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Edito : CANCER : Les progrès extraordinaires obtenus grâce à l'Intelligence Artificielle

La science ne s'arrête jamais et alors que notre pays affrontait cet été plusieurs vagues de chaleurs et de sécheresses qui confirment la violence du changement climatique en cours  et sur lesquels j'aurai l'occasion de revenir, plusieurs avancées majeures, malheureusement peu reprises par les médias, sont intervenues dans un domaine qui est train de bouleverser complètement la biologie et la médecine, celui de l'intelligence artificielle.

Une étude de l'Université de Californie a présenté cet été un nouvel outil d'IA qui s'est montré capable d'identifier de petites molécules qui peuvent restaurer la fonction de suppression de la tumeur sur les gènes p53 mutés,  impliqués dans de nombreux cancers humains. Ces chercheurs se disent persuadés qu'il est possible de corriger, grâce à des molécules appropriées, la plupart des mutations de type "faux sens", du gène p53.

Une autre équipe en Allemagne a découvert que l'IA peut détecter correctement les cancers du sein qui apparaissent  entre les dépistages et peuvent être manqués (Voir NIH).

En 2020, 2,3 millions de femmes ont été diagnostiquées avec un cancer du sein et 685 000 en sont décédées, dans le monde, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Ces recherches ont montré qu'environ 16 % des cancers du sein sont  visibles lors d'un dépistage précédent, et 20 % sont encore trop ténus pour l'œil humain et peuvent être ignorés les radiologues.

Cette étude a également montré que l'IA pouvait détecter correctement sur la mammographie 27,5 % des cas de faux négatifs et 12 % des signes précurseurs de ce qu'on appelle, "les cancers d'intervalle", correspondant à  ceux qui se développent  spontanément entre deux mammographies. De manière remarquable, ce nouvel algorithme s'est montré capable de repérer certaines mammographies de patientes à risque, bien qu'il n'y ait aucun élément a priori suspect sur l'image lors du dépistage…

Toujours il y à quelques semaines, des scientifiques britanniques ont présenté un outil d'IA qui peut prédire, en moins de deux jours, quelle est la meilleure combinaison de médicaments  pour un malade atteint d'un cancer particulier du poumon. Ce système très puissant utilise l'intelligence artificielle pour analyser une multitude de données protéiques à grande échelle, issues de tumeurs. Cet outil  peut ainsi prédire la réponse des patients aux médicaments avec plus de précision qu'aucune autre méthode actuellement disponible (Voir ICR).

Ces scientifiques de l'Institut de recherche sur le Cancer de Londres ont testé leur nouvel outil sur des cellules cancéreuses en laboratoire et sur des cellules tumorales issues du liquide pulmonaire chez des personnes atteintes d'un cancer du poumon non à petites cellules.

Ces chercheurs ont effectué des analyses dites "protéomiques", portant sur les altérations de 52 protéines importantes et la façon dont elles interagissent les unes avec les autres,  sous l'effet  des traitements médicamenteux. Les chercheurs ont ensuite conçu des algorithmes d'apprentissage chargés de repérer les principales modifications protéiques qui prédisent les réponses aux médicaments.

Ces chercheurs ont commencé par utiliser cet algorithme pour prédire la sensibilité des cellules à chaque médicament anticancéreux. C'est ainsi qu'ils ont pu observer que cette technique pouvait prédire de manière plus précise les réponses médicamenteuses individuelles que la méthode des caractéristiques génétiques, comme les mutations des gènes clés EGFR, KRAS et PIK3CA – trois marqueurs génétiques souvent utilisés pour prédire les réponses médicamenteuses dans le cancer du poumon, malheureusement en plein essor dans le monde et qui reste souvent de mauvais pronostic.

Les chercheurs ont ensuite utilisé la même approche pour prédire l'efficacité thérapeutique de 21 combinaisons différentes de deux médicaments dans les cellules cancéreuses du poumon présentant des anomalies génétiques de type EGFR et KRAS.

La moitié des 252 combinaisons de médicaments testées au total a montré un effet de synergie, ce qui signifie supérieur à celui de chaque médicament administré de manière individuelle.

De manière encore plus intéressante, cet outil d'IA a réussi à identifier les dix combinaisons médicamenteuses les plus efficaces dans 83 % des cas. Parmi celles-ci, on retrouve notamment des combinaisons de trametinib et de capivasertib, ou de gefitinib et d'évérolimus, dans les cancers du poumon non à petites cellules présentant des mutations de l'EGFR. Mais les chercheurs ont également pu identifier de nouvelles combinaisons prometteuses, comme l'association vemurafenib et le capivasertib.

Cette nouvelle technique, saluée par la communauté scientifique internationale, est la première capable d'offrir des prédictions personnalisées de cette qualité sur les combinaisons de médicaments susceptibles de fonctionner chez différents individus.

