe des chercheurs du CNRS, a réalisé, en 2012, une injection-test de dioxyde de carbone dans des roches poreuses de basalte dans d’anciens puits de forage en Islande. Deux ans plus tard, 95 % du CO2 injecté s’étaient transformés en roches. Le projet est maintenant reproduit à grande échelle dans la centrale géothermique de Hellisheidi, à l’est de la capitale Reykjavik.

Dans cette centrale, environ un tiers du dioxyde de carbone émis est maintenant transformé en roches. Pour cela, le CO2 est tout d’abord dissous dans une grande quantité d’eau, puis l’eau gazeuse est injectée à haute pression dans la roche basaltique riche en minéraux, où des réactions chimiques entraînent la solidification du CO2. Ainsi capturé dans la roche, le dioxyde de carbone ne peut pas s’échapper du sol et passer dans l’atmosphère. Comme on peut trouver des formations basaltiques dans le monde entier, la même technique est potentiellement utilisable à grande échelle dans le monde.

Il y a deux ans, des chercheurs du laboratoire d’électrochimie moléculaire de l’Université Paris-Diderot – Sorbonne Paris-Cité, ont pour leur part réussi à transformer le dioxyde de carbone en méthane à l’intérieur d’un « système liquide » en n’utilisant que la lumière solaire et une molécule à base de fer qui permet d’accélérer la réaction. Ces résultats ouvrent une nouvelle voie vers la production de « carburant solaire » et le recyclage du CO2.

Début 2019, une équipe internationale, composée de treize chercheurs allemands, chinois, américains et australiens et menée par Dorna Esrafilzadeh, du Royal Melbourne Institute of Technology (RMIT), a réussi, en utilisant des métaux liquides comme catalyseurs, à convertir du CO2 en feuilles carbonées d’une épaisseur d’environ 3 nanomètres. Cette transformation a été obtenue en utilisant des alliages à base de gallium, qui ne sont pas toxiques et restent liquides à température ambiante. Ce processus recèle un potentiel très élevé d’applications à échelle industrielle et pourrait à court terme, être appliqué pour capturer du CO2, à partir des sources concentrées consommant des énergies fossiles, gaz, pétrole, charbon.

En 2018, Gabor Laureczy, professeur à l'Ecole Polytechnique de Lausanne, a déposé un brevet, après plusieurs années de recherche avec toute son équipe, permettant de fabriquer de l'électricité en partant du CO² et de l'Hydrogène de l'eau. Avec l'énergie solaire, il a obtenu de l'hydrogène (H²) par hydrolyse et il a trouvé le moyen de l'associer au CO² pour obtenir de l'acide formique (formule de l'acide formique H²CO²). Cet acide formique n'est pas plus difficile à manipuler et à stocker que l'acide acétique (vinaigre). Le Professeur Laurenczy a déjà réalisé le prototype de la Pile à Combustible (PAC) qui extrait l'hydrogène de l'acide formique et l'associe à l'oxygène (O²) de l'air pour fabriquer de l'électricité. Le process développé est vertueux, car le CO² libéré par la PAC est reconduit au début du process pour fabriquer à nouveau de l'acide formique. Ainsi, ce système retire du CO² de l'atmosphère mais n'en rejette pas. L'ensemble de ce process se réalise à température ambiante et sans demander de surpression. Ce brevet a été acheté par une société suisse. Nous saurons dans 18 mois si l'électricité ainsi stockée sera compétitive face aux autres formes de stockage.

En avril 2019, Victor Mougel, professeur à l’École polytechnique fédérale de Zurich, et son collègue Marc Fontecave, professeur au Collège de France, ont présenté un nouveau système d’électrolyse alimenté en courant par des mini-panneaux solaires, dans lequel on fait passer directement du CO2, et qui produit en sortie de l’éthylène, un gaz indispensable dans l’industrie chimique, puisque c’est l’élément de base du polyéthylène, l’un des plastiques les plus utilisés au monde. Cette photosynthèse artificielle pourrait permettre de valoriser la capture du CO2, là où le gaz est produit en grandes quantités, à la sortie des centrales de production d’électricité au charbon ou au gaz, ou dans les cimenteries par exemple. Ce procédé pourrait permettre de stocker les surplus de production d’énergie solaire, et la transformer en carburant, quand la production dépasse la consommation.

Il y a quelques semaines, des chercheurs de l'Université de Kyoto (Japon) ont présenté un matériau poreux qui présente une grande affinité avec le CO2 et qui permet, après capture, de le convertir efficacement en matière première utile à l'industrie. Le matériau en question appartient à la catégorie des polymères de coordination poreux (PCP), encore connus sous le nom de Metal Organic Framework (MOFs). Le PCP utilisé capture le CO2 de manière sélective dix fois plus efficacement que les autres PCP. Une fois le CO2 capturé, il peut être réutilisé pour former des polymères organiques qui peuvent notamment être transformés en polyuréthane que l’on retrouve dans nos vêtements ou nos appareils ménagers. Il peut aussi être recyclé en carbonates cycliques, utiles à l’industrie.

De leur côté, des chercheurs de l’Université de l’Illinois à Chicago ont présenté, début octobre, un nouveau type de batterie lithium-dioxyde de carbone qui possède une densité énergétique sept fois supérieure à celle des batteries ion-lithium et est entièrement rechargeable et stable pendant plus de 500 cycles.

Il faut enfin rappeler que la séquestration et le stockage du CO2 peuvent également s’effectuer par des processus biologiques et écologiques. Nous verrons dans un prochain éditorial comment la protection des forêts tropicales, la reforestation et le reboisement ont un rôle essentiel à jouer pour stabiliser le climat et stocker de manière durable le CO2 émis par l’homme. Mais la science peut à présent aider la Nature à accomplir encore plus efficacement son travail.