Les chercheurs de l'ICR sont convaincus que cette nouvelle technologie va jouer un rôle clé pour surmonter le défi de la résistance au traitement en permettant aux médecins de prévoir quelle sera l'efficacité d'un grand nombre de combinaisons de molécules. Prochaine étape des recherches, une étude de suivi plus vaste qui va porter sur 15 médicaments et va passer au crible 12 000 protéines impliquées dans ces types de cancers.

Comme le souligne le professeur Udai Banerji, responsable de l'étude, « Notre test devrait apporter une aide précieuse pour analyser très rapidement les changements dans la façon dont l'information circule dans les cellules cancéreuses et proposer en conséquence les meilleures combinaisons thérapeutiques, parmi des milliers de possibilités ».

Notons qu'une autre équipe britannique, de l'Imperial College de Londres, a conçu un modèle d'IA utilisant l'apprentissage automatique qui peut prédire le risque de récidive de certains cancers du poumon, avec une précision inégalée. « Il s'agit d'un pas en avant important dans la possibilité d'utiliser l'IA pour comprendre quels patients sont les plus à risque de récidive du cancer et pour détecter cette rechute plus tôt afin que le retraitement puisse être plus efficace », a déclaré le Docteur Richard Lee, qui a participé à ces recherches.

En dépit des avancées thérapeutiques de ces dernières années, il existe toujours, on le sait, un risque que la maladie récidive, d'où l'importance d'un meilleur suivi des patients après le traitement, pour pouvoir traiter immédiatement la moindre résurgence du cancer initial. En outre, ce nouvel outil d'IA va entraîner moins d'examens de suivi inutiles et de visites à l'hôpital pour tous les patients présentant un  faible risque de récidive.

Le cancer du poumon, on le sait peu, est malheureusement devenu en quelques années  la principale cause  de décès par cancer dans le monde et représente à présent 21 % des décès par cancer au Royaume-Uni. Le cancer du poumon non à petites cellules, ou NSCLC représente plus de 80 % des cas de cancer du poumon dans le monde et près d'un patient sur quatre doit affronter une récidive après son traitement initial.

A partir de l'analyse des données cliniques de 657 patients NSCLC, ces chercheurs ont pu mettre au point cet outil d'IA qui prédit de manière rapide et fiable les risques de récidive de ce type de cancer, ce qui devrait permettre de réduire sensiblement les risques de mortalité par ce cancer en plein essor.

En Israël, pour la première fois au monde, des chercheurs de l'hôpital Hadassah de Jérusalem ont mis au point un algorithme basé sur l'intelligence artificielle spécifique à un gène, dont l'objectif est de prédire l'effet de chaque mutation dans un gène impliqué dans environ 50 % des tumeurs cancéreuses. Cette découverte va permettre de franchir une nouvelle étape décisive dans la prédiction personnalisée des risques de cancer. En outre, cet outil va évidemment faciliter l'accès aux traitements personnalisés pour les porteurs de telles mutations.

L'étude rappelle que le gène TP53 a pour fonction de protéger les cellules normales du corps en corrigeant les changements génétiques. Si ces mutations sont trop nombreuses, ce gène provoque un 'suicide' de la cellule malade, l'empêchant ainsi de devenir cancéreuse.

On sait à présent que ce mécanisme fondamental intervient dans 50 % des tumeurs et que ce gène TP53 est sans doute le plus important dans la genèse du cancer. « Aujourd'hui, il est avéré que les porteurs d'une mutation du gène TP53 ont un risque accru de développer un cancer à un âge précoce », souligne le Docteur Rosenberg. Dans le gène TP53, il existe une possibilité de 2.314 mutations ponctuelles différentes, dont certaines vont provoquer un dysfonctionnement du gène et un cancer. « Ce modèle, qui classe les mutations comme cancérigènes ou neutres a une précision élevée de 96,5 %, ce qui permet son application clinique », conclut le Docteur Rosenberg.

Autre immense  avancée dont on ne mesure pas encore la portée et qui va toucher tout le champ scientifique du vivant et au-delà : l'IA Alphafold 2 de Google. Cet incroyable outil est parvenu en quelques mois à réaliser ce que les biologistes n'avaient pas réussi à faire depuis 50 ans : prédire la structure tridimensionnelle de 200 millions de protéines humaines.... Or, quand on connaît cette structure, on peut prévoir l'action thérapeutique qu'aura cette protéine. Cette technologie extraordinaire va donc accélérer de manière considérable la conception de nouveaux médicaments ciblés pour traiter de multiples pathologies aujourd'hui incurables. En outre, sur le plan de la recherche fondamentale, cet outil va permettre de décoder bien plus rapidement que prévu l'ensemble des protéines (peut-être un milliard) qui forment notre protéome. Après le décryptage fin, complet et définitif du génome humain, annoncé il y a quelques mois, l'inventaire complet du protéome est le second pilier qui va permettre aux sciences de la vie d'accomplir des pas de géants.