En juillet 2019, en modifiant un gène régulant une hormone végétale, des chercheurs américains du Salt Lake Institute ont ainsi réussi à obtenir des plantes aux racines plus longues et plus profondes. Ces dernières peuvent non seulement stocker plus de carbone dans le sol mais résistent mieux à la sécheresse et préviennent les inondations. Cette technique est utilisable sur les grandes cultures, comme le blé, le maïs, le soja ou le colza qui couvrent à elles seules 800 millions d'hectares dans le monde.

Le potentiel de séquestration est donc énorme : en théorie, il serait possible d'absorber 50 % des émissions de CO2 anthropiques en recouvrant seulement 5 % des surfaces cultivées dans le monde avec une plante ainsi modifiée, par exemple, une graminée nutritive riche en protéine comme le pois chiche. Bien sûr, il convient de prendre un maximum de précautions et de s’assurer que la culture à grande échelle de ces plantes à forte capacité de stockage de CO2 ne présente de dangers pour la biodiversité et l’environnement. Mais je crois qu’on ne peut pas écarter d’un revers de main le recours à de tels outils, compte tenu de leur immense potentiel en matière de capture et de stockage de CO2.

On le voit, l’intensification des recherches concernant la capture, le stockage et la valorisation du CO2 a enfin permis d’atteindre un point de basculement et de démontrer la faisabilité, en laboratoire, de nouveaux outils technologiques et biotechnologiques susceptibles de permettre le stockage et la transformation du CO2 à grande échelle.

Mais face au défi énergétique et climatique immense que nous devons relever, il est capital que le transfert industriel de ces découvertes et innovations s’effectue dans les meilleurs délais, afin que nous puissions atteindre, au niveau mondial l’objectif final d’une réduction de moitié de nos émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050, (mais pour les pays développés la réduction devra être des trois-quarts) ce qui nous permettra de contenir le changement climatique en cours dans des limites supportables par l’Humanité. Et pour ceux qui pensent que nous avons encore du temps devant nous et que la situation n’est pas si grave que cela, rappelons que la concentration de CO2 dans l’atmosphère a dépassé en octobre dernier les 409 ppm, un niveau jamais atteint depuis plus de trois millions d’années…(Voir Scripps Institution of Oceanography).

Et ce n’est pas la dernière étude publiée il y a seulement quelques jours dans la revue Nature qui risque de nous rassurer. Ce travail rigoureux, réalisé à partir de données provenant d’une centaine de sites montre que le sol de l’Arctique s’est réchauffé plus vite que prévu et émet en réalité 1,7 gigatonne de CO2 par an, deux fois plus qu’on ne l’imaginait jusqu’à lors. Parallèlement, la toundra et les plantes nordiques ne peuvent absorber qu’un milliard de tonnes de CO2 par an, ce qui veut dire que les sols arctiques rejettent déjà plus de 700 millions de tonnes de CO2 par an. L’étude précise enfin qu’au rythme actuel d’émissions, les émissions du sol nordique seraient susceptibles de libérer 41 % de carbone supplémentaire d’ici la fin du siècle (Voir article Nature).

Rappelons également qu’il y a quelques jours, une étude très sérieuse publiée dans la revue Nature (Voir Nature) a révélé que, si l’on tient compte des dernières estimations de hausse du niveau des mers, qui vont de 1,10 à 2,2 mètres d’ici la fin du siècle (alors que la hausse totale du niveau des mers n’avait été que de 20 cm au cours du XXème siècle), le nombre de personnes menacées par l’élévation du niveau de la mer dans le monde est au moins trois fois plus élevé que celui estimé auparavant. D’ici à 2050, 300 millions d’habitants risquent d’être confrontés à des inondations côtières au moins une fois par an – contre 80 millions d’après les précédentes estimations. Et, dans le pire scénario, jusqu’à 640 millions à la fin du siècle. Comme le souligne l’étude, « Ces évaluations montrent comment le changement climatique sera capable d’altérer les villes, les économies, les côtes et des régions entières au cours de notre vie ».

On voit donc que les effets du réchauffement climatique sont déjà très concrets, qu’il s’agisse de la hausse du niveau des mers, de l’impact sur l’agriculture, de la multiplication des phénomènes météorologiques extrêmes ou des nouvelles maladies liées à l’augmentation des températures, et risquent d’être encore plus dévastateurs que les pires prévisions…Dans cette perspective, il est vital, sans relâcher pour autant nos efforts de réduction de consommation d’énergie à la source et de développement massif des énergies renouvelables, d’investir dans la recherche fondamentale et industrielle, afin de découvrir de nouvelles techniques qui permettent, pour un coût économiquement supportable, de capturer, de neutraliser, de transformer et de stocker le carbone que nous émettons dans l’atmosphère.

Au niveau national, il est souhaitable que le Gouvernement complète les dispositions prévues par la Loi relative à l'énergie et au climat, qui prévoit la neutralité carbone pour la France à l’horizon 2050, par un volet, assorti d’une feuille de route précise, concernant la mise en œuvre à grande échelle des outils et méthodes de séquestration à la source, de stockage et de transformation du CO2. Il faut enfin que notre pays, qui dispose de compétences scientifiques de premier plan dans les domaines de la physique et de la chimie, consacre des moyens de recherche beaucoup plus importants à ce domaine, essentiel pour notre avenir, de la capture, du stockage et de la transformation du CO2.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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