Après l'IA Alphafold 2, qui prédit la structure en 3D des protéines, l'IA SEI, mise au point par des chercheurs de l'UTSW (Texas), parvient à prédire, à partir des séquences brutes d'ADN, leur structure en 3D et leur propension à déclencher une quarantaine de pathologies chez l'homme....

Au Japon, l'équipe du Professeur Imoto, de l'Institut universitaire de Kyoto pour l'étude avancée de la biologie humaine (WPI-ASHBi) a développé une nouvelle méthode mathématique qui peut éliminer le bruit et ainsi permettre l'extraction de signaux clairs à partir de données de séquençage d'ARN unicellulaire. Ce nouvel outil informatique, en réduisant le bruit de fond des données analysées, permet enfin une compréhension précise et complète de l'activité d'une cellule. Après avoir permis de prédire la structure et l'action de l'ADN et des protéines, l'IA s'attaque à présent au mécanisme de transcription des informations génétiques par l'ARN.

L'Intelligence Artificielle s'attaque aussi, avec une efficacité redoutable, aux maladies neurodégénératives, autres grands fléaux de notre siècle. Dans le cas de la maladie d'Alzheimer, on sait que les premiers signes se développent 10 à 15 ans avant l'apparition des premiers symptômes, d'où l'intérêt de pouvoir mieux détecter ces signaux précoces, pour proposer aux patients des traitements plus efficaces.

Aujourd’hui, établir le diagnostic d'Alzheimer reste un processus long et complexe. Il faut réaliser et recouper de nombreux tests et examens pour diagnostiquer la maladie, ce qui peut prendre plusieurs semaines.

Pour lever cet obstacle majeur, des chercheurs de l’Imperial College de Londres ont adapté au cerveau un algorithme utilisé habituellement dans la classification des tumeurs cancéreuses. Ils ont ainsi divisé le cerveau en 115 régions et défini 660 variables différentes, pour évaluer chaque région. Ils ont ensuite construit l'algorithme visant à identifier les modifications annonciatrices de la maladie d’Alzheimer (Voir Imperial College London). Et le résultat est saisissant. Ce nouvel outil, expérimenté sur des sujets sains et des patients atteints de démence, a montré  un taux d’efficacité de prédiction de… 98 % ! Il a également été capable de distinguer les stades précoces et avancés de la maladie avec une précision de 79 %. « Aucune autre méthode ne peut prédire la maladie d'Alzheimer avec ce niveau de précision », précise le professeur Eric Aboage qui a dirigé cette étude.

Il y a quelques jours, une autre équipe américaine du célèbre MIT (Voir MIT) a présenté un appareil ressemblant à un routeur domestique Wi Fi, capable d'émettre des ondes radio et d'analyser leurs réflexions sur l'environnement, ce qui lui permet de recomposer les schémas respiratoires du sujet sans aucun contact corporel. Ce signal respiratoire est ensuite analysé par un réseau neuronal qui va pouvoir estimer les risques de  maladie de Parkinson de manière passive, sans aucune action particulière du patient ou du médecin. Cette relation entre la maladie de Parkinson et la respiration avait  été repérée il y a plus de deux siècles par le Docteur James Parkinson qui était un excellent clinicien.

Ce nouvel outil, testé avec succès sur près de 8000 personnes, pourrait constituer une avancée importante dans la détection précoce de cette maladie neurologique qui est le deuxième trouble neurologique le plus répandu dans le monde, après la maladie d'Alzheimer, avec 6,5 millions de personnes atteintes.

Toutes ces avancées récentes extraordinaires dans le domaine de l'IA appliquée à la prédiction biologique et génétique conforte ma conviction que la capacité phénoménale d'inférence des nouveaux outils d'IA, notamment ceux utilisant des puces neuromorphiques, vont permettre de contrôler la plupart des cancers plus rapidement que prévu, en permettant des thérapies totalement personnalisées et évoluant quasiment en temps réel, de manière à prendre le cancer de vitesse et à l'empêcher de développer des stratégies de résistance. Mais au delà de ces progrès thérapeutiques attendus dans de nombreuses pathologies, ces techniques d'IA sont également en train de révolutionner notre connaissance des mécanismes les plus fondamentaux du vivant, qu'il s'agisse des modes d'expression de nos gènes, du fonctionnement de l’ARN ou des interactions des centaines de millions de protéines différentes à l'œuvre dans notre corps…

Ces outils d'IA incroyablement puissants et prédictifs seront demain utilisés en routine, non seulement dans les hôpitaux, mais aussi chez le médecin, et vont totalement transformer notre conception de la santé et de la médecine, qui vont devenir essentiellement prédictives et préventives. Il serait souhaitable que l'Europe lance sans tarder un ambitieux programme de recherche destiné à concevoir les outils d'IA qui permettront, demain, de prévenir et de guérir à la source, par thérapie génique et cellulaire, des pathologies aujourd'hui incurables ou très invalidantes…

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